Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur l'influence de la France à l'étranger, organisé à la demande du groupe UMP.
(...)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs et, si vous me le permettez, chers amis, je tiens d'abord à vous remercier d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat sur l'influence de la France à l'étranger. Je remercie également les orateurs de la tonalité de leurs propos, qui ont porté sur le fond et dont je remarque qu'ils n'ont pas été cruels, pour employer une expression qui ne serait pas désavouée par les fonctionnaires du Quai d'Orsay, dont, comme vous le savez, le parler est spécifique. (Sourires.)
Je reprendrai chaque intervention en m'efforçant - j'espère que vous me pardonnerez cette méthode quelque peu schématique - d'en tirer une leçon particulière sur un point particulier, étant entendu que, comme il est naturel, vos observations respectives se sont souvent recoupées.
Je remercie Jacky Deromedi de son intervention. Je m'associe à l'hommage qu'elle a rendu à Lee Kuan Yew, que j'ai bien connu ; cela ne me rajeunit pas... Cet homme tout à fait extraordinaire a vraiment contribué à porter Singapour à son niveau actuel. Ce qui m'a toujours frappé chez lui, c'est sa qualité de visionnaire : parmi les hommes d'État que j'ai rencontrés, c'était l'un de ceux qui avaient la vision la plus juste et la plus tournée vers la prospective, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir le souci du détail et du concret.
Vous avez tous souligné - et ce n'était pas une complaisance de langage - la fierté des Français de l'étranger. Bien entendu, il leur arrive parfois, dans un moment d'égarement, d'être légèrement critiques à l'égard des gouvernements français successifs (Sourires.), mais ils expriment une vraie fierté. Et nous mesurons la force de leur sentiment d'appartenance et l'intensité de leur fierté à chaque fois que nous nous rendons à l'étranger.
Je voudrais rappeler, comme l'ont fait à juste titre beaucoup d'entre vous, que nous n'avons pas assez de Français à l'étranger. Certains soutiennent, en prenant appui sur je ne sais quelle considération fiscale, qui peut exister, que le départ de Français à l'étranger est une catastrophe. Je ne suis absolument pas d'accord. L'un d'entre vous a souligné que, dans un monde globalisé, il était tout à fait normal que beaucoup de Français aillent à l'étranger - beaucoup reviennent ensuite - et que, de la même façon, beaucoup d'étrangers viennent en France ; ils sont les bienvenus lorsqu'ils ont, comme c'est le cas, beaucoup à lui apporter.
Il est donc très important que les parlementaires représentant les Français de l'étranger, et plus largement l'ensemble des parlementaires, redressent la perception que l'on a de la réalité des Français de l'étranger.
Encore une fois, c'est une très bonne chose qu'il y ait beaucoup de Français à l'étranger. Les Français de l'étranger sont nos ambassadeurs dans tous les domaines. Ils sont fiers de ce que fait la France ; laissons de côté les questions d'appartenance politique.
Vous avez d'abord souligné, madame Deromedi - d'autres sénateurs l'auraient sans doute fait si vous ne les aviez pas devancés - notre situation spécifique en matière de défense. Jean-Claude Juncker déclarait récemment sur une radio française - je reprends l'esprit, non la lettre, de ses propos - que la défense européenne était très largement assurée par l'armée française. Au sens propre, ce n'est pas exact, mais la réalité - je le constate lorsque j'en discute avec les uns et les autres -, c'est que tout le monde félicite la France et se félicite de ce que fait la France, sans pour autant en tirer exactement les conséquences financières que l'on pourrait attendre.
Autant le gouvernement français, pour des raisons que chacun comprendra, s'abstient justement d'insister sur cet aspect - cela pourrait être perçu comme une volonté de contourner nos obligations, alors qu'il n'en est rien -, autant il me paraît tout à fait salutaire que les parlementaires cherchent à convaincre leurs groupes respectifs au Parlement européen de la réalité de notre action et s'expriment sur ce sujet. Il est tout à fait vrai que nous assumons des dépenses considérables, que nous consentons des sacrifices considérables, et, disant cela, je pense aux hommes et à leur courage. Cet effort pourrait être davantage reconnu.
Je ne m'attarderai pas davantage sur l'intervention de Jacky Deromedi, mais je tenais à la remercier de ses propos.
Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez abordé beaucoup de sujets, mais il en est un sur lequel je voudrais revenir en particulier, car je sais qu'il s'agit d'une interrogation que partagent plusieurs de vos collègues. Je veux parler du bien-fondé de la position que le Gouvernement adopte à l'égard de la Syrie, sujet qui revient dans beaucoup de conversations.
Au préalable, je tiens à vous remercier, monsieur le sénateur, des propos que vous avez tenus sur l'action de la diplomatie française concernant l'Ukraine. Les diplomates français sont sensibles aux compliments, comme d'ailleurs tout un chacun. Sachez que je ne les prends pas pour moi, mais pour eux, et pour le travail remarquable qu'ils font.
Sur la Syrie, nous pouvons avoir des points de vue différents, mais je voudrais expliquer la logique de la position que nous avons prise, et que nous assumons.
C'est une certitude, le groupe terroriste Daesh est d'une dangerosité absolue. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé, avec beaucoup d'autres au sein de la coalition, de le combattre. Nous le faisons notamment en Irak, avec notre aviation, et nous le ferons partout où sa menace s'étend, à savoir sur de nombreux territoires.
En passant, je souligne un paradoxe, qui dit beaucoup sur l'influence de la France : au Nigeria, pays confronté aux attaques redoutables de Boko Haram, ce n'est pas la Grande-Bretagne qui s'est portée au secours des autorités - son Premier ministre vient de dire des choses fort aimables sur la France (Sourires.), auxquelles je ne répondrai pas. Qui a-t-on appelé ? La France ! Cela signifie, comme beaucoup d'entre vous l'ont dit, que l'influence française en matière de politique internationale est reconnue.
Mais revenons à la Syrie. Daesh est un groupe terroriste totalitaire. Comme nous le disions ce matin avec ceux d'entre vous qui étaient présents à la réunion que j'ai animée sur les chrétiens d'Orient, cette organisation ne laisse aux populations que trois solutions : soit vous êtes avec nous, soit vous partez, soit nous vous tuons. Ils ne sortent pas de cette mécanique.
Il est donc tout à fait normal, logique, nécessaire, de participer à la lutte contre Daesh. Encore faut-il le faire dans des conditions efficaces. En Irak, c'est le cas, mais, en Syrie, la situation est plus complexe, car nous considérons qu'il n'y a pas un péril, mais deux. Si nous décidions, comme certains le proposent, de soutenir M. Bachar El-Assad, nous rendrions un signalé service au groupe Daesh.
Pourquoi ?
Il y a d'abord des raisons morales, que, pas plus qu'aucun d'entre vous, je n'écarterai d'un revers de la main, même s'agissant de politique internationale. Non pas que la morale puisse dicter tous nos choix : si nous ne devions discuter qu'avec les grands démocrates, le ministre des affaires étrangères aurait beaucoup de loisirs...
Mais il y a aussi des limites à soutenir un dirigeant qualifié par le secrétaire général des Nations unies, homme mesuré s'il en est, de « criminel contre l'humanité », un dirigeant qui, ne l'oublions pas, à partir d'une révolte de quelques jeunes en Syrie, a agi de telle manière qu'aujourd'hui il y a plus de 200 000 morts et des millions de personnes déplacées, un dirigeant, enfin, qui a utilisé l'arme chimique et qui est à l'origine de la création de Daesh, puisque c'est en libérant des prisonniers qu'il a favorisé le terrorisme.
Indépendamment donc de la morale, soyons pragmatiques et recherchons l'efficacité. Qui peut croire que, si nous mettions sur le pavois M. Bachar El-Assad en personne, la population syrienne, dans sa majorité, se rallierait à celui qui est le premier assassin de son peuple ?
Je le répète, une telle solution serait un signalé service à l'égard des groupes terroristes. Vous me répondrez : si ce n'est ni Bachar El-Asssad ni Daesh, qui donc ?
Tel est précisément l'objet de la recherche de la solution diplomatique à laquelle nous travaillons de façon à la fois ouverte et, chacun le comprendra, plus discrète, avec les Russes, avec l'envoyé spécial des Nations unies, M. de Mistura, avec les populations arabes, et aussi, je le dis à cette tribune, avec des éléments du régime de M. Bachar El-Assad. Nous voulons en effet éviter, et les représentants des chrétiens partagent ce sentiment, que l'État syrien, ou ce qu'il en reste, ne s'effondre, comme ce fut le cas dans le passé avec l'Irak, situation catastrophique à laquelle nous ne souhaitons pas aboutir.
Nous tentons donc d'établir une distinction, ce qui n'est pas facile, d'autant que nous ne pouvons pas parler de manière ouverte. En effet, si nous avouons négocier avec M. X ou avec M. Y, peu de jours s'écouleront avant que la personne n'ait disparu. Mais c'est bien la direction que nous empruntons, sur la base de Genève I, pour une formule incluant des éléments de l'opposition et des éléments du régime, ce que l'opposition modérée reconnaît dorénavant, étant observé que le point commun de tous les interlocuteurs doit être la reconnaissance de la diversité des communautés et de la nécessité de garanties pour chacune d'entre elles.
C'est évidemment très compliqué, mais il nous semble que c'est le chemin, indépendamment de l'aspect moral, qui permettra, nous l'espérons, d'aboutir.
Je ne veux pas être plus long, même si ce qu'a dit M. Pozzo di Borgo mériterait bien d'autres développements. Je voulais reprendre ce point, car j'entends bien l'argument qui monte dans l'opinion publique : Daesh et Bachar El-Assad sont horribles, mais prenons le moins horrible. Non ! L'un et l'autre sont l'avers et le revers d'une même médaille.
Monsieur Duvernois, vous avez également abordé beaucoup de sujets, et je vous en remercie. À mon sens, vous avez dessiné les contours du concept de « diplomatie globale ». Quand je regarde ce que nous essayons de faire, c'est ce concept qui me vient à l'esprit.
Pendant très longtemps, la diplomatie a été essentiellement stratégique. Sans remonter même à Talleyrand, si nous prenons les grands et moins grands ministres des affaires étrangères de la Ve République, nous constatons que l'essentiel tenait dans la stratégie. C'est ce qui était demandé à la fois aux ministres et aux ambassadeurs.
Aujourd'hui, le contexte est différent. Bien sûr, l'aspect stratégique compte toujours, mais n'est pas Metternich qui veut...
Alors, certes, vous l'avez suffisamment souligné, la France n'est pas la première puissance du monde. En passant, je vous conseille de ne pas trop insister sur le classement actuel de la France, notamment en matière économique, car, de toutes les manières, si vous vous projetez dans le temps, l'Inde, le Brésil, ou d'autres pays, ne resteront pas à la place où ils se trouvent aujourd'hui. Le classement évoluera donc certainement.
Cependant, la France est singulière, car elle peut, elle, jouer sur l'ensemble de la palette.
Il y a d'abord la dimension stratégique. À cet égard, nous pouvons remercier le général de Gaulle d'avoir fait de notre pays un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. Sur 195 pays, il n'y en a que cinq dans ce cas, qui peuvent lever ou baisser le pouce. On peut trouver cela injuste, mais c'est ce qui a été décidé à l'issue de la guerre.
Nous sommes donc une puissance singulière, avec des moyens militaires que, comme vous l'avez rappelé, nous n'hésitons pas à utiliser, le cas échéant, alors que les théories à la mode actuellement sont que la politique extérieure n'a pas besoin de défense, laquelle n'a pas besoin de moyens militaires. Ce n'est évidemment pas la théorie de la France, ni sa pratique.
Nous avons aussi une langue, des principes, une histoire, une économie, des sciences. Nous avons beaucoup entendu parler du déclin français l'an dernier - c'est moins le cas aujourd'hui. Lorsque je m'adressais à des compatriotes à l'étranger, je disais avec humour qu'ils ne devaient pas oublier que la France avait obtenu le prix Nobel de littérature, la médaille Fields de mathématiques et le prix Nobel d'économie. Pour une nation en déclin...
Je le disais d'autant plus volontiers que le Gouvernement, reconnaissons-le, n'a qu'une faible responsabilité dans l'obtention de ces prix.
Nous sommes donc une puissance globale, avec des atouts nouveaux, auxquels nous n'aurions pas pensé autrefois, et qui peuvent faire sourire. Ainsi, plusieurs d'entre vous ont parlé du tourisme et de la cuisine, ce en quoi ils ont eu tout à fait raison. La gastronomie est un élément important de notre rayonnement.
Nous pourrions également parler du sport : les jeux Olympiques et les grandes compétitions internationales sont des éléments de puissance universelle.
Vous le voyez, nous avons la totalité de la palette à notre disposition, et je demande à nos diplomates d'en jouer. Il n'y a pas beaucoup de pays qui peuvent en faire autant.
Pourquoi, en ce moment, la France a-t-elle une influence peut-être plus grande qu'elle même, si je puis dire ? Il y a à cela des raisons structurelles et d'autres qui le sont moins.
Pour ce qui est des raisons structurelles, je vais me référer à un concept, avec lequel j'ai déjà ennuyé beaucoup d'entre vous. Il est, certes, un peu schématique, mais il permet de clarifier la pensée.
À l'issue de la guerre, le monde est bipolaire, avec l'URSS et les États-Unis : ce sont eux qui font la loi, et, lorsqu'il y a une crise, ils la règlent entre eux, même s'ils sont ennemis ; ils sont adversaires et en même temps amis.
Ensuite, pendant quelques années après la chute du mur de Berlin, le monde est unipolaire : les États-Unis font la loi, car ils sont la seule grande puissance sur le plan technologique, culturel, militaire, etc.
Aujourd'hui, en schématisant un peu, je dirai que nous sommes dans un monde apolaire ou « zéropolaire », c'est-à-dire qu'aucune puissance, ni à elle seule ni en s'alliant avec une autre, ne peut résoudre toutes les crises.
Or nous voulons aller vers un monde multipolaire organisé, objectif que nous avons en commun avec beaucoup d'autres nations. Pour le moment, ce n'est pas le cas, et c'est la raison pour laquelle les crises ont tant de mal à se résoudre. Voilà deux ou trois décennies, la crise syrienne n'aurait pas duré quatre ans, et nous n'aurions pas à constater une évolution qui tourne, comme au Yémen, à l'affrontement sunnites-chiites, Iran-Arabie Saoudite, Al-Qaida - Daesh, ou que sais-je encore...
Dans ce monde apolaire, la France, puissance globale, a donc une influence plus forte qu'elle-même.
Monsieur Duvernois, vous avez exprimé cela d'une autre manière, tout en rappelant qu'une loi de 2010 avait créé l'Institut français, ce qui est tout à fait exact.
À ce sujet, je voudrais vous présenter en passant un des objectifs que nous sommes en train d'atteindre : je souhaite que, dans chaque domaine de la compétence extérieure de l'État, et lorsque c'est nécessaire, il y ait un seul opérateur.
C'est ce que nous avons fait avec Business France. Il y avait avant plusieurs opérateurs, l'un pour l'exportation des PME, l'autre pour les investissements étrangers, l'AFII. Nous avons tout regroupé, et, avec les dirigeants que nous avons nommés, qui peuvent compter sur la détermination des leurs collaborateurs, nous commençons à enregistrer des progrès, notamment s'agissant du nombre d'exportateurs.
Nous pouvons faire les mêmes constats pour l'Institut français et pour l'expertise. Avant, chaque ministère avait sa petite expertise, ce que certains d'entre vous ont connu. C'était commode, à divers égards, mais, lorsque nous avions à faire face à l'expertise allemande, nous ne faisions pas le poids. Ce n'est plus le cas : grâce à vous, et je vous en remercie, nous avons créé au 1er janvier une expertise, au travers de Campus France.
Donc, pour chaque domaine d'action, nous avons dorénavant un opérateur, ce qui permet de clarifier les choses.
Madame Pérol-Dumont, vous avez été assez incisive, suscitant quelques remarques sur telle ou telle travée. Je ne dirai pas, comme l'autre, du passé faisons table rase, car il ne faut jamais procéder ainsi, mais je reconnais qu'il y a eu des évolutions.
Prenons un exemple qui n'est pas polémique : la façon dont le Président de la République parle de l'Afrique et agit sur ce continent n'est pas la copie conforme de celle de son prédécesseur... En même temps, ce n'est pas non plus le jour et la nuit sur tous les plans.
En ce qui nous concerne - le Président de la République, le Premier ministre et moi-même -, nous nous fixons quatre objectifs, et, à chaque fois que nous avons une décision à prendre, nous essayons de la rapporter à ces objectifs. Sinon, face aux nombreuses crises internationales, nous risquerions, dans notre politique étrangère, de tomber dans l'anecdote ou dans le pointillisme.
Nous devons adopter une vision d'ensemble et, à cette fin, nous assignons quatre objectifs principaux à notre action. Permettez-moi de les rappeler.
Premier objectif : la paix et la sécurité. La paix n'est pas le pacifisme, car il faut parfois recourir à la force, malheureusement. Cela étant, chaque fois qu'un conflit se présente, nous nous demandons ce que la France doit faire pour aller dans le sens de la paix et de la sécurité.
C'est cette considération qui nous a déterminés dans le cas de l'Ukraine, ce qui ne veut pas dire que la solution ait été trouvée, car la situation reste très fragile, notamment ces derniers jours. Nous avons pensé, alors que la Russie et l'Ukraine ne se parlaient plus, qu'il incombait à la France d'essayer, avec l'Allemagne, de rétablir le lien entre ces deux pays. Les accords de Minsk 2 n'auraient évidemment pas été conclus sans cette médiation.
Deuxième objectif : la planète, envisagée à la fois sous l'angle de son organisation - globale, avec l'ONU, mais aussi régionale, avec l'Union africaine, par exemple - et de sa préservation. Deux d'entre vous ont abordé ce sujet en évoquant la COP 21, qui va être la grande affaire diplomatique de ce quinquennat.
Pour le moment, cette conférence semble encore lointaine, puisqu'elle doit se tenir à la fin de l'année. Nous travaillons tous à son succès, que je ne peux pas actuellement vous garantir, puisqu'il faudrait, sur un sujet aussi difficile, obtenir que les 196 parties lèvent ensemble la main pour dire « oui » à l'issue de leurs travaux ! Personne ne pourrait le garantir, mais cette unanimité reste notre objectif, vraisemblablement le plus important au regard de l'histoire, parce que la question qui est posée, sans employer de grands mots, consiste à savoir si l'humanité va encore pouvoir vivre correctement sur la planète.
Troisième objectif : l'Europe. Il en a malheureusement été peu question aujourd'hui, et c'est peut-être significatif, mais la relance et la réorientation de l'Europe - car nous ne séparons pas ces deux aspects - sont, certes, un objectif difficile à atteindre, mais restent une préoccupation permanente.
Enfin, le quatrième objectif est le redressement et le rayonnement de la France, notamment dans le domaine économique, mais pas uniquement.
Chaque fois que nous devons prendre une décision, nous essayons de la rapporter à l'un de ces quatre objectifs.
Mme Aïchi a évoqué, en particulier, la COP 21, ce dont je la remercie. En effet, comme je le disais à l'instant, il s'agit de la première tâche de la diplomatie française. Lorsque vous vous rendez à l'étranger, je pense que vous pouvez constater que la préparation de cette conférence est devenue une dimension importante de la mission de nos ambassadeurs.
Si la présidence de la France peut apporter un plus - il n'est pas question d'imposer nos vues, car le rôle de la présidence est d'écouter chacun, susciter des synthèses et des compromis et maintenir un niveau d'ambition suffisant -, c'est grâce à son réseau diplomatique et à son expérience de la négociation, beaucoup de mes interlocuteurs étrangers me le disent. Si la présidence de cette conférence a été confiée au ministre des affaires étrangères, c'est parce que son rôle même consiste à trouver des accords ; en revanche, la position de la France sera défendue, comme le veut la logique, par sa ministre de l'écologie.
Enfin, Mme Aïchi a également souligné, ce dont je la remercie, le caractère nécessaire de notre décision de renforcer notre présence en Asie et en Afrique notamment, parce qu'il a fallu adapter notre réseau diplomatique à la réalité du monde d'aujourd'hui, comme il faudra le faire pour le monde de demain.
M. Billout, dans une intervention très maîtrisée, s'est interrogé sur la notion même d'influence. S'il avait disposé de plus de temps, il aurait sûrement abordé une série d'autres sujets, mais il a centré son intervention sur la question des moyens financiers, qu'il juge insuffisants, ce qui nous renvoie à nos discussions budgétaires.
Sans manquer à la solidarité gouvernementale, mais sans vouloir paraître non plus manquer de lucidité, je me dois de constater que les moyens nous sont mesurés. Compte tenu de nos contraintes budgétaires, l'action devient très difficile dans certains secteurs. Comme on le dit familièrement, on ne peut pas aller « au-delà de l'os » - quand on s'approche de l'os, la situation devient déjà dangereuse !
Quoi qu'il en soit, nous avons les moyens de travailler, mais il faut évidemment rechercher beaucoup plus d'efficacité et améliorer notre organisation. Je reconnais que cette contrainte est forte.
M. Billout a également évoqué la question de l'aide au développement : si nos chiffres n'atteignent pas le niveau qui pourrait être le leur dans une période plus prospère, la France reste malgré tout un des grands apporteurs d'aide, et c'est nécessaire.
Enfin, M. Billout, comme la plupart des autres orateurs, a bien voulu souligner nos efforts en matière de diplomatie économique et de tourisme.
M. Hue a insisté, en particulier, sur la priorité que nous accordons à l'Afrique, et je sais qu'il est très attaché à ce continent. Il nous aidera à développer nos relations économiques avec un pays qu'il connaît très bien, l'Afrique du Sud, ce dont je le remercie. Il a souligné à juste titre tout ce que nous faisions, en Ukraine, au Mali, en Irak et en Centrafrique, et rappelé que les événements dramatiques que nous avons vécus en janvier avaient révélé une solidarité mondiale extraordinaire.
Il est vrai que la France est ce pays singulier qui, touché par un drame tel que celui que nous avons vécu, voit cinquante chefs d'État et de gouvernement répondre présent et se rassembler dans les rues de sa capitale. C'est une singularité de la France - elle n'est pas liée au gouvernement actuel, ce serait absurde de le prétendre -, qui témoigne de la place spécifique de notre pays dans la conscience mondiale.
Mme Garriaud-Maylam a abordé de nombreux sujets, notamment la défense de nos valeurs et le décalage constaté entre la morosité intérieure et l'estime extérieure.
M. Daniel Reiner. C'est vrai !
M. Laurent Fabius, ministre. C'est effectivement ce que l'on observe ! Essayons donc de pencher plutôt du côté de l'estime...
Mme Garriaud-Maylam a également évoqué la réunion que j'ai prévu d'organiser vendredi prochain au Conseil de sécurité de l'ONU, présidé par la France ce mois-ci, et dont j'espère qu'elle débouchera sur des résultats.
Répondant à la demande de nombreux responsables, j'ai en effet souhaité organiser un débat, en présence du secrétaire général des Nations unies, sur la situation des minorités au Moyen-Orient, en particulier celle des chrétiens.
Je recevais ce matin un certain nombre d'hôtes au Quai d'Orsay pour préparer ce débat et je compte intervenir sur le refus de toute impunité pour ces criminels et sur la démarche à engager devant la Cour pénale internationale. L'idée a été émise ce matin - même si elle ne peut pas trouver une traduction immédiate, vous l'approuverez certainement - de considérer que le « génocide culturel » doit pouvoir être retenu parmi les éléments permettant de qualifier les crimes contre l'humanité. La France va essayer de faire bouger les lignes dans ce sens, même si la tâche est très difficile.
Mme Khiari a soulevé la question du tourisme. Permettez-moi de vous livrer quelques chiffres qui me paraissent intéressants, dans ce domaine.
En 2014, nous avons délivré 2,8 millions de visas, soit 300 000 de plus qu'en 2013, ce qui représente une augmentation de 12,4 %. La Chine est devenue le premier pays d'origine, avec une augmentation de 57 %. Nous avons décidé de délivrer nos visas en 48 heures non seulement en Chine, mais aussi en Inde, en Afrique du Sud et dans les pays du Golfe ; des centres délocalisés ont été ouverts pour faciliter les démarches.
Pour les deux premiers mois de 2015, on m'indique que les demandes de visas touristiques sont en forte augmentation. Si la tendance devait se maintenir, ce serait un objet de satisfaction, car on aurait pu craindre que les événements de janvier n'aient une incidence sur la fréquentation touristique, même si ce phénomène ne doit pas être exclu dans certains secteurs.
Les demandes de visa depuis la Chine ont augmenté de 65,5 % - c'est un chiffre à la dimension de ce pays-continent ! - et depuis l'Inde de 38,41 %. Les délais de prise de rendez-vous restent inférieurs à cinq jours dans la plupart des postes.
J'accorde une attention particulière à ces sujets, parce que, si l'on veut développer le tourisme - une mine d'or pour la France, tout le monde en convient -, il faut commencer par améliorer la délivrance des visas, puis les dessertes aériennes, l'accueil dans les aéroports, l'hôtellerie et la diversité d'offre de nos régions. Paris et l'Île-de-France constituent une région-capitale magnifique, mais il faut que les touristes étrangers et français puissent découvrir la diversité de nos régions, qui font toutes de gros efforts.
La France pourra alors passer de 85 millions à 100 millions de touristes accueillis chaque année.
En tout cas, nous prenons vraiment toutes les dispositions pour y parvenir. Le Premier ministre et le Président de la République ont bien voulu accepter ma demande de rattachement du tourisme au Quai d'Orsay. Même si je n'ai pas à disposer pour la suite, dans une trentaine d'années, quand je ne serai plus ministre des affaires étrangères (Sourires.), je pense que ce lien entre le ministère des affaires étrangères et le tourisme est vraiment utile puisqu'il pousse les ambassadeurs à s'investir dans ce domaine.
Monsieur Fournier, je vais vous décevoir parce que non seulement je souscris aux compliments que vous avez formulés, mais aussi je conviens des faiblesses que vous avez dénoncées, même si je les exprime un peu différemment. En effet, un pays ne peut pas conjuguer - en tout cas, pas sur le long terme - une diplomatie forte et une économie faible. Cela étant, il faut avoir le sens des proportions et garder en tête que, dans le monde, 190 pays ont une économie moins forte que la nôtre.
J'ai été ministre de l'économie et des finances au début des années deux mille. Revenu au Gouvernement, je me suis aperçu que notre industrie avait vraiment beaucoup décliné - un recul qui se traduit dans les chiffres et dans la valeur ajoutée. Il faut faire le maximum pour essayer de la redresser. La tâche est compliquée, mais elle nous donne un objectif commun, et nous avons d'ores et déjà pris des initiatives en ce sens, en matière de filières prioritaires et de financement de l'export, notamment.
Nous devons prendre garde, cependant, à ne pas nous faire piéger par notre propre raisonnement. Il est à la fois regrettable et tout à fait normal que la part relative de la France dans certains secteurs commerciaux s'atténue, puisque la Chine, l'Inde et d'autres pays sont en train de gagner des parts de marché. S'il faut donc essayer de progresser en valeur absolue, il est très difficile de relever le défi en valeur relative.
Je sillonne le monde et j'admets que la France puisse, dans tel ou tel domaine, être dépassée par un autre grand pays. Il n'y a en revanche aucune raison de céder du terrain au profit d'un concurrent de taille moyenne ou petite !
Donc, je vous rejoins tout à fait, monsieur le sénateur, sur le fait qu'il y a là de gros efforts à consentir.
Quant à l'Union européenne, nous souhaiterions en effet qu'elle soit plus présente à nos côtés dans l'exécution de certaines tâches.
Mme Conway-Mouret a évoqué l'influence sur les élèves de la laïcité, de la technologie, des sciences, des prix Nobel... Elle a tout à fait raison et nous envisageons d'ailleurs de faire une campagne sur ce thème.
Ce qui caractérise le mieux la France, c'est la créativité, car cette notion transversale reflète la vérité de notre pays dans différents domaines, qu'il s'agisse des arts, de la littérature, des sciences, de l'ingénierie, ou encore de l'économie.
Parce que nous sommes perçus ainsi, c'est autour de ces notions d'excellence et de créativité que nous devons, en évitant le détestable travers de l'arrogance, essayer de développer l'influence de la France, non seulement en quantité, si je puis dire, mais aussi en qualité, sachant, comme l'a dit excellemment Mme Conway-Mouret, que l'influence vient, en définitive, non pas de telle ou telle décision gouvernementale, mais des acteurs du développement eux- mêmes.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais dire en vous remerciant vraiment beaucoup non seulement des propos que vous avez tenus au cours de ce débat, mais aussi du soutien permanent que cette assemblée apporte aux diplomates et à moi-même.
Je veux le redire à cette tribune, nous savons que la politique, au sens général du terme, peut nous exposer à telle ou telle critique, mais le fait de recevoir le soutien des sénateurs de ce beau pays qu'est la France compte beaucoup pour nous. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Je vous remercie à mon tour, monsieur le ministre.
Source http://www.senat.fr, le 31 mars 2015