Déclaration de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur l'égalité des chances dans l'éducation et la formation, notamment la formation continue, la validation des acquis professionnels et de l'expérience, Paris le 13 octobre 2001.

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Circonstance : Colloque Education et formation présentation du projet des socialistes à Paris le 13 octobre 2001

Texte intégral

Les thèmes et les questions dont nous débattons ensemble aujourd'hui sont au cur du combat permanent pour l'égalité, de la lutte toujours renouvelée que nous menons contre l'exclusion, la pauvreté et les inégalités sous toutes leurs formes.
C'est un combat jamais achevé car les sources d'inégalités surgissent en permanence même quand nous parvenons à en tarir certaines.
L'évolution de la société fait que les inégalités se renouvellent.
Mais le meilleur moyen de supprimer les inégalités est encore de développer l'égalité des chances et d'en créer les conditions.
Bien sûr il faut lutter directement contre les inégalités par l'octroi de droits nouveaux et même en développant " les discriminations positives ", il s'agit d'inverser le rapport inégalitaire.
Mais la protection et l'assistance aux plus fragiles, aux plus démunis ne peut être le volet unique de notre action, dans une vision de gauche moderne.
L'égalité des chances permet aux victimes des inégalités de " prendre leur chance ", de prendre leur vie en mains.
Il nous appartient d'ouvrir des voies nouvelles et de créer les conditions de cette égalité. Pour cela il faut inventer les moyens du " sur mesure ", les moyens de s'adresser à l'ensemble de la personne, de mettre au point des systèmes individualisés d'accession à la connaissance et au savoir-faire.
Une approche plus personnalisée des réponses, plus réactive et dans le même temps, plus structurée qui permette à chacun de maîtriser sa propre vie, c'est à dire non pas d'acquérir des connaissances techniques qui deviennent vite obsolètes, mais la capacité à réagir, à s'adapter, à communiquer.
Le succès des aides à la création d'entreprises démontre le réalisme d'une démarche qui donne sa chance à celui qui ose et veut se lancer. Selon les années, 30 à 50 % des entreprises créées le sont par des chômeurs et souvent de longue durée. Et le taux de survie de ces entreprises créées par des chômeurs est de 50 à 55 % au bout de cinq ans alors que pour l'ensemble des entreprises créées, c'est le taux atteint dès la troisième année.
Ce n'est pas le " chacun pour soi et que le meilleur gagne " des économies libérales, mais une démarche politique qui fait appel à la responsabilité individuelle mais dans le cadre de garanties collectives.
L'égalité des chances dans l'éducation et la formation est certainement le plus puissant moteur de promotion sociale et de suppression des inégalités.
C'est par la démocratisation de l'éducation en maintenant l'exigence de la qualité, que la III° république a promu la démocratie politique et sociale.
Nous devons avoir la même ambition avec la formation professionnelle continue et sa rénovation. Et pour cela il faut mieux relier l'éducation initiale et la formation tout au long de la vie. C'est ainsi que l'on pourra mener le combat contre la " spécialisation des espaces et du temps " (J. Delors)
Le projet Éducation - formation, un projet fondateur d'une réelle égalité des chances vers la société du plein emploi que nous voulons.
Il est sans doute inutile de rappeler ici, combien l'éducation, la formation, l'accès au savoir et à sa maîtrise, à la culture, sont les leviers du développement personnel, de l'enrichissement collectif sur les quels se fonde la citoyenneté, combien aussi le droit du travail, l'accès à l'emploi fondent la dignité, cimentent la cohésion sociale, forgent le sentiment d'utilité et d'appartenance à la collectivité.
Le contexte économique, les changements techniques et organisationnels bouleversent profondément les conditions d'intégration dans l'emploi et le déroulement de la vie professionnelle. La croissance forte des années 70 était fondée sur la production de biens et de service standardisés sur des marchés relativement stables : elle se satisfaisait du " travail en miettes " assumé par une masse d'ouvriers spécialisés sans qualification.
Celle de ce début de siècle est fondée sur la réactivité des entreprises et des salariés et sur la capacité d'innovation dans un contexte économique caractérisé par l'incertitude et la faible prévisibilité des marchés : l'aptitude des salariés aux changements d'organisation, leur multi ou poly compétence, leur capacité d'adaptation aux nouvelles technologies sont évidemment des atouts communs aux entreprises pour leur compétitivité, - aux salariés pour assurer leur progression professionnelle.
Le modèle de l'emploi à durée indéterminée et de la progression de carrière à l'ancienneté au sein de la même entreprise laisse place à une plus grande fragilité des relations d'emploi et à la multiplicité des ruptures dans la vie professionnelle. La précarité des contrats s'est accrue (CDD, intérim ... ) et on doit lutter pour réduire les nombreux abus dans ce domaine (grâce au projet de la loi de modernisation sociale), même si cette précarité répond parfois à une exigence de réactivité des entreprises.
Les nouvelles formes d'organisation du travail exigent beaucoup plus qu'auparavant : formation, adaptabilité, capacité d'autonomie, mais sans offrir en échange, les mêmes garanties, en terme de stabilité d'emploi, de progression de carrière.

Ces tendances sont accentuées aujourd'hui par le développement de formes d'organisation en réseaux qui conduisent à des relations complexes de sous-traitance ou de co-traitance. Les collectifs de travail plus traditionnels laissent place à un éclatement des relations de travail et d'emploi : les liens juridiques avec l'employeur ne se confondent plus nécessairement avec les liens économiques ou avec l'appartenance à des collectifs de travail qui débordent souvent les frontières de l'entreprise.
Il nous faut d'abord favoriser la stabilité et le développement de l'emploi chaque fois que cela est possible. La fragilité des relations d'emplois s'avère d'ailleurs parfois contraire aux intérêts économiques des entreprises en particulier lorsqu'elle entraîne des pertes de savoir-faire et l'éclatement des collectifs de travail, je pense aux salariés de 40 ou 50 ans qu'on expulse des entreprises.
Il nous faut également favoriser la continuité des trajectoires professionnelles tout autant que la stabilité et qualité des emplois.
La France crée plus d'emplois qu'elle n'en détruit, le plein emploi demeure un objectif pertinent, à condition que nous puissions relever le niveau de qualification indispensable au dynamisme de notre économie et de tous ses acteurs.
Dans cet objectif, le développement de la formation tout au long de la vie doit permettre à chacun de mettre à jour en permanence ses savoir-faire et ses connaissances. Or nous savons que la formation continue, formidable conquête sociale il y a 30 ans (J. Delors), telle qu'elle est organisée aujourd'hui contribue à l'accentuation des écarts entre les mieux intégrés et ceux dont l'insertion dans l'emploi et la plus fragile. Elle creuse les inégalités, elle ne répond pas toujours à l'exigence de qualité, elle ne favorise pas la mobilité, elle est même difficilement compatible avec la promotion interne, et les congés formation sont quasi inexistants dans les PME.

Elle doit être au contraire un moyen pour tous de consolider son professionnalisme et de mieux valoriser ses acquis.
On doit d'ailleurs saluer la volonté des partenaires sociaux de remettre en chantier le cadre institutionnel qui régit depuis le début des années 70 la formation continue des salariés. Tout le monde convient que les dispositifs construits, il y a trente ans s'essoufflent et qu'ils ne répondent plus aux exigences du marché du travail actuel. Il faut espérer que la négociation en cours porte ses fruits et que les innovations proposées concourent réellement à une meilleure égalité d'accès et à la construction de parcours qualifiants.
Mais la formation tout au long de la vie est aussi un droit social, fondé sur la solidarité. C'est cette solidarité qui assure une sécurité individuelle et collective face aux risques omniprésents des incertitudes et des aléas dans la vie professionnelle. C'est pourquoi, il nous faut mettre en uvre un droit nouveau. Ce droit devra compléter ceux qui sont directement lié au contrat de travail et à son exécution : par exemple l'obligation d'adaptation des compétences qui s'imposent désormais aux employeurs ou les actions de formation négociées dans les branches et dans les entreprises.
Ce droit n'est pas seulement une exigence de nature économique : adapter les compétences aux exigences des entreprises ; il doit être aussi un facteur d'égalité, que ceux qui n'auront pas pu faire usage de ce droit lors de leur formation initiale aient la possibilité de poursuivre ou reprendre une formation en cours de vie professionnelle.
L'accès à la formation en cours de vie professionnelle favorise la confrontation permanente des savoirs construits dans l'action et les connaissances plus formelles, dispensés à l'école ou à l'université. L'idée de formation tout au long de la vie traduit aussi cette orientation : c'est une exigence de confrontation permanente entre les acquis de l'expérience et les connaissances structurées.
Elle fonde la pédagogie de l'alternance qui s'est beaucoup développé ces dernières années et qu'il faut amplifier, sous toutes ses formes (alternance dans les cursus de formation scolaire, apprentissage, contrats de qualification pour les adultes et pour les jeunes en cours d'insertion).
C'est également ce qui fonde le projet de validation des acquis de l'expérience. Le dispositif existe depuis 1992 mais s'est très peu développé, nous voulons renforcer, amplifier cette possibilité dans le PLMS. Permettre à tous les adultes d'obtenir un diplôme ou un titre au vu de ses acquis professionnels est un progrès décisif pour faciliter la progression professionnelle, surtout dans un pays où une large partie de la population active est sortie de manière précoce du système éducatif.
Je suis heureuse qu'Annie Thomas aie confirmé que les partenaires sociaux veuillent s'impliquer dans les systèmes de validation des acquis, et en particulier les syndicats car il ne faudrait pas laisser ce système à des " marchands de soupe " peu scrupuleux.
Développer la validation des acquis de l'expérience, c'est avant tout permettre à chacun de valoriser ce qu'il sait faire, baliser les parcours professionnels par des titres et des diplômes construits avec les partenaires sociaux et reconnaître la diversité des manières d'apprendre. (Je pense en particulier aux jeunes qui sortent de l'école sans qualification).
C'est un changement radical dans notre manière d'aborder la formation et la construction des compétences et des qualifications. C'est aussi un moyen de donner aux salariés des garanties que n'offrent pas les systèmes de validation des compétences internes aux entreprises.
Construire des garanties collectives et donner à chacun le moyen d'exercer sa responsabilité.
La formation tout au long de la vie doit donc s'inscrire dans des garanties collectives et non reporter sur les salariés eux-mêmes les conséquences des aléas de la vie professionnelle.
Pour faire face à ces aléas, le patronat affirme régulièrement que les salariés doivent être responsables de leur employabilité. Si cela signifie que chacun doit assumer la charge de sa propre formation nous ne pouvons qu'affirmer notre désaccord avec cette conception. Nous refusons une société dans laquelle, au nom de la nécessaire acceptation des risques que comporte désormais la vie professionnelle, ce serait à chacun d'assumer seul la construction de sa qualification. L'accès à la formation ne peut résulter de la seule prévoyance des salariés à travers des mécanismes d'épargne personnelle. Ce serait d'ailleurs oublier que la capacité d'épargne est extrêmement variable selon les situations, que ce sont les moins rémunérés qui ont la capacité d'épargne la plus faible et qu'un tel système ne peut qu'accroître les inégalités. Là encore, comme pour les retraites, nous refusons les systèmes de capitalisation.
On ne peut pas demander aux salariés d'être responsables sans leur reconnaître des droits. On ne peut pas encourager la nécessaire mobilité du travail sans imaginer de nouvelles garanties collectives pour rendre cette mobilité compatible avec les droits de la personne.
La mise en uvre de ces droits nouveaux, à l'instar de celui que nous sommes en train d'adopter sur la validation des acquis de l'expérience, nous obligent à explorer des pistes résolument novatrices.
Nous voulons abolir le cloisonnement, voire l'affrontement entre éducation et formation. C'est une évolution fondamentale car elle nous impose de faire évoluer nos repères et nos modes de représentation, notre conception de l'excellence et des conditions de son accès.
Le temps n'est plus où l'on pouvait acquérir en début de vie l'ensemble des connaissances générales et techniques nécessaires à l'exercice de son activité professionnelle et sa participation à la vie sociale.
Près de la moitié des adultes déclarent d'ailleurs exercer une activité professionnelle sans lien réel avec leur formation initiale. Face à cette réalité,
- il ne s'agit pas de relâcher notre effort pour développer la formation initiale, ni de différer à l'âge adulte ce que l'on peut acquérir en début de vie,
- il s'agit bien de permettre à chacun de développer ses connaissances et ses compétences au fur et à mesure de sa progression professionnelle.
- Il s'agit aussi de faciliter l'accès des jeunes à l'emploi en contribuant ainsi à leur autonomie et de maintenir les salariés expérimentés dans l'emploi.
Toute cette démarche s'inscrit dans la stratégie européenne pour l'emploi et la construction de nouvelles garanties.
Elle appelle une dynamique du dialogue social comme elle interpelle l'Etat dans sa responsabilité d'assurer la continuité, la qualité, la cohérence, affectivité de ce nouveau droit.
Le projet éducation-formation tout au long de la vie peut être un nouveau droit universel. Il sera d'autant plus fécond que nous aurons auparavant et en amont :
- éradiqué la pauvreté en se fixant des objectifs précis et attaqué plus efficacement le noyau dur du chômage, je pense en particulier à l'aide et l'accompagnement aux jeunes mères de famille isolées.
- Je crois que ce projet à un sens profond qui est celui de faire progresser l'autonomie de tous dans le cadre de garanties collectives.
- Ce droit à l'autonomie, au choix de chacun avec les garanties collectives, nous l'incarnerons aussi dans un autre projet : celui du " contrat autonomie des jeunes ".
- Pour une société qui donne sa chance à tous, à tout âge et à tous les âges de la vie.
(source http://www.travail.gouv.fr, le 26 octobre 2001)