Déclaration de MMe Annick Girardin, secrétaire d'Etat au développement et à la francophonie, sur les priorités en matière de développement et de francophonie, à Paris le 15 avril 2015.

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Circonstance : Ouverture de la réunion du réseau de coopération et d'action culturelle d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, à Paris le 15 avril 2015

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames et Messieurs les Conseillers,
Je suis heureuse d'être parmi vous ce matin pour ouvrir ces trois journées de réflexion et d'échanges. Cette réunion prend place dans un contexte particulier, notamment dans votre zone. Les massacres au Yémen ou en Irak ; l'attentat du musée du Bardo à Tunis, où je me rends bientôt ; ...je n'oublie pas, évidemment, la guerre civile en Syrie qui a fait plus de 220.000 victimes ces quatre dernières années et qui affecte les pays limitrophes, comme j'ai pu le constater le mois passé au Liban ; ni les combats en Libye, qui déstabilisent une région fragile.
Autant d'illustrations tragiques des dérives terroristes de cette radicalisation religieuse à l'oeuvre... autant de menaces qui se multiplient contre la liberté et la démocratie.
Notre coopération pour le développement porte dans ce contexte une grande responsabilité, celle d'inventer ou accompagner des réponses appropriées aux défis de ces sociétés : quels enjeux cibler, et comment, pour être à la fois solidaire et efficace? Le tout, vous le savez, dans un contexte de rareté accrue de notre ressource budgétaire...
Vous êtes les mieux placés pour nous aider à avancer dans cette voie. Vous vivez et travaillez dans une région chargée d'histoire et d'héritages, ancrée dans la tradition mais aussi tournée vers la modernité, traversée par des dynamiques complexes et parfois déstabilisatrices, où il vous faut vous adapter en permanence. Vous y êtes les messagers des valeurs de la France. Je vous en remercie.
Je voudrais, ce matin, revenir sur quatre priorités qui structurent ma politique en matière de développement et de francophonie : la jeunesse ; l'agenda international de 2015 pour le développement durable et la COP21 ; la Francophonie et l'innovation.
I - Commençons par la jeunesse, qui constitue une priorité de notre action et un enjeu majeur de la relation entre les deux rives de la Méditerranée.
La région compte 280 millions de jeunes de moins de 24 ans, soit 50% de sa population. Son taux de chômage est le plus élevé de la planète.
C'est cette jeunesse qui fait bouger les lignes : acteur clé des printemps arabes, elle a fait entendre sa voix. Notre politique de développement doit l'accompagner dans ses aspirations à la liberté d'expression et d'insertion dans la société.
Je viens de présenter une stratégie sur l'action extérieure de la France pour la jeunesse. Elle met l'accent sur la réponse aux enjeux démographiques, sur la santé, sur la formation, sur l'accès à l'emploi, en particulier en milieu rural, sur la vie citoyenne.
Je sais combien vous êtes déjà mobilisés sur ces objectifs, avec notre réseau d'enseignement à l'étranger, AEFE et Mission laïque française. Je vous en remercie. La formation et l'accès à l'emploi, tout comme l'accompagnement de la vie citoyenne, sont des thèmes que vous soutenez dans la plupart des pays de la zone.
L'AFD fait également des jeunes une cible prioritaire de son nouveau cadre d'intervention régional, que je vous invite à lire. Elle y a consacré plus de 170 Meuro, sur la période 2013-2015, en grande partie sur la formation et l'accès à l'emploi. Je souhaite que ce nouveau document permette d'amplifier cette dynamique.
L'accès aux droits fondamentaux et à la citoyenneté de cette jeunesse est également une priorité : je connais vos actions en soutien aux sociétés civiles - je pense par exemple au soutien apporté par notre SCAC à Tunis au forum de la jeunesse, auquel je me rendrai début mai. Mais il y aussi la formation dans le domaine des médias ou de la promotion de l'égalité femmes-hommes. Ces actions sont essentielles pour accompagner, encourager l'évolution démocratique de ces sociétés, où les femmes sont les premières victimes de la radicalisation idéologique.
La loi de juillet 2014 consacre le genre en tant que une composante transversale de notre politique de développement.
Mais pour encourager une évolution en profondeur de ces sociétés, rien ne remplacera l'échange entre jeunesses des deux rives de la Méditerranée.
Le président de la République a lancé un chantier pour amplifier «l'engagement civique» des jeunes de France. J'ai souhaité y contribuer en renforçant la dimension internationale de l'engagement citoyen. Nous y travaillons en lien avec délégation pour les relations avec la société civile, le ministère de la jeunesse et France Volontaires. Plusieurs directions sont à l'étude :
- la simplification du dispositif, pour que les jeunes qui souhaitent s'engager ne se perdent pas dans un dédale de portes d'entrée ;
- l'encouragement à la réciprocité, en facilitant le volontariat du nord vers le sud, aussi bien que du sud vers le nord. Des programmes existent, il faut les soutenir ;
- la valorisation professionnelle des acquis.
II. Deuxième priorité, s'engager de manière ambitieuse pour un aboutissement des négociations internationales du développement durable
2015 est notre année. C'est l'année des décisions pour la planète. Nous sommes prêts pour affronter ces échéances.
Le premier rendez-vous, à Addis-Abeba en juillet, sera une étape clé dans la refonte de l'agenda du développement durable. L'occasion de confirmer que la communauté internationale s'engage dans un nouveau paysage du financement du développement durable.
L'APD y a toute sa place mais dans une vision renouvelée, avec un effet catalytique sur les différents financements et outils pouvant contribuer au développement durable : ressources domestiques, investissements privés, financement innovant et outils de financements mixtes.
Aux États de fixer des cadres clairs pour permettre l'action de chacun. Et d'inciter les différents acteurs à aller dans la même, dans la bonne direction.
Le deuxième grand rendez-vous, c'est celui des Objectifs de développement durable (ODD). Un agenda universel se construit. C'est aussi un agenda transversal qui porte sur le développement durable dans ses trois dimensions, économique, sociale et environnementale. Il comprend ainsi 17 objectifs, dont l'un est particulièrement ambitieux : éradiquer l'extrême pauvreté, d'ici 2030.
Enfin, notre troisième rendez-vous, et il est capital pour notre diplomatie et pour la planète, c'est celui du climat. Notre objectif est clair : nous remettre sur la voie des 2°C.
Agir pour le climat, c'est aussi prendre nos responsabilités, et renforcer notre solidarité. Avec les victimes du dérèglement climatique, elle doit être forte.
C'est pourquoi j'ai fait de l'adaptation ma priorité pour Paris Climat 2015, et notre ministère se mobilise pour la thématique «genre et climat».
Cette solidarité, nous devons aussi la manifester par notre engagement financier. C'est le cas avec le Fonds vert, et il faudra sans doute aller au-delà dans la mobilisation de financements publics et privés additionnels.
Sur ces différents sujets, nous sommes dans la dernière ligne droite des négociations. Je vous demande donc de porter nos positions, qui seront communes avec nos partenaires européens, et d'être attentifs à celles de vos pays de résidence.
Je sais que votre région est confrontée à des défis pressants, auprès desquels ces enjeux peuvent paraître lointains, mais elle ne peut rester en dehors de cette grande discussion mondiale dont les conséquences la concernent directement.
3. Troisième priorité : la Francophonie, dont la zone ANMO, avec des 36 millions de locuteurs francophones, est un maillon essentiel.
J'ai pu constater au Liban la vitalité de cette francophonie. J'espère la constater également très prochainement en Tunisie. J'ai aussi pu mesurer les défis auxquels elle est confrontée : maintien de la qualité des enseignants face à l'augmentation des cohortes, concurrence de l'enseignement anglophone, notamment dans l'enseignement supérieur.
Dans ces pays où notre langue est solidement installée, la priorité va au maintien de la qualité dans les systèmes éducatifs locaux. Dans les pays du Golfe, le développement de la francophonie naissante passe davantage par nos établissements français, par nos centres de langue, mais aussi par l'encouragement de nos partenaires à ouvrir leurs systèmes éducatifs à notre langue.
Partout, le tandem éducation/formation est essentiel : le français doit être perçu comme un atout dans une perspective d'insertion professionnelle des jeunes. Je tiens à cet égard à saluer les nombreuses initiatives prises par le réseau pour renforcer cette dimension. Notre langue est non seulement un trait d'union culturel entre les peuples, mais aussi un moyen efficace de commercer.
Il faut enfin valoriser nos médias francophones, et notamment TV5Monde - ce n'est pas un hasard si cette chaîne a été visée, c'est un symbole qu'on a frappé - et les médias de France Médias Monde, notre politique de diffusion culturelle, appuyée par l'Institut français, ou encore l'environnement administratif qui demeure parfois imprégné de notre langue.
4. Enfin, et je terminerai par ce point, j'ai la conviction que l'innovation doit guider notre réflexion et notre action, au service d'une aide non seulement plus transparente et plus efficace, mais aussi plus créative et en adéquation avec les besoins exprimés localement.
Car face à des enjeux parfois vertigineux, à des besoins immenses et à des moyens pour y répondre clairement insuffisants, il nous faut faire autrement, être à l'écoute des idées et des énergies qui s'expriment autour de nous.
Vous tous, sur le terrain, êtes les premiers à assister à cette révolution en marche. L'innovation n'est pas que technologique, elle concerne également les manières de produire, de consommer, de vivre ensemble.
Nouveaux financement, nouveaux modèles économiques développés par des entreprises responsables, création d'entreprises sociales, de coopératives, d'associations en réponse à des besoins sociaux ou environnementaux non couverts. Sachons mettre ces innovations au coeur de notre politique de développement.
Pour encourager ce mouvement, je souhaite une forte mobilisation : je lance, avec Patrick Kanner, le 24 avril, dans le cadre de l'initiative portée le président de la République «la France s'engage», un concours autour de l'innovation au sud, sous toutes ses formes.
«La France s'engage au Sud» a besoin de vous pour relayer sur le terrain ce concours ; pour identifier et faire remonter des projets pérennes et innovants, qui méritent d'être connus et accompagnés. Je compte sur votre mobilisation.
Le Fonds de solidarité prioritaire (FSP) a également évolué cette année : Vous avez découvert le PISCCA. Il vous invite à accompagner des petits projets innovants de coalitions d'acteurs, publics, société civile, mais aussi privés.
Là aussi, nous comptons sur vous pour aller repérer et soutenir les initiatives qui le méritent, pour travailler en lien avec l'AFD qui pourra prendre le relais lorsque ces projets pilote auront fait leur preuve.
Enfin, pour être plus innovants, travaillons ensemble au rapprochement de la recherche et de nos politiques de développement. J'ai lancé ce chantier en Janvier. La DGM le porte, en lien avec vous et je l'en remercie. Il est essentiel.
Pour conclure, je voudrais vous remercier pour le travail que vous faites dans une région qui a profondément changé en quelques années. Votre mandat est exigeant, multiforme. Votre zone est essentielle pour notre politique étrangère et les moyens engagés par la France restent considérables malgré le contexte budgétaire contraint. Près d'un quart des crédits délégués sur la coopération y seront encore consacrés en 2015.
Nous nous donnons les moyens de nos ambitions et il faut poursuivre notre action pour en récolter les fruits.
Ce réseau que vous incarnez est notre force. Nos partenaires nous l'envient. Pour notre influence. Pour prendre part à des processus déconcentrés qui doivent être coordonnés depuis le pays de résidence, tels que la programmation conjointe européenne qui va s'étendre dans votre zone. Pour porter notre voix dans les fonds multilatéraux.
Le rôle de notre réseau évolue et vous devez vous adapter. Je n'ai pas toutes les réponses mais il faut mener une réflexion ensemble : les nouveaux acteurs, le travail en réseau, avec les opérateurs publics dont le département assure la co-tutelle, en particulier l'AFD et Expertise France maintenant, le monde professionnel, l'articulation de la coopération décentralisée, de l'expertise et de la diplomatie économique, tels sont donc les objets de réflexion pour ces journées d'échange et nos axes de travail pour les mois à venir.
Je vous remercie toutes et tous pour votre travail : il est considérable, il est exigeant, parfois même périlleux, mais toujours exaltant car au coeur des priorités de notre pays. Je vous souhaite de fructueux échanges et vous remercie de votre attention.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 avril 2015