Texte intégral
Monseigneur,
Monsieur le Ministre, Cher Børge,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Il y a quelques mois, mon homologue et ami Børge Brende et moi-même nous nous trouvions sur l'archipel Svalbard. Nous avions évoqué le projet de l'organisation d'une conférence sur le thème de l'Arctique et du dérèglement climatique et aujourd'hui, nous y voilà.
C'est un honneur et en même temps un plaisir de m'exprimer devant vous en ouverture de cette journée. Je me réjouis que cet événement se tienne ici-même dans cet amphithéâtre magnifique, en présence d'intervenants d'une extrême qualité.
Je veux d'abord saluer son Altesse Sérénissime, le Prince Albert II de Monaco, chacun connaît, Monseigneur, votre engagement pour la protection de la planète. Vous vous êtes rendu au pôle Nord, notamment en 2006, voyage qui, m'a-t-on dit, vous a marqué profondément. Par votre implication personnelle, par le travail de votre Fondation, vous prolongez le travail de sensibilisation aux questions environnementales engagé il y a près d'un siècle par le Prince Albert I.
Ces raisons font de vous un grand témoin privilégié pour notre réunion. Au nom de la France, je veux vous remercier pour votre présence et pour le témoignage que vous nous apporterez. Nous vous sommes reconnaissants que cette conférence ait lieu ici, dans le prestigieux amphithéâtre de la Maison des Océans.
Cher Børge,
C'est à votre invitation que je me suis rendu en juillet dernier dans l'archipel norvégien du Svalbard. J'ai pu observer de manière directe les effets spectaculaires et très inquiétants du dérèglement climatique en Arctique et je dois me rendre également au Groenland avec notre collègue danois d'ici quelques jours.
Mesdames et Messieurs les scientifiques du GIEC ont établi que le réchauffement est, là-bas, deux fois plus rapide que dans le reste du monde. Avec des décennies d'avance, on y constate les impacts du dérèglement sur les populations, notamment sur les modes de vie traditionnels des peuples autochtones, sur la flore et sur la faune, sur la montée du niveau des océans et sur la fonte de la banquise et des glaciers. Ces phénomènes sont étudiés grâce aux stations de recherche internationale et aux travaux, notamment, de l'Institut polaire français Paul-Émile Victor menés avec nos amis allemands et norvégiens.
Mesdames et Messieurs,
L'Arctique ne constitue pas seulement une illustration anticipée et exacerbée du péril climatique, l'Arctique joue aussi un rôle essentiel de régulateur de la machine climatique planétaire elle-même. Les scientifiques qui interviennent aujourd'hui l'expliqueront certainement mieux que moi; en renvoyant dans l'atmosphère l'énergie du soleil et en libérant le méthane emprisonné dans le permafrost, les écosystèmes de l'Arctique peuvent changer la donne. Si nous préservons leurs équilibres, ils peuvent nous aider à maintenir le réchauffement en dessous des deux degrés Celsius, par rapport à l'ère préindustriel. Si, en revanche, nous continuons à perturber ces équilibres, ils pourraient contribuer à un emballement vers trois, quatre voire cinq degrés, c'est-à-dire un scénario catastrophe.
Cette menace doit nous faire agir, les États membres du Conseil de l'Arctique en premier lieu mais aussi les pays observateurs dont la France. Le Conseil Arctique peut servir de plateforme utile pour organiser la coopération scientifique dans la région et pour traiter du problème spécifique des forceurs climatique à courte durée de vie (comme le méthane), dont l'impact local est fort ainsi que des polluants de manière générale. C'est avant par le biais de la Convention Climat des Nations unies que nous pouvons agir. Il s'agit de faciliter la conclusion d'un accord universel et ambitieux qui nous permette de tenir l'objectif des deux degrés, telle est la mission que s'est fixée la France pour la fameuse COP21 que j'aurai l'honneur de présider au mois de décembre prochain à Paris. La tâche, chacun le comprend, est immense mais l'espoir est réel et je ne peux m'empêcher de citer une anecdote que ceux qui m'ont déjà entendu me pardonneront de citer : lorsque la France a été désignée pour accueillir la COP21 - désignation facilitée il est vrai par le fait que nous étions les seuls candidats - de nombreux collègues sont venus me voir et je n'ai compris qu'après-coup le sens de leur discours qui était court puisqu'il tenait en deux mots : «Good Luck !» Maintenant je comprends.
L'Union européenne a rendu public ses objectifs climatiques pour 2030 qui sont les plus ambitieux au monde. La Norvège a choisi immédiatement de s'y associer dans une démarche de coopération que je veux saluer. Cette ambition et cette détermination à agir ensemble sont les piliers d'une mobilisation internationale croissante et nécessaire. Les États-Unis et la Chine sont parvenus à un accord que certains peuvent juger encore insuffisant mais qui est déjà historique pour maîtriser leurs émissions. Tous les pays du monde préparent en ce moment leur contribution nationale, c'est-à-dire les actions de réduction de leurs émissions, voire d'adaptation aux effets du dérèglement climatique qu'ils s'engagent à mettre en œuvre chez eux dans les années qui viennent.
La COP20 à Lima au Pérou a fixé les conditions et les délais. L'Europe je l'ai dit vient de publier sa propre contribution, je souhaite et je le dis très officiellement ici que tous les pays publient leur contribution dans les meilleurs délais possibles. Ce que nous devons construire par ces engagements, puis par la conclusion d'un accord espéré à Paris, c'est un monde zéro carbone et également zéro pauvreté et s'il on réfléchit bien, nous n'aurons pas l'un sans l'autre. Vouloir répondre aux défis climatiques sans répondre en même temps aux défis du développement et de la pauvreté, ce serait condamner à l'échec nos négociations climat, ce serait nous priver des chances de rester en dessous des deux degrés. Ce serait aussi nous priver des avantages qu'offre la lutte contre le dérèglement climatique pour le développement en général, c'est-à-dire la réduction des pollutions locales, l'extension de l'accès à l'énergie, la sécurisation des approvisionnements en eau.
Cette approche qui embrasse les divers objectifs, la Norvège a montré qu'elle la partageait en devenant pour nous un partenaire précieux et même indispensable sur les enjeux d'énergie durable, de financement et de réduction de la déforestation. Pour relever ces défis, nous connaissons les clefs principales : des efforts de solidarité sur les financements et pour le transfert des technologies, des innovations vertes qui se diffusent à grande vitesse sur l'ensemble de la planète et des engagements nationaux ambitieux qui accélèreront la transition vers des économies résilientes et sobres en carbone.
Le succès ne peut être que collectif, la conviction de la France est que nous devons former à Paris, en décembre ce que j'appelle une véritable alliance pour le climat qui regroupe l'ensemble des États certes, mais aussi, et c'est plus nouveau, les entreprises, les collectivités, les associations, les citoyens, bref, la société civile à commencer par les jeunes générations dont je constate avec plaisir qu'elles sont bien représentées aujourd'hui. Le défi climatique concerne tous les aspects de la vie, tous les secteurs de la société et de l'économie, toutes les régions, il doit donc impliquer tout le monde sans exception.
La catastrophe qui vient de se produire au Vanuatu, c'est-à-dire ce que j'appellerais l'hyper-cyclone Pam, avec des vents de plus de 300 km à l'heure, cette catastrophe montre, à l'autre bout du monde, combien il est essentiel et urgent de lutter contre le dérèglement climatique. Vous le savez, Mesdames et Messieurs, 70% des catastrophes appelées naturelles viennent du dérèglement climatique lui-même et la France, comme toutes les nations, doit faire le maximum pour sauver la planète.
J'aime cette phrase du Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon, qui résume tout : il le dit en anglais, moi je le dis en français, il n'y a pas de solution B parce qu'il n'y a pas de planète B.
Altesse,
Mesdames et Messieurs,
De ma visite en Arctique l'an dernier, je garde le souvenir très vif et visuel de blocs de glace gigantesques se détachant de la banquise avec un bruit effroyable, c'était le craquement qu'ils produisaient. L'Arctique est bien la sentinelle avancée du dérèglement climatique et l'intitulé de cette conférence vise donc tout à fait juste. Cette région nous transmet depuis des années des signaux que nous n'avons plus le droit d'ignorer. La communauté internationale doit les entendre et les traduire en actes.
Toute cette année 2015 sera décisive avec toute une série de rendez-vous. La conférence de Sendaï au Japon, il y a quelques jours où je me trouvais, sur la réduction des risques de catastrophe, le sommet d'Addis-Abeba en juillet sur le financement, la réunion de New York en septembre et les objectifs de développement durable et enfin le point d'orgue espéré, l'accord ambitieux que nous devons conclure en décembre lors de la COP21 à Paris. Il faut être clair, il n'y a pas de solution de rechange. Notre conférence d'aujourd'hui est donc un appel bienvenu par son moment et son sujet, c'est un appel indispensable à l'action.
Je vous remercie.
(...)
Q - (Question en anglais sur les possibilités de succès de la COP21)
R - Je pense qu'il y a heureusement des éléments objectifs qui peuvent nous faire espérer un succès à Paris. Le premier élément, c'est qu'il y a un changement considérable dans la perception par l'opinion de la réalité scientifique. Il y a quelques années, y compris en France, le phénomène du dérèglement climatique était contesté. Son origine anthropique était également contestée. Aujourd'hui, la contestation n'existe quasiment plus, sauf dans certains pays comme les États-Unis d'Amérique, pour des raisons idéologiques. Le constat scientifique a énormément progressé ; il faut en remercier les scientifiques qui ont fait un travail remarquable. Il s'agit là du premier élément de changement.
Le deuxième élément de changement, c'est que les entreprises, le milieu économique a compris que non seulement c'était une tâche morale de lutter contre le dérèglement climatique, mais que la croissance verte offrait des possibilités de création d'emplois et de développement majeur dans le futur. L'attitude des entreprises, globalement, n'est plus du tout la même que ce qu'elle était il y a quelques années.
Le troisième élément de changement, c'est que beaucoup de responsables politiques ont compris que maintenant il fallait agir. Le changement majeur a été l'accord passé, il y a quelques mois, entre le président Obama et le président Xi Jinping autour de la notion de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Il y a quelques années, c'était inconcevable ; maintenant, c'est vrai. Je ne dis pas que tous les responsables politiques en soient au même stade, je mesure les difficultés. J'ai dit tout à l'heure dans mon propos qu'il risquait d'y avoir un certain retard dans la production des contributions - ce qu'on appelle en anglais «INDCs» [Intended Nationally Determined Contributions] - mais il y a quand même une prise de conscience. Notre travail, aux uns et aux autres, c'est de convaincre que tout le monde doit être engagé. Je ne vais pas faire un «mapping» politique des bons et des moins bons élèves. D'autre part, les situations objectives sont différentes. Il y a des pays pour lesquels c'est plus facile que pour d'autres.
Toute notre tâche, au cours des mois qui viennent, va être de convaincre que chacun doit faire un effort, pour parvenir à l'accord de Paris qui devrait comporter quatre piliers.
Le premier pilier, celui qui constitue la novation principale, c'est un accord juridiquement contraignant, différencié et universel. Jusqu'à présent, nous n'y sommes pas parvenus. Vous vous rappelez les déceptions de Copenhague et d'autres COP. Nous travaillons sur cet accord pour que la production d'émissions de gaz à effet de serre reste en-dessous d'une augmentation de la température de deux degrés.
Le deuxième pilier, ce sont les contributions nationales. Il faut que chacun dise à quoi il s'engage pour les années et les décennies qui viennent.
Le troisième pilier, ce sont les questions de financement. Quand vous allez parler à tel ou tel pays en développement de la nécessité de limiter ses émissions de gaz à effet de serre, il vous dit d'abord qu'il en émet très peu et demande ensuite où sont les financements ? Où sont les technologies ? Il faut donc que nous avancions sur ce point.
Le quatrième pilier, c'est ce qu'on appelle l'agenda des solutions qui va engager dans l'opération non pas seulement les gouvernements mais aussi les grandes villes, les régions, les entreprises, le secteur économique et la société civile. Ce ne sont pas simplement les gouvernements qui ont une responsabilité, les grandes villes par exemple ont une responsabilité majeure. Bientôt aura lieu à Paris, une conférence des grands villes européennes et l'intention du maire de Paris, que je soutiens tout à fait, est de faire en sorte que les marchés publics soient bâtis de telle façon dans les grandes villes qu'ils limitent la production de gaz à effet de serre.
C'est l'ensemble de tous ces piliers qui doit nous permettre d'arriver à un résultat satisfaisant à Paris. Il y a encore de gros efforts à faire, mais il y a une dernière bonne nouvelle que j'aborde avec prudence mais qui est quand même tout à fait spectaculaire : il y a de cela cinq jours, l'agence internationale de l'énergie a publié des résultats - j'espère qu'ils seront confirmés - disant que l'année 2014 a été la première année où, alors même qu'il y avait une croissance économique moyenne dans le monde de 3%, il n'y a pas eu de croissance des émissions de CO2. Depuis 40 ans, cela ne s'est jamais produit. Depuis 40 ans, chaque année, nous observons une augmentation des émissions de CO2, sauf trois années où il n'y a pas eu de croissance économique. Là, pour la première fois, il y a une croissance économique moyenne mais pas d'augmentation du dioxyde de carbone. Les techniciens réfléchissent, comment expliquer cela ? Ils nous disent que ce serait dû pour une grande part à une évolution de la Chine qui a recourt moins qu'avant au charbon. Il y a d'autres éléments qu'il nous faut étudier, mais c'est une incitation - non pas à ne rien faire -, cela montre que les choses sont possibles. C'est nécessaire et c'est possible et il faut donc que chacun se mette à la tâche.
(...)
Q - (conséquences de l'élévation du niveau des mers)
(...)
R - Les indications données par son Altesse sont parfaitement exactes pour l'Europe. Comme il s'agit de moyenne, pour certains pays du monde ce sont des perspectives beaucoup plus importantes avec des territoires entiers totalement recouverts.
Cela doit nous faire penser à un autre aspect de notre réflexion. Le sujet n'est pas simplement environnemental mais au moins autant celui de la sécurité. Il faut bien comprendre qu'à partir du moment où des territoires sont atteints par des inondations ou par la sécheresse, il y a des mouvements de population qui aboutissent à des conflits. Quand vous regardez l'histoire du monde, les conflits sont largement déterminés par la conquête ou la protection d'un certain nombre de ressources. Nous avons l'exemple de l'eau quand elle est quantité insuffisante ou excessive.
Je pourrais faire la même démonstration en matière de santé. Ce qui me frappe dans le domaine de la déforestation c'est non seulement les conséquences dramatiques que l'on connaît mais, ce qui est moins connu, les conséquences en matière de santé. Les scientifiques nous apprennent que des virus à l'état latent se trouvent dans les forêts et quand celles-ci sont détruites alors les virus explosent. Cela a été le cas pour Ebola, par exemple. Ce n'est pas seulement une question environnementale au sens traditionnel de ce terme. C'est aussi une question de sécurité, une question de santé. C'est la question de la vie possible ou impossible sur notre planète. Désormais comme tout est connecté, ce qui se passe dans une région apparemment éloignée du monde, se passe ne réalité chez nous.
C'est cette perspective d'ensemble que l'on doit avoir et faire partager à nos concitoyens pour que cette grande action ne soit pas seulement réservée à une élite scientifique ou intellectuelle. Il faut que chacun comprenne bien qu'il est concerné et qu'il peut agir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mars 2015