Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "LCI" le 11 mars 2015, sur la réponse du gouvernement français aux demandes de réformes faites par la Commission européenne pour réduire ses déficits.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

NICOLAS PAGNOL
Restez avec nous sur LCI ! Tout de suite l'invité politique de Guillaume DURAND, il reçoit ce matin le ministre des Finances et des Comptes publics, Michel SAPIN - je suis quasiment certain qu'on parlera avec lui de ces histoires d'autoroutes, l'étau se desserre donc - bonjour à tous les deux messieurs.
GUILLAUME DURAND
Heureux de vous retrouver ! Nous sommes donc avec, vous le savez, Michel SAPIN qui est le ministre des Finances. Il y a une sorte de grande bataille politique, Michel SAPIN, puisque nous arrivons au seuil des Départementales avec le Front national, DUPONT-AIGNAN, Debout la République », la gauche, les Frondeurs, qui disent : « Stop Bruxelles ! » et on lit les journaux ce matin, Pierre MOSCOVICI, commissaire à l'Economie, vous demande un plan d'économies détaillé, autrement sanction. Donc il y a à la fois cet aspect économique précis qu'on va essayer de détailler ensemble et, en même temps, c'est quand même totalement… enfin c'est un handicap qui vous est apporté au moment où les Départementales démarrent, non ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Mais chacun peut le lire comme il le souhaite. La réalité des choses c'est que la France au cours de l'été 2014, faisant, le gouvernement, le diagnostic désagréable que 2014 n'était pas l'année de la reprise - alors qu'on attendait l'année de la reprise – a dit : « il faut changer de politique monétaire, l'Euro est trop fort, les taux d'intérêt sont encore trop élevés et il faut changer de politique budgétaire au niveau européen, il faut diminuer nos déficits mais à un rythme moins élevé ». Qu'est-ce que je constate aujourd'hui ? C'est d'ailleurs l'environnement qui nous permet de penser que la reprise cette fois-ci va pouvoir être présente en 2015, l'Euro a considérablement diminué – ce qui est bon pour nos entreprises – les taux d'intérêts ont considérablement diminué – ce qui est bon pour le financement du budget comme le financement des entreprises – et Bruxelles comme on dit, la Commission, mes collègues – parce que c'est ceux-là qui ont décidé – des Finances ont dit : « La France doit continuer à réduire ses déficits mais doit le faire à un rythme moins rapide que celui qui était fixé ».
GUILLAUME DURAND
Mais enfin ils vous demandent d'ici le mois de juin, ils vous demandent une feuille de route extrêmement sévère ?
MICHEL SAPIN
Pour le reste chacun regarde son nombril, mais ce qui est demandé à la France c'est ce qui est demandé à chaque pays de l'Union européenne et de l'Euro.
GUILLAUME DURAND
D'accord ! Mais vous allez leur dire quoi au mois de juin ?
MICHEL SAPIN
Je répète cela, c'est demander à chaque pays, d'ailleurs chaque pays les Guillaume DURAND italiens ou les Guillaume DURAND portugais, ou les Guillaume DURAND allemands, disent : « mais, alors, vous êtes sous le regard de Bruxelles, vous allez devoir annoncer ce que vous allez faire dans tel domaine et dans tel domaine ». Mais ça c'est normal, on ne peut pas avoir…
GUILLAUME DURAND
Vous trouvez ça normal que MOSCOVICI, dans Le Figaro ce matin, je l'ai là, dit…
MICHEL SAPIN
Mais on ne peut pas avoir…
GUILLAUME DURAND
Attendez ! Pardonnez-moi, on va poursuivre ce raisonnement, vous allez pouvoir exprimer. Mais quand MOSCO dit que, sur le plan des finances publiques, on est quand même le plus mauvais élève - ce n'est pas un avertissement apporté à tous les Guillaume DURAND - on dit que vous êtes le plus mauvais, vous et la France, nous sommes les plus mauvais élèves ?
MICHEL SAPIN
Et, dans un autre domaine, il dira à l'Allemagne : « vous êtes un mauvais élève parce que vous la capacité d'investir et que vous ne le faites pas et que ce serait bon »…
GUILLAUME DURAND
Mais vous l'êtes, ou pas, le mauvais élève ?
MICHEL SAPIN
Donc, chacun a un certain nombre de points sur lesquels la Commission porte un jugement.
GUILLAUME DURAND
Vous ne voulez pas me répondre ?
MICHEL SAPIN
Mais non ! Je pense que…
GUILLAUME DURAND
Mais est-ce que nous sommes le plus mauvais élève de l'Europe en matière de finances publiques ?
MICHEL SAPIN
Mais évidemment non, on n'est pas dans un classement, on n'est pas en train de dire quel est bon élève et le mauvais élève…
GUILLAUME DURAND
Mais alors pourquoi il le dit, lui ?
MICHEL SAPIN
Donc personne n'est en train de dire ça, sinon il se jugerait lui-même.
GUILLAUME DURAND
Mais pourquoi le dit-il ?
MICHEL SAPIN
Chacun est parfois professeur et chacun est parfois élève, donc sortons…
GUILLAUME DURAND
Vous parlez de qui, de MOSCO là ?
MICHEL SAPIN
Donc sortons de ce type de mécanisme. Guillaume DURAND, je vais vous le dire – mais à vous comme à d'autres – à chaque fois qu'on parle de l'Europe comme d'un lieu qui surveille, qui contraint ou qui punit, on fait reculer l'Europe. Et on fait quoi ? Progresser qui ? Les extrêmes ! Et chez nous on le sait…
GUILLAUME DURAND
Mais avouez que ça tombe mal !
MICHEL SAPIN
Mais prenons-le dans l'autre sens, l'Europe a considéré que, comme nous l'avions décidé nous-mêmes, il vaut mieux diminuer les déficits mais à un rythme qui permet de soutenir la croissance. Qu'est-ce qui compte pour les Français ? Vous pensez que c'est un chiffre de déficit, un pourcentage de PIB ? Monsieur DURAND, vous avez déjà rencontré un pourcentage de PIB dans la rue ? Des chômeurs vous en avez déjà rencontrés, moi aussi. Donc la seule chose qui compte derrière ces grands chiffres, derrière ces pourcentages, derrière ces milliards que personne ne peut comprendre – et ils sont là - il faut bien entendu que les ministres des Finances fassent avec ces milliards. Qu'est-ce qu'il y a…
GUILLAUME DURAND
Un plan d'économies ça existe, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Bien sûr ! Mais qu'est-ce qu'il y a derrière ça ? La nécessité d'avoir de l'activité économique dans les entreprises plus importante pour créer des emplois en nombre suffisant, pour faire enfin reculer le chômage, c'est tout le coeur de notre politique et c'est au fond ce que souhaite aussi évidemment la Commission européenne parce qu'elle ne peut pas se satisfaire – et là on est loin d'être le plus mauvais élève, même si on n'est pas dans les meilleurs élèves – de taux de chômage des jeunes à 50, à 30, à 25 %, ce qui est quelque chose de parfaitement insupportable.
GUILLAUME DURAND
Vous connaissez les statistiques d'Eurostat, je les donne à chaque fois : 28 pays de l'Europe, il y en a 24 dans lequel le chômage baisse, sauf nous.
MICHEL SAPIN
Oui ! Mais ils sont à quel niveau ? Vous voudriez être au niveau espagnol ?
GUILLAUME DURAND
Mais, pardon, il y en a 10 qui sont en dessous de 7 %.
MICHEL SAPIN
Bon ! Vous voudriez être au niveau espagnol, c'est-à-dire…
GUILLAUME DURAND
Non ! Mais il y a en 10 qui sont à moins de 7 %.
MICHEL SAPIN
Donc regardons-nous par rapport… relativement et ensuite, deuxième chose, que la France ait des efforts à faire, c'est évident…
GUILLAUME DURAND
Alors, justement, parlons de ça.
MICHEL SAPIN
Que la France ait des efforts à faire du point de vue budgétaire, c'est évident, on ne peut pas continuer avec des déficits trop élevés, donc il faut continuer à diminuer les déficits et, comme on ne va pas augmenter les impôts – je vous le dis – la seule manière de diminuer un déficit, c'est quoi ? C'est de diminuer les dépenses ! Ce n'est pas simple, mais on le fait.
GUILLAUME DURAND
On va voir pour le mois de juin ! Commençons par l'immédiat, vous-même reconnaissez qu'il manque un certain nombre de milliards à cause des attentats, du service civique, des opérations militaires extérieures actuellement, comment fait-on pour les trouver ? Est-ce qu'il va y avoir un collectif budgétaire supplémentaire…
MICHEL SAPIN
Mais alors vous mêlez deux questions, mais je peux le comprendre, vous êtes comme tous les Français, vous mêlez deux questions. Premièrement, nous avons décidé, le gouvernement, le président de la République - pour faire face en particulier aux risques terroristes - d'augmenter un certain nombre de dépenses, des policiers, des gendarmes, dans mon administration il y a plus de gens qui vont aller rechercher où sont les financements, traquer les financements des terroristes, ça cela coûte, il y en a grosso modo au total pour un milliard. Ce n'est pas un milliard de déficit, ce n'est pas un milliard d'endettement, c'est un milliard d'annulation d'autres dépenses. C'est fait ! C'est décidé, c'est la bonne manière de faire, on a des dépenses supplémentaires…
GUILLAUME DURAND
Donc, cet argent qu'on dépense, par exemple ça va être repris sur les ministères ?
MICHEL SAPIN
C'est repris ! C'est repris sur toute une série de ministères, y compris sur le mien, parce qu'on va faire des économies…
GUILLAUME DURAND
Donc c'est une certitude, vous me le dites ce matin ?
MICHEL SAPIN
Mais c'est décidé ! Le Premier ministre l'a dit…
GUILLAUME DURAND
Mais alors pourquoi vous nous parlez de…
MICHEL SAPIN
Et il y a, deuxièmement - c'est pour ça que je vous dis qu'il ne faut pas tout mêler - il y a, deuxièmement, la nécessité de compléter notre programme d'économies, vous savez les 21 milliards que nous faisons cette année, d'un certain nombre de mesures nouvelles. Pourquoi ? Parce qu'il y a des économies que nous avions programmées l'année dernière, décidées, votées, et qui, compte tenu d'une inflation qui est une inflation à zéro, il n'y a aucune augmentation des prix prévue cette année, ne se matérialisent pas, quand vous avez décidé de geler une prestation vous faites une économie par rapport à ce qu'elle aurait du éventuellement augmenter, mais, comme c'est une inflation zéro, vous avez une économie qui était sur le papier et que vous ne retrouvez pas dans la réalité, eh bien cette économie-là il faudra la retrouver.
GUILLAUME DURAND
Ca représente combien ? 2, 3…
MICHEL SAPIN
C'est aux alentours de 2 – 3 milliards, c'est un travail que nous sommes en train de faire. C'est d'ailleurs très exactement les sommes que, entre guillemets, la Commission nous demande de faire comme effort supplémentaire, donc on a…
GUILLAUME DURAND
Mais là c'est maintenant, ça ?
MICHEL SAPIN
Mais bien entendu c'est maintenant ! Puisque c'est pour 2015.
GUILLAUME DURAND
Mais c'est pour ça que je vous posais la question du collectif budgétaire supplémentaire.
MICHEL SAPIN
Donc, la question dite du collectif budgétaire ou de la loi de finance rectificative est une question technique et politique…
GUILLAUME DURAND
Mais que vous écartez ce matin ?
MICHEL SAPIN
Mais je n'ai pas, ni à l'écarter, ni à ne pas l'écarter, la question reste ouverte, je ne pense pas que ce soit nécessaire. Je sais faire dans ce budget de la France, qui est de 1.000 milliards, de 1.000 milliards, je sais faire trois milliards d'économies sans forcément passer par une loi de finance rectificative, écoutez trois milliards - 1.000 milliards, il faut voir par rapport aux chiffres que nous manions. Dans le budget de l'Etat, de l'Etat, le seul Etat, donc on est bien d'accord c'est l'Etat qui rembourse…
GUILLAUME DURAND
Donc, on est bien d'accord que ça va être fait ?
MICHEL SAPIN
Mais bien entendu que ça va être fait !
GUILLAUME DURAND
C'est vous-même qui allez prendre les décisions qui font, comme on a parlé du milliard tout à l'heure, ces trois ou quatre milliards-là on va le faire ?
MICHEL SAPIN
Bien sûr ! Le milliard c'est des dépenses décidées par la France pour protéger la France et qui sont compensées par des économies, les trois milliards en question ce sont des économies décidées par la France, pas imposées par Bruxelles – il faut arrêter de parler comme ça – et que la France fera parce que c'est la bonne manière de diminuer un déficit en diminuant les dépenses.
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi ! Mais alors, parce qu'il y a tellement de… on parle du marché du travail, on parle d'une réforme des retraites insuffisante, il y a beaucoup, beaucoup de secteurs, mais en juin on leur dit quoi comme réformes massives qui permettent… parce que c'est quand même ça la…
MICHEL SAPIN
Mais personne ne demande des réformes massives ! On nous demande – et c'est légitime…
GUILLAUME DURAND
Structurelles importantes ! Pierre MOSCOVICI…
MICHEL SAPIN
Oui ! Structurelles importantes, d'ailleurs personne ne comprend ce que sait qu'une réforme structurelle, mais c'est une réforme très importante.
GUILLAUME DURAND
D'accord ! Mais il va bien falloir la faire au mois de juin ?
MICHEL SAPIN
Comme à nous, comme à tous les pays de l'Union européenne, nous nous regardons nous-mêmes, c'est normal, nous sommes ici dans une radio ou dans une télévision française regardée par les Français, mais c'est pareil dans chacun des pays, l'Europe demande à chaque pays – ils appellent ça un plan national de réformes…
GUILLAUME DURAND
Mais ça j'ai compris, Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Ce plan national de réformes il doit être présenté par tous les pays au mois d'avril – mai à la Commission. Dans ce plan national de réformes, en France, qu'est-ce qu'il y aura ? Ce que nous avons fait, décidé, voté, qui sont en applications, par exemple la baisse considérable des charges et des cotisations des entreprises, on l'a baissée de 10 milliards l'année dernière, on la baisse en ce moment-là de 12 milliards. On nous demande quoi ? La loi Macron, elle a été votée en première lecture, elle n'est pas définitive. Vous allez jusqu'au bout ? Oui ! Nous allons jusqu'au bout. On nous demande quoi ? Les partenaires sociaux, vous leur avez demandé de négocier pour réformer, vous savez ce qu'on appelle les seuils, simplifier le dialogue social, parce qu'il y a des complexités qui font des obstacles…
GUILLAUME DURAND
Donc, finalement, ce qui a été mis en place jusqu'à présent va être la réponse à ce qu'on vous demande pour le mois de juin ?
MICHEL SAPIN
Mais oui ! La France décide pour elle-même des réformes qui sont bonnes pour elle-même. La France est souveraine, on ne fait pas des réformes parce qu'on nous oblige à faire des réformes, on fait des réformes…
GUILLAUME DURAND
Donc c'est un jeu de rôles avec MOSCOVICI, il fait semblant de demander quelque chose…
MICHEL SAPIN
Mais il est dans son rôle !
GUILLAUME DURAND
Alors qu'il fait pratiquement la réponse.
MICHEL SAPIN
La Commission est dans son rôle vis-à-vis de la France comme vis-à-vis des autres, mais, nous, nous faisons des réformes parce que c'est bon pour nous et nous allons jusqu'au bout de ces réformes. Donc les partenaires sociaux, ils ont échoué dans la négociation, c'est le gouvernement qui reprend évidemment le flambeau et qui fera cette réforme qui est nécessaire à la bonne administration des entreprises et au développement du plan.
GUILLAUME DURAND
Là on passe à la micro-économie, est-ce qu'il existe un recul du gouvernement sur le dossier des tarifs autoroutiers par exemple ?
MICHEL SAPIN
Quelle est la question posée ? Les sociétés d'autoroutes, pas toutes, mais les principales sociétés d'autoroutes, compte tenu des conditions dans lesquelles elles ont bénéficié de ce qu'on appelle la privatisation - non pas de l'autoroute elle-même mais de la gestion de l'autoroute – font aujourd'hui des bénéfices colossaux, c'est reconnu, c'est comme ça, est-ce qu'il n'y a pas d'une manière ou d'une autre à partager en quelque sorte ces bénéfices pour non pas venir alimenter les épinards ou mettre du beurre dans les épinards du gouvernement ? Non ! Pour alimenter quoi ? Des travaux, des travaux sur le système autoroutier ou sur le système ferroviaire et des travaux dont nous avons besoin, y compris en termes d'activité, ils font des bénéfices énormes. Bien ! Quelle est la bonne méthode ? Est-ce que c'est la coercition ? Je ne le pense pas ! Est-ce que c'est la négociation ? Je le pense ! Et par le biais de cette négociation nous devons aboutir à ce que les sociétés d'autoroutes participent plus qu'aujourd'hui à la mise en oeuvre des travaux.
GUILLAUME DURAND
Donc, à faire baisser encore plus les prix ?
MICHEL SAPIN
Ca peut l'être d'une manière ou d'une autre ! Ca peut être par une participation des autoroutes au financement de travaux, de travaux supplémentaires, de travaux nouveaux dans tous les domaines, parce que oui on a besoin de ces travaux, on a besoin de cette modernisation, on a besoin…
GUILLAUME DURAND
Mais pourquoi ils ne baisseraient pas les prix ?
MICHEL SAPIN
Mais ils peuvent aussi le faire par la baisse des prix ! Mais je pense qu'aujourd'hui ce qui est important c'est qu'on transforme des bénéfices en travaux et ces travaux derrière il y a de l'emploi, on en revient toujours à l'emploi et à faire reculer le chômage.
GUILLAUME DURAND
Michel SAPIN, ministre des Finances, était notre invité ce matin sur l'antenne donc de Radio classique et de LCI, merci, bonne journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 mars 2015