Déclaration de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion, sur la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, Paris le 3 mars 2015.

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Comme vient de le dire Etienne Pinte, nous sommes réunis aujourd'hui pour une conférence extraordinaire à l' occasion du bilan du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale. C'est l'heure de faire un bilan à mi-parcours des avancées et réalisations du plan, mais aussi le moment de faire de nouvelles propositions. C'est le Premier ministre qui viendra nous les présenter tout à l'heure pour la période 2015 à 2017.
Un anniversaire, en général, effectivement, ça se fête, mais nous ne sommes pas là aujourd'hui uniquement pour nous féliciter mutuellement du travail accompli ensemble depuis deux ans pour combattre la pauvreté et faire reculer l'exclusion. Nous sommes face à une crise économique, face à une crise sociale sans précédent dans le pays, une crise qui dure et qui fait peser un risque sur la cohésion sociale dans le pays. Nous l'avons vu récemment, cette société démocratique dans laquelle nous vivons, cette République que nous avons construite peuvent être mises en cause du jour au lendemain, en quelques heures par la violence et par la haine. Aujourd'hui, la question se pose donc avec encore plus de gravité : dans quelle société voulons-nous vivre ? Dans une société où l'on trouverait d'un côté des gens à l'abri du besoin et de l'autre celles et ceux qui vivent, voire survivent difficilement au quotidien, même lorsqu'ils travaillent ? Où celles et ceux qui font face à des accidents de la vie, comme une séparation, une perte d'emploi, une maladie devraient vivre en marge de la société ?
Evidemment, nous ne devons pas nous résigner à seulement panser les plaies sans chercher à changer durablement notre modèle de société. C'est ce que nous voulons faire avec ce plan, pour aider à construire la société d'aujourd'hui et celle de demain, celle de nos enfants et futurs petits-enfants. Notre objectif est de faire en sorte que la pauvreté ne soit plus héréditaire ou héritée, De faire renaître l'espoir, dire qu'il est possible de progresser dans la société française. Cet objectif est difficile à atteindre. Nous en avons conscience. Mais c'est notre objectif politique : inverser la tendance d'une société qui fabrique de l'exclusion et de la pauvreté, y compris chez ceux et celles qui ont un travail, mais qui doivent constamment se restreindre et ne voient pas leur situation évoluer.
Depuis janvier 2013, au démarrage du plan, avec Marisol Touraine, Ministre des Affaires Sociales, de la Santé et du Droit des Femmes, nous avons mis en oeuvre un certain nombre de mesures du plan, indispensables pour soutenir le pouvoir d'achat des Français les plus modestes, telles les revalorisations des minimas sociaux, l'élargissement de l'accès à la CMU complémentaire et l'élargissement de l'accès à l'Aide à la Complémentaire Santé. Au-delà, des actions plus structurelles ont fait évoluer la situation d'un certain nombre de Français qui font face à des difficultés pour accéder à l'emploi, se loger, se soigner, etc…mais je ne ferai pas l'inventaire des mesures du plan qui ont été mises en oeuvre sous l'impulsion du gouvernement et grâce à vous tous.
Ce plan concerne en réalité tous les Français. Bien sûr, il y a les mesures pour les personnes les plus exclues, déjà en situation d'exclusion, sans logement, travail, famille. Mais savez-vous que plus de 70% des Français craignent de se retrouver un jour en situation de vulnérabilité ? On voit bien que cette crainte, cette peur, elle existe et elle transcende toute la société. Ce que les Français attendent de nous aujourd'hui, c'est une protection.
Notre plan doit donc comprendre des mesures de prévention pour celles et ceux qui sont à la limite dans toutes ces situations qu'on appelle intermédiaires, qui, en général, n'ont droit à rien car ils dépassent de peu les plafonds, mais qui sont en grande difficulté. Celles et ceux qui peuvent basculer dans la grande précarité du fait d'une maladie, d'une séparation. Toutes celles-là, tous ceux-là, il faut les prendre en compte, leur proposer des solutions, leur proposer d'être accompagnés.
Je veux aussi partager avec vous un certain nombre de réflexions qui fondent l'action du gouvernement pour la deuxième moitié de ce plan. Tout d'abord, François Chérèque nous a remis un rapport très riche qui évalue point par point la mise en oeuvre de ce plan. Il vous présentera son travail tout à l'heure. Mais je veux très sincèrement vous remercier ici, François Chérèque, pour la qualité de ce rapport, car vous avez su, pointer les dimensions sur lesquelles le plan devra encore être approfondi et renforcé. Je veux également remercier toutes les personnes, qui ont su jouer leur rôle de vigie en portant un regard sans complaisance mais le plus souvent constructif sur notre action collective, celle du gouvernement, mais aussi des associations qui ont travaillé pour que ce plan devienne une réalité partout en France. Ce plan, il nous appartient, à nous de le faire vivre au quotidien pour qu'il produise ses effets. Aux côtés de François Chérèque, Louis Gallois, représenté par M. Guéguen, Christophe Robert et François Soulage nous indiqueront les axes sur lesquels il est nécessaire de mettre l'accent de leur point de vue.
Ce plan, tout comme les nouvelles propositions, sont issus d'une concertation associant tous ceux qui le souhaitaient : l'État, les collectivités locales, les associations, les organismes publics de sécurité sociale, les entreprises, les organisations syndicales, les chercheurs et, bien sûr, les personnes concernées elles-mêmes. Je le dis souvent, les gens qui ont l'expérience personnelle de situations de grande précarité sont des experts. Il est donc tout à fait légitime qu'à ce titre, ils participent à définir ce plan, à élaborer les réponses concrètes mises en oeuvre. Et je remercie les membres du huitième collège du CNLE, le collège citoyen du CNLE, pour leur implication permanente dans les travaux du CNLE. Et je pense notamment à tout le travail fait sur les outils de simplification des démarches, le simulateur des droits, le coffre-fort numérique, les formulaires. Je veux le dire ici à nouveau : votre rôle est indispensable et nous avons besoin de vous pour avancer.
Oui, nous avons besoin de vous, mais nous avons, je vous rassure, pleinement conscience de notre responsabilité au gouvernement. Ce plan mobilise l'ensemble des membres du gouvernement et, vous pourrez le constater quand vous verrez la nouvelle feuille de route, elle a été bâtie avec beaucoup de ministères, et notamment le ministère de la santé et le ministère du logement, le ministère de l'emploi, le ministère de l'éducation, et j'en oublie très certainement. C'est le sens de la présence des ministres qui accompagneront Manuel Valls tout à l'heure.
Car même si ce plan n'est pas seulement celui du gouvernement, l'État a un rôle essentiel à jouer pour qu'il soit efficace. L'État est bien sûr d'abord garant des valeurs de la République (liberté, égalité, fraternité). La liberté, nous l'avons « chevillée au corps », comme l'a rappelé récemment le Premier ministre. La fraternité et l'égalité, c'est ce qui fait le sens de nos politiques de solidarité. La solidarité, on croirait presque, par les temps qui courent, que c'est devenu un gros mot. Certains le remplacent par « assistanat ». La solidarité n'est pas un simple supplément d'âme. Elle est au coeur de nos valeurs, et c'est le rôle de l'État de défendre ces valeurs en ne laissant personne de côté. L'État doit protéger les citoyens tout au long de la vie, anticiper l'avenir, s'adapter aux évolutions de la société et montrer le cap, enfin, pour que nous travaillions tous dans un objectif commun.
C'est par exemple le sens du partenariat que nous voulons renforcer autour de la garantie jeune, qui a démarré mais doit être amplifiée, pour que ce dispositif bénéficie réellement aux jeunes qui en ont le plus besoin, par exemple ceux qui sont en centre d'hébergement. Plus d'une personne hébergée sur quatre aujourd'hui à moins de 25 ans. Je pense également aux jeunes pris en charge dans le cadre de la protection de l'enfance, qui ne le sont plus à la majorité. Et également à ceux qui sont sous main de justice et qui s'engagent dans un parcours d'insertion. C'est également le sens de notre action dans le domaine de l'aide alimentaire, visant à faciliter l'organisation locale des circuits, le dialogue entre les associations, les collectivités, les producteurs, les grandes et moyennes surfaces, les services de l'État. Je veux ici rappeler le rôle des collectivités locales, des communes, des départements, qui sont les chefs de file de l'action sociale au niveau local, qui construisent la République au quotidien comme j'aime à le dire. Et j'ai bien sûr aujourd'hui une pensée toute particulière pour le sénateur Claude Dilain, ancien maire de Clichy-sous-Bois, qui s'est tant battu pour sa ville. Il nous a quittés ce matin. Il laisse sa ville et son département en deuil, et la France tout entière.
Alors, sans vouloir dévoiler ce que dira le Premier ministre tout à l'heure, je veux tout de même vous rappeler quelques grands principes fondamentaux qui guident notre action en matière de lutte contre la pauvreté. La nouvelle feuille de route du plan s'inscrit bien sûr dans la continuité des cinq grands principes ayant présidé à l'adoption du plan : objectivité, non-stigmatisation, participation, juste droit et décloisonnement des politiques sociales. Cette feuille de route demeure articulée autour de trois axes d'intervention : prévention des ruptures, accompagnement et action partenariale au plus près des personnes.
Je voudrais tout particulièrement insister sur le rôle essentiel de l'accompagnement. Qu'il s'agisse de l'accès à l'emploi, aux droits, de la santé ou du logement, l'accompagnement humain est absolument essentiel. J'ai encore récemment rencontré des travailleurs sociaux, puisque nous menons une réflexion depuis plusieurs mois sur la question de la place du travail social. Les professionnels de l'accompagnement social ont un rôle essentiel à jouer pour informer, orienter, aider les personnes en difficulté pour retrouver le chemin de l'autonomie. C'est uniquement dans la relation humaine que les capacités des personnes peuvent s'activer, se révéler. C'est en lui redonnant un rôle d'acteur au sein de la société qu'on peut espérer redonner confiance dans l'avenir à quelqu'un qui se sent aujourd'hui délaissé, relégué. Pour illustrer mon propos, je veux prendre l'exemple des outils numériques que nous développons pour que les personnes en difficulté aient connaissance de leurs droits et puissent les faire valoir. Le coffre-fort numérique, le simulateur des droits, ils peuvent être de puissants leviers d'insertion. Mais si on n'y prend pas garde, ils peuvent être, devenir de puissantes machines à exclure. C'est pourquoi les personnes doivent être accompagnées pour être en capacité de les utiliser et d'en tirer réellement profit. C'est pourquoi le gouvernement a fait le choix de s'appuyer sur le numérique pour lutter contre le non-recours aux droits, en développant en particulier la médiation numérique.
Pour terminer et vous laisser la parole, Monsieur le Président, et à l'ensemble des intervenants, je veux vous dire à quel point il me semble que, face à la menace d'une société repliée sur elle-même, nous devons résolument nous orienter vers un nouveau modèle de société, une société plus responsable, une société qui ne s'attaque pas qu'aux symptômes, mais bien à l'origine de la maladie. C'est ce que nous souhaitons faire en luttant contre le gaspillage alimentaire, en responsabilisant les banques, les institutions de crédit, en mobilisant les entreprises, en mobilisant les partenaires sociaux pour lever les freins à l'embauche ou améliorer l'accès à la formation des salariés. Ce modèle de société plus responsable, c'est la clé pour que notre société soit à l'avenir plus apaisée, mais aussi plus dynamique et efficace. L'OCDE a montré récemment qu'une société plus égalitaire est aussi plus performante économiquement. C'est bien tout le sens du terme, du concept de « développement social », qui, je l'espère, remplacera peut-être un jour la notion de « développement économique ». Car, vous le savez comme moi, le niveau de développement d'une nation ne se mesure pas uniquement en fonction des richesses produites, mais également en fonction des richesses partagées, celles qui fondent réellement le bien-être d'une société et le bien-vivre ensemble. C'est bien là notre cap, malgré les difficultés, malgré les résistances, malgré les doutes : construire de jour en jour une société plus juste, ce que le Premier ministre appelle une République bienveillante et généreuse.
Mesdames, Messieurs, nous y parviendrons, j'en suis convaincue !
Source http://www.cnle.gouv.fr, le 18 mars 2015