Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RMC et BFM TV le 11 juin 2015, sur la question climatique, l'immigration, les relations avec le Vatican, le traité transatlantique, la lutte contre Daech, le nucléaire iranien et sur le tourisme.

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Média : BFM TV - Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurent FABIUS est notre invité ce matin, bonjour.
LAURENT FABIUS
Ravi d'être avec vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Manuel VALLS rembourse le voyage de ses enfants, il a raison ?
LAURENT FABIUS
Oui. J'ai vu la décision qui a été annoncée ce matin, je pense qu'elle est sage. J'espère que ça va clore la polémique qui avait été lancée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'affaire est close ?
LAURENT FABIUS
J'espère, j'espère.
JEAN-JACQUES BOURDIN
« Si c'était à refaire, je ne le referai pas » a-t-il dit. Mais alors, pourquoi l'a-t-il fait ?
LAURENT FABIUS
On ne va pas revenir là-dessus, mais je crois que le déplacement lui-même du Premier ministre est parfaitement justifiable et quand on se déplace, quand on est Premier ministre – j'en ai l'expérience -, il y a toujours des gardes du corps, et cætera. Maintenant, ça crée beaucoup de polémiques.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Logiques ces polémiques ?
LAURENT FABIUS
Si vous voulez, maintenant il faut, et ça c'est une évolution très importante, que les personnages publics doivent à tout moment être très, très attentifs et au-delà même de ce qu'ils font de bonne foi, il faut qu'ils pensent aux interprétations qui peuvent en découler. Ce n'est pas comme c'était il y a vingt ans ou il y a trente ans. C'est comme ça. Moi, je pense que la décision qu'il a prise est sage.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Est-ce qu'il aurait dû la prendre plus tôt ?
LAURENT FABIUS
Ça, je ne sais pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Au lieu d'attendre quatre ou cinq jours que la polémique se développe ?
LAURENT FABIUS
Je ne sais pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais si, vous savez.
LAURENT FABIUS
Non, mais ça ne sert à rien de refaire le film.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord, mais enfin Laurent FABIUS, vous me dites : « Je ne sais pas » ; moi je vous dis : « Si, vous savez ».
LAURENT FABIUS
Est-ce qu'il aurait dû ? On ne peut pas se mettre à la place de l'un ou de l'autre. Je vous dis, son déplacement à lui est tout à fait justifiable pour un grand événement sportif ou culturel. Après alors, il y a eu la question des enfants, la question de ceci, la question de cela. Je crois que la décision prise est la bonne et j'espère qu'on va pouvoir passer à autre chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais enfin, François HOLLANDE lui a répondu dès lundi en disant : « Le Premier ministre avait une réunion avec l'UEFA ». Il ne vous a pas échappé qu'il y avait des évolutions, des révélations.. Mais pourquoi ne pas dire la vérité tout de suite ? Il n'y avait pas de réunion particulière avec l'UEFA.
LAURENT FABIUS
Il n'y a pas eu de tromperie par rapport à la vérité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il n'y a pas de mensonge ou de désinvolture, non ?
LAURENT FABIUS
Je ne pense pas, non. La communication peut-être n'a pas été exactement ce qu'elle aurait pu être, mais enfin c'est autre chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Maladroite ?
LAURENT FABIUS
C'est derrière nous. Je considère que c'est derrière nous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dites-moi, et le climat c'est devant nous, la conférence de Paris.
LAURENT FABIUS
C'est autre chose, oui, oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça ne s'annonce pas terriblement bien. Je lisais, on termine aujourd'hui cette séance de négociation à Bonn.
LAURENT FABIUS
A cent quatre-vingt-seize parties, il faut avoir ça à l'esprit. C'est-à-dire que moi, j'aurai en face de moi à la fin de l'année, puisque je vais présider la conférence, cent quatre-vingt-seize parties. L'objectif, peut-être on le perd parfois de vue, c'est de rédiger un texte notamment qui conduise à limiter l'élévation de la température à deux degrés, mais il faut qu'à la fin de la conférence, tout le monde approuve le texte. C'est ce texte qui est en train d'être élaboré, alors c'est difficile, c'est long, c'est ce à quoi vous faites allusion.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est plus que long, pardon Laurent FABIUS, et plus que difficile apparemment.
AURENT FABIUS
Oui, oui, très difficile mais il y a une procédure. Il faut bien comprendre que c'est à l'intérieur des Nations Unies. C'est un traité qui a été adopté en 1992 et qui fait qu'on doit travailler dans les normes des Nations Unies. La France ne peut pas dire : « C'est comme ça et ce n'est pas autrement. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ségolène ROYAL dit que ces négociations de l'ONU sont totalement inadaptées à l'urgence climatique.
LAURENT FABIUS
C'est le cadre, on ne va pas changer le cadre maintenant. C'est le cadre des Nations Unies. Il faut mettre tout le monde d'accord. Il y a actuellement, et ça finit aujourd'hui, une séance qu'on appelle d'ADP avec les cent quatre-vingt-seize parties. Il y en aura une autre à la fin août et une autre au mois d'octobre. J'ai demandé puisque j'étais là, à la séance inaugurale, j'ai dit à tous ces négociateurs : « Mesdames et messieurs, votre travail est prévu par l'ONU mais il faut me donner, puisque c'est à moi que ce sera donné au mois d'octobre, un texte qui soit beaucoup plus court et qui commence à trancher les problèmes pour que nous n'ayons pas. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Cent trente pages actuellement.
LAURENT FABIUS
Oui, même cent quarante-six en version française. Mais il ne faut pas qu'au début de la conférence de Paris – je sais que vous suivez ça de près personnellement -, on nous donne un texte qui soit tellement touffu qu'on n'y arrive pas. Vous vous rappelez Copenhague ? Copenhague, c'était il y a quelques années. La chose n'avait pas été suffisamment préparée ; au dernier moment sont arrivés de grands chefs d'Etat qui ont dit : « On va régler la question » et ils n'ont rien réglé du tout. Nous, notre position au président de la République et à moi-même, c'est de demander et d'aider à ce que le travail soit fait en amont pour que Paris soit la conclusion et qu'on n'ait pas tout le travail à faire à Paris.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il n'y aura plus que dix jours de négociations avant Paris.
LAURENT FABIUS
Il y a beaucoup d'autres choses. Par exemple, je vais réunir en juillet les ministres concernés. Là, c'est les délégués techniciens experts. Je vais réunir les ministres au mois de juillet deux fois de suite. Ensuite, il y aura une réunion des chefs d'Etat et de gouvernement en septembre ; il y aura des sessions intermédiaires. On ne va pas laisser les choses se faire comme ça sans agir entre maintenant et la rentrée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il y aura à la conférence de Paris un accord contraignant avec un calendrier et des objectifs chiffrés ?
LAURENT FABIUS
Oui, la réponse est oui, sinon il n'y aura pas d'accord.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura un accord contraignant ?
LAURENT FABIUS
Quatre choses, premièrement un accord c'est-à-dire un texte contraignant, universel, durable. C'est-à-dire qu'il faudra un mécanisme pour dire au fur et à mesure les objectifs vont devenir de plus en plus exigeants. Ça, premier point. Deuxième point, chaque pays va dire : « Voilà mes objectifs pour 2025-2030. » Ça commence à être fait mais tous les pays ne l'ont pas encore fait. Troisièmement, il y aura des décisions en matière de finance et de technologie parce que les pays pauvres disent : « Nous, on n'émet pas de gaz à effet de serre. Si on n'a pas les finances nécessaires, comment voulez-vous nous en sortir ? » Et quatrièmement, c'est très nouveau, des entreprises, des collectivités locales, des régions vont dire : « Voilà ce que nous, nous allons faire. » Par exemple, la Californie vient de prendre une décision disant : « Voilà ce que nous allons faire pour émettre zéro gaz à effet de serre », et ce sera l'addition de tout ça qui sera la nuance de Paris. Donc il y aura cet accord universel nécessaire mais il y aura aussi autre chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous croyez à cet accord sincèrement ? Vous y travaillez tous les jours. Parce que j'ai vu votre déclaration : « Parvenir à un accord lors de la conférence sur le climat à Paris sera d'une extrême difficulté. »
LAURENT FABIUS
Bien sûr. Imaginez, j'aurai en face de moi cent quatre-vingt-seize parties, c'est-à-dire cent quatre-vingt-quinze pays plus l'Union européenne. Il y a les Etats-Unis, il y a la Chine, il y a les Maldives, il y a la Pologne, il y a l'Inde et il faut que tous ces pays-là qui ont des situations différentes – il y en a qui ont des charbons, d'autres pas de charbon, il y en a qui sont inondables, d'autres pas inondables, il y en a qui ont du pétrole, d'autres pas de pétrole, se mettent d'accord sur un texte. C'est extraordinairement difficile mais c'est indispensable. Parce que j'aime beaucoup la formule de Ban KI-MOON qui dit : « Il n'y a pas de plan B parce qu'il n'y a pas de planète B. » Ça, ça résume tout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
« La gestion des migrants, un Waterloo moral », c'est Cécile DUFLOT qui dit ça, « Waterloo moral pour le gouvernement. »
LAURENT FABIUS
Oui, j'ai lu. C'est un papier dans Le Monde. Non, je crois que c'est très excessif. C'est une question épouvantablement compliquée puisque vous avez beaucoup de migrants qui viennent, qu'est-ce qu'on en fait ? Est-ce qu'on les laisse tous entrer, la réponse est non. Ceux qui ont le droit à l'asile parce qu'ils sont des réfugiés politiques, avant que l'asile ait été déclaré, il faut qu'ils puissent continuer à vivre. Ils se regroupent dans des circonstances épouvantables, donc qu'est-ce qu'on en fait ? C'est un problème très, très difficile mais je pense que le gouvernement français comme les autres…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On évacue les campements mais les campements se recréent un peu plus loin, à deux rues de là.
LAURENT FABIUS
Le problème, il est en amont, on est bien d'accord. C'est-à-dire qu'est-ce qui se passe dans les pays source, comme on dit, comment est-ce qu'on peut essayer de les développer ? Comment on fait pour faire la part entre les réfugiés économiques qu'on ne peut pas accueillir – vous vous rappelez la phrase de ROCARD : « On ne peut pas accueillir tous les migrants du monde » -, et puis les réfugiés politiques qui, eux, ont un droit en Europe qui est un droit d'asile, et comment on fait pour les réfugiés économiques pour les faire repartir chez eux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Personne n'a la solution.
LAURENT FABIUS
La solution en claquant dans ses doigts, certainement pas, mais on essaye, c'est la ligne du gouvernement d'être ferme et en même temps humain, ce qui est très difficile bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le pape François est très engagé sur ces questions migratoires.
LAURENT FABIUS
Et sur les questions écologiques. Il y a l'encyclique bientôt et il a consulté beaucoup de monde et je pense que ce sera un acte très important.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que le pape François refuse toujours l'ambassadeur auprès du Vatican choisit par la France ?
LAURENT FABIUS
Vous connaissez le schéma : c'est-à-dire que chaque pays propose un ambassadeur et le pays dont il s'agit, en l'occurrence le Vatican, agrée ou n'agrée pas. Pour le moment, il n'a pas agrée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi ? Parce qu'il est homosexuel ?
LAURENT FABIUS
Pour l'instant, il n'a pas agrée et n'a pas donné de raison.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pensez que c'est ça la raison ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, on verra quand il y aura une réponse ; pour l'instant, on n'en a pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-il vrai que le pape a dit à Laurent STEFANINI, cet ambassadeur pressenti, qu'il n'avait apprécié ni le mariage pour tous, ni les méthodes de l'Elysée qui a tenté de lui forcer la main. C'est vrai ou pas ?
LAURENT FABIUS
Non, je n'ai pas du tout cette confirmation. Je n'ai pas du tout cette confirmation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il a reçu Laurent STEFANINI samedi.
LAURENT FABIUS
Oui, mais je n'ai pas eu cette confirmation-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez changer votre choix ?
LAURENT FABIUS
De ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
De Laurent STEFANINI.
LAURENT FABIUS
Pour le moment, il y a une proposition qui a été faite par le gouvernement français. On verra le moment venu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez changer votre choix ou non si le pape continue à dire non ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, on ne va pas se mettre « si, si, si. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, on est d'accord. Aujourd'hui, vous changez votre choix ou pas ?
LAURENT FABIUS
Aujourd'hui non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Aujourd'hui, non.
LAURENT FABIUS
Je vous réponds.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous pourriez le changer.
LAURENT FABIUS
Mais ne tirez pas de conclusion hâtive. Non, non, on ne va pas jouer à ce petit jeu. Il y a eu une proposition, il n'y a pas eu encore de réponse du Vatican. Voilà, c'est tout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais passer au traité transatlantique, Laurent FABIUS. La France accepte-t-elle la création de tribunaux arbitraux en cas de litige entre des Etats et des multinationales ?
LAURENT FABIUS
Non, la réponse est non. C'est d'ailleurs des tribunaux qu'on appelle privés et la réponse est non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas question de tribunaux privés ?
LAURENT FABIUS
Non, mais il n'y a pas que cette question qui se pose. L'idée de ce traité, c'est une bonne idée, c'est de dire qu'on va développer le commerce entre les Etats-Unis et l'Europe. C'est une bonne idée a priori. Simplement, il faut voir les conditions. Nous sommes pour, à condition que ce soit bénéfique pour nous, que les Européens ne soient pas naïfs. Or, il y a cette question que vous posez qui est un vrai problème, très importante. Il y a la question de l'ouverture réciproque des marchés publics. Les marchés publics européens sont ouverts aux Américains à quatre-vingts, quatre-vingt-dix pourcent ; les marchés publics américains sont ouverts à vingt pourcent donc on dit qu'il faut rééquilibrer. Et puis, il y a la question de ce qu'on appelle le poulet aux hormones, il y a la question de la viande, et cætera, donc il faut discuter, il ne faut pas avoir d'a priori, mais ça va demander… Ce n'est pas facile du tout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire ? Ça va demander quoi ?
LAURENT FABIUS
Ça va demander du temps.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Plus de temps ?
LAURENT FABIUS
Du temps, c'est certain, et ça va demander qu'on prenne en compte les exigences des Européens. Pour qu'un accord soit accepté…
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire qu'aujourd'hui, les exigences européennes ne sont pas prises en compte ?
LAURENT FABIUS
Pas assez, non, pas assez. Pas assez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les frappes aériennes.
LAURENT FABIUS
Où ça ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
En Irak parce qu'en Syrie, vous ne pouvez pas.
LAURENT FABIUS
Alors en Irak, vous savez en politique étrangère, il faut savoir quel est l'objectif. Après, on adapte à l'objectif nos décisions. Quel est le problème en Irak ? Daesh, terroristes effrayants. Si on veut combattre Daesh, le faire reculer puisque ce sont des assassins, il faut que - c'est la grande leçon -, qu'il y ait une action militaire et une action politique. L'action militaire, on peut aider et on aide puisque nous sommes dans une coalition et donc nous utilisons des avions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a cent, cent cinquante frappes françaises à peu près.
LAURENT FABIUS
Il y en a pas mal, oui, il y en a pas mal.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien ?
LAURENT FABIUS
Je ne sais pas exactement, mais enfin ce sont surtout les Américains qui frappent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Nous continuons à intervenir. Nous continuons à frapper militairement.
LAURENT FABIUS
C'est l'action militaire mais comme vous l'avez vu, il y a un certain nombre de reculs de Daesh mais il y a aussi des avancées de Daesh. Daesh a pris récemment une ville importante dans le sud, menace d'une certaine manière Bagdad donc il faut être très attentif, et c'est là où intervient le politique. Nous disons que c'est d'abord aux Irakiens à lutter contre Daesh. On ne peut pas lutter de l'extérieur. Si on veut que les Irakiens qui sont à la fois des Chiites, des Sunnites et des Kurdes s'engagent vraiment dans la lutte contre Daesh, il faut que leur gouvernement soit comme on dit inclusif, c'est-à-dire que leur gouvernement n'agisse pas uniquement pour les Chiites mais que les Kurdes et les Sunnites soient mis dans le coup. Or pour le moment, ce n'est pas assez. Le Premier ministre qui s'appelle monsieur ABADI voudrait le faire mais ce n'est pas la réalité. Nous avons dit – j'ai présidé une réunion récemment à Paris où il y avait tous les membres de la coalition – et nous avons dit à monsieur ABADI, le Premier ministre irakien : « Nous vous soutenons sur le plan militaire avec les avions et cætera, mais nous vous demandons que votre gouvernement soit vraiment inclusif dans sa pratique pour que tout le monde en Irak lutte contre Daesh, ce qui n'est pas le cas. » Voilà où on en est, mais il n'est pas question pour nous, les Français, d'envoyer des troupes au sol, pas question.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas question d'envoyer des troupes au sol en Syrie, évidemment ; pas question de frapper en Syrie puisqu'il n'y a pas de mandat si j'ai bien compris.
LAURENT FABIUS
Oui, pour ça et pour une autre raison parce que la question syrienne est différente. Daesh progresse, malheureusement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et Daesh contrôle cinquante pourcent du territoire syrien et une bonne partie du territoire irakien.
LAURENT FABIUS
Daesh contrôle trois cent mille kilomètres/carré entre l'Irak et la Syrie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
La France est grande, cinq cent cinquante mille kilomètres/carré.
LAURENT FABIUS
Oui. Là-bas c'est beaucoup du désert mais vous voyez l'ampleur. Or, nous ce que nous disons, là encore la solution elle doit être d'abord politique. C'est bien que vous posiez la question parce que parfois, les choses sont un peu embrouillées. Quelle est la bonne solution en Syrie ? La bonne solution, c'est d'avoir un gouvernement d'union nationale avec d'une part l'opposition qui actuellement est poursuivie, et d'autre part des éléments du régime, je dis les choses telles qu'elles sont.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous dites qu'il faut que la Syrie se dote d'un gouvernement d'union nationale avec des éléments du régime et l'opposition.
LAURENT FABIUS
Des éléments du régime et l'opposition. Je dis ça, pas à monsieur Bachar el-ASSAD qui est responsable de centaines de milliers de morts. Evidemment, si on disait : « L'avenir de la Syrie, c'est Bachar el-ASSAD », la moitié de la population irait chez les terroristes. Ce n'est pas simplement une raison morale, c'est une raison d'efficacité, mais si on veut éviter l'effondrement de la Syrie, il faut travailler à un gouvernement d'union.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous y travaillez ?
LAURENT FABIUS
Nous y travaillons avec à la fois les Arabes, les Américains et les Russes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et les Russes aussi ?
LAURENT FABIUS
Et les Russes, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui sont associés ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'Iran, le nucléaire iranien, j'ai vu la petite phrase de Nicolas SARKOZY qui vous reproche d'être à l'écart des négociations sur le nucléaire iranien.
LAURENT FABIUS
Là il doit manquer d'informations, je suis tout à fait près à lui fournir. Vous connaissez, vous lisez la presse, naturellement la presse américaine…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ! Je m'intéresse beaucoup à ces questions.
LAURENT FABIUS
Depuis plusieurs années, on dit : « il y a un acteur en particulier qui est extrêmement solide dans ces négociations, c'est la France », personne ne peut le contester. Donc, je laisse le côté des propos de l'ancien président. Le fond de l'affaire, c'est quoi ? Nous voulons un accord avec l'Iran, l'Iran est un grand pays, l'Iran c'est une grande civilisation…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais est-ce que les conditions de cet accord sont réunies ?
LAURENT FABIUS
Et, nous, nous disons : « en ce qui concerne le nucléaire, vous pouvez faire tout, mais la bombe atomique non » parce que si l'Iran a la bombe atomique ça veut dire que l'ensemble des pays du Moyen Orient va se doter de la bombe, vous voyez le problème qui se pose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez des doutes ?
LAURENT FABIUS
Donc, aujourd'hui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez des doutes ?
LAURENT FABIUS
Nous sommes en discussion et, normalement, la discussion doit finir le 30 juin – donc c'est ce mois-ci…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Eh oui ! C'est pour ça que je vous en parle.
LAURENT FABIUS
Et je suis ça depuis maintenant deux ans - on n'est pas encore au bout de la discussion…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, vous avez des doutes là…
LAURENT FABIUS
Mais bien sûr !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sur la volonté iranienne de ne pas se doter de l'arme atomique ?
LAURENT FABIUS
Oui ! Et notamment sur un point très important, c'est la vérification, un accord qui n'est pas vérifiable il n'est pas appliqué, or il est évident que si on veut être sûr que l'accord est solide il faut qu'on puisse vérifier les sites, si les Iraniens voulaient nous mentir ils ne vont pas aller construire une bombe atomique à la campagne et ça va être souterrain, etc., donc il faut pouvoir vérifier ces sites.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et, aujourd'hui, vous ne…
LAURENT FABIUS
On n'a pas encore cette certitude. Donc, c'est un des points sur lequel nous discutons. Et pour être très clair, nous sommes – la France – pour un accord avec les Iraniens, parce que nous voulons tout ce qui peut aller dans le sens de la paix - personne ne peut reprocher d'aller dans le sens de la paix - mais il faut que l'accord soit vérifiable, solide, robuste et aujourd'hui nous n'avons pas encore ces garanties.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vais terminer, Laurent FABIUS, avec le tourisme - parce que vous êtes chargé du tourisme – et, là, vous allez faire des annonces tout à l'heure pour encourager le tourisme en France, pour faciliter la venue d'étrangers, vous allez par exemple faciliter la délivrance des visas, quelles sont les autres mesures majeures ?
LAURENT FABIUS
Il y a beaucoup de mesures ! Développer le numérique, parce que maintenant – vous en avez peut-être l'expérience à titre privé – quand vous voulez aller dans une destination vous tapotez sur le net et puis… Bon ! Donc, il faut que l'ensemble de la profession touristique soit très, très forte en numérique, premier point ; Deuxième point…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, couvrir les zones touristiques avec le haut débit ?
LAURENT FABIUS
Oui ! Mais pas seulement ça. Il faut aussi que nos sites puissent ne pas être confisqués si je puis dire par des sites américains qui, au passage, prélèvent 20 % ou 30 % aux hôteliers, etc.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui font ça, ah oui, il y a Booking ou autres.
LAURENT FABIUS
Oui ! Mais c'est très important.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui !
LAURENT FABIUS
C'est très important.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et, là, vous allez intervenir contre ça ?
LAURENT FABIUS
Oui ! Bien sûr. Vous avez vu peut-être qu'ACCOR a récemment mis en place une plateforme pour lui-même et pour les hôteliers indépendants – je ne vais pas rentrer dans les détails techniques – mais nous avons fait voter hier à l'Assemblée un texte qu'on appelle le contrat de mandat qui doit éviter les excès de Booking expédiés avec d'autres. Numérique, point numéro un ; Deux, accueil, la France elle est en tête des destinations touristiques mais pour l'accueil ce n‘est pas toujours extraordinaire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ! Nous ne sommes pas très bons dans les classements, j'ai vu ça.
LAURENT FABIUS
Donc, au moment de…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Comment, alors, améliorer cet accueil ?
LAURENT FABIUS
Alors, l'accueil, ça veut dire : qu'il faut former les gens, il faut qu'ils parlent différentes langues ; il faut faire campagne à la télévision ; il faut que, quand les gens arrivent...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez engager une grande campagne à la télévision ?
LAURENT FABIUS
Oui ! Bien sûr. Il faut, quand les gens arrivent dans les aéroports ou dans les trains, ils soient bien accueillis ; il faut que la sécurité soit assurée, enfin c'est une série de décisions très précise. Donc, l'accueil, le numérique, la formation parce qu'il faut que le personnel soit bien formé et l‘investissement parce qu'il y a des hôtels qui vieillissent, parce que dans les sites par exemple d'Oenotourisme, pour le vin, il n'y a pas assez d'hôtels de bonne qualité, parce que…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, alors, comment allez-vous faire pour encourager cela concrètement ?
LAURENT FABIUS
Avec la CAISSE DES DEPOTS nous créons un fonds d'investissement au tourisme qui va être doté de plusieurs centaines de millions qui va permettre aux hôteliers qui ont besoin de renouveler…
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'emprunter !
LAURENT FABIUS
D'emprunter, le Commissariat à l'investissement aussi va nous aider et la Banque Publique d'Investissement, donc c'est des décisions très concrètes. Mais le tourisme, j'emploierais ce… c'est un trésor national, c'est un trésor. Quand on demande aux citoyens du monde : où voulez-vous aller en premier ? C'est la France qui sort numéro un ! Les emplois c'est deux millions d'emplois, 7 % de notre richesse nationale, et il va y avoir dans les années qui viennent un développement du tourisme incroyable. Aujourd'hui il y a un milliard de touristes qui voyagent dans le monde, dans 15 ans il y aura 2 milliards, si on est capable de capter une partie de ces touristes - il faut pour ça l'accueil, la qualité, l'excellence – eh bien ça changera les donnes économiques ; et il ne faut pas considérer que c'est un secteur à part, c'est un secteur absolument majeur…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ! Essentiel.
LAURENT FABIUS
Du point de vue économique, du point de vue humain – ce sont des gens formidables…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Evidemment ! Evidemment.
LAURENT FABIUS
Et puis c'est l'image de la France. Pourquoi est-ce que les quais d'Orsay s'en occupent ? Parce que ce sont nos meilleurs ambassadeurs ! Quand vous avez un touriste qui vient chez nous et qui repart content c'est le meilleur ambassadeur de la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez aussi adapter je vois la réglementation à la taille des établissements, je vois, c'est l'une de vos mesures…
LAURENT FABIUS
La taille !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Des établissements, je vois j'ai dans le… : « levier fiscal pour encourager les innovations ou les rénovations », oh il y aura plein de mesures qui vont être annoncées ?
LAURENT FABIUS
Les mesures pourraient être cela, je ne vois pas à quoi vous faites allusion.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon d'accord, bon d'accord.
LAURENT FABIUS
Mais c'est très concret…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pourquoi est-ce qu'on n'ouvre pas les magasins tous les dimanches ?
LAURENT FABIUS
Non ! Pas tous les magasins, mais dans la loi qu'on appelle la loi Macron, dans les zones touristiques internationales, il est prévu qu'ils pourraient ouvrir le dimanche et j'y suis très favorable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tous les dimanches ?
LAURENT FABIUS
Oui ! Bien sûr. Je prends toujours cet exemple, un touriste il a le choix…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc, vous y êtes vraiment très favorable, il n'y a pas…
LAURENT FABIUS
Ah oui ! Complètement. Un touriste, il a le choix à venir entre l‘Angleterre, la France, l'Espagne, etc., si le dimanche c'est fermé, il ne va pas revenir le jeudi, il dira : c'est fermé, je ne viens pas ». Voilà ! Mais dans les zones touristiques internationales, après dans les petits villages évidemment c'est un problème, mais dans ces grandes zones oui il faut que ce soit ouvert, avec bien sûr des compensations pour le personnel.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Laurent FABIUS…
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'être venu nous voir ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 juin 2015