Interview de M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle à I-Télé le 1er avril 2015, sur le chômage, les conflits du travail à Mory-Global et Radio France et la situation économique et sociale.

Prononcé le 1er avril 2015

Intervenant(s) : 

Média : Itélé

Texte intégral


BRUCE TOUSSAINT
François REBSAMEN est l'invité de i-Télé ce matin. Bonjour.
FRANÇOIS REBSAMEN
Bonjour Bruce TOUSSAINT.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup d'être avec nous. 2.150 salariés sur le carreau, liquidation judiciaire pour le transporteur MORYGLOBAL, 2.150 d'un coup. Qu'est-ce que vous pouvez dire ce matin aux salariés de MORY ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Je ne leur dirais rien de particulier ce matin parce que mon ministère, avec le ministère du Transport, suit ce dossier, et les représentants syndicaux vont être reçus demain également. Mais le message que j'ai déjà fait passer, et que nous faisons passer, c'est que l'Etat ne peut pas être indifférent à un tel drame social. Et donc il y aura un dispositif exceptionnel d'accompagnement qui sera mis en place.
BRUCE TOUSSAINT
C'est-à-dire ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Eh bien, vous savez, les partenaires sociaux ont confirmé, ont signé, à l'unanimité les nouveaux contrats de sécurisation professionnelle, au mois de décembre. Et donc ces contrats de sécurisation professionnelle prévoient que les salariés seront accompagnés avec un salaire qui doit être de l'ordre de 92%, 90% de leurs salaires antérieurs, pendant un an. Donc je prends l'engagement que nous mettrons en place ce dispositif. Et puis nous allons accompagner chaque salarié jusqu'à ce qu'il retrouve un emploi, et s'il le faut, compenser les diminutions de salaires s'il retrouvait un travail avec un salaire inférieur, jusqu'à 300 euros. Bref, un dispositif d'accompagnement personnalisé va être mis en place par le ministère du Travail.
BRUCE TOUSSAINT
Retrouver un travail, ça va être ça le plus difficile pour ces 2.000 et quelque salariés…
FRANÇOIS REBSAMEN
Bien sûr, bien sûr, moi, je vis ça comme un drame, comme eux, c'est une longue histoire qui malheureusement prend fin, là…
BRUCE TOUSSAINT
Oui, parce qu'ils y avaient cru !
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui, ils y avaient cru, et puis, l'actionnaire, qui a repris, ARCOLE, a fait défaut le moment venu.
BRUCE TOUSSAINT
En quoi l'Etat est-il responsable de la situation de MORY, juste avant votre réponse, on va regarder ensemble une toute petite séquence de quelques secondes, puisque c'est Thomas HOLLANDE, le fils de François HOLLANDE, qui est l'avocat de MORY, regardez bien ce que dit maître HOLLANDE, et ce que lui répond un salarié.
MAITRE THOMAS HOLLANDE
La liquidation judiciaire de la société MORYGLOBAL qui a été prononcée, c'est la fin de la société MORYGLOBAL.
UN SALARIE DE MORYGLOBAL
C'est quand même le gouvernement, c'est le gouvernement, et donc c'est votre papa et votre maman ! C'est les premiers responsables !
BRUCE TOUSSAINT
Qu'est-ce que ça vous inspire ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Je comprends la déception, la colère, mais ce n'est pas le gouvernement, c'est un actionnaire qui fait défaut, c'est l'activité privée, c'est… voilà, c'est ça qui s'est passé. Alors après, qu'il y ait des personnes qui soient en colère, en détresse, en souffrance, évidemment, cela dit, demain, nous recevons donc – je l'ai dit – les salariés syndiqués, les représentants du personnel, donc on fait un travail avec eux, et ils sont très contents d'être accompagnés par l'Etat, et le rôle du ministère du Travail…
BRUCE TOUSSAINT
Ils n'ont pas l'air contents, pardon, François REBSAMEN, mais là…
FRANÇOIS REBSAMEN
D'être accompagnés, ils sont heureux de savoir qu'ils pourront être accompagnés, bien sûr que si, mais là, c'est un drame social auquel on est confronté. Je le vis aussi comme cela, vous savez, c'est ARCOLE, l'actionnaire, qui fait défaut, voilà.
BRUCE TOUSSAINT
Autre conflit social symbolique, 14ème jour de grève à Radio France, pourquoi l'Etat laisse faire ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Je crois que ça relève du CSA, et c'est donc…
BRUCE TOUSSAINT
Ça relève de nous tous, non, François REBSAMEN ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Au patron…
BRUCE TOUSSAINT
C'est la radio publique, c'est le service public…
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui, je sais, je sais, et je vis ça aussi très mal…
BRUCE TOUSSAINT
C'est votre responsabilité…
FRANÇOIS REBSAMEN
Non, non, je ne suis pas responsable…
BRUCE TOUSSAINT
Vous êtes actionnaire !
FRANÇOIS REBSAMEN
Je ne suis pas responsable de…
BRUCE TOUSSAINT
Mais enfin, vous êtes ministre du Travail !
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui, mais je ne suis pas responsable de Radio France. Radio France a un patron, et il y a des salariés, il y a des relations, moi, ce que je dis, c'est qu'il doit y avoir un projet pour Radio France, et les discussions, les négociations doivent reprendre.
BRUCE TOUSSAINT
Hier, Nicolas SARKOZY a dit que c'était scandaleux ce conflit. Vous-même, est-ce que vous êtes choqué ? La direction dit qu'il y a 6% de grévistes.
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui, je suis surpris, et je vais vous dire, je suis surpris que, un tel conflit ait pu s'enkyster en quelque sorte, alors même que la porte du PDG de Radio France devrait être ouverte, et la négociation lancée, et des projets mis sur la table, oui.
BRUCE TOUSSAINT
Oui. C'est l'homme de la situation ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Ça, ce n'est pas à moi de porter ce jugement, il a été nommé par le CSA, je crois.
BRUCE TOUSSAINT
Oui, et c'est à la ministre de la Culture et de la communication éventuellement de se saisir de ce dossier ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Elle suit ce dossier, elle suit ce dossier.
BRUCE TOUSSAINT
François REBSAMEN, pourquoi est-ce que le chômage baisse dans la zone euro, on l'a appris hier, et pas en France ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Eh bien, il a baissé au mois de janvier, mais bon…
BRUCE TOUSSAINT
Oui, mais pas en février.
FRANÇOIS REBSAMEN
Non, vous savez que j'ai dit sur janvier, février, c'est la première fois depuis 2008 que sur les deux premiers mois de l'année, il y a une baisse des inscrits à Pôle emploi. Donc c'est un élément qu'il faut prendre de manière favorable quand même, puisque j'ai annoncé que l'année 2015 serait meilleure sur le front de l'emploi que l'année 2014, qui a été mauvaise, tout le monde en convient. Mais pour…
BRUCE TOUSSAINT
Ça va être difficile de faire pire de toute façon…
FRANÇOIS REBSAMEN
Pff, on peut toujours faire pire. Pour que ça reparte, pour qu'il y ait de la création d'emplois, il faut qu'il y ait de la croissance, et donc le rôle du gouvernement, et c'est ce à quoi on s'applique, c'est de permettre la relance, aujourd'hui, la consommation est repartie, ça soutient bien sûr l'emploi, la croissance, mais il faut relancer l'investissement, l'investissement privé, l'investissement public.
BRUCE TOUSSAINT
On va y venir, parce que, quelles sont les solutions, mais là, quand même ces chiffres de la zone euro, ils sont terribles pour la France.
FRANÇOIS REBSAMEN
Non, je me permets de vous dire que non…
BRUCE TOUSSAINT
On passe pour… c'est le bonnet d'âne pour la France…
FRANÇOIS REBSAMEN
Mais non, mais non, on est un point en dessous de la moyenne européenne, donc vous ne pouvez pas me dire qu'on est le bonnet d'âne !
BRUCE TOUSSAINT
Ça baisse partout sauf chez nous !
FRANÇOIS REBSAMEN
Mais ça a baissé de 0,1 point. On verra ce que seront les chiffres du premier trimestre 2015. Mais la moyenne de la zone euro, c'est 11,3, le taux de chômage de la zone euro. La moyenne en France, le nombre d'inscrits à Pôle emploi en termes de pourcentage, je parle de la France métropolitaine, c'est 10,4, on est quasiment un point en dessous de la moyenne européenne. Donc on n'est pas le bonnet d'âne. Et d'ailleurs, on n'est pas perçu comme ça au niveau européen.
BRUCE TOUSSAINT
Bon, la question du contrat de travail est-elle taboue en France ? Et si c'était ça la solution pour vraiment faire repartir l'emploi ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Je crois que la solution, c'est la relance de l'investissement privé et public, pour faire repartir l'emploi, c'est la croissance, je crois que c'est cela, je crois que, il ne faut pas que le MEDEF, pour parler clair, s'attende à obtenir par la loi ce qu'il n'a pas obtenu dans le dialogue social. Donc les avancées qui étaient possibles entre les partenaires sociaux, qui étaient à portée de main de leur accord, moi, j'ai dit au patron du MEDEF, à Pierre GATTAZ, je lui ai dit : il ne faut pas vous attendre à obtenir par la loi ce que vous n'avez pas été capable d'obtenir par le dialogue social. Et donc moi, je ne serai pas le ministre du Travail qui réformera le code du travail – voilà, je voudrais le dire comme ça. – et en tous les cas, le contrat de travail.
BRUCE TOUSSAINT
Ecoutez ce qu'a dit ce matin, il y a quelques minutes seulement, le porte-parole du gouvernement Stéphane LE FOLL justement au sujet du code du travail. Etes-vous tous sur la même longueur d'ondes ? Ecoutez bien.
STEPHANE LE FOLL, PORTE-PAROLE DU GOUVERNEMENT ET MINISTRE DE L'AGRICULTURE (DOCUMENT RTL)
Est-ce qu'il n'y a pas dans notre système des freins qui font qu'on pourrait embaucher plus avec le même niveau de croissance ?
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais il y a des freins ? Est-ce qu'il y en a ?
STEPHANE LE FOLL
Des freins et des obstacles.
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous pourriez toucher un peu le code du travail ?
STEPHANE LE FOLL
Je pense qu'il faut qu'on discute de toutes les questions qui peuvent nous permettre de créer plus d'emplois. C'est quand même ça l'objectif.
BRUCE TOUSSAINT
Lorsque Jean-Michel APHATIE relance Stéphane LE FOLL sur le code du travail, le porte-parole répond : « Je pense qu'il faut qu'on discute de toutes les questions qui permettent… »
FRANÇOIS REBSAMEN
Est-ce que je vous ai dit le contraire ?
BRUCE TOUSSAINT
Vous venez de nous dire : « Je ne serai pas le ministre du Travail qui touchera au code du travail. »
FRANÇOIS REBSAMEN
Je n'ai pas dit cela. Qui réformera, moi, le code du travail sans l'accord des partenaires sociaux. Laissez-moi terminer. C'est donc aux partenaires sociaux aujourd'hui, par le dialogue social – ce que je fais – de faire des propositions et d'ailleurs, on va leur remettre un bilan qui a été établi de tous les accords qu'ils ont passé et sur la base de ce bilan, ils feront des propositions. Le Premier ministre a annoncé qu'au mois de juin, il ferait une conférence sociale thématique pour l'emploi dans les petites et moyennes entreprises, très petites entreprises. Ce sera l'occasion d'avoir des propositions mais elles s'élaborent en partenariat avec les partenaires sociaux.
BRUCE TOUSSAINT
Qu'est-ce qu'on peut mettre sur la table ? Est-ce qu'un contrat de travail spécifique pour les TPE et les PME est envisageable ? Est-ce qu'au moins on peut en discuter ou c'est tabou là aussi ? On a vu par exemple que le CDI, c'était tabou. Le Premier ministre l'a dit hier matin.
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui, c'est bien. Le CDI… Pourquoi ? Est-ce que vous pensez vraiment que ça soit le contrat de travail qui aujourd'hui gêne l'embauche ?
BRUCE TOUSSAINT
C'est ce que disent les patrons, François REBSAMEN. Ils disent que ça empêche les entreprises d'embaucher.
FRANÇOIS REBSAMEN
Non. Ils peuvent dire à la rigueur que les indemnités qu'ils doivent payer en cas de licenciement peuvent faire susciter des inquiétudes, mais quand on embauche, ce n'est pas en pensant déjà qu'on va licencier. Le problème aujourd'hui, c'est de libérer la croissance, de l'aider par l'investissement et à partir de là, s'il y a des adaptations – et je ne nie pas qu'il puisse y avoir des adaptations à apporter – aux partenaires sociaux aussi de nous faire des propositions.
BRUCE TOUSSAINT
Oui. Vous pourriez aller jusqu'où ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Les partenaires sociaux sont tout à fait à même, et ils l'ont déjà montré – le contrat de sécurisation professionnelle et des plans de sauvegarde de l'emploi qui sont en place aujourd'hui, qui sont des produits d'ANI transposés dans la loi – tout ça, c'est des avancées.
BRUCE TOUSSAINT
Pardon de vous reposer la question mais le contrat de travail spécifique pour les TPE ou les PME, vous pensez que c'est quelque chose qui peut exister ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Il existe déjà, il existe déjà beaucoup de types de contrat qui le permettent.
BRUCE TOUSSAINT
Il en faudrait peut-être un nouveau. La loi Macron II pourrait prévoir cela.
FRANÇOIS REBSAMEN
Tout le monde s'est focalisé sur cette idée qu'il faut changer le contrat de travail. Moi je dis que le contrat de travail, ça ne se change pas comme ça. Voilà.
BRUCE TOUSSAINT
Bien. Un mot sur les conséquences des élections départementales. On vous a peu entendu d'ailleurs depuis dimanche soir. Je voudrais vous poser une question toute simple : votre logiciel est-il périmé François REBSAMEN ? Vous voyez à quoi je fais allusion ; c'est ce qu'a dit Cécile DUFLOT hier dans Le Monde à propos de Manuel VALLS.
FRANÇOIS REBSAMEN
Oui. Il faut éviter, je veux dire, ce genre de propos qui ne favorisent pas le rassemblement. Ce sont des propos qui, à mon avis, sont déplacés quand on veut se rassembler.
BRUCE TOUSSAINT
Oui. Elle ne s'est pas un peu mise hors jeu, là, Cécile DUFLOT, en faisant ces déclarations hier dans Le Monde ?
FRANÇOIS REBSAMEN
J'ai l'impression que chez les écologistes, il y a deux mouvements, il y a deux courants. Il y en a un qui voudrait participer, et c'est normal, à une majorité parce que cette majorité doit être composée de socialistes, des écologistes. Et puis il y a une partie des écologistes, visiblement avec Cécile DUFLOT, qui ont du mal à accepter cela.
BRUCE TOUSSAINT
Oui. C'est la seule réponse finalement de l'exécutif : discuter avec les écologistes après ce second tour catastrophique des élections départementales ? On a l'impression que c'est la seule résolution.
FRANÇOIS REBSAMEN
Non. Je crois que le Premier ministre a été clair : poursuivre, amplifier nos réformes pour donner plus de place à la croissance, favoriser la croissance. Au moment où c'est en train de réussir, on ne va pas changer de politique à cet instant-là. Bien sûr, il peut y avoir des inflexions, mais le chemin de crête est étroit mais nous y arrivons.
BRUCE TOUSSAINT
« Nous y arrivons » ou « nous y arriverons » ?
FRANÇOIS REBSAMEN
Nous y arrivons cette année, en 2015. Nous y arrivons. Et donc, je voudrais rappeler quand même, mais ça fait toujours du bien quand on voit les critiques que l'UMP a pu porter, aux dernières élections régionales ils ont perdu 21 régions sur 22. Il n'y a pas eu de changement de Premier ministre, il n'y a pas eu de changement. Ils ont été laminés la dernière fois. Garder un tiers des départements, ce n'est pas ce qu'on espérait le mieux mais c'était une élection sur l'ensemble des départements, ce qui n'était pas le cas précédemment.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup François REBSAMEN. Merci d'avoir été notre invité ce matin sur i-Télé.
FRANÇOIS REBSAMEN
Je vous remercie.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 avril 2015