Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec la télévision slovène, sur l'intervention militaire en Libye, la lutte contre le terrorisme, la commémoration du 9 mai 1945 en Russie, les relations entre l'Union européenne et les pays des Balkans et sur l'immigration clandestine.

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Circonstance : Déplacement en Slovénie, le 23 avril 2015

Texte intégral

- Libye
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Q - L'intervention militaire en Libye n'est-elle pas une cause de difficultés ?
R - J'ai beaucoup réfléchi à cela et je pense que l'intervention militaire est juste mais l'erreur qui a été commise, c'est de ne pas faire ce que l'on appellerait en anglais le «follow up». Ce n'est pas parce que M. Kadhafi disparaît que les problèmes sont réglés : la Libye n'a jamais été un État, la Libye était une série de tribus avec des armes partout. Kadhafi tenait tout cela plus ou moins ensemble même si c'était avec un comportement dictatorial, il a disparu et les problèmes n'ont pas été réglés. L'erreur qui a été commise à l'époque.
Q - Par qui ?
R - La tradition démocratique est de ne pas incriminer ses prédécesseurs parce que ce n'est pas très élégant. Je laisserai donc cette question.
L'erreur qui a été commise, ce n'est pas l'intervention, c'est le fait de croire que l'intervention résolvait à elle seule les problèmes. L'une des leçons que l'on peut tirer de ce qui s'est passé depuis 20 ans sur de nombreux conflits, c'est qu'une intervention militaire peut aider à résoudre un problème mais elle ne le résout pas. Le problème ne peut être résolu que par la population elle-même, qu'il faut accompagner.
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- Lutte contre le terrorisme
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Q - Qu'attendez-vous des pays des Balkans dans le domaine de la lutte contre le terrorisme ?
R - Malheureusement, cette lutte contre le terrorisme nous concerne tous, aucun pays n'est à l'écart. Certains pays sont plus touchés que d'autres mais comme les racines sont très profondes, il faut que l'on agisse tous et que l'on construise ensemble. Il y a des choses concrètes à faire, des échanges entre les services de renseignements, il y a, eu très récemment, une réunion entre les ministres de l'intérieur. Il faut que l'on échange les bonnes pratiques pour prévenir la radicalisation, il faut que l'on échange aussi nos pratiques juridiques en intervenant par exemple sur Internet. Cela pose le problème de savoir quelle place pour les libertés ou la sécurité, mais je suis absolument persuadé que l'on est obligé de travailler ensemble parce que, comme je le disais, aucun pays n'est à l'abri.
Q - Y a-t-il des chances que cela fonctionne bien ?
R - Oui cela marche et j'ai dit à mes collègues ce matin que la France était absolument prête à augmenter la coopération si cela était nécessaire. Ce n'est pas l'impression que j'avais ce matin mais parfois on peut se dire que c'est loin, que cela vient du sud etc. mais ces notions sont dépassées. Tout est mondial, tout est européen. Ce qui se passe en Libye a des conséquences pas seulement sur le nord de la Méditerranée mais aussi sur le reste de l'Europe. Donc, il faut que l'on travaille de plus en plus en coopération.
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Russie - Commémoration du 9 mai 1945
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Q - La France sera-t-elle présente à la parade de la victoire à Moscou le 9 mai parce que Mme Merkel se rendra à Moscou le 10 mai ?
R - Nos amis allemands ont décidé de s'y rendre le 10 mai et je crois que mon collègue M. Steinmeier y sera lui-même le 8.
La réponse est simple, il y a une réalité historique qui veut que le 9 mai les Russes célèbrent la victoire sur le nazisme. C'est vrai qu'il y a une situation particulière en ce moment, mais je pense qu'il faut célébrer historiquement ces choses. La France sera donc présente, nous n'avons pas encore décidé du niveau. De plus, j'ai cru comprendre que le secrétaire général des Nations unies envisageait lui-même d'être présent, ce qui donne à cette cérémonie une tonalité historique qu'il faut respecter tout en disant aux Russes, parce que nous ne sommes pas d'accord avec eux, qu'il peut y avoir des points de désaccord.
- Union européenne - Immigration
Q - Le processus de Brdo essaie de renforcer les liens entre les pays des Balkans et l'Union européenne. Toutefois, l'élargissement n'est plus la priorité pour l'Union européenne et on se demande si l'Union est encore intéressante pour des pays comme la Serbie ou la Macédoine qui attendent depuis dix ans le début de la négociation.
R - C'est vrai que c'est long, mais je pense que cela reste absolument indispensable d'abord parce que l'Union européenne reste forte et puissante. Certes il y a les crises mais l'Histoire nous montre qu'après les crises, il y a toujours un redémarrage. C'est en 2000 que l'on a décidé de cette perspective européenne pour les pays de l'Est, et je pense qu'il faut y aller.
La réunion que nous avons eue aujourd'hui nous permet de travailler ensemble, avec les pays des Balkans, à l'initiative de la France et de nos amis italiens. Je reste très confiant.
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Q - Il y a ce sommet extraordinaire aujourd'hui pour prévenir des tragédies en Méditerranée. Le président français dit que - plus de bateaux - ne suffit plus et qu'il faut aller plus loin. Jusqu'où ?
R - Au moment où a lieu cette interview, les chefs d'État et de gouvernement sont en train de délibérer mais j'ai vu le projet qui contient une mesure très audacieuse et qui j'espère sera retenue, c'est la possibilité de détruire physiquement les bateaux avant que les trafiquants ne fassent embarquer des migrants. Cela demande évidemment des autorisations et des moyens - parce qu'on ne l'a jamais fait - mais cela ne suffit pas. Il faut à la fois agir sur les pays d'où viennent ces migrants qui n'y vont pas par plaisir, ils sont poussés soit par la situation politique, soit par la situation économique. Il faut d'autre part s'attaquer au trafic car il y a des trafiquants qui font beaucoup d'argent avec cette affaire. Et puis il faut, parce que, de l'immigration il y en aura toujours, savoir accueillir ceux qui ont droit politiquement à ce que l'on appelle l'asile et organiser, - ce qui n'est pas facile - le retour de ceux qui viennent pour des raisons économiques mais qui devront retourner chez eux.
C'est donc complexe mais la Méditerranée ne peut pas être un cimetière et donc il faut absolument agir. J'espère bien que les décisions qui seront prises aujourd'hui seront suivies d'effet.
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source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2015