Déclaration de M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, en hommage aux anciens combattants de la Première Guerre mondiale, Les Eparges le 6 avril 2015.

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Circonstance : Cérémonie aux Eparges (Meuse), le 6 avril 2015

Texte intégral

Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Représentant du Conseil régional,
Et permettez-moi de saluer le nouveau président du département,
Monsieur le Maire des Eparges,
Monsieur le Président de la mission du Centenaire, mon général,
Monsieur le Président du Souvenir français de Moselle, mon général,
Messieurs les officiers, sous-officiers, soldats,
Madame la Présidente de l'association « L'Esparges »,
Cher monsieur Julien Genevoix,
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Chers élèves ici présents,
Maurice Genevoix écrira désormais, « comme tous les écrivains, pour comprendre les hommes, pour aller jusqu'au cœur, pour dévoiler leur essence infinie, pour chercher après tant d'autres, avec le trésor des mots, le trésor caché au cœur de l'humain. Et qu'on ne les oublie jamais ». Ces mots ne sont pas de moi. Ils sont de Bernard Maris dont l'absence pèse aujourd'hui sur cette cérémonie.
Je sais que « Onc' Bernard », nom sous lequel les lecteurs de Charlie Hebdo le connaissaient, aurait souhaité vous parler de Maurice Genevoix, homme que la guerre a fait écrivain. Et il l'aurait fait avec passion et talent.
Cette cérémonie commémorative de la bataille des Eparges a lieu chaque lundi de Pâques à l'initiative du Souvenir français. Mais elle porte aujourd'hui, à la lumière des terribles attentats de ce début d'année, une charge émotionnelle toute particulière.
Je ne pouvais débuter mon propos sans rendre un hommage appuyé à Bernard Maris. Car c'est aussi à lui que nous devons ce moment de rassemblement ainsi qu'à l'association « Je me souviens de Ceux de 14 » créée par Sylvie Genevoix, son épouse et fille de l'écrivain-combattant dont elle porte le nom, qui s'est éteinte en 2012.
Je veux remercier aujourd'hui Julien Genevoix, qui a repris le flambeau de l'association, pour sa présence et pour les mots qu'il a prononcés sur Maurice Genevoix.
Blessé au bras et à la poitrine durant les combats, le soldat a quitté la boue des Eparges le 25 avril 1915, il y a 100 ans, avant d'être évacué à l'hôpital de Verdun.
Aujourd'hui, il fait son retour sur ce lieu de l'horreur où la fraternité des âmes a côtoyé la souffrance physique et la mort de masse, comme on le lit dans Ceux de 14.
Avec un style authentique qui fait des combats des Eparges une réalité tristement atroce, Maurice Genevoix nous décrit plus qu'une vérité historique. Il nous dessine la vérité humaine : ce que l'homme est capable d'endurer physiquement, psychologiquement ; jusqu'où son courage peut s'exprimer ; l'humanité dont il peut témoigner dans chaque épreuve.
Et ce lieu des Eparges a inspiré tant d'autres écrivains-combattants, ceux qui un temps ont posé leur plume pour prendre les armes. Ceux qui nous ont permis de lire une guerre que nous n'avons pas connue.
Je pense tout particulièrement à Alain Fournier, mort au combat en septembre 1914 à Vaux et à Louis Pergaud, mort le 8 avril 1915, il y a tout juste 100 ans, à Marchéville-en-Woëvre, à quelques kilomètres d'ici.
En 1916, dans son ouvrage Le Feu, Henri Barbusse écrit que les combattants « [n'étaient] pas des soldats, [mais] des hommes, […] des laboureurs et des ouvriers qu'on reconnaît dans leurs uniformes ».
50 000 de ces hommes, de ces « civils déracinés », disparaîtront dans la boue des Eparges, liant leur destin à celui de leur pays, consentant au sacrifice de leur vie au nom de la liberté et pour la France.
Beaucoup d'autres seront blessés. Parmi eux, Maurice Genevoix écrit : « Voici venu le moment où il faut que les vivants se retrouvent et se comptent, pour reprendre mieux possession les uns des autres, pour se serrer plus fort les uns contre les autres, se lier plus étroitement de toutes les récentes absences ».
100 ans après, nous continuons de faire face à leur absence.
Mais en les rappelant à la mémoire de tous, nous les maintenons vivants dans les cœurs et les esprits des plus jeunes pour qu'ils perpétuent le souvenir d'une génération dont ils ont hérité les plus belles des valeurs : le courage, l'amour de la nation, l'esprit de solidarité.
Ce site des Eparges est aujourd'hui un grand lieu de mémoire dont le souvenir des combats s'inscrit dans les plis de l'inscription du drapeau du 106e Régiment d'Infanterie.
Permettez-moi à cet instant de saluer la présence des deux compagnies du Bataillon Cynophile de Suippes, héritier des traditions du 132e Régiment d'Infanterie et celui du 106e Régiment d'Infanterie auquel appartenait le lieutenant Maurice Genevoix.
Son souvenir s'inscrit aussi au fil des pages de Ceux de 14 dont la lecture est une invitation au voyage dans le temps et dans l'âme humaine.
Son souvenir s'inscrit aujourd'hui dans ce buste de Maurice Genevoix dont je veux saluer le sculpteur. Monsieur Virgil Magherusan, votre œuvre renforce la mémoire de Maurice Genevoix sur cette terre des Eparges, source de son inspiration. Ce buste est le relais pédagogique des classes « Maurice Genevoix » mises en place par le Mémoriel de Verdun il y a plusieurs années.
Mémorial inauguré par Maurice Genevoix en 1967 en ces termes : « Désormais, derrière nous, il y aura ce Mémorial. Il est aussi, il est encore cela : il nous rend, avec notre passé commun, nos camarades toujours vivants. Nous vous le remettons, monsieur le Ministre des Anciens Combattants ; et, par vous, à notre pays ; et, par lui, aux centaines de milliers d'hommes et de femmes, nos semblables, qui viendront s'y recueillir.
Jeunes et vieux, amis, ennemis réconciliés, puissent-ils emporter de ces lieux, au fond d'eux-mêmes, une notion de l'homme qui les soutienne et les assiste ! »
Voilà aujourd'hui ce que m'inspire ce buste : la perpétuation de l'hommage des vivants à ceux qui ne sont plus et une certaine notion de l'homme.
Mesdames et messieurs, nous sommes ici sur un lieu d'horreur et de mort qui a vu l'affrontement de deux nations guerrières. Un affrontement que Français et Allemands ont lu et relu sous la plume française de Maurice Genevoix et la plume allemande d'Ernest Jünger.
C'est cela aussi la mémoire de la Grande Guerre et tout particulièrement ici en Meuse : une mémoire franco-allemande née dans le sang mêlé des dizaines de milliers de combattants français et allemands que rien ne distingue plus aujourd'hui dans l'hommage.
C'est cette mémoire réconciliée qui sera à l'honneur à Verdun en 2016 à l'occasion d'une cérémonie pour laquelle la mission du centenaire est déjà au travail.
Une mémoire européenne aussi, née sur ce champ de bataille et dans les rêves les plus fous de ceux qui s'y affrontaient.
Une mémoire nationale bien sûr qui se rassemble autour des fils que la Nation a vu tomber aux Eparges il y a 100 ans. Parmi eux, le député-soldat Frédéric Chevillon parti au front au nom de l'idéal républicain qu'il fallait protéger et à qui j'ai rendu hommage le 21 février dernier, aux côtés de Claude Bartolone.
100 ans plus tard, nous, héritiers et successeurs de ceux de 14, devons continuer d'être animés par une même volonté : celle de défendre l'idéal républicain. Un idéal de liberté, un idéal de justice, un idéal de démocratie, un idéal de tolérance.
Un idéal que le terrorisme a tenté d'anéantir il y a quelques mois en assassinant Bernard Maris et ses camarades.
Mais un idéal qui continue de soulever les âmes françaises.
Celles qui défilent dans les rues de Paris, Toulouse, Lyon, Metz et partout ailleurs pour dire non au terrorisme et à la haine. Pour dire oui aux valeurs qui font le ciment de la Nation et pour lesquelles nos aînés, dont certains ont fait des Eparges leur tombeau, se sont sacrifiés.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 23 avril 2015