Texte intégral
M. le Maire,
M. le Préfet,
Mme la Présidente de l'association,
Mesdames, Messieurs
Je suis très honorée d'être présente parmi vous aujourd'hui, à Nanterre, pour cette cérémonie de commémoration des victimes de l'esclavage et de la traite négrière.
Je n'ai pu être présente dans les jardins du Luxembourg le 10 mai dernier. Le 10 mai dernier, je me trouvais à Point-à-Pitre avec de nombreux invités dont plusieurs ministres. A Point-à-Pitre, le Président de la République, accompagné par le bruit des conques et des tambours, a inauguré le Mémorial ACTe.
Sur cette côte qui a accueilli durant des siècles des navires aux cales remplies d'hommes, de femmes et d'enfants condamnés au plus tragique des destins, à cet endroit où des générations de travailleurs ont peiné durement dans l'usine sucrière, pour la canne, un monument de mémoire a été érigé.
Ce travail de mémoire, dont le 10 mai comme la cérémonie d'aujourd'hui et celles qui suivront dans les régions d'Outre-mer (le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane, le 20 décembre à la Réunion), c'est ce que notre présent doit au passé. C'est ce que nous, les vivants, devons aux victimes. Oublier les victimes de la tragédie de l'esclavage serait les faire mourir une seconde fois. A titre individuel, aussi bien qu'à titre collectif, rendre hommage à tous ceux que la barbarie et la veulerie humaines ont enchaînés, exploités, martyrisés, c'est rendre à ces hommes, la dignité dont les esclavagistes ont cherché à les priver.
C'est également faire de notre mémoire le tombeau de tous ceux qui ont été privés de sépulture. La descendante d'esclave que je suis ne confondra jamais pourtant la mémoire et l'identification. Je suis une descendante de victime, je ne suis pas une victime. Le respect que nous devons à tous ceux qui ont été humiliés, estropiés, qui ont été jetés par-dessus bord,, qui ont été piétinés par l'Histoire, c'est précisément de ne jamais nous prendre pour eux.
Lors de cette cérémonie de commémoration sur le site de l'ancienne usine sucrière Darboussier comme une semaine auparavant à Dachau pour les commémorations du 70e anniversaire de la libération du camp, c'est le sentiment que ces crimes contre l'humanité nous resterons à jamais inimaginables, et inconcevables que j'ai éprouvé.
Nous voudrions prendre sur nous une part de la souffrance qu'ils ont enduré. Et ce n'est pas possible. Nous voudrions alléger ceux qui sont morts d'une part, même infime, de ce qu'ils ont subi. Et nous ne le pouvons pas.
Nous voudrions que notre chagrin et notre peine puissent être à la hauteur de ces catastrophes. Et nous ne le pouvons pas. Nous ne pouvons que peu de choses. Nous ne pouvons que rendre hommage à ces hommes, ces femmes et ces enfants que nous n'avons pas connus. Mais ne nous laissons pas emmurer dans un passé sur lequel nous n'avons pas de prise. Ce que nous pouvons, ce que nous devons aux victimes, ce que nous nous devons à nous-mêmes, c'est d'exercer une vigilance sans relâche pour que ces crimes ne puissent plus se reproduire. Ce que nous pouvons et ce que nous devons, c'est également de frapper d'une main ferme tous ceux qui livrent aujourd'hui des êtres humains à un sort similaire à celui des esclaves.
Ce que nous pouvons, c'est lutter sans relâche contre le racisme, les discriminations, la volonté de séparer, classer, humilier des hommes. « L'avenir », écrivait Aimé Césaire, « n'est rien si on ne se souvient pas. » Je rappellerai également la parole du philosophe George Santayana : « Une civilisation qui oublie son passé est condamnée à le revivre. » Un avenir sur lequel l'Histoire ne projetterait pas son ombre serait condamné à la perte et à l'insignifiance. Un présent qui ne tirerait pas enseignement des éclats comme des désastres du passé vouerait à l'échec son propre avenir.
Si ce passé terrible n'est pas dit, n'est pas élucidé, n'est pas mis en commun, il continuera à entretenir les blessures, les dissensions et les replis sur soi. La tentation est toujours grande pour un peuple d'enterrer ce qu'il voudrait n'avoir jamais existé. Mais la France est une nation suffisamment fière, suffisamment forte et suffisamment courageuse pour se regarder, pour se retourner sur son Histoire et assumer sa part de désolation.
Nous savons que le passé ronge le présent avec d'autant plus de hargne et de férocité qu'il est refoulé. Nous ne voulons pas d'un passé qui ne passe pas. Nous devons assumer notre passé désuni si nous voulons assurer notre avenir commun.
Nous sommes dans une période historique où cette mémoire de l'esclavage voit seulement le jour, ose seulement depuis quelques années s'exprimer librement. Nous ne pouvons que constater les crispations, les colères et les rancunes. Combattons-les, mettons en uvre tout ce qu'il nous est possible de faire pour les apaiser, mais ne nous en alarmons pas. Le travail de mémoire et le travail de deuil arrive bien plus tard qu'il n'aurait dû l'être. Il n'est pas souhaitable mais il est humain qu'il entraîne à sa suite des colères. A mesure que ce travail avancera, que ces blessures pourront être reconnues et pourront être dites, ces colères s'apaiseront. Ce travail de mémoire, nous avons à le construire en commun. Il n'y a pas d'un côté la mémoire des uns et d'un autre la mémoire des autres. L'Histoire de l'esclavage n'est pas l'Histoire des descendants d'esclaves, pas plus que la Shoah ne serait seulement celles des enfants ou des petits enfants de déportés. Le peuple français est un. Cette Histoire est celle de notre République .
Nous devons continuer à faire en sorte que cette mémoire devienne un bien commun et un patrimoine de vigilance pour nous tous et pour les générations futures. Que tous ceux dont les parents, les grands-parents, les ancêtres, ont été suppliciés par l'Histoire cessent leurs oppositions aussi stériles qu'indignes. Qu'ils cherchent au contraire dans leur peine et dans la détresse de ceux qui les ont précédés un lieu de reconnaissance et de solidarité.
Enfin, ne laissons pas aux crimes et aux criminels le monopole de la mémoire. Ne laissons pas les grands hommes, les grandes uvres de l'esprit et de la culture, les grandes réalisations être traités à égalité avec ce que l'humain a eu de pire. Rappelons aussi aux descendants d'esclaves non pas uniquement ce que leurs ancêtres ont souffert, mais aussi ce qu'ils ont accompli, ce qu'ils ont construit, ce qu'ils ont forgé et ce qu'ils ont créé. L'esclavage est loin d'être le seul héritage des descendants d'esclave. Ils sont également les héritiers de cultures, de créations artistiques, de grandes figures politiques et d'inventions innombrables. Soyons là pour rappeler à ceux qui pensent qu'ils n'ont à recevoir des mains du passé que le chaos, qu'ils ont également à en recevoir les plus hauts accomplissements de la civilisation.
Merci à vous.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 29 mai 2105
M. le Préfet,
Mme la Présidente de l'association,
Mesdames, Messieurs
Je suis très honorée d'être présente parmi vous aujourd'hui, à Nanterre, pour cette cérémonie de commémoration des victimes de l'esclavage et de la traite négrière.
Je n'ai pu être présente dans les jardins du Luxembourg le 10 mai dernier. Le 10 mai dernier, je me trouvais à Point-à-Pitre avec de nombreux invités dont plusieurs ministres. A Point-à-Pitre, le Président de la République, accompagné par le bruit des conques et des tambours, a inauguré le Mémorial ACTe.
Sur cette côte qui a accueilli durant des siècles des navires aux cales remplies d'hommes, de femmes et d'enfants condamnés au plus tragique des destins, à cet endroit où des générations de travailleurs ont peiné durement dans l'usine sucrière, pour la canne, un monument de mémoire a été érigé.
Ce travail de mémoire, dont le 10 mai comme la cérémonie d'aujourd'hui et celles qui suivront dans les régions d'Outre-mer (le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane, le 20 décembre à la Réunion), c'est ce que notre présent doit au passé. C'est ce que nous, les vivants, devons aux victimes. Oublier les victimes de la tragédie de l'esclavage serait les faire mourir une seconde fois. A titre individuel, aussi bien qu'à titre collectif, rendre hommage à tous ceux que la barbarie et la veulerie humaines ont enchaînés, exploités, martyrisés, c'est rendre à ces hommes, la dignité dont les esclavagistes ont cherché à les priver.
C'est également faire de notre mémoire le tombeau de tous ceux qui ont été privés de sépulture. La descendante d'esclave que je suis ne confondra jamais pourtant la mémoire et l'identification. Je suis une descendante de victime, je ne suis pas une victime. Le respect que nous devons à tous ceux qui ont été humiliés, estropiés, qui ont été jetés par-dessus bord,, qui ont été piétinés par l'Histoire, c'est précisément de ne jamais nous prendre pour eux.
Lors de cette cérémonie de commémoration sur le site de l'ancienne usine sucrière Darboussier comme une semaine auparavant à Dachau pour les commémorations du 70e anniversaire de la libération du camp, c'est le sentiment que ces crimes contre l'humanité nous resterons à jamais inimaginables, et inconcevables que j'ai éprouvé.
Nous voudrions prendre sur nous une part de la souffrance qu'ils ont enduré. Et ce n'est pas possible. Nous voudrions alléger ceux qui sont morts d'une part, même infime, de ce qu'ils ont subi. Et nous ne le pouvons pas.
Nous voudrions que notre chagrin et notre peine puissent être à la hauteur de ces catastrophes. Et nous ne le pouvons pas. Nous ne pouvons que peu de choses. Nous ne pouvons que rendre hommage à ces hommes, ces femmes et ces enfants que nous n'avons pas connus. Mais ne nous laissons pas emmurer dans un passé sur lequel nous n'avons pas de prise. Ce que nous pouvons, ce que nous devons aux victimes, ce que nous nous devons à nous-mêmes, c'est d'exercer une vigilance sans relâche pour que ces crimes ne puissent plus se reproduire. Ce que nous pouvons et ce que nous devons, c'est également de frapper d'une main ferme tous ceux qui livrent aujourd'hui des êtres humains à un sort similaire à celui des esclaves.
Ce que nous pouvons, c'est lutter sans relâche contre le racisme, les discriminations, la volonté de séparer, classer, humilier des hommes. « L'avenir », écrivait Aimé Césaire, « n'est rien si on ne se souvient pas. » Je rappellerai également la parole du philosophe George Santayana : « Une civilisation qui oublie son passé est condamnée à le revivre. » Un avenir sur lequel l'Histoire ne projetterait pas son ombre serait condamné à la perte et à l'insignifiance. Un présent qui ne tirerait pas enseignement des éclats comme des désastres du passé vouerait à l'échec son propre avenir.
Si ce passé terrible n'est pas dit, n'est pas élucidé, n'est pas mis en commun, il continuera à entretenir les blessures, les dissensions et les replis sur soi. La tentation est toujours grande pour un peuple d'enterrer ce qu'il voudrait n'avoir jamais existé. Mais la France est une nation suffisamment fière, suffisamment forte et suffisamment courageuse pour se regarder, pour se retourner sur son Histoire et assumer sa part de désolation.
Nous savons que le passé ronge le présent avec d'autant plus de hargne et de férocité qu'il est refoulé. Nous ne voulons pas d'un passé qui ne passe pas. Nous devons assumer notre passé désuni si nous voulons assurer notre avenir commun.
Nous sommes dans une période historique où cette mémoire de l'esclavage voit seulement le jour, ose seulement depuis quelques années s'exprimer librement. Nous ne pouvons que constater les crispations, les colères et les rancunes. Combattons-les, mettons en uvre tout ce qu'il nous est possible de faire pour les apaiser, mais ne nous en alarmons pas. Le travail de mémoire et le travail de deuil arrive bien plus tard qu'il n'aurait dû l'être. Il n'est pas souhaitable mais il est humain qu'il entraîne à sa suite des colères. A mesure que ce travail avancera, que ces blessures pourront être reconnues et pourront être dites, ces colères s'apaiseront. Ce travail de mémoire, nous avons à le construire en commun. Il n'y a pas d'un côté la mémoire des uns et d'un autre la mémoire des autres. L'Histoire de l'esclavage n'est pas l'Histoire des descendants d'esclaves, pas plus que la Shoah ne serait seulement celles des enfants ou des petits enfants de déportés. Le peuple français est un. Cette Histoire est celle de notre République .
Nous devons continuer à faire en sorte que cette mémoire devienne un bien commun et un patrimoine de vigilance pour nous tous et pour les générations futures. Que tous ceux dont les parents, les grands-parents, les ancêtres, ont été suppliciés par l'Histoire cessent leurs oppositions aussi stériles qu'indignes. Qu'ils cherchent au contraire dans leur peine et dans la détresse de ceux qui les ont précédés un lieu de reconnaissance et de solidarité.
Enfin, ne laissons pas aux crimes et aux criminels le monopole de la mémoire. Ne laissons pas les grands hommes, les grandes uvres de l'esprit et de la culture, les grandes réalisations être traités à égalité avec ce que l'humain a eu de pire. Rappelons aussi aux descendants d'esclaves non pas uniquement ce que leurs ancêtres ont souffert, mais aussi ce qu'ils ont accompli, ce qu'ils ont construit, ce qu'ils ont forgé et ce qu'ils ont créé. L'esclavage est loin d'être le seul héritage des descendants d'esclave. Ils sont également les héritiers de cultures, de créations artistiques, de grandes figures politiques et d'inventions innombrables. Soyons là pour rappeler à ceux qui pensent qu'ils n'ont à recevoir des mains du passé que le chaos, qu'ils ont également à en recevoir les plus hauts accomplissements de la civilisation.
Merci à vous.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 29 mai 2105