Interview de Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'Etat à la famille, aux personnes âgées et à l'autonomie à RTL le 4 mai 2015, sur la protection des mineurs et le port du voile à l'école.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Laurence ROSSIGNOL.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
La ministre de l'Education, Najat VALLAUD-BELKACEM, et la ministre de la Justice, Christiane TAUBIRA, seront aujourd'hui à Grenoble, elles dévoileront les résultats de l'enquête administrative concernant les agissements du directeur de l'école de Villefontaine aujourd'hui écroué pour viols sur mineurs. On l'imagine, en charge de la famille, vous êtes attentive à ce fait divers. L'Education nationale est coupable de négligence ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, Najat VALLAUD-BELKACEM et Christiane TAUBIRA, cet après-midi, indiqueront les résultats de l'enquête administrative, et cette enquête a été conduite dans la volonté de ne couvrir aucune complaisance, de ne trouver aucune excuse à l'administration, mais d'identifier les dysfonctionnements des deux administrations.
JEAN-MICHEL APHATIE
Il y en a eu ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Forcément. Quand un drame survient, il y a toujours plusieurs dysfonctionnements, il ne suffit pas d'un seul. J'ai observé, en matière de protection de l'enfance, à chaque fois qu'on a un drame qui concerne les enfants, il y a eu plusieurs dysfonctionnements, donc là il y en a eu, incontestablement. Les deux ministres vont les exposer, cet après-midi, d'abord aux parents, et aux victimes, et puis ensuite au pays, et elles vont indiquer les mesures qu'elles vont prendre. Il y aura une loi très prochainement.
JEAN-MICHEL APHATIE
Une loi à partir de ce fait divers, qui tirera des leçons générales de ce fait divers ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, je ne crois pas qu'on puisse dire que ce sera une loi fait divers, c'est une loi qui a mis en lumière des dysfonctionnements qui peuvent arriver partout où on s'occupe d'enfants. Moi-même, dans mon propre domaine de la protection de l'enfance, et en particulier des foyers des enfants qui sont placés à l'A.S.E, je me suis posée la question : est-ce que nous avons bien toutes les garanties pour protéger ces enfants ? Et dans la loi que je présenterai le 12 mai prochain à l'Assemblée nationale, j'envisage d'étendre les mesures qui ont été prises, par exemple par Jeunesse et Sports, le ministère de la Jeunesse et des Sports, pour protéger les enfants contre d'éventuels personnels d'encadrement, moniteurs de colonies de vacances, qui auraient des pratiques pédophiles, pour que ces animateurs ne soient jamais recrutés, qu'on puisse les identifier, et qu'ils ne puissent pas travailler avec des enfants. C'est ça le sujet.
JEAN-MICHEL APHATIE
Dès qu'il y a une condamnation, interdire le contact avec des enfants, une condamnation qui concerne bien entendu une attitude suspecte vis-à-vis des enfants.
LAURENCE ROSSIGNOL
Dès qu'il y a un doute, dès qu'il y a une enquête, dès que la justice est saisie, je ne crois pas qu'il faille attendre la condamnation. Ce n'est pas une affaire de respect de la présomption d'innocence, c'est une affaire de protection des enfants, et donc, à ce moment-là, il faut que les gens puissent travailler dans des bureaux et pas en contact avec des enfants.
JEAN-MICHEL APHATIE
Nous regarderons attentivement les résultats de cette enquête administrative cet après-midi. L'affaire de la jupe suscite également le débat à l'école, une adolescente, scolarisée dans un collège de Charleville-Mézières, se voit refuser l'entrée de son établissement scolaire à cause d'une jupe longue et noire. « C'est un signe religieux ostentatoire » dit l'équipe éducative. Vous soutenez l'équipe éducative ou vous trouvez, comme certains, qu'on en fait trop en matière de laïcité ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, je voudrais qu'on ait une pensée pour les enseignants quand même, à cet instant. Le premier dossier dont on a parlé c'est des affaires de pédophilie à l'école, le deuxième dossier c'est une affaire de pratique ostentatoire et de prosélytisme à l'école, l'école est quand même…
JEAN-MICHEL APHATIE
On est en première ligne quand on est enseignant.
LAURENCE ROSSIGNOL
En première ligne, soit avec les psychopathologies des déviants, soit avec les tensions de la société. Dans cette affaire je crois que la communauté éducative a été extrêmement réfléchie, elle n'a pas agi à la légère, elle a discuté, ils ont pris une décision collective. Et ce qui est en cause, il ne faut pas caricaturer, ce n'est pas l'affaire de la longueur de la jupe, c'est un comportement global, d'un groupe d'élèves, dans une école, qui est un comportement ostentatoire. Mais ce qui est important, quand même, dans la laïcité, c'est qu'on ait en tête que la laïcité est là pour permettre à chacun de pratiquer la religion qu'il souhaite pratiquer, dans les formes dans lesquelles il veut les pratiquer, mais la laïcité protège aussi les autres, de ces religions. Et, ce qu'on observe aujourd'hui, chez les jeunes en particulier, c'est que des groupes extrêmement obs…
JEAN-MICHEL APHATIE
Prosélytes.
LAURENCE ROSSIGNOL
Observant des pratiques religieuses, des coutumes, exercent des pressions sur les autres. Chez les jeunes aujourd'hui – ce sont les éducateurs qui me racontent ça – quand ils font un déplacement à la mer, ils emmènent les gamins pendant une journée à la mer, au bout de 10 minutes la question c'est « qu'est-ce qu'on mange, comment on le mange, qu'est-ce que tu manges toi ? » Donc, la laïcité protège ceux qui veulent pratiquer un tout petit peu, pas du tout, pas beaucoup, de ceux qui voudraient mettre tout le monde sous la coupe de l'interprétation des lois religieuses. Et ce qui est important dans cette affaire d'école c'est qu'en ouvrant le dialogue avec les parents, comme l'a fait la communauté éducative, et en marquant une limite, en même temps ils ont protégé les autres élèves qui, elles, ne souhaitent pas la même observance de ces lois religieuses, c'est ça la laïcité.
JEAN-MICHEL APHATIE
On a du mal à tracer les contours d'une laïcité précisément. Le voile à l'université, vous seriez favorable à ce que les étudiantes enlèvent le voile dans un amphi, Laurence ROSSIGNOL ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, moi je suis favorable à ce que ces sujets se règlent au cas par cas, comme ça a été le cas pendant toute cette année. On a beaucoup parlé de l'affaire de la jupe parce qu'on en a eu connaissance…
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais le foulard à l'université, il faudrait l'enlever ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Le foulard à l'université, non, je ne suis pas favorable à ce qu'on impose aux étudiantes d'enlever leur foulard, d'abord parce que l'université est un lieu de rayonnement international, nous voulons attirer le plus possible d'étudiantes étrangères dans nos universités, et il faut qu'elles s'y sentent bien.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc là c'est allé trop loin ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est allé trop loin. Nous sommes là avec des individus adultes, et ce n'est pas les mêmes sujets, et puis s'il faut enlever le voile, il faut aussi enlever les barbus, parce qu'il n'y a pas de raison que ce soit toujours sur les femmes que les choses se concentrent, il y a des barbus extrêmement prosélytes, et puis après il y a des barbues pas prosélytes et on est parti dans quelque chose…
JEAN-MICHEL APHATIE
Là ça dépend de la longueur de la barbe.
LAURENCE ROSSIGNOL
Et voilà, et on est parti dans une affaire compliquée. Donc, l'université ce n'est pas la même chose que le collège ou le lycée.
JEAN-MICHEL APHATIE
Un autre fait divers tragique a beaucoup retenu l'attention, il s'agit de ce jeune garçon, 14 ans, Moussa, fauché par une rafale de fusil mitrailleur à Trappes vendredi après-midi. Que faire face à cette violence et ce fait divers ne symbolise-t-il pas l'échec des politiques de réhabilitation des quartiers ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ce fait divers illustre ce que le Premier ministre avait dit il y a quelques mois, qu'il y a des quartiers qui sont des quartiers ghettos, des quartiers dans lesquels la violence est interne aux quartiers, et dans lesquels…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il avait parlé d'apartheid.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, il a parlé d'apartheid aussi, mais dans lesquels…
JEAN-MICHEL APHATIE
Vous reprendriez ce mot-là à votre compte ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense que ce mot d'apartheid est un mot qui peut être tout à fait utilisé dans un certain nombre de quartiers, effectivement, quand il y a moins de droits pour les individus, c'est ça l'apartheid. Mais surtout sur Trappes et ces quartiers dans lesquels en fait ceux qui veulent s'en sortir, c'était le cas du petit Moussa, c'était un gamin qui travaillait bien à l'école, qui ne posait pas de problème de comportement, qui n'était absolument pas dans des troubles de délinquant, et ce petit enfant il s'est trouvé – c'est enfant encore à 14 ans – il s'est trouvé au mauvais moment. Donc, ce que l'on fait, ce que fait le ministre de l'Intérieur, c'est d'abord d'avoir considérablement augmenté les moyens de police dans ces quartiers, de combattre, avec la plus grande détermination, à la fois les trafics de stupéfiants et les trafics d'armes, qui sont souvent mélangés, dans les activités des délinquants, et aussi d'apporter à ces quartiers un accompagnement culturel et éducatif pour permettre aux parents, qui veulent s'en sortir, et qui veulent que leurs enfants s'en sortent, de résister à la montée de la délinquance. Mais ce n'est pas un sujet facile et j'invite tout le monde, et en particulier l'opposition, à ne pas sauter sur ces faits divers avec une joie gourmande…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi, vous trouvez qu'elle l'a fait ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, il y en a un certain… à chaque fois de toute façon, à chaque fois qu'il y a un drame.
JEAN-MICHEL APHATIE
Non, mais là précisément, il y a quelque chose qui vous a choquée ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, j'ai trouvé… un des députés UMP, qui tout de suite a dit « c'est le symbole de l'échec. » Non, c'est le symbole d'un des drames de nos sociétés, qui est la montée de la délinquance, et de la violence, dans certains quartiers.
JEAN-MICHEL APHATIE
Question purement familiale, pour terminer Laurence ROSSIGNOL. Samedi soir sur France 2, dans le cadre de son émission « Les années bonheur », émission souvent regardée en famille, Patrick SEBASTIEN a fait chanter à ses invités une chanson dont voici le refrain, je cite Patrick SEBASTIEN : « une petite pipe avant d'aller se coucher, une petite pipe avant d'aller dormir. » De nombreux téléspectateurs se sont dit choqués par ces paroles, dérangés par les questions que leurs enfants leur ont posées ensuite. Vous avez été choquée, vous, ou vous pensez que cette forme de gaudriole peut être autorisée à la télévision à 20H50 ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Non, ça m'avait échappé. Je trouve ça…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça vous a échappé ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ça m'a échappé, mais vous me l'apprenez, je trouve ça extrêmement choquant, je pense que ceux qui ont la responsabilité, la chance d'animer une émission de télévision, doivent aussi se comporter dans le respect des familles, et ce n'est pas une question relative avec des familles plus ou moins détendues sur ces sujets-là, c'est une question, d'abord, de respect des enfants, parce que je trouve ça limite incestueux que de faire chanter ça dans une famille à 20H50. Or, la lutte contre l'inceste et la pédophilie est une de mes priorités.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est le mot de la fin. Laurence ROSSIGNOL, chargée de la Famille, était l'invitée de RTL ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 mai 2015