Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur la réforme du système de santé et l'accès aux soins médicaux.

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Je suis heureuse d'être présente parmi vous, à l'occasion de cette soirée de débats sur l'avenir de notre système de santé. Je remercie le Rectorat de Paris d'avoir mis à la disposition des jeunes médecins ce bel amphithéâtre de la Sorbonne pour cet événement. Les symboles ne sont jamais neutres.
Depuis 2012, nos échanges sont continus et je m'en félicite. Nous ne sommes pas toujours d'accord, mais nos discussions ont toujours été franches et sincères. Mais je ne suis pas ici ce soir pour faire un bilan, ni refaire le passé.
Je suis ici ce soir, avec vous, pour partager ma vision de l'avenir de notre système de santé.
Je tiens à le faire avec vous, car c'est vous qui allez incarner la santé de demain. Bien qu'en cours de formation ou professionnels tout juste sortis de formation, vous êtes déjà des acteurs décisifs de notre système de soins. « Externe », « interne », « assistant » et « chef de clinique », ce sont des mots familiers pour nos concitoyens et le succès du film Hippocrate vous doit, au fond, beaucoup.
I. Vous jouerez un rôle majeur dans le système de santé que nous construisons aujourd'hui.
Les changements sont nombreux, profonds. Ils ont et auront un impact sur vos conditions d'exercice de la médecine. Vous devez faire face quotidiennement à des patients de plus en plus exigeants. Comme vous le dites souvent, Monsieur le Président du Conseil national de l'Ordre, les professionnels de santé sont aujourd'hui les premiers témoins de la réalité et donc des difficultés sociales de notre pays.
Vous, jeunes médecins, savez mieux que quiconque que vous n'exercerez pas dans les mêmes conditions que vos aînés.
L'inquiétude parfois, les questionnements en tout cas, s'emparent de votre profession. Les jeunes médecins que je rencontre souvent me font part très librement de leurs interrogations sur les conditions d'exercice futures de leur métier. Mais ils me font part tout aussi spontanément de leurs espoirs et des valeurs qu'ils veulent porter pour leur profession.
Votre génération, celle qui a fait le choix de la médecine ces toutes dernières années, sait qu'elle n'exercera pas son métier comme les générations précédentes. C'est probablement la première fois que cela arrive, en tout cas de manière aussi marquée, depuis les années 1960. Dans le même temps, au-delà de la médecine, notre société est en plein bouleversement. Beaucoup de professions indispensables au bon fonctionnement social s'interrogent sur le regard qu'on leur porte et constatent que la reconnaissance qui leur est due n'est plus toujours au rendez-vous. Les médecins ne sont pas les seuls dans ce cas mais ils n'échappent pas à ces comportements. Les Français sont attachés à leurs médecins. Mais le manque de respect et l'invocation d'une soi-disant science puisée sur Internet sont trop souvent présents aussi.
Je suis responsable de la santé de nos concitoyens. Je suis donc la ministre des patients mais aussi la ministre des médecins et de l'ensemble des professionnels de santé dans leur diversité. A ce titre, vos conditions d'exercice et votre place au sein de la société sont au cœur de mes préoccupations. Mon rôle, ma mission, c'est de donner un cap, de tracer une direction, de dessiner un projet d'avenir. Je suis là pour garantir que notre système de santé se modernise et pour vous donner des perspectives.
Je veux dire d'emblée que l'immobilisme, le statu-quo, ne peuvent pas être des réponses. Ma conviction profonde, c'est que s'il ne se réorganise pas en profondeur, notre système de santé ne tiendra pas le choc des évolutions en cours.
Je veux être claire : par le passé, notre système de santé a été construit pour, par et autour de l'hôpital. Mais ce modèle n'est plus adapté à une population vieillissante et atteinte de maladies chroniques. La modernisation passe par la priorité donnée aux équipes de soins primaires. C'est votre génération qui va devoir prendre à bras le corps ce virage ambulatoire et l'adaptation, en parallèle, de l'offre de soins hospitalière.
Tout ne peut pas reposer sur l'hôpital dont les responsabilités sont par ailleurs majeures. La médecine de proximité doit s'organiser autrement. La médecine de ville, la médecine hospitalière et la médecine de prévention vont devoir s'adapter.
Les défis à relever sont gigantesques et ils le seront dans le respect des principes d'organisation de la médecine
Notre médecine est plurielle et son financement est collectif. Elle repose dans notre pays sur une liberté totale d'installation et sur le libre choix des professionnels de santé par les patients. C'est un modèle rare et envié. La responsabilité des pouvoirs publics est de garantir l'efficacité du système de santé tout en préservant ces principes.
Les évolutions à conduire, assumons-le, seront de même ampleur que celles que notre pays a connu à partir de 1958 avec la création des Centres hospitaliers universitaires lorsque Robert DEBRE a créé le temps plein hospitalier associé à une activité de recherche et d'enseignement. 60 ans après, le succès est au rendez-vous avec l'amélioration de la qualité de la médecine et l'excellence reconnue de la France dans la recherche médicale et scientifique.
Mais si notre système de soins est très performant pour la prise en charge des pathologies aigües et graves, nous avons négligé la détection et la prévention. Les progrès médicaux ont transformé des maladies aigües en maladies chroniques. L'hôpital est le lieu de prise en charge privilégié de la traumatologie, de la phase aigüe de la maladie. Il n'est pas adapté au besoin croissant de prise en charge de la maladie chronique.
II. Ce travail de modernisation, je le mène avec vous, dans la concertation.
J'entends vos demandes. Vous demandez des conditions de travail de qualité et vous avez raison. Je sais que vous cherchez avant toute chose à prodiguer les meilleurs soins à vos patients. Je sais que votre devoir de médecin est l'obligation de moyens pour donner à chacun de vos patients les meilleures chances de guérir. Nous y travaillons à l'hôpital et en ville.
J'entends vos craintes. Votre crainte d'être privés de la liberté de choisir votre mode d'exercice ou d'installation. Je souhaite que vous entendiez la constance de mes propos depuis 2012 : je ne cesse de garantir la liberté d'installation pour le médecin, la liberté de choix de son médecin pour chacun de nos concitoyens. Les mesures incitatives que j'ai prises dans le cadre du pacte territoire santé en sont une démonstration.
J'entends aussi vos craintes d'un désengagement de l'assurance maladie. Je vous demande là-encore de reconnaître la constance de mes propos et de mes actions : je n'ai cessé de renforcer la part relative de l'assurance maladie obligatoire par rapport aux organismes complémentaires et les chiffres le prouvent. Le Gouvernement a par ailleurs tranché la question des réseaux de soins dès 2012 et n'a aucunement l'intention de rouvrir le débat. Je vous demande donc d'entendre que vous ne serez inclus dans aucun réseau de soins.
Nous devons travailler ensemble à des modes d'exercice diversifiés et adaptés à vos attentes.
La pratique en solitaire ne correspond plus aux aspirations de la majorité d'entre vous : vous exprimez fréquemment la volonté de travailler ensemble au sein d'un groupe. L'installation est un moment central dans la vie d'un jeune professionnel. Dans le respect absolu des principes de liberté, nous devons poursuivre la réflexion engagée sur les politiques d'accompagnement et de soutien à l'installation. L'exercice mixte, pour ceux qui le souhaitent, doit être valorisé. Cette réflexion doit être démultipliée dans chaque territoire, avec le concours des responsables universitaires, des représentants locaux de l'Ordre et des professionnels de santé. C'est tout le sens du Pacte territoire santé que j'ai lancé à la fin de l'année 2012.
Comme le souligne le rapport que le Pr DROUAIS m'a remis sur la médecine générale, la rémunération liée à l'organisation et la coordination permet l'amélioration de la qualité et de la pertinence des soins, et donc l'attractivité de l'exercice. Et le Dr DECALF dans son travail sur la médecine libérale spécialisée est arrivé à la même conclusion.
Il faut adapter et diversifier les modes de rémunération. Le paiement à l'acte n'est plus le seul mode de rémunération de l'activité des médecins qui assurent un suivi au-delà de la consultation. La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) est un exemple de diversification que j'ai fait progresser ces dernières années. De même, la rémunération du travail en équipe est une étape décisive qui a été franchie la semaine dernière avec la pérennisation et la généralisation de la rémunération des équipes au sein des pôles, maisons et centres de santé. Cependant, le travail en équipe ne se limite pas à un exercice au sein de structures regroupées. Il s'organise ponctuellement, autour d'un patient, par exemple à l'occasion d'une sortie d'hospitalisation ou d'une prise en charge sur le long terme pour les patients chroniques. L'adaptation de la rémunération à cette prise en charge coordonnée est un chantier conventionnel à approfondir.
L'adaptation de la rémunération à la prise en compte de la médecine de parcours à l'hôpital relève de la même logique. Des expérimentations ont été engagées, sans doute trop peu nombreuses encore. De même, des établissements hospitaliers isolés reçoivent désormais une rémunération spécifique du fait de leur rôle de proximité, indépendante de leur niveau d'activité. Nous commençons à sortir du « tout T2A ». Je sais que Didier TABUTEAU et André GRIMALDI défendent ces idées depuis longtemps.
Nous avons tout intérêt à construire ces changements ensemble. C'est pourquoi je tiens à dessiner ce système de santé moderne avec vous, pas contre vous. Vous avez par exemple formulé des propositions pour renforcer l'attractivité des carrières à l'hôpital public. J'y suis attentive. Plus largement, le gouvernement soutient l'innovation en santé et la recherche, car ce sont les recherches d'aujourd'hui qui feront les soins de demain. « Télémédecine », « open data » et « application Smartphone » seront les outils de votre exercice quotidien.
Le projet de loi de santé que je porte a pour objectif cette modernisation de notre système de santé, pour que nous relevions les défis qui accompagnent le vieillissement de la population, comme l'incidence croissante des maladies chroniques. Il s'articule autour de trois orientations fortes :
- la prévention qui doit enfin devenir le socle de la politique de santé de notre pays ;
- la réorganisation de l'offre de soins de proximité autour du médecin traitant, acteur central du parcours de soins primaires ;
- l'engagement d'une nouvelle étape dans la reconnaissance des droits des patients, pour renforcer la démocratie sanitaire.
Pour réussir le virage ambulatoire, nous devons garantir à chacun, quel que soit son revenu, de pouvoir avoir accès aux professionnels de santé. L'accessibilité des soins de proximité, c'est la clé.
J'ai lancé un cycle de concertation, auquel vous participez, pour préciser le projet de loi et approfondir certaines de ses dispositions. Ce travail est très positif et la concertation se poursuit. Certains articles seront réécrits sur la base des propositions qui en résultent. La question de l'organisation des soins de proximité dans les territoires qui doit accompagner le virage ambulatoire est centrale. Je m'engage à ce que chacun se retrouve dans la nouvelle rédaction du texte.
Le tiers-payant, auquel les Français marquent leur adhésion, est une question qui fait l'objet d'un important travail. Je m'exprimerai prochainement sur ce point pour préciser la méthode qui nous permettra de l'étendre. Je veux redire, comme le Président de la République et le Premier ministre, que ce doit être un système simple pour tout le monde sans charge de travail supplémentaire et sans coût financier pour les médecins.
Ce travail de modernisation, d'adaptation du système aux enjeux que nous partageons, continue aujourd'hui. Je suis frappée de constater que les objectifs sont largement partagés. C'est une chance dont nous devons nous saisir. Ce que vous attendez, c'est de la visibilité pour votre avenir. Je souhaite répondre à ce besoin de mise en perspective des différents chantiers engagés. Le projet de loi est un pilier important de la stratégie nationale de santé mais il ne la résume pas à lui seul. La stratégie nationale de santé repose sur plusieurs actions : la lutte contre les déserts médicaux avec le Pacte territoire santé, la modernisation du fonctionnement et du financement de l'hôpital public pour lesquels des expérimentations sont en cours, ou encore le meilleur financement des parcours de santé.
Nous devons poursuivre ensemble les travaux engagés, dans un cadre structuré, et fixer un calendrier pour les deux ans qui viennent. Vous serez associés aux différentes initiatives qui seront prises prochainement.
III. Ces changements sont inséparables de la réforme de votre formation initiale.
L'évolution de votre formation doit préfigurer et accompagner l'évolution du système de soins. L'apprentissage, au plus près de la prise en charge, doit s'entendre aussi bien à l'hôpital qu'en ville avec le développement et la systématisation des stages ambulatoires.
Je sais que vous êtes soucieux des conditions de l'Examen classant national. Je tiens à vous rassurer : vous ne vous êtes pas préparés pour rien. L'examen aura bien lieu pour la première fois en 2016 sous forme numérique, avec toutes les garanties de sécurité et d'équité qu'exige cet examen.
La réforme du 3ème cycle de formation médicale est réclamée par tous. La formation médicale doit tenir compte des évolutions nécessaires des compétences pour faire face aux nouveaux besoins de santé. La réforme du 3ème cycle, qui forme les différents spécialistes de 1er et de 2nd recours, doit incarner le virage ambulatoire.
Pour préparer cette réforme, j'ai demandé plusieurs rapports. Le travail fourni pour jeter les bases de la réforme pédagogique du 3ème cycle sera, pour le ou la ministre de l'Enseignement supérieur et moi, un élément d'éclairage très utile.
Je vous confirme qu'aucune proposition d'évolution de l'organisation de la formation ou du statut de l'interne n'est sur la table et qu'aucune décision n'a donc été prise. En tout état de cause, cette réforme ne pourrait pas s'engager contre vous. Elle ne pourra l'être qu'avec vous. J'imagine mal en effet que des évolutions de la maquette de formation de vos différentes spécialités puissent être engagées sans vous.
Mesdames et messieurs,
En intervenant devant vous ce soir, j'avais une triple ambition :
- vous montrer que l'évolution du système de santé est inséparable du questionnement sur l'évolution des conditions d'exercice et notamment celles des jeunes professionnels ;
- vous assurer que les changements que nous devons mener le seront en préservant les principes de liberté auxquels vous êtes attachés et auxquels je suis attachée ;
- répondre à votre demande d'une mise en perspective des évolutions en cours.
Mon bureau vous est ouvert et, vous le savez, je suis à l'écoute de vos représentants. C'est pourquoi il était logique, naturel et précieux pour moi d'être ici ce soir.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 23 mars 2015