Texte intégral
Point de presse à Nairobi le 1er août 2001 :
Mesdames et Messieurs,
Je vais être assez bref, puisque mon homologue, Monsieur Obure, a été très complet sur notre travail en commun. Maintenant, je voudrais dire mon plaisir d'être à Nairobi aujourd'hui. La politique française en Afrique évolue, tout en restant très fidèle par rapport à nos partenaires traditionnels, notamment l'Afrique francophone. Nous nous ouvrons aux pays de toute l'Afrique, et notamment l'Afrique anglophone ou lusophone, et je sais bien que ces distinctions qu'utilisent les Européens sont des distinctions superficielles, car en réalité il y a une profonde unité africaine. Ceci s'est traduit ces dernières années par de plus en plus de voyages et de rencontres entre les dirigeants français et les responsables des différents pays de l'Afrique anglophone et lusophone, et par une coopération grandissante entre la France et la Grande-Bretagne, la France et le Portugal, ou la France et la Belgique, comme c'est notamment le cas à propos des efforts que nous faisons pour trouver une solution au conflit de l'Afrique des Grands lacs, la Belgique qui occupe la présidence européenne en ce moment.
La France fait partie des quelques pays européens qui estiment que l'Europe doit être encore plus engagée par rapport à l'Afrique ; engagée d'une façon nouvelle, d'une façon moderne, d'une façon qui fait une place grandissante au processus de démocratisation, qui recherche sans arrêt le meilleur apport possible en ce qui concerne le développement, en essayant d'éviter les recettes toutes faites et les conseils un peu trop faciles à donner.
Cette politique africaine moderne, nous la défendons, nous la construisons pas à pas au sein de l'Europe des Quinze comme au sein du G8 : on a pu le voir récemment dans les derniers conseils européens et à la dernière réunion du G8 à Gènes. Les conséquences logiques de ces orientations et de cette volonté politique est que le Kenya occupe une place croissante dans la politique africaine de la France. C'est un projet concret sur le plan bilatéral, et cela a en même temps une dimension diplomatique plus générale. Cela s'est traduit par l'introduction du Kenya dans la Zone de solidarité prioritaire de la France. Nous allons lancer dans quelques jours un Fonds social de développement de 4 millions de francs pour le financement de petits projets d'amélioration des conditions de vie.
Nous allons lancer un nouveau programme de sécurité alimentaire, représentant l'approvisionnement de 4500 tonnes de céréales et la fourniture de 50 tonnes de semences de maïs sur les zones les plus touchées par les intempéries. Nous lançons en 2001 deux nouveaux projets de l'Association française de développement, d'un montant total de 20 millions d'euros : l'un comprendra le financement d'infrastructures de communication endommagées par les intempéries, et l'autre le financement d'un projet de réhabilitation de l'aire protégée de Meru.
D'autre part, nous allons achever cette année les discussions portant sur l'établissement d'une convention fiscale afin d'éviter la double imposition, ce qui facilitera les investissements. J'ajoute que le ministre français des Transports, M. Gayssot devrait venir au Kenya dans les prochains mois, et que j'ai invité M. Obure à venir en France quand il le souhaitera, il sera le bienvenu.
Voilà pour résumer nos entretiens d'aujourd'hui qui ont été très fructueux et très amicaux.
Q - A propos des Grands lacs et des suspects de génocide. Est-ce important pour la France que les gouvernements africains coopèrent avec le TPI pour le Rwanda pour transférer les suspects de génocide à Arusha.
R - Etant donné que je suis ici aujourd'hui pour relancer et intensifier les relations de coopération franco-kenyanes, je ne souhaite pas aborder tout de suite les questions dont je vais m'occuper dans quelques jours. Quand j'aurai effectué une série de visites dans ces pays, je pourrai traiter de tous ces sujets. Mes visites ont d'abord un but politique en liaison étroite avec la présidence belge de l'Europe, pour tout faire pour que le processus de règlement du conflit de la RDC puisse progresser vraiment. Je parle naturellement de l'Accord de Lusaka et de tout ce qui va avec, et que tous les protagonistes internes et externes doivent complètement respecter. C'est à cela que je vais me consacrer en priorité.
Q - La France ne s'est pas vraiment impliquée dans les crises de la Corne de l'Afrique. Si elle s'engage aujourd'hui, ceci n'est-il pas dû au fait qu'elle se sent en recul par rapport à d'autres pays occidentaux beaucoup plus influents dans cette zone ?
R - Je crois que c'est une mauvaise impression, c'est-à-dire que je ne sais pas avec qui d'autres vous nous comparer.
Q - Les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
R - C'est une très bonne chose si beaucoup de pays occidentaux restent engagés de façon positive par rapport à l'Afrique d'aujourd'hui. Le temps des compétitions est dépassé. Il me semble que globalement, c'est la France qui est le pays occidental le plus engagé, et de façon très continue, indépendamment des crises aiguës qui surviennent à un moment ou à un autre. Je ne dis pas cela pour faire un palmarès, cela me paraît évident que dans certains cas la Grande-Bretagne est très bien placée pour faire des choses utiles, dans d'autres cas les Etats-Unis ou d'autres pays, et il peut y avoir des conflits en effet où la France n'est pas le pays le mieux placé pour apporter sa contribution : dans ces cas-là, elle soutient ceux qui agissent pour la paix. Le temps des rivalités stériles entre les anciennes puissances occidentales est en train d'être dépassé dans la réalité ; il faudrait qu'il soit dépassé aussi dans les analyses et les commentaires, comme cela on travaillera tous ensemble dans le bon sens. D'ailleurs, vous avez pu le voir il y a deux ans, avec mon homologue britannique, M. Cook, nous avons commencé des visites en commun dans certaines parties de l'Afrique, et cette politique doit se poursuivre avec d'autres pays. Avec les Etats-Unis, nous avons une très bonne coopération pour tout ce qui est formation au maintien de la paix, sujet qui intéresse aussi beaucoup le Kenya, qui est présent courageusement dans beaucoup d'opérations.
Q - Le Soudan et la Somalie sont les deux pays d'Afrique de l'Est dont les conflits intéressent la France. En quoi la France peut entrer dans ces deux conflits? Qu'est-ce qui lui en donne le droit, et surtout que pouvez-vous faire ?
De plus, pouvons-nous savoir pour quelles raisons le mémorandum d'accord n'a pas été signé ?
R - Pour le mémorandum, il n'y a aucun problème, c'est juste une question de mise au point technique, qu'on espérait avoir réglé pour aujourd'hui, mais qui nécessite quelques jours de plus. Mais il sera signé, et donc ce sera un élément de plus dans cette coopération bilatérale.
A propos des deux conflits, les deux situations dont vous parlez ne sont pas tout à fait les mêmes : au Soudan, il s'agit d'essayer de mettre un terme, un jour, à cette interminable guerre civile, et en Somalie, il s'agit de reconstruire l'Etat. La France ne cherche pas à se substituer aux pays qui peuvent agir régionalement dans un cadre multilatéral ; nous n'avons pas de solutions toutes faites. Nous voulons agir en soutien des pays qui font preuve de bon sens, de mesure, et qui sont des facilitateurs, plutôt que l'inverse. Telle est notre démarche. Et comme le Soudan joue un certain rôle dans les discussions entre les pays occidentaux, entre les Européens, et avec les Etats-Unis ou au Conseil de sécurité, j'ai trouvé nécessaire d'avoir une concertation un peu plus approfondie avec le Kenya qui est un facteur, quand même, de bon sens sur cette question. Cela me sera utile pour notre politique ultérieure sur ce plan.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2001)
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Rencontre avec la presse internationale à Nairobi le 1er août 2001 :
Q - Sur le Kenya, dans les dernières années, depuis les élections de 97, les principaux pays bailleurs de fond ont essayé de se concerter et de parler d'une seule voix. On a pu noter de légères divergences dans les propos de l'ambassadeur français au Kenya par rapport aux autres pays donateurs, notamment sur les conditionnalités de la Banque mondiale et du FMI. C'est compréhensible lorsque l'on entend vos propos de "background" sur la politique française. Mais pensez-vous que les Kenyans comprennent ces nuances ?
R - Sur les détails des déclarations auxquelles vous faites allusion, je ne peux pas vous répondre sur ces points précis puisque je ne sais pas de quelles déclarations il s'agit.
D'autre part, quand j'ai parlé de ce travail qui est fait entre le Royaume-Uni, la France, les Etats-Unis etc..., je n'ai pas dit que nous avions adopté des positions exactement identiques du jour au lendemain sur chaque sujet. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas encore vrai. Mais nous travaillons à cette convergence alors qu'avant ce n'était pas un objectif. Donc vous pourrez sans doute encore observer des nuances entre nos positions. D'autant qu'il y une nuance globale sur le FMI, mais pas seulement au Kenya. La France pense que le FMI n'a pas toujours exactement mesuré les conséquences sociales des plans d'ajustement par exemple, et c'est un euphémisme. Nous pensons que toutes les politiques de conditionnalité sont inspirées par de bons sentiments mais que l'addition des conditionnalités peut dans certains cas rendre impossible tout progrès dans les pays concernés. D'un autre côté il est normal d'avoir des critères quand on donne ou quand on prête, tout dépend où l'on met le curseur. Donc on a ce débat globalement, cela ne concerne pas que l'Afrique et cela ne contredit pas nos efforts de convergence sur l'Afrique.
Q - On parle de convergence, prenons un exemple précis : le Soudan, où la France et les Etats-Unis n'ont pas la même analyse et n'ont jamais défendu la même politique. On ne sait pas ce qui va se passer avec l'administration Bush. Ce conflit a des incidences politiques et économiques dans l'ensemble du monde arabe et là il n'y a pas convergence. Est-ce qu'il y a des possibilités de convergence ?
R - Sur le Soudan c'est effectivement décisif puisque c'est l'analyse de la crise soudanaise qui explique la politique américaine non seulement au Soudan mais en Ouganda, au Rwanda et en RDC, tout en découle en fait. Et c'est vrai que ces dernières années nos positions ont été différentes. Or, on note aux Etats-Unis non pas un changement mais une interrogation, et on voit qu'au sein de cette administration certains veulent continuer la même politique et d'autres veulent la changer et ce n'est pas encore tranché. En revanche sur la question de la RDC, là, il y a un vrai changement, peut-être plus du côté américain que britannique d'ailleurs. Il y a encore trois-quatre ans, l'analyse américaine dans ce conflit était qu'il y avait des pays qui avaient raison et des pays qui avaient tort. Maintenant, il me semble qu'ils sont arrivés à l'idée que personne n'a raison et c'est pour cela que nous nous retrouvons tous pour dire qu'il faut appliquer les accords de Lusaka et que tous les protagonistes doivent les appliquer. Si on pensait que certains pays ont raison, on ne demanderait pas le retrait de leurs troupes. Donc il y a quand même eu, sans que cela soit proclamé, une plus grande convergence de vues sur la façon de traiter la RDC entre européens et américains.
Q - Sur le Soudan vous avez dit être venu vous informer auprès du Président Moi, mais est-ce que vous, vous avez un message à lui donner, au nom de la France ou de l'UE ?
R - Non, pas de message particulier. Cela m'intéressait de lui en parler directement et il connaît bien notre position : nous soutenons ses efforts et nous souhaitons qu'il y ait une synergie entre les efforts de l'IGAD et ceux venant de l'Egypte et de la Libye d'autre part. Cela fait longtemps que l'on en parle avec les Egyptiens d'ailleurs.
Q - Vous avez mentionné la RDC comme exemple de convergence US/UE. Pouvez vous nous en donner un autre exemple en Afrique ?
R - En ce qui concerne l'Afrique de l'Ouest il y a une grande convergence sur l'encouragement à l'intégration régionale. Le Nigeria demande à la France de faciliter ses négociations avec les pays francophones de la région. Les pays francophones acceptent tout à fait le rôle du Nigeria, par exemple dans la CEDEAO. C'est la réalité mais certains le contestaient encore il n'y a pas longtemps donc on sent, quand on va dans la région, qu'il est en train de se créer quelque chose, à l'initiative des responsables africains et encouragé par la France et le Royaume-Uni.
Sur l'affaire de la Sierra Leone, il y a une convergence sur les principes de règlement du conflit. Il reste des différences sur quelques points comme la question des réfugiés mais cela va dans le sens de la convergence. Si vous regardez le traitement de l'affaire de la Côte d'Ivoire depuis un an et demi environ, il y a eu souvent des réactions distinctes au début et des positions homogènes au bout d'un certain temps.
Si vous regardez l'Afrique du Sud, il est clair qu'elle joue la carte du partenariat avec l'UE en essayant de ne pas être prise dans des histoires de rivalités entre pays européens.
Si vous regardez ce qui s'est passé au dernier G8, les Européens ont été tout à fait sur la même ligne : d'abord pour encourager les Africains qui avaient fait la synthèse des différents plans, ceux de Wade, d'Obasanjo, de Mbeki ; et aussi les Européens ont été unanimes à Gênes pour convaincre le Président Bush qu'il fallait parler sérieusement du développement et non l'abandonner pour ne parler que de commerce. Il y a eu à Gênes la création d'un comité d'experts pour apporter le soutien des pays du G8 au Plan pour l'Afrique.
Depuis deux ans on ne trouve parmi les éléments nouveaux que des éléments de convergence. C'est très encourageant. Evidemment si vous raisonnez en terme d'héritages et en prenant tous les pays les un après les autres, vous trouverez des cas de divergences mais ce sont des héritages du passé et le futur va vers la convergence. En plus c'est ce que souhaitent les Africains eux-mêmes. Dans les rencontres Afrique-France ou UE-Afrique, c'est le message que nous donnent les Africains.
Q - Pour en revenir à la RDC. On a l'impression que l'Europe ne fait pression avec son aide que sur un côté. Vous avez déjà choisi le camp de Kabila alors que Bemba aurait autant de raison d'être Président. En soutenant Kabila qui fait et dit ce que vous voulez, est-ce que vous ne risquez pas de soutenir encore quelqu'un qui n'a pas le soutien de la population.
R - Il n'y a pas de solution parfaite. Il faut se demander ce qui peut être utile dans les démarches. Tous les pays, pragmatiquement, essayent de travailler avec Kabila et travailler avec lui ce n'est pas ne rien lui demander. Dans les accords vous savez très bien qu'il y a le volet évacuation des forces étrangères, qu'elles soient invitées ou non, et il y a le volet dialogue politique. Donc, on "fait" avec lui parce qu'il est là et que ce serait étrange d'aller chercher quelqu'un d'autre. Ce qui nous intéresse, c'est la contribution qu'il peut faire à la mise en uvre des accords. Nous ne pouvons faire de progrès que si tous les volets progressent en même temps : Kabila père bloquait le dialogue politique, Kabila fils paraît l'accepter jusqu'à un certain point. Mais cela ne pourra marcher que s'il y a retrait des différentes forces et que c'est un retrait réel des uns et des autres.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2001)
Mesdames et Messieurs,
Je vais être assez bref, puisque mon homologue, Monsieur Obure, a été très complet sur notre travail en commun. Maintenant, je voudrais dire mon plaisir d'être à Nairobi aujourd'hui. La politique française en Afrique évolue, tout en restant très fidèle par rapport à nos partenaires traditionnels, notamment l'Afrique francophone. Nous nous ouvrons aux pays de toute l'Afrique, et notamment l'Afrique anglophone ou lusophone, et je sais bien que ces distinctions qu'utilisent les Européens sont des distinctions superficielles, car en réalité il y a une profonde unité africaine. Ceci s'est traduit ces dernières années par de plus en plus de voyages et de rencontres entre les dirigeants français et les responsables des différents pays de l'Afrique anglophone et lusophone, et par une coopération grandissante entre la France et la Grande-Bretagne, la France et le Portugal, ou la France et la Belgique, comme c'est notamment le cas à propos des efforts que nous faisons pour trouver une solution au conflit de l'Afrique des Grands lacs, la Belgique qui occupe la présidence européenne en ce moment.
La France fait partie des quelques pays européens qui estiment que l'Europe doit être encore plus engagée par rapport à l'Afrique ; engagée d'une façon nouvelle, d'une façon moderne, d'une façon qui fait une place grandissante au processus de démocratisation, qui recherche sans arrêt le meilleur apport possible en ce qui concerne le développement, en essayant d'éviter les recettes toutes faites et les conseils un peu trop faciles à donner.
Cette politique africaine moderne, nous la défendons, nous la construisons pas à pas au sein de l'Europe des Quinze comme au sein du G8 : on a pu le voir récemment dans les derniers conseils européens et à la dernière réunion du G8 à Gènes. Les conséquences logiques de ces orientations et de cette volonté politique est que le Kenya occupe une place croissante dans la politique africaine de la France. C'est un projet concret sur le plan bilatéral, et cela a en même temps une dimension diplomatique plus générale. Cela s'est traduit par l'introduction du Kenya dans la Zone de solidarité prioritaire de la France. Nous allons lancer dans quelques jours un Fonds social de développement de 4 millions de francs pour le financement de petits projets d'amélioration des conditions de vie.
Nous allons lancer un nouveau programme de sécurité alimentaire, représentant l'approvisionnement de 4500 tonnes de céréales et la fourniture de 50 tonnes de semences de maïs sur les zones les plus touchées par les intempéries. Nous lançons en 2001 deux nouveaux projets de l'Association française de développement, d'un montant total de 20 millions d'euros : l'un comprendra le financement d'infrastructures de communication endommagées par les intempéries, et l'autre le financement d'un projet de réhabilitation de l'aire protégée de Meru.
D'autre part, nous allons achever cette année les discussions portant sur l'établissement d'une convention fiscale afin d'éviter la double imposition, ce qui facilitera les investissements. J'ajoute que le ministre français des Transports, M. Gayssot devrait venir au Kenya dans les prochains mois, et que j'ai invité M. Obure à venir en France quand il le souhaitera, il sera le bienvenu.
Voilà pour résumer nos entretiens d'aujourd'hui qui ont été très fructueux et très amicaux.
Q - A propos des Grands lacs et des suspects de génocide. Est-ce important pour la France que les gouvernements africains coopèrent avec le TPI pour le Rwanda pour transférer les suspects de génocide à Arusha.
R - Etant donné que je suis ici aujourd'hui pour relancer et intensifier les relations de coopération franco-kenyanes, je ne souhaite pas aborder tout de suite les questions dont je vais m'occuper dans quelques jours. Quand j'aurai effectué une série de visites dans ces pays, je pourrai traiter de tous ces sujets. Mes visites ont d'abord un but politique en liaison étroite avec la présidence belge de l'Europe, pour tout faire pour que le processus de règlement du conflit de la RDC puisse progresser vraiment. Je parle naturellement de l'Accord de Lusaka et de tout ce qui va avec, et que tous les protagonistes internes et externes doivent complètement respecter. C'est à cela que je vais me consacrer en priorité.
Q - La France ne s'est pas vraiment impliquée dans les crises de la Corne de l'Afrique. Si elle s'engage aujourd'hui, ceci n'est-il pas dû au fait qu'elle se sent en recul par rapport à d'autres pays occidentaux beaucoup plus influents dans cette zone ?
R - Je crois que c'est une mauvaise impression, c'est-à-dire que je ne sais pas avec qui d'autres vous nous comparer.
Q - Les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
R - C'est une très bonne chose si beaucoup de pays occidentaux restent engagés de façon positive par rapport à l'Afrique d'aujourd'hui. Le temps des compétitions est dépassé. Il me semble que globalement, c'est la France qui est le pays occidental le plus engagé, et de façon très continue, indépendamment des crises aiguës qui surviennent à un moment ou à un autre. Je ne dis pas cela pour faire un palmarès, cela me paraît évident que dans certains cas la Grande-Bretagne est très bien placée pour faire des choses utiles, dans d'autres cas les Etats-Unis ou d'autres pays, et il peut y avoir des conflits en effet où la France n'est pas le pays le mieux placé pour apporter sa contribution : dans ces cas-là, elle soutient ceux qui agissent pour la paix. Le temps des rivalités stériles entre les anciennes puissances occidentales est en train d'être dépassé dans la réalité ; il faudrait qu'il soit dépassé aussi dans les analyses et les commentaires, comme cela on travaillera tous ensemble dans le bon sens. D'ailleurs, vous avez pu le voir il y a deux ans, avec mon homologue britannique, M. Cook, nous avons commencé des visites en commun dans certaines parties de l'Afrique, et cette politique doit se poursuivre avec d'autres pays. Avec les Etats-Unis, nous avons une très bonne coopération pour tout ce qui est formation au maintien de la paix, sujet qui intéresse aussi beaucoup le Kenya, qui est présent courageusement dans beaucoup d'opérations.
Q - Le Soudan et la Somalie sont les deux pays d'Afrique de l'Est dont les conflits intéressent la France. En quoi la France peut entrer dans ces deux conflits? Qu'est-ce qui lui en donne le droit, et surtout que pouvez-vous faire ?
De plus, pouvons-nous savoir pour quelles raisons le mémorandum d'accord n'a pas été signé ?
R - Pour le mémorandum, il n'y a aucun problème, c'est juste une question de mise au point technique, qu'on espérait avoir réglé pour aujourd'hui, mais qui nécessite quelques jours de plus. Mais il sera signé, et donc ce sera un élément de plus dans cette coopération bilatérale.
A propos des deux conflits, les deux situations dont vous parlez ne sont pas tout à fait les mêmes : au Soudan, il s'agit d'essayer de mettre un terme, un jour, à cette interminable guerre civile, et en Somalie, il s'agit de reconstruire l'Etat. La France ne cherche pas à se substituer aux pays qui peuvent agir régionalement dans un cadre multilatéral ; nous n'avons pas de solutions toutes faites. Nous voulons agir en soutien des pays qui font preuve de bon sens, de mesure, et qui sont des facilitateurs, plutôt que l'inverse. Telle est notre démarche. Et comme le Soudan joue un certain rôle dans les discussions entre les pays occidentaux, entre les Européens, et avec les Etats-Unis ou au Conseil de sécurité, j'ai trouvé nécessaire d'avoir une concertation un peu plus approfondie avec le Kenya qui est un facteur, quand même, de bon sens sur cette question. Cela me sera utile pour notre politique ultérieure sur ce plan.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2001)
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Rencontre avec la presse internationale à Nairobi le 1er août 2001 :
Q - Sur le Kenya, dans les dernières années, depuis les élections de 97, les principaux pays bailleurs de fond ont essayé de se concerter et de parler d'une seule voix. On a pu noter de légères divergences dans les propos de l'ambassadeur français au Kenya par rapport aux autres pays donateurs, notamment sur les conditionnalités de la Banque mondiale et du FMI. C'est compréhensible lorsque l'on entend vos propos de "background" sur la politique française. Mais pensez-vous que les Kenyans comprennent ces nuances ?
R - Sur les détails des déclarations auxquelles vous faites allusion, je ne peux pas vous répondre sur ces points précis puisque je ne sais pas de quelles déclarations il s'agit.
D'autre part, quand j'ai parlé de ce travail qui est fait entre le Royaume-Uni, la France, les Etats-Unis etc..., je n'ai pas dit que nous avions adopté des positions exactement identiques du jour au lendemain sur chaque sujet. Ce n'est pas vrai, ce n'est pas encore vrai. Mais nous travaillons à cette convergence alors qu'avant ce n'était pas un objectif. Donc vous pourrez sans doute encore observer des nuances entre nos positions. D'autant qu'il y une nuance globale sur le FMI, mais pas seulement au Kenya. La France pense que le FMI n'a pas toujours exactement mesuré les conséquences sociales des plans d'ajustement par exemple, et c'est un euphémisme. Nous pensons que toutes les politiques de conditionnalité sont inspirées par de bons sentiments mais que l'addition des conditionnalités peut dans certains cas rendre impossible tout progrès dans les pays concernés. D'un autre côté il est normal d'avoir des critères quand on donne ou quand on prête, tout dépend où l'on met le curseur. Donc on a ce débat globalement, cela ne concerne pas que l'Afrique et cela ne contredit pas nos efforts de convergence sur l'Afrique.
Q - On parle de convergence, prenons un exemple précis : le Soudan, où la France et les Etats-Unis n'ont pas la même analyse et n'ont jamais défendu la même politique. On ne sait pas ce qui va se passer avec l'administration Bush. Ce conflit a des incidences politiques et économiques dans l'ensemble du monde arabe et là il n'y a pas convergence. Est-ce qu'il y a des possibilités de convergence ?
R - Sur le Soudan c'est effectivement décisif puisque c'est l'analyse de la crise soudanaise qui explique la politique américaine non seulement au Soudan mais en Ouganda, au Rwanda et en RDC, tout en découle en fait. Et c'est vrai que ces dernières années nos positions ont été différentes. Or, on note aux Etats-Unis non pas un changement mais une interrogation, et on voit qu'au sein de cette administration certains veulent continuer la même politique et d'autres veulent la changer et ce n'est pas encore tranché. En revanche sur la question de la RDC, là, il y a un vrai changement, peut-être plus du côté américain que britannique d'ailleurs. Il y a encore trois-quatre ans, l'analyse américaine dans ce conflit était qu'il y avait des pays qui avaient raison et des pays qui avaient tort. Maintenant, il me semble qu'ils sont arrivés à l'idée que personne n'a raison et c'est pour cela que nous nous retrouvons tous pour dire qu'il faut appliquer les accords de Lusaka et que tous les protagonistes doivent les appliquer. Si on pensait que certains pays ont raison, on ne demanderait pas le retrait de leurs troupes. Donc il y a quand même eu, sans que cela soit proclamé, une plus grande convergence de vues sur la façon de traiter la RDC entre européens et américains.
Q - Sur le Soudan vous avez dit être venu vous informer auprès du Président Moi, mais est-ce que vous, vous avez un message à lui donner, au nom de la France ou de l'UE ?
R - Non, pas de message particulier. Cela m'intéressait de lui en parler directement et il connaît bien notre position : nous soutenons ses efforts et nous souhaitons qu'il y ait une synergie entre les efforts de l'IGAD et ceux venant de l'Egypte et de la Libye d'autre part. Cela fait longtemps que l'on en parle avec les Egyptiens d'ailleurs.
Q - Vous avez mentionné la RDC comme exemple de convergence US/UE. Pouvez vous nous en donner un autre exemple en Afrique ?
R - En ce qui concerne l'Afrique de l'Ouest il y a une grande convergence sur l'encouragement à l'intégration régionale. Le Nigeria demande à la France de faciliter ses négociations avec les pays francophones de la région. Les pays francophones acceptent tout à fait le rôle du Nigeria, par exemple dans la CEDEAO. C'est la réalité mais certains le contestaient encore il n'y a pas longtemps donc on sent, quand on va dans la région, qu'il est en train de se créer quelque chose, à l'initiative des responsables africains et encouragé par la France et le Royaume-Uni.
Sur l'affaire de la Sierra Leone, il y a une convergence sur les principes de règlement du conflit. Il reste des différences sur quelques points comme la question des réfugiés mais cela va dans le sens de la convergence. Si vous regardez le traitement de l'affaire de la Côte d'Ivoire depuis un an et demi environ, il y a eu souvent des réactions distinctes au début et des positions homogènes au bout d'un certain temps.
Si vous regardez l'Afrique du Sud, il est clair qu'elle joue la carte du partenariat avec l'UE en essayant de ne pas être prise dans des histoires de rivalités entre pays européens.
Si vous regardez ce qui s'est passé au dernier G8, les Européens ont été tout à fait sur la même ligne : d'abord pour encourager les Africains qui avaient fait la synthèse des différents plans, ceux de Wade, d'Obasanjo, de Mbeki ; et aussi les Européens ont été unanimes à Gênes pour convaincre le Président Bush qu'il fallait parler sérieusement du développement et non l'abandonner pour ne parler que de commerce. Il y a eu à Gênes la création d'un comité d'experts pour apporter le soutien des pays du G8 au Plan pour l'Afrique.
Depuis deux ans on ne trouve parmi les éléments nouveaux que des éléments de convergence. C'est très encourageant. Evidemment si vous raisonnez en terme d'héritages et en prenant tous les pays les un après les autres, vous trouverez des cas de divergences mais ce sont des héritages du passé et le futur va vers la convergence. En plus c'est ce que souhaitent les Africains eux-mêmes. Dans les rencontres Afrique-France ou UE-Afrique, c'est le message que nous donnent les Africains.
Q - Pour en revenir à la RDC. On a l'impression que l'Europe ne fait pression avec son aide que sur un côté. Vous avez déjà choisi le camp de Kabila alors que Bemba aurait autant de raison d'être Président. En soutenant Kabila qui fait et dit ce que vous voulez, est-ce que vous ne risquez pas de soutenir encore quelqu'un qui n'a pas le soutien de la population.
R - Il n'y a pas de solution parfaite. Il faut se demander ce qui peut être utile dans les démarches. Tous les pays, pragmatiquement, essayent de travailler avec Kabila et travailler avec lui ce n'est pas ne rien lui demander. Dans les accords vous savez très bien qu'il y a le volet évacuation des forces étrangères, qu'elles soient invitées ou non, et il y a le volet dialogue politique. Donc, on "fait" avec lui parce qu'il est là et que ce serait étrange d'aller chercher quelqu'un d'autre. Ce qui nous intéresse, c'est la contribution qu'il peut faire à la mise en uvre des accords. Nous ne pouvons faire de progrès que si tous les volets progressent en même temps : Kabila père bloquait le dialogue politique, Kabila fils paraît l'accepter jusqu'à un certain point. Mais cela ne pourra marcher que s'il y a retrait des différentes forces et que c'est un retrait réel des uns et des autres.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 août 2001)