Texte intégral
- Situation des chrétiens et autres minorités persécutés au Moyen-Orient
Q - Vous avez présidé ce matin une réunion spéciale sur les chrétiens d'Orient et les autres minorités persécutées. Avez-vous le sentiment d'avoir été entendu ?
R - C'était la première fois que le conseil de sécurité discutait - et c'était sur ma demande - de ce problème extrêmement grave qu'est le sort des minorités et notamment les chrétiens au Moyen-Orient.
Pourquoi ai-je fait cela ? Parce que c'est un véritable génocide auquel on assiste, notamment à cause du groupe Daech qui force à l'exil, qui asservit ou qui tue tous ceux qui ne pensent pas comme lui et singulièrement les chrétiens.
Ce matin se sont exprimés à la fois les représentants des États mais aussi les représentants religieux, dont une députée des yézidis extrêmement émouvante. Ils ont dit combien la situation était effrayante et ils ont donné leurs voies de solutions. Le secrétaire général des Nations unies s'est lui-même exprimé. Il crée un groupe de personnes «sages» comme l'on dit qui va très vite se pencher sur les solutions.
J'ai proposé une charte d'actions qui sera étudiée par ces hommes sages et j'espère qu'au mois de juillet, si c'est possible, il y aura une conférence internationale à Paris où nous pourrons, sur le plan humanitaire, sur le plan sécuritaire, sur le plan de la saisine de la cour pénale et sur un plan politique, dégager des solutions. En effet ce qui compte, ce n'est pas simplement d'alerter, c'est de mettre en oeuvre des solutions concrètes pour protéger ces gens qui sont dans une situation épouvantable.
Q - Concrètement, qu'est-ce qui peut être fait pour leur venir en aide ? Vous parlez d'un volet humanitaire, d'un volet sécuritaire, politique et judiciaire.
R - Oui. Prenons des exemples.
Sur le plan humanitaire, beaucoup d'aide est apportée mais c'est pour qu'ils puissent être accueillis dans d'autres pays. Ce qu'il faudrait, c'est qu'on leur apporte une aide pour qu'il puisse rester sur place parce que sinon ce sont les terroristes qui auront gagné. C'est là où la question sécuritaire se pose. Si on veut qu'ils restent sur place, il faut dégager des zones de sécurité. Il ne faut donc pas simplement lutter contre Daech comme on le fait - ce qui est absolument nécessaire - mais il faut aussi aménager, que ce soit en Syrie, en Irak ou ailleurs, des zones de sécurité pour que les minorités puissent rester.
Il y a également la question de l'impunité. Nous, la France, sommes partisans que le conseil de sécurité défère tous ces criminels à la Cour pénale internationale.
Il y a aussi l'approche politique d'ensemble car la vraie solution est politique. Pour que ces minorités puissent rester au Moyen-Orient, il faut que le gouvernement soit inclusif, c'est-à-dire qu'il ne défende pas une seule communauté mais qu'il respecte la diversité des communautés. Ce n'est pas encore suffisamment le cas en Irak ; ce n'est pas du tout le cas en Syrie ni dans d'autres pays voisins.
C'est donc autour de ces idées et de quelques autres que ce plan d'action sera mis en place, je l'espère.
Q - À ce propos, la France a accordé 1 500 visas d'asile à des chrétiens d'Orient depuis juillet dernier. Ne craignez-vous pas que l'on accuse la France de faire du favoritisme ?
R - Non. J'en ai discuté avec les responsables de ces personnes et avec les responsables religieux. La difficulté était celle-ci : il y a des personnes là-bas, comme les yézidis ou les chrétiens, qui sont dans une situation absolument insupportable ; souvent ils connaissent des gens en France et ils ne peuvent pas rester en Irak par exemple. Nous accueillons ces personnes mais on ne peut pas dire à tous de partir de leur pays sinon ce serait une défaite et une victoire de Daech. De plus, nous n'aurions pas les moyens de bien les accueillir.
L'objectif est donc de faire que le maximum de personnes restent sur place, que le maximum de personnes y retournent mais il y a des cas, en l'occurrence 1.500 personnes depuis juillet dernier, qui sont accueillis en France. Le président de la République et le ministre de l'intérieur en ont réuni beaucoup la semaine dernière.
Ce que je fais aujourd'hui au Conseil de sécurité va exactement dans le même sens : il faut absolument aller au secours de ces minorités persécutées, pas seulement chrétiennes mais notamment chrétiennes.
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- Yémen
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Q - Concernant le Yémen, on a des miliciens chiites Houthis soutenus par l'Iran et par l'ancien président Saleh, de l'autre, on a un président en fuite qui avait plus ou moins noué une alliance avec des djihadistes pour contrer les Houthis. Quel camp soutient la France ?
R - La France soutient le président légitime parce que c'est la seule position qui soit conforme au droit international. Nous avons dit notre désaccord avec l'action des Houthis qui veulent renverser ce président légitime. Il est possible que tout cela vienne au conseil de sécurité, nous dirons qu'il faut rétablir le président légitime et engager des discussions pour parvenir à trouver une solution inclusive.
Q - L'Arabie Saoudite a pris il y a deux jours la tête d'une coalition pour intervenir militairement au Yémen contre les Houthis chiites. L'Iran chiite a, de son côté, exigé une cessation immédiate de toutes les frappes aériennes contre le Yémen et contre son peuple. N'y a-t-il pas un risque régional si l'Iran décidait également d'intervenir pour aider ses alliés sur place et pour rétablir l'équilibre des forces ?
R - Si, bien sûr, vous avez tout à fait raison. Ce risque existe et c'est la raison pour laquelle nous pensons qu'il n'est pas légitime que l'Iran apporte son soutien, alors qu'il y a un président qui est en place et qui ne doit pas être chassé dans ces conditions. (...).
- Iran
(...)
Q - Pensez-vous que les événements actuels au Yémen peuvent remettre en cause l'accord sur le nucléaire iranien qui est en discussion actuellement ?
R - Juste après cette session des Nations unies, je me rends en Suisse où aura lieu cette réunion. J'y serai demain dans la matinée. Normalement, les sujets sont séparés mais c'est vrai que l'Iran proclame qu'il est une puissance de paix d'une part et d'autre part, on voit ce qui se passe au Yémen.
Pour m'en tenir à ce qui concerne l'accord sur le nucléaire iranien, notre position est connue et c'est la même depuis le début. Nous pensons que l'Iran a parfaitement le droit d'avoir recours au nucléaire civil mais en revanche, pour la bombe atomique, nous disons clairement non. C'est là-dessus que porte la discussion. L'Iran s'est engagé à ne pas avoir de bombe atomique mais il faut être certain que cet engagement est durable, qu'il est vérifiable et qu'il ne peut pas être tourné.
Il y a eu certains progrès dans la discussion mais nous pensons que la seule possibilité d'un accord, c'est ce que nous appelons un accord robuste et là, il y a encore des progrès à faire, nous ne sommes pas parvenus au bout. Nous travaillons pour cet accord, la France, puissance de sécurité et de paix, souhaite qu'il y ait un accord mais il ne peut exister que s'il est robuste.
C'est pourquoi il est tout à fait normal que l'on vérifie la fiabilité des engagements de l'Iran et en plus, si nous signons un accord qui n'est pas suffisamment robuste, les autres pays de la région risquent de vouloir également l'arme nucléaire, si l'Iran a une opportunité pour l'obtenir elle aussi. Nous serions à ce moment-là dans une situation effrayante où le Moyen-Orient, qui est déjà une région éruptive, serait rempli de puissances ayant la bombe atomique. C'est cela qu'il faut éviter, nous travaillons en ce sens.
On dit que la position de la France est ferme, je le confirme, nous sommes une puissance de paix et de sécurité, nous voulons que l'accord soit robuste et respecté.
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- Conflit israélo-palestinien
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Q - Ce vendredi, la France a annoncé qu'elle allait tenter de faire adopter à nouveau une résolution fixant les grandes lignes d'un règlement du conflit israélo-palestinien. Comment comptez-vous vous y prendre ?
R - L'un de vos confrères m'a interrogé et j'ai dit que nous allions continuer dans la ligne que nous avions déjà suivie avant la période de Noël. Nous avions dit à l'époque - et je maintiens cette analyse - qu'il faut bien sûr qu'il y ait une négociation entre Israël et la Palestine si on veut trouver une solution mais que, dans le passé, cette négociation n'avait jamais aboutie et qu'il fallait donc que la communauté internationale encourage cette négociation.
La bonne manière de le faire, c'est que le conseil de sécurité des Nations unies adopte des paramètres pour la solution du conflit israélo-palestinien. Nous allons prendre contact, dans les jours et les semaines qui viennent, avec la diversité de nos partenaires et nous allons travailler pour tenter d'obtenir cette résolution.
J'espère que les autres membres du conseil de sécurité nous rejoindront parce que la seule voie possible, c'est la paix. Il faut qu'il y ait deux États, il faut que l'on trouve des voies de solutions sinon, c'est un élément de plus de tension et un élément potentiellement très grave au Moyen-Orient.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2015