Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la lutte contre le dérèglement climatique, à Marseille le 4 juin 2015.

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Circonstance : Forum MEDCOP21, à Marseille le 4 juin 2015

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Ministre, Chère Hakima,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je suis venu cet après-midi à Marseille parce que, d'une part, j'avais pris cet engagement vis-à-vis du président Michel Vauzelle - vous savez que quand Michel Vauzelle demande quelque chose, il n'est pas question de dire non, et que j'aime bien tenir mes engagements - et parce que je savais que je vous rencontrerai, notamment, ma collègue et amie, ministre marocaine de l'environnement ; et puis aussi parce que comme président de la COP21, ce qui se fait ici m'intéresse énormément.
Dans le droit fil de ce qui a été fort bien dit avant moi, je voudrais juste semer deux, trois petits cailloux.
D'abord, une réflexion. Au moment même où nous nous réunissons, il y a beaucoup de réunions à travers le monde qui portent sur des sujets voisins et, en particulier, trois d'entre elles qui, par leur conjonction, me paraissent très significatives.
Il y a une réunion à Bonn appelée «ADP» - j'y reviendrai dans un instant. Nous nous y trouvions au début de la semaine avec Hakima. Ce sont les délégués de tous les pays qui planchent pour élaborer le texte qui me sera remis au mois d'octobre. Et puis il va y avoir, dans les heures qui viennent, la réunion du G7, c'est-à-dire les pays les plus riches, en Allemagne.
Il me semble que la conjonction de ces trois réunions nous montre assez ce qu'il faut faire si on veut - et c'est indispensable - parvenir à un bon résultat à Paris.
À Bonn, dans une salle immense qui a été construite d'ailleurs récemment, se sont réunis des délégués venus des 196 parties du monde - il y a 195 pays mais 196 parties parce que l'Union européenne est elle-même une partie. Ces délégués, qui sont des spécialistes, planchent sur un texte. Le texte a été élaboré à Lima, puis retravaillé et c'est vrai qu'aujourd'hui c'est un ours qui n'est pas trop bien léché encore parce qu'il fait un peu plus de 80 pages. Ce qui me paraît beaucoup plus important que son volume, c'est qu'il contient beaucoup de dispositions qui ne sont pas encore arbitrées. Or, la politique ne consiste pas seulement à énumérer les problèmes mais à trancher entre les solutions. Donc, ces femmes et ces hommes, grands spécialistes de ces questions, vont devoir entrer dans les sujets : Hakima en a traité quelques-uns qui portent parfois des noms étranges pour les non-spécialistes - l'atténuation, l'adaptation, l'additionnalité, enfin toute une série de choses -, mais qui recouvrent en fait, au-delà du jargon, des réalités tout à fait déterminantes pour notre avenir. Ils ont dix jours pour travailler. Ensuite, ils se retrouveront à la fin du mois d'août, au début du mois de septembre. Et puis viendra l'épreuve finale au mois d'octobre et ils devront, à ce moment-là, présenter un texte, me le remettre en tant que président de la COP21. C'est ce texte, normalement, que je devrai soumettre à la conférence.
L'autre jour, je participais à la réunion initiale, comme c'est normal, et je leur ai dit ce qu'est le sentiment général : travaillez bien mais vous avez un énorme travail devant vous parce qu'il faut arriver à préparer ces choix. Si le texte qui nous est remis au mois d'octobre est encore très touffu, si les principales questions n'ont pas commencé d'être abordées et même, pour certaines d'entre elles, réglées, nous nous trouverons devant une vraie difficulté. Je ne veux pas avoir - ce n'est pas du tout l'esprit de la procédure - à sortir un texte de ma poche ; au nom de quoi ? Et on a l'expérience, dans tel et tel COP - le syndrome de Copenhague est resté vivace - que si on n'a pas préparé suffisamment les choses en amont, malgré la bonne volonté des uns et des autres, on a énormément de mal à trouver un terrain d'accord. Imaginez que nous arrivions à Paris avec un texte encore long, touffu, sans pré-arbitrage sur des points importants, même si nous disposons de quelques jours à Paris, vous voyez la pression terrible qui s'exercera et la difficulté. On sait bien, depuis Copenhague, que même les plus grands esprits, les plus grands leaders mondiaux, arrivant à la fin d'une conférence pour essayer d'en tirer un résultat, n'y parviennent pas parce que ce sont des choses très complexes, avec des données techniques qui ne relèvent pas, à ce stade, de l'arbitrage des chefs d'État et de gouvernement.
Je leur ai dit et je pense que cela a été bien compris parce que c'était le sentiment général : vous avez un énorme travail devant vous parce qu'il faut arriver à un texte et vous avez trois séquences de négociation pour y parvenir. C'est indispensable, parce que ce que l'on ne voit pas toujours, c'est que le premier objectif de cette COP de Paris, c'est d'obtenir, pour la première fois dans l'histoire, un accord universel ayant une force juridique, étant différencié, comme on dit, parce que les pays connaissent des situations différentes, pour faire en sorte que les émissions de gaz à effet de serre soient ainsi régulées afin de ne pas dépasser une hausse de la température de 2 degrés.
À la fin de la conférence de Paris, il faudra qu'il y ait un texte et ce texte, je devrais le soumettre au vote des 196 parties. Il ne sera adopté que si tout le monde est d'accord. Vous voyez la difficulté de l'exercice. Il ne s'agit pas seulement de brandir des idées ni même d'échanger des idées, il s'agit de se mettre d'accord et l'accord, comme on dit en bon français, doit être «legally binding» ; il doit avoir une force juridique. Pour cela - ce sont les règles des Nations unies -, il faut que l'accord soit accepté par tout le monde.
Donc, cette réunion de Bonn et les réunions subséquentes, c'est très important.
En même temps, dans le week-end, va se tenir la réunion du G7 qui compte les sept pays les plus riches du monde. Ils vont aborder toute une série de sujets parmi lesquels ils y a le climat.
Pourquoi est-ce important ? C'est important parce que, d'abord, certains d'entre eux sont parmi les plus grands émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre : on pense notamment aux États-Unis d'Amérique ; on pense à tel ou tel grand pays qui, par sa puissance économique, est évidemment, jusqu'à présent, un important émetteur.
C'est important aussi parce que l'un des points les plus fondamentaux, c'est la question de la responsabilité et de l'action. La plupart des pays tiennent à ce que l'accord soit différencié et il n'y aura pas d'accord sans différenciation. La situation des États-Unis n'est pas celle de la Chine, qui n'est pas celle des Maldives, qui n'est pas celle de la Norvège, qui n'est pas celle du Maroc ou celle de la France. Ces grands pays riches ont donc une responsabilité très grande. Ils ont une responsabilité, non seulement pour limiter leurs propres émissions, mais aussi d'un point de vue financier.
Il y a ici les représentants des deux rives de la Méditerranée. L'autre jour, je me trouvais en Afrique dans une réunion où il y avait des spécialistes de l'environnement, des chefs d'État et de gouvernement. Nous parlions amicalement et le langage est à peu près toujours le même : « Oui, Monsieur Fabius, tout le monde est pour un succès de la COP21, tout le monde est pour limiter les gaz à effet de serre, mais nous, pays africains, nous sommes très peu émetteurs. En revanche, nous sommes les premières victimes à cause de ce que vous nous envoyez, si je puis dire, à cause de la nature même du dérèglement climatique, du réchauffement climatique».
Lorsque le GIEC publie ses études, il parle de l'évolution spontanée avec des chiffres effrayants. 2 degrés, c'est l'objectif mais, si on n'agit pas comme il faut, c'est 3, 4, 5 degrés et, dans certaines parties du monde, en particulier en Afrique, encore beaucoup plus, avec d'importantes conséquences : des sécheresses effrayantes, paradoxalement aussi sur des pluies torrentielles ; l'élévation du niveau des eaux et, donc, la diminution des territoires disponibles. À partir de là, il peut y avoir toute une série de conséquences qui, contrairement à ce que parfois l'on pense, ne sont pas liées à l'environnement mais concernent tous les domaines, depuis évidemment la nourriture jusqu'à la santé, en passant par la simple question de la paix ou de la guerre. Car, quand on y réfléchit, la plupart des conflits qui se sont produits depuis l'origine du monde, se sont produits pour la dispute sur des ressources. Lorsque les ressources deviennent rares - et elles deviendront rares si le dérèglement climatique n'est pas entravé - évidemment c'est une source effrayante de conflits, à quoi s'ajoutent - source et conséquences des conflits - des migrations par dizaines et dizaines de millions.
Lorsque je discute avec nos amis africains, la première question est : «oui, bien sûr, nous sommes tout à fait d'accord pour avancer mais où sont les financements et où sont les technologies ?» Ces questions sont parfaitement légitimes.
La réponse leur appartient, bien sûr, notamment en matière de technologie. Le Maroc montre, avec d'autres pays, que l'on peut faire des choses remarquables dans des technologies nouvelles, mais sur la question financière, pardonnez l'évidence, ce sont les pays qui ont le plus de moyens financiers qui doivent le plus contribuer.
Alors, nos prédécesseurs ont fixé un objectif, c'était à Copenhague. Copenhague n'a pas été réussi dans ses résultats mais Copenhague avait fixé un objectif, un chiffre rond, je ne sais pas s'il avait été calculé à la dizaine de milliards près. À Copenhague, il a été dit : l'objectif financier, pour arriver à enrayer ce dérèglement climatique, c'est de trouver en 2020, par an 100 milliards de dollars. C'est ce chiffre qui revient sans cesse dans les raisonnements. Cela ne veut pas dire - parfois il y a confusion - 100 milliards de dollars par an uniquement publics, il s'agit de financement du public et du privé. Cela ne veut pas dire 100 milliards de dollars uniquement budgétaires, il y a des financements publics qui ne sont pas uniquement budgétaires, mais cela fait quand même beaucoup d'argent. Il est évident que l'un des déterminants de succès de la COP, c'est de savoir s'il va y avoir un engagement suffisant de la part des pays riches - ce sont ces G7 dont je parle - pour que les pays en développement ou les pays très pauvres aient confiance et puissent se dire : «oui, il faut que nous nous engagions». Le Maroc l'a fait en publiant sa contribution - ce que l'on appelle en anglais INDC. Tout le monde doit le faire mais ils disent qu'il faut qu'il y ait, de l'autre côté, un geste de confiance. Ce geste de confiance est notamment financier.
C'est la raison pour laquelle - je ne vais pas être plus long là-dessus - je dis qu'il est très important que les travaux à Bonn se passent bien et il est très important - on va le voir - que ce qui va se passer dans le week-end au G7 et qui va traiter notamment du climat, donne ce sentiment de confiance à tous les pays du monde pour qu'ils puissent avancer.
Ici, c'est le troisième côté du triangle parce que, bien sûr, les gouvernements ont des responsabilités immenses. À la fin de la conférence de Paris, ce seront les représentants des gouvernements qui vont lever le doigt. Ce sont les gouvernements qui engagent les pays, c'est la loi démocratique, mais quand on regarde les choses, les émetteurs de gaz à effet de serre ne sont pas essentiellement les gouvernements, qui eux, fixent les conditions. La COP21 sera à la fois un point d'arrivée et un point de départ ; tout ne sera pas réglé. Il y aura donc un gros travail à faire pour nos amis marocains - ils ont toutes les armes pacifiques pour le faire - et pour les COP suivantes.
En revanche, s'il y avait un échec à Paris - nous en avons parlé -, ce serait très difficile pour l'ensemble du processus, parce qu'il est là question de rassembler toutes les bonnes fées pour arriver à un accord. Si l'on n'y arrivait pas, cela voudrait dire que la notion même d'accord est en grande difficulté.
Il faut que tous ceux qui, finalement, sont les vrais émetteurs, les vrais décideurs, pas au sens juridique mais au sens pratique, soient associés à l'oeuvre d'ensemble.
Il faut donc à la fois que ce que l'on appelle «la plateforme de Durban» (ADP), les délégués, préparent le texte et que le G7 prennent les décisions nécessaires pour donner confiance. Il faut également qu'à l'image de ce qui se fait ici pour la Méditerranée, les sociétés civiles se mettent en mouvement dans le bon sens.
C'est pourquoi je crois qu'une réunion comme celle-ci est très intéressante en elle-même et très exemplaires ; des réunions comme celles-ci devraient avoir lieu dans l'ensemble du monde.
En ce qui concerne la Méditerranée, le président de la République hier - j'ai lu attentivement le texte -, Michel Vauzelle et d'autres ont dit ce qu'ils voulaient dire, je ne vais pas exposer la politique française, ce n'est d'ailleurs pas l'objectif de cette réunion sur la Méditerranée. Je pense que l'essentiel du propos a été tenu à la fois par Michel et par Hakima : Michel nous a parlé de la solidarité véritable, pas simplement au sens traditionnel et je dirais peut-être j'allais dire de «prestation sociale». La solidarité est cependant quelque chose de beaucoup plus vaste. J'aime beaucoup ce slogan qui, de plus, est peut-être plus large et plus aisé que tel ou tel autre : «nous sommes tous Méditerranéens». C'est-à-dire que tout ce qui est fait par un a une conséquence sur l'autre et tout ce qui est fait par l'autre à une conséquence sur l'un.
On parle d'économie circulaire mais, là, c'est la société qui est circulaire et ce sont toutes les disciplines qui sont circulaires. On a effectivement à l'esprit les questions de sécurité, mais les questions de sécurité ne sont pas séparables - causes et conséquences - des questions économiques, lesquelles ne sont pas séparables - causes et conséquences -, des questions environnementales, lesquelles ne sont pas séparables des questions de sécurité ; et on reboucle la boucle.
Je pense que ce que nous essayons de faire, ce que vous essayez de faire ici, c'est-à-dire mettre toutes les disciplines ensemble, tous les pays ensemble, du centre et du nord de la Méditerranée, et dire «nous avons un avenir commun, bâtissons-le ensemble et avec la société civile», c'est exactement ce qu'il faut. Voilà comment je comprends le slogan que je voyais au dos d'un teeshirt d'une ravissante jeune fille tout à l'heure : «Nous sommes tous Méditerranéens».
Vous allez me remettre, si j'ai bien compris, un document avec les principaux messages de vos travaux. Eh bien, j'aurai à coeur de les avoir avec moi et d'essayer de les porter parce que mon rôle n'est pas du tout d'imposer quoi que ce soit - je n'en ai ni l'envie ni la capacité -, le rôle de la présidence, si j'ai bien compris - j'ai écouté mes prédécesseurs avec attention -, c'est d'écouter, garder un certain niveau d'ambition - parce que, évidemment, si on se met d'accord mais que l'on descend l'ambition on passe à côté des problèmes -, et avoir le sens du compromis. C'est peut-être pour cela que l'on a choisi un diplomate. Évidemment, lorsque vous avez des pays si différents, il faut quand même trouver le chemin de solutions. C'est là où il est absolument essentiel de travailler avec les groupes de pays. Vous comprenez bien que pour arriver à mettre d'accord 196 parties, si l'on doit discuter avec chacune et chacun, c'est très compliqué ; néanmoins, il faut le faire. Mais il y a des groupes qui existent et le Maroc, dans les groupes auxquels il appartient, joue un rôle tout à fait particulier et important.
Le texte, l'adresse que vous me remettrez, je la recevrai précieusement et j'essaierai d'être fidèle au message que vous avez porté. Je m'aperçois que je suis trop long, je vais donc conclure en vous disant la chose suivante. À l'origine, je n'étais pas un spécialiste de cette question. J'étais sensible, comme beaucoup, aux questions climatiques et, plus largement, aux questions que je croyais à l'époque strictement environnementale. Et puis, comme je suis plutôt du genre laborieux et quand cette responsabilité m'a été confiée, je me suis mis à piocher le sujet. Je crois qu'il y a objectivement à la fois de grandes, de puissantes raisons d'être très inquiet et, en même temps, des raisons d'être optimistes ; ce sont parfois les mêmes.
Il y a quelques années, on ne parlait pas de ces sujets - il y avait de vagues commentaires - et il y avait un grand scepticisme lorsque les scientifiques les abordaient, y compris en France. Je me rappelle que lorsqu'on abordait ces sujets, l'essentiel de la discussion consistait à se poser deux questions : est-ce que vraiment il y a un réchauffement climatique ? Est-ce que ce réchauffement est vraiment dû à l'homme ? Je n'entends plus ces discussions, non pas parce qu'il y a une fatigue, non pas parce que l'esprit critique aurait disparu, mais tout simplement parce que les scientifiques ont fait un travail magnifique, très long. Le GIEC, qui a obtenu le prix Nobel, c'est au bout de très longues études et, petit à petit, à partir d'un consensus mondial, qu'ils sont arrivés à démontrer d'une part que le réchauffement climatique était avéré et que, d'autre part, l'origine humaine était également avéré. De sorte que ce débat n'existe plus, sauf peut-être dans tel ou tel pays. Évidemment, cela change complètement la nature des choses. Il y a cinq ans, les discussions que nous avions pour préparer la COP étaient absolument inimaginables mais, maintenant, c'est autre chose.
Pourquoi, en même temps, c'est très inquiétant ? Parce que l'une des raisons pour lesquelles les gens veulent un succès, c'est que la situation s'est détériorée, qu'elle est beaucoup plus grave qu'avant et que les gens le disent - tout à l'heure, c'était notre ami Dantec qui le disait en parlant de ses enfants, il avait raison et chacun fait le même raisonnement -, qu'y compris pour nous-mêmes le dérèglement ne va pas attendre 50 ans, avec cette particularité physique, scientifique lorsqu'il s'agit des gaz à effet de serre, que beaucoup d'entre eux lorsqu'ils sont émis dans l'atmosphère, ce n'est pas parce que vous agissez après qu'ils vont être réduits, c'est le principe même des gaz à effet de serre. Je ne sais qui résumait la situation en une formule que je crois extrêmement juste mais qui donne la mesure de notre responsabilité : nous sommes la dernière génération qui puisse agir.
À la fois la situation est plus grave, à la fois scientifiquement les choses se présentent autrement, à la fois beaucoup de gouvernements ont compris qu'il fallait agir. Le plus spectaculaire c'est évidemment le président des États-Unis et le président chinois ; l'accord qu'ils ont passé le mois dernier eût été absolument inconcevable il y a seulement deux ou trois ans. Évidemment, s'ils n'avaient pas passé cet accord, je sais bien ce que j'aurais entendu lorsque je serais venu respectueusement demander à tel ou tel ministre : «quand publies-tu ta contribution ?» Il m'aurait répondu : «le jour où les Américains l'auront fait». Justement, les Américains l'ont fait et les Chinois vont le faire. Alors, cela change la donne, cela crée un sentiment d'entraînement... Il peut y avoir et il y a des difficultés techniques, par exemple lorsqu'il faut pour la première élaborer une contribution - et bravo de l'avoir fait, Hakima. Ce n'est pas quelque chose que l'on fait sur un coin de table, c'est quelque chose qui demande une élaboration, une discussion, une capacité scientifique et technique très complexe. C'est pourquoi les premières, pour beaucoup d'entre elles, seront imparfaites. D'autant qu'à Lima, au Pérou, l'année dernière, il a été décidé de garder une certaine marge de manoeuvre. On n'a pas dit aux gens : voilà exactement l'année pendant laquelle il faut commencer, voilà exactement la modalité, voilà ce qu'il faut pour l'adaptation, voilà ce qu'il faut pour l'atténuation. C'est un mécanisme que nous mettons en oeuvre et que nous commençons à mettre en oeuvre.
Il y a donc ce changement politique. Il y a la réalité scientifique, l'aggravation du phénomène, la réalité gouvernementale qui est en train de bouger. Et puis - on l'a très bien souligné juste avant que j'arrive -, les milieux économiques sont en train de bouger. Il y a deux semaines, nous avons fait des réunions à Paris et l'on était surpris d'entendre ce que l'on entendait parce que voir des grandes entreprises, qui n'étaient pas connus jusqu'ici pour être de grands adeptes de la lutte contre le dérèglement climatique, prendre des engagements, vérifiables - ce ne sont pas des discussions éthérées -, cela prouve qu'il y a un énorme changement. Quand les agences de notation - c'est important car ce sont elles qui déterminent les taux d'intérêt que les uns et les autres auront à payer, etc. -, quand une grande agence de notation - même la plus grande du monde - dit : «désormais, le risque climatique existe et les pays ou les entreprises qui ne prendront pas en compte ce risque climatique seront pénalisés financièrement», là il y a quelque chose qui commence à bouger. Il en est dans ce domaine comme dans beaucoup de domaines, quand on touche au portefeuille, là on commence un peu à réagir et à modifier son action.
Aujourd'hui même, quand le plus grand fonds mondial d'investissement, qui est un fonds norvégien, doté de près de 1000 milliards de dollars a décidé que pour les titres qu'il détenait dans des sociétés qui auraient plus d'un certain pourcentage dans des activités directement carbonées, il abandonnerait les investissements dans ces titres, croyez-moi, cela commence à réfléchir.
Cela ne veut pas dire que ce soit facile. Imaginez la situation d'un pays dont la ressource principale est le charbon. Il y a une différence d'émission de gaz à effet de serre, lorsque votre seule ressource c'est le charbon, ce n'est pas très facile à changer ; néanmoins, il faut le faire. D'où la nécessité du renouvelable, d'où la nécessité d'économies d'énergie, d'où la nécessité du partage du financement, d'où la nécessité du partage des technologies. Tout cela vaut, au premier chef bien sûr, revenons à notre après-midi, pour la Méditerranée.
Voilà, Monsieur le Président, Madame le Ministre, Chers Amis, ce que je voulais vous dire. C'est une grande bataille et l'on ne sait pas actuellement quelle va en être l'issue. Objectivement, il n'y a aucun doute, c'est dans ce sens-là qu'il faut aller ; lorsqu'on se projette sur ce que doit être la société du futur, c'est évidemment une société décarbonée qui ne comportera pas, il faut faire attention à cela, que des contraintes. C'est aussi une occasion extraordinaire de croissance, d'emplois, de renouveau. Le Maroc fait des choix, il y a déjà pas mal de temps, confirmés récemment, en disant : «Eh bien, on prend ce chemin et cela va créer des emplois et c'est une croissance différente». Alors, il est difficile de convaincre mais l'histoire humaine est ainsi, lorsqu'il y a des évolutions, des ruptures technologiques, elles sont difficiles mais si elles sont prévues, accompagnées, il faut les accompagner et les prévoir, à ce moment-là il y a des perspectives nouvelles non seulement de croissance mais de société.
C'est pourquoi, je considère, Monsieur le Président, que le débat que vous avez eus ces deux jours n'est pas, contrairement à ce que l'on pourrait croire, un débat essentiellement technique, c'est un débat vraiment de société, sur la place que l'on veut donner à l'action contre le dérèglement climatique en Méditerranée et à la place que l'on veut donner à la Méditerranée dans l'ensemble du monde. C'est pourquoi je pense que vous avez bien choisi et vous tous bien agi en participant à ce débat.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juin 2015