Déclaration de Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat à la famille, aux personnes âgées et à l'autonomie, sur la question de l'isolement des personnes âgées et des personnes âgées dépendantes, Paris le 27 janvier 2015.

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Je tiens tout d'abord à vous remercier, Monsieur le président, ainsi que vous, cher Jean-François Serres, référent national MONALISA et délégué général des petits frères des Pauvres, pour votre invitation à conclure, non pas vos travaux - je sais qu'ils vont se poursuivre - mais cette journée et vous dire en même temps tout le plaisir que j'ai à être là ce soir parmi vous.
Vous avez eu l'occasion de mener, au cours de cette journée, des échanges à la fois riches et constructifs autour de la question de l'isolement. Sachez que ce travail de réflexion et de débats est plus que jamais essentiel et que tout ce que vous diagnostiquez, tout ce que vous construisez, tout ce que vous essayez concerne l'ensemble de la société et l'ensemble de l'isolement dont sont victimes des individus ou des groupes d'individus dans notre société. Au regard des transformations à l'oeuvre, il est indispensable aujourd'hui d'inventer de nouveaux dispositifs qui permettent de nous adapter au vieillissement d'une partie de la population. Je tiens à dire avec beaucoup d'insistance que nous suivons, nous observons - ce qui fait peut-être la différence entre mon portefeuille et des portefeuilles précédents, c'est-à-dire le fait que j'ai tout à la fois, l'enfance, la famille et les personnes âgées, sous ma responsabilité -, c'est que j'observe avec beaucoup d'attente et beaucoup de curiosité et d'intérêt ce que MONALISA produit en termes de diagnostic et de solutions sur l'isolement.
Nous avons déjà, vous avez déjà identifié et agi en faveur de la lutte contre l'isolement des personnes âgées. Je sais que ce matin, Serge Guérin a évoqué la question spécifique des femmes parmi les personnes âgées isolées. J'attire votre attention car il y a des interdépendances sur un groupe de population qui aujourd'hui me soucie particulièrement, celui des familles monoparentales, qui vit une situation d'isolement aussi grande de solitude affective, de pauvreté et qui en plus, a la responsabilité d'élever des enfants. Lutter contre l'isolement des uns, c'est faire appel aux autres. Je suis très attentive à la manière dont peuvent se croiser les luttes qui se mènent contre la solitude dans différentes parties de la population, qui d'ailleurs parfois sont la même population. Quand j'observe la solitude des femmes dans les familles monoparentales, je m’inquiète pour ce qu'elles vivent aujourd'hui mais je m’inquiète tout autant pour ce qu'elles vivront demain quand elles seront plus âgées. Donc, tout ce qui aura été fait aujourd'hui contre l'isolement et pour accompagner les personnes âgées est pourtant acquis pour demain car votre travail, c'est bien entendu, agir, répondre aux situations mais aussi construire durablement et construire pour l'avenir.
Le projet de loi que je porte vise aussi à engager des actions en faveur, en général, de l'adaptation de la société au vieillissement. C'est un texte de programmation et d'orientation. Vous le connaissez très bien. Je ne vais pas revenir ni sur sa partie normative, ni sur le rapport annexé mais je voudrais cependant profiter de cette tribune pour vous dire une fois encore que cette réforme, longtemps attendue, espérée, trouvera bientôt les moyens de sa réalisation. Le Premier ministre lui-même a annoncé, lors d'un déplacement dans l'Essonne pour lequel je l'accompagnais, que cette loi serait définitivement votée au Parlement en 2015 pour une entrée en vigueur, pleine et entière, au 1er janvier 2016. La navette parlementaire va reprendre rapidement puisque le texte est prévu en première lecture au Sénat avant la fin du mois de mars. J'ai la conviction, qu'au cours de la navette parlementaire, ce texte sera encore enrichi et j'attends particulièrement de l'apport de la chambre haute et en particulier, de la chambre des collectivités locales qui a une connaissance extrêmement fine des réalités de terrain. Vous savez comme moi à quel point bon nombre des politiques que nous conduisons - enfin, que je conduis pour ma part - pour lesquelles vous êtes acteurs au quotidien, sont déterminées et influencées par les choix des conseils généraux, à quel point l'articulation entre département et parlement doit être faite dans un projet de loi qui sera portée en commun.
Avant d'aborder les perspectives, je tiens avant tout à saluer la démarche d’innovation sociale qui a été initiée par MONALISA et à rappeler la signification et le sens de votre action. La lutte contre l’isolement des personnes âgées est un défi majeur pour notre société à plusieurs égards. Lorsqu'on analyse leur environnement, l'isolement est identifié comme un facteur accélérant, accentuant la perte d'autonomie. Le vieillissement, qui est souvent perçu comme un déclin, un fardeau, un parcours nécessairement subi, doit nous amener à rechercher les moyens de reculer le plus tard possible la perte d'autonomie, de la compenser ou de l'adapter à une situation nouvelle. Pour que la perte d'autonomie soit retardée, il faut que la personne reste actrice de son projet de vie. C'est aussi - et c'est le sens de ce que j'ai apporté dans le projet de loi sous forme d'amendement, de réflexion supplémentaire par rapport au texte que j'avais trouvé à mon arrivée au ministère -, l'occasion de dire à quel point la question des droits et des libertés des personnes âgées est un sujet important. À quel point la bientraitance doit nous amener à surplomber, irriguer l'ensemble de notre action des politiques publiques en faveur des personnes âgées et d'ailleurs de l'ensemble de la société. C'est pour ça que j'ai souhaité que le projet de loi soit enrichi d'un certain nombre d'articles concernant la dignité et le droit des personnes, ce qui est à mon sens la structure, la colonne vertébrale même de ce que vous faites avec MONALISA. Lutter contre l'isolement n'a de sens que si cela s'accompagne d'un travail en faveur de la dignité et des droits des personnes.
Cette volonté commune qui est prévue à l'article 8 du projet de loi et qui nous permet, avec la CNSA de financer des dispositifs nouveaux, va nous permettre d'anticiper la perte d'autonomie par tous les moyens. MONALISA est reconnue comme une actrice majeure puisqu'elle est explicitement mentionnée dans le rapport annexé au projet de loi (MONALISA est de genre féminin : une première fois, sous le pinceau de Léonard de Vinci ; une deuxième fois le mot mobilisation).
Se mobiliser contre l'isolement des personnes âgées, c'est aussi affirmer la nécessité de tisser du lien social précisément aux endroits où celui-ci est désormais très fragile, ou a même dans certains cas, entièrement disparu. C'est un enjeu de solidarité qui nous anime, aux fondements mêmes du vivre ensemble. Nous devons aujourd'hui tout mettre en oeuvre pour que ces mots, ces intentions, ces valeurs se réalisent au travers d'actions concrètes et de mobilisations tangibles. C'est ce qui est attendu des équipes citoyennes de MONALISA.
Aussi, je souhaiterais souligner l'originalité de la démarche portée par MONALISA. Les actions mises en place par vos équipes reposent sur une dynamique citoyenne. Vous avez d'ailleurs eu l'occasion d'interroger, dans le cadre de la table ronde précédente, la complémentarité qui peut exister entre engagement citoyen et interventions publiques. À l'heure où je parle, après les événements tragiques que la France a vécus, nous savons tous que tous ceux qui agissent en faveur de la citoyenneté, agissent aussi en faveur des valeurs de la République, de leur vitalité et de leur partage.
L'engagement de bénévoles et des volontaires auprès des personnes âgées, les uns au service des autres, et parfois les autres au service des uns aussi, constitue une réponse forte aux interrogations actuelles en affirmant, de manière tangible, l'existence d'une véritable solidarité intergénérationnelle. L'implication des jeunes, au sein des associations membres de MONALISA, est notamment rendue possible grâce à l'agence du service civique. Je tiens à saluer particulièrement ici le travail de François Chérèque, président de cette agence, à le remercier de son engagement. Je sais que, dans les semaines à venir, il saura encore mobiliser en faveur de l'élargissement de l'accès au service civique.
La démarche de MONALISA se révèle aussi novatrice dans la manière dont elle envisage son action sur les territoires. Les équipes de MONALISA ont pour ambition de créer une présence, non seulement sur le terrain, mais aussi en particulier dans les zones qu'on appelle pudiquement « zones blanches » - zones vides -, où le lien social et la présence associative sont fragiles voire inexistants. Éloignées de la densité humaine, les personnes âgées isolées qui y vivent ont pourtant plus que jamais, à ce moment de leur vie, besoin d'accompagnement. Je suis moi-même élue de Picardie qui est, comme vous le savez, un territoire rural, et j'ai pu constater et prendre pleinement conscience, dans mes longues années d'élue locale et territoriale, de la nécessité d'agir, d'impulser des initiatives locales face aux difficultés. J'ai aussi la certitude - mais j'ai été pendant 10 ans vice-présidente chargée de la vie associative - de l'incontournabilité du tissu associatif et surtout de la nécessité de le renforcer et de lui donner les moyens et la pérennité pour qu'il puisse travailler sereinement.
Les personnes qui sont en situation de vulnérabilité, liée à une distance tant géographique que sociale, sont celles que vous avez particulièrement ciblées dans votre action et dans vos interventions. C'est donc tout à l'honneur de MONALISA que de se fixer pour priorité l'intervention au sein de ces zones. L'action menée par vos équipes citoyennes, issues du tissu associatif local, coordonnée au niveau départemental, permet d'y faire naître et renaître l'universalité du lien social et de la chaleur humaine. Par ailleurs, vous le voyez, et vous avez pu le constater tout au long de cette journée, MONALISA est une structure dont l'objectif est d'amorcer et de construire une identité qui se forge à partir des cultures et les pratiques de chacun de ses membres. Elle ouvre la possibilité, pour les différents acteurs impliqués dans la lutte contre l'isolement, de travailler ensemble afin d'identifier les possibles champs de coopération et de mutualisation. Je souhaite particulièrement insister sur ce point.
En l'occurrence, ce n'est pas tant ce que chacun fait qui importe, mais plutôt ce que les uns et les autres sont capables de faire ensemble et de ce que chacun peut apprendre de ce que fait l'autre. C'est bien ce processus d'échange, d'interaction, de mise en commun qui permet et permettra de faire émerger des solutions justes, pertinentes, au service du bien-être de nos aînés et des territoires. Nous ne disons pas assez qu’agir auprès des personnes âgées, en situation d'isolement, c'est aussi agir pour les territoires et pour tous ceux qui vivent dans ces territoires. C'est la vocation première de MONALISA que de créer un outil de modélisation qui permettra de lancer et de donner jour à des initiatives portées par les associations qui en sont membres. Le choix qui a été fait a été celui de valoriser le tissu associatif existant. Il s'agit donc aujourd'hui de lui permettre de se déployer, de s'ouvrir et de se régénérer.
L'amorce de cette mobilisation a bien eu lieu. De nombreuses rencontres se sont déroulées au niveau national. Plusieurs comités départementaux ont d'ores et déjà été installés, des équipes citoyennes mises en place et la formation au parcours MONALISA est dispensée par les premiers bénévoles. Je tiens encore à saluer ici l'ensemble des acteurs impliqués pour le travail effectué et je ne doute pas que, dans un avenir proche, cette mobilisation pour tisser du lien social auprès de nos personnes âgées, vivra par elle-même et sera au coeur de l'action de tous, tous ceux qui sont ici réunis.
Qu'il s'agisse de la CNSA, de la Caisse des Dépôts, du ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, dans le cadre de l'action de la France s’engage, les pouvoirs publics ont pleinement soutenu cette mobilisation. Les besoins étaient là, les moyens l'ont été aussi. L'attente est donc d'autant plus grande. Je souhaite dire, qu'au-delà de l'aspect quantitatif, il est aujourd'hui essentiel de compléter l'évaluation de ces avancées par une approche portant sur la qualité des interventions menées. Il s'agit là de percevoir l'impact des interventions portées par ces équipes citoyennes sur le ressenti des personnes âgées. Ces dernières vont effectivement et certainement être amenées à reconstruire grâce à MONALISA du lien social à la fois avec leur environnement, au voisinage, les associations qui leur sont proches et bien d'autres. Le champ du lien social est sans limite. C'est celui qui nous permet de voir l'avenir avec optimisme et espérance.
Je souhaite, pour conclure, dire à nouveau à quel point MONALISA peut constituer un précieux creuset de travaux, de méthodes et d'approches diverses. Au-delà de la mise en relation des différents acteurs, cette mobilisation doit permettre le partage en faveur d'une efficience commune. De là, pourront naître des actions et des modes d'intervention regorgeant d'inventivité et l'exemplarité. C'est la vocation de MONALISA que d'impulser cette dynamique. Vous avez une tâche d'ampleur à réaliser parce que nous attendons beaucoup de ce que vous allez faire en faveur des personnes âgées mais surtout beaucoup de ce que vous allez nous apprendre en faveur de la solidarité, dans toute la société. MONALISA est un dispositif d'ampleur qui se doit d'atteindre la cible qui est la sienne : aller à la rencontre des personnes âgées pour qui, vivre à domicile, demande de trouver en permanence une énergie devenue plus rare et donc, plus précieuse et faire face à ce qui parfois peut s'apparenter pour elles, à une lutte quasi quotidienne. Pour s'en donner les moyens, pour pouvoir continuer d'agir dans le respect de leur projet de vie, ces personnes âgées ont plus que jamais le besoin de lien social, un lien qu'elles doivent être en mesure de trouver lorsqu'elles le recherchent, l’espèrent, l'attendent auprès de vous. Un lien que MONALISA, j'en suis certaine, sera en mesure de tisser au travers d'une présence d'un soutien si elle continue de répondre aux attentes et aux défis qui se posent à elle. Je ne doute pas que dans l'avenir, vous allez voir affluer encore de plus en plus grand nombre d'associations, d'individus, de bénévoles venant rejoindre à la fois l'esprit et l'ambition de MONALISA.
Je crois que 2015 sera pour MONALISA l'occasion de répondre à trois principaux objectifs :
• s'attacher à couvrir ces « zones blanches », où le lien social et la présence associative sont fragiles, et poursuivre les actions existantes en ce sens ;
• dans la phase de déploiement, assurer son rôle de mobilisateur, nécessaire au lancement d’initiatives par les associations qui en sont membres ;
• dans la suite des premiers bilans, établir une évaluation qualitative auprès de ses bénéficiaires.
J'ai la conviction que MONALISA, et à côté des structures qui composent cette mobilisation, sauront relever les défis à venir. Vous avez à la fois l'expertise et l'expérience pour le faire, tout comme le Gouvernement saura se montrer à la mesure des attentes. Vous le savez, outre la volonté concrète d'anticiper, d'adapter et d'accompagner la perte d'autonomie, il s'agit aussi et avant tout d’apporter une nouvelle manière d'appréhender la vieillesse, un regard nouveau sur nos âgés. L'enjeu est de taille. Vous connaissez les projections démographiques, les statistiques : en 2020, plus d'un tiers de la population aura plus de 60 ans, ce qui ne veut pas dire pour autant que plus d'un tiers de la population sera âgé. Pour autant, je souhaite le dire : la France n'est pas un pays vieillissant. La dernière étude de l’Insee le prouve : le taux de fécondité en France est repassé au-dessus de deux enfants par femme en 2014. La France est un pays qui conserve un bon équilibre entre les générations et donc, toute sa capacité à se mobiliser, à se transformer et à innover.
La dynamique de la transformation collective et harmonieuse de notre société viendra de la cohésion intergénérationnelle et l'équilibre entre les générations que nous avons la chance d'avoir dans notre pays est un élément extrêmement fort et encourageant pour la réussite d'actions comme la vôtre. Nous sommes les acteurs de cette solidarité et c'est avec cette conviction que je tiens à vous souhaiter une très belle année 2015, une année de solidarité, une année d'échanges, une année d'espérance. Merci à tous de ce que vous faites au quotidien, dans vos associations, dans vos départements. Je vous souhaite de conserver toute votre énergie et de continuer d'en faire bénéficier tous ceux qui sont autour de vous. Je vous remercie.
Source http://www.monalisa-asso.fr, le 20 mars 2015