Déclaration de Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, sur la contribution des "Dissidents" (combattants venus de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane) à la libération de Royan, à Royan le 17 avril 2015.

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Circonstance : Commémoration du 70ème anniversaire de la libération de Royan, à Royan (Charente-Maritime) le 17 avril 2015

Texte intégral

Madame la Préfète,
Monsieur le Député-maire,
Mesdames, Messieurs les personnalités civiles et militaires,
Ce n'est pas sans émotion que je suis présente parmi vous, ici, aujourd'hui. Il y a soixante dix ans de cela, la France rendait à Royan la liberté qu'elle avait perdue cinq ans plus tôt au lendemain du ténébreux armistice du wagon de Rethondes, entre Hitler et Pétain. Au petit matin du 23, le premier détachement allemand de la 44e division de la Wehrmacht pénétrait dans cette ville et arrachait Royan à la France. La ville toute entière dû céder aux armées hitlériennes les édifices qui lui étaient les plus chers. Les nazis prirent leurs quartiers dans les hôtels et les écoles. La Kriegsmarine installa son commandement dans l'ancien hôtel du Golf de Pontaillac.
Pour les Royannais s'ouvrait alors une vie nouvelle, une vie sous le joug allemand, tenu d'une main complaisante par le successeur désigné de Paul Métadier, Rémy Houssin, maire élu en vertu de la loi vichyssoise. Mais la France libre n'avait, elle, pas déserté le cœur des Royannais. Face à cet ennemi qui avait fait de la mort son hymne, son étendard et son flambeau, nombreux furent les Royannais qui entrèrent en résistance. A travers leurs actes, ils rappelèrent la France à son héritage, à son destin et aux valeurs sur lesquelles repose son pacte social. C'est au nom de ces valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, que des hommes et des femmes s'élevèrent au dessus de leur idéal pour prendre part à la défense de notre Nation, et de la civilisation en général.
Ces hommes de l'ombre, ces hommes de la clandestinité, ces hommes protégèrent leur famille des risques que leur propre courage leur faisait courir en masquant leur nom sous des pseudonymes. Rappelons ces noms aujourd'hui avec force. Ils s'appelaient Louis Bouchet, Jean Papeau, le commandant Baillet, le commandant Thibodeau, Madeleine Fouché. Ils organisèrent les premiers réseaux et donnèrent sa force à la Résistance royannaise. Ils ne furent pas seuls. Leur action trouva son renfort dans des actes isolés car, malgré l'ordre donné par la municipalité de placarder dans toute la ville un « appel à la population royannaise » invitant « la population de Royan, ville ouverte, à observer la correction la plus absolue (…) et à accomplir son devoir avec calme et dignité », selon la triste et glaçante formulation d'alors, les premiers sabotages ne tardèrent pas à se produire. Dès le mois de juillet, les premiers résistants sectionnèrent les lignes téléphoniques reliant Royant à La Rochelle. Le local du « Rassemblement anticommuniste », du sombre Marcel Déat, fut attaqué et, le 15 août, une sentinelle du quartier général de la Kriegsmarine fut abattue. En représailles, la soldatesque allemande prit en otage dix membres du conseil municipal et planta des écriteaux à l'entrée des plages sur lesquels étaient inscrits : « Interdits aux chiens, aux Juifs et aux Français ».
Ces mesures de rétorsion plutôt que d'éteindre l'ardeur des résistants eut pour effet d'en redoubler les flammes. Les réseaux resserrèrent leurs maillages et continuèrent, au péril de leur vie, leur travail de sape contre l'occupant. A partir de l'été 1943, ces troupes jouèrent un rôle essentiel, tant par leur rôle de renseignement que par leur rôle militaire, dans la libération de la ville. Dès 1942, les premiers blockhaus du Mur de l'Atlantique sont érigés en 1942 par les jeunes gens réquisitionnés au titre du STO. Les deux forteresses allemandes de Royan et de la pointe de Grave ceinturent alors l'estuaire de la Gironde et verrouillent la ville de Bordeaux. Ce n'est qu'en août 1944, avec le débarquement allié et le harcèlement des troupes d'occupation par les maquisards, que la Wehrmacht bat enfin en retraite. Les villes de Bordeaux et de Nantes tombent. L'armée nazie alors stationnée le long des côtes se replie sur ses bases maritimes et les transforme en camps retranchés. Près de 100 000 hommes, protégés par plus de 1000 blockhaus et 1300 pièces d'artillerie défendent Dunkerque, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle, l'île de Ré, l'île d'Oléron, la Pointe du Grave et Royan.
A l'été 1944, ce sont cinq mille soldats de la Wehrmacht qui détiennent la poche de Royan. Commence alors durant l'hiver une guerre de position, ponctuées par des raids et des tirs d'artillerie renforcée par des actions de sabotage et de renseignement de la résistance intérieure. En septembre, les Alliés reprennent Rochefort et isolent un peu plus l'armée nazie. C'est alors le début du siège de Royan.
Pendant près de cinq longues années, Royan avait rêvé sa libération. Royan fera hélas partie des dernières villes libérées. Mais, comme l'avait dit le général De Gaulle : « La victoire définitive ne sera acquise que lorsque le dernier allemand aura lâché le dernier coin de terre française. »
Bien que le colonel Adeline ait obtenu de Pohlmann, commandant de la place forte de Royan, l'évacuation des civils, deux milles Royannais font le choix de demeurer dans la forteresse assiégée.
Le 5 janvier 1945, à quatre heures du matin, 354 bombardiers Lancaster de la Royal Air Force bombardent le centre-ville. De la gare à Focillon, la ville est en quelques heures presqu'entièrement détruite. Le port est dévasté, les plages déchiquetées, les casinos démembrés. Tout ce qui avait fait la splendeur de cette ville peinte par Gustave Courbet, Odilon Redon, Maurice Utrillo, Arthur Gué, Picasso, fut englouti sous plus de deux milles tonnes de bombes. Près des neuf dixièmes du centre ville disparurent, et 342 Royannais trouvèrent la mort dans les combats.
Le vendredi 13 avril, le général français Edgard de Larminat donne le signal de l' « Opération Vénérable » et c'est en ces termes qu'il s'adressa à ses hommes avant de lancer l'assaut final : « Le moment est venu de faire sauter la forteresse ennemie de Royan-Grave. Les moyens matériels sont réunis, le succès de l'opération ne dépend que de l'audace et de la sagesse des chefs, de la valeur et de l'intelligence des soldats (…) C'est une part notable dans la renaissance du pays qui est entre vos mains. »
Les 14 et 15 avril, des bombardiers B-17 et B-24 couvrent de nouveau la ville de bombes, comme l'a rapporté dans son très beau témoignage le grand historien américain de l'Université de Boston, Howard Zinn. Le matin du 17, les premiers chars du bataillon Foch pénètrent dans les ruines fumantes de Royan. De brefs combats éclatent aux abords du quartier général allemand avant que le contreamiral Micahelles ne consente à se rendre et que ne se termine l'occupation allemande dans la presqu'île d'Arvert. Quelques jours plus tard, au soir du 8 mai, la guerre était terminée en Europe.
A la suite de son martyre, il fut décidé le 28 février 1949, par la décision ministérielle numéro 14, de citer la ville de Royan à l'ordre de l'armée et attribution de la croix de guerre avec palmes.
Voici ce que fut, Mesdames et Messieurs, la libération de Royan. Une histoire de courage.
Une histoire constitutive de l'identité des Royannais, de la Charente et de la France toute entière. Une histoire de fraternité d'armes entre Français, Américains, Anglais, Zouaves, tirailleurs Nord-Africains, Sénégalais de l'Oubangui et Dissidents antilloguyanais. La victoire a été obtenue de toutes ces mains.
En tant que ministre des Outre-mer, il me tient particulièrement à cœur de rappeler le rôle décisif tenu lors de la libération de la ville par ceux que l'on a appelé les « Dissidents », ces combattants venus de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane et que la France a trop longtemps tenus à la périphérie de sa mémoire et de ses commémorations. Ces hommes dont certains, après la guerre, ont minimisé leur action exceptionnelle, alors qu'ils se sont montrés prêts à payer du prix de leur sang leur amour pour la patrie.
On connaît la calomnie habituelle de ceux qui ne pouvant s'élever à la hauteur des autres tentent par tous les moyens les plus déloyaux de les rabaisser à leur propre niveau.
Ici même, à Royan, les Dissidents combattirent, sous les ordres du lieutenant colonel Henri Tourtet, mort au champ d'honneur le 15 avril. Le Bataillon de Marche Antillais était constitué par des volontaires venus de Martinique, de Guadeloupe, et de Guyane. Nombre d'entre eux avaient quitté leur île au péril de leur vie pour la remettre en danger sur les champs de bataille de la France hexagonale. Ils s'étaient embarqués dans des petits canots de six mètres de long sur un mètre cinquante de large. Le Bataillon de Marche Antillais numéro 5 participa à libérer Royan, mais également Saint-George de Didonne.
Cet oubli était une injustice et je suis fière de leur avoir rendu hommage, l'année passée, à l'occasion du 70e anniversaire du débarquement, avec le Secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants, à l'hôtel des Invalides. Je tiens à saluer le travail de mémoire permis par le Président de l a République, François Hollande, qui l'a décoré.
L'histoire de la libération de Royan et, à travers elle, celle de la Seconde Guerre mondiale a aujourd'hui soixante dix ans. Elle pourrait paraître d'un autre temps. Elle nous engage pourtant pour les temps à venir. Elle nous engage à honorer la mémoire de ces hommes et de ces femmes qui ont péri pour que notre République ne meure pas. Elle nous engage à nous montrer à la hauteur des valeurs défendues par cette génération qui a versé son sang pour que nous soyons libres aujourd'hui. Elle nous engage à transmettre la solidarité des combattants de la liberté venus de tous les horizons.
Elle nous rappelle que pour un peuple, les larmes, la souffrance et le sang sont souvent un plus puissant ciment que la gloire et les honneurs. La France sait qu'elle doit sa liberté retrouvée au sacrifice et au courage de ceux qui ont combattu pour elle. Se souvenir ensemble, les commémorations ne sont pas là pour nous faire croire que l'Histoire et ses décombres sont désormais derrière nous.
Elles sont au contraire présentes pour nous appeler à la vigilance, à la solidarité et à la lucidité.
La libération de Royan nous rappelle au respect de tous nos militaires qui défendent les valeurs de la France et protègent notre pays à travers le monde. Enfin, la libération de Royan nous engage à faire face à nos responsabilités. Celles de continuer à exercer notre vigilance, et celles de poursuivre le combat. Combat armé pour nos soldats, combats des valeurs républicaines pour nous civils.
Nous devons continuer à œuvrer pour que cette mémoire devienne un bien commun à tous et un patrimoine de vigilance pour les générations futures. « Nous nous sommes imaginés en 1945 », écrivait René Char, « que l'esprit totalitaire avait perdu, avec le nazisme, sa terreur, ses poisons souterrains et ses fours définitifs (…) mais une espèce d'indifférence colossale à l'égard de la reconnaissance des autres et de leur expression vivante, nous informe qu'il n'y a pas plus aujourd'hui qu'hier de principes généraux et de morale héréditaire. » Il y a soixante dix ans de cela, l'ennemi était le nazisme. D'autres ennemis sont venus entre temps. Aujourd'hui encore, la menace a changé de nom et de visage, mais elle attaque encore. Hier en Afghanistan, aujourd'hui au cœur de Paris, et demain dans un nouvel ailleurs.
Il nous faut continuer à nous défendre face à ces forces de destructions, à ces forces qui attaquent notre lien social ainsi que nos valeurs de fraternité et de solidarité.
Les valeurs de respect, de dignité, de solidarité et d'égalité ne sont pas un acquis. Elles restent toujours à défendre. Elles nous demandent un effort à renouveler sans cesse et une détermination à exercer sans relâche. Le combat pour la liberté n'est pas derrière nous. Les valeurs de notre République font notre fierté, elles sont d'abord un exigence pour nous. Tâchons d'être, ensemble, à la hauteur de la libération de Royan.
Merci à vous.Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 2 juin 2015