Déclaration de Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, sur les enjeux de la lutte contre le dérèglement climatique, à Montréal le 7 juin 2015.

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Circonstance : Forum économique international des Amériques, à Montréal (Canada) le 7 juin 2015

Texte intégral

Pour commencer, je voudrais vous dire que nous savons désormais 3 choses essentielles :
- nous savons qu'aucun pays, qu'aucune région n'est à l'abri des effets du dérèglement climatique causé par les activités humaines, comme l'ont établi les scientifiques et notamment les experts du GIEC ;
- nous savons que l'inaction coûte et coûtera de plus en plus cher ;
- nous savons que l'action, elle, rapporte et que la nouvelle économie climatique est un gisement de prospérité.
I.- Aucun pays, aucune région n'est à l'abri des effets du dérèglement climatique
Les effets du dérèglement climatique sont déjà perceptibles dans toutes les régions du monde et sous toutes les latitudes.
Comment ne pas entendre le cri d'alarme des États insulaires directement menacés par la montée des mers qui fait aussi peser un risque majeur sur le tiers de la surface du Bangladesh ?
Mais comment ne pas voir que ce sont également, dans les deux hémisphères, nos littoraux, nos deltas et nos villes côtières qui sont également menacés ?
20 agglomérations urbaines de plus de 10 millions d'habitants sont directement menacées par la montée des eaux.
Et la sécheresse frappe aussi bien l'Afrique que la Californie.
Les guerres de l'eau, les conflits exacerbés pour l'accès aux ressources naturelles, les exodes ruraux accroissant les poches de misère dans les villes et les métropoles du monde sont déjà à l'origine de nombre de tensions sociales et politiques ; ils risquent de devenir demain des sources majeures de déstabilisation internationale.
La question climatique est aussi une question de sécurité.
II.- Nous savons que l'inaction coûte déjà cher et coûtera de plus en plus cher
Les travaux du GIEC, de l'OCDE, de l'Agence internationale de l'énergie, du Programme des Nations Unies pour l'environnement, le rapport Stern-Calderon et d'innombrables études nous alertent depuis des années et aboutissent à des conclusions convergentes.
Nous voyons l'accélération des phénomènes météorologiques extrêmes, sécheresses ici, inondations ailleurs, Cyclones et tornades frappant au sud et au nord, à l'est et à l'ouest, tous également ruineux.
Le terrible typhon qui tua aux Philippines (d'où le Président de la République française a lancé l'Appel de Manille) plus de 7.000 personnes.
La Commission européenne, dans le cadre d'une vaste étude réalisée avec le Joint Research Center, estime qu'un réchauffement climatique de 3,5° coûterait 190 milliards d'euros par an aux pays d'Europe et près de 2 % de leur PIB.
Un rapport du Conseil d'analyse de la Maison Blanche paru en juillet dernier montre qu'un réchauffement climatique de 3° C coûterait aux États-Unis jusqu'à 150 milliards de dollars par an.
Je ne vais pas accumuler les chiffres : ils sont connus. Ils montrent que la dérive climatique et la dérive des coûts pour nos économies vont de pair.
Le laisser-faire climatique est un non sens économique.
III.- Nous savons que l'action rapporte
Bien sûr, agir pour le climat, cela suppose des investissements et des financements, mais c'est aussi, de loin, la solution la plus profitable et la plus rentable. Beaucoup d'entreprises l'ont parfaitement compris.
La Banque mondiale a insisté sur les gains qui résulteraient du tournant vers une économie faiblement carbonée. L'Agence internationale de l'énergie, l'OCDE et nombre d'autres organismes ont montré que miser sur l'économie verte, c'est miser sur la croissance.
Car la lutte contre le dérèglement climatique n'est pas l'ennemie de la création de richesses et de l'emploi mais leur alliée et même leur principal gisement. Dans les pays pauvres (où la menace climatique constitue un des principaux obstacles, souvent sous-estimé, au développement) comme dans les pays riches et les pays émergents.
Longtemps, beaucoup ont opposé le réalisme économique et la raison climatique : nous savons aujourd'hui qu'ils sont indissociables.
J'étais, en 1992, au Sommet de Rio. Les choses, depuis cette date, n'ont pas suffisamment progressé. Mais la prise de conscience s'est amplifiée et accélérée. Et l'idée s'est imposée qu'économie et écologie, loin de s'opposer, sont intrinsèquement liées.
Le Climate and Business Summit qui s'est tenu il y a une quinzaine de jours à l'UNESCO à Paris a témoigné d'une mobilisation inédite et massive des acteurs économiques et financiers.
C'est là un basculement majeur.
Nous avons aujourd'hui deux autres raisons majeures qui nous poussent à passer de la bataille des idées à la bataille de l'action :
- relever le défi climatique est une chance à saisir ;
- des solutions existent, à portée de nos mains.
IV.- Relever le défi climatique : une chance à saisir
Relever le défi climatique n'est pas une contrainte à subir mais une chance à saisir. Une chance d'innover. Une chance de créer des activités nouvelles et des emplois durables. Une chance de croissance, de prospérité et de développement pour tous nos pays.
J'ai la conviction que nous entrons dans un monde nouveau où l'intérêt bien compris des entreprises et du secteur financier peut rejoindre l'intérêt de la planète et de l'humanité qui y vit.
La 3e révolution industrielle, climatique, numérique, est à inventer.
Ces objectifs, nous les connaissons : réduire nos émissions de gaz à effet de serre et, pour cela, diminuer notre consommation d'énergies fossiles, miser sur l'efficacité énergétique car l'énergie la moins chère (pour les nations, pour les entreprises et pour les ménages) est celle qu'on ne gaspille pas, notamment dans le bâtiment, faire monter en puissance les énergies renouvelables dont tous nos pays sont dotés et qui sont aujourd'hui de plus en plus compétitives, développer les transports propres, le recyclage et l'économie circulaire, la rénovation énergétique des logements et des bâtiments existants, les constructions économes en énergie et des villes durables, l'agro-écologie et l'agro-foresterie. C'est aussi une question majeure de santé publique.
Nous pouvons gagner cette bataille de l'action si tous les acteurs étatiques et non étatiques se mobilisent, si toutes les forces vives de nos sociétés (citoyens, territoires, chercheurs, entreprises) se mettent en mouvement dans la même direction.
La question n'est plus de savoir s'il faut agir mais comment agir.
La France, qui préside la 21ème Conférence des Parties et aura l'honneur de l'accueillir sur son sol, a voulu s'appliquer à elle-même la démarche qu'elle préconise également à l'échelle internationale.
4 piliers : un accord, des contributions nationales, un financement, un agenda des solutions.
Le Parlement est en train d'adopter, avant le Sommet de Paris sur le climat, une loi sur la transition énergétique pour la croissance verte et une loi sur la biodiversité (car climat et biodiversité sont étroitement liés) qui organisent la mutation de notre modèle énergétique et visent à accélérer le développement d'une nouvelle économie décarbonée.
Cette action législative volontariste est, pour nous, une contribution à la mobilisation conjointe de tous les pays, que nous appelons de nos voeux, et le témoignage de cette conviction qui nous anime : pour notre pays mais aussi pour nos économies à tous, pour nos sociétés et pour le monde, c'est bien la croissance verte qui est la nouvelle frontière de notre temps.
V.- Des solutions existent
Et cela d'autant plus que des solutions existent, à portée de main. Dans le monde entier, souvent à l'initiative des territoires, les réalisations foisonnent qui montrent ce qu'il est aujourd'hui possible de généraliser et d'accélérer. Ce sera d'ailleurs, en décembre prochain, la fonction de l'Agenda des solutions que de montrer cette créativité et les réponses concrètes, les réponses opérationnelles qu'elle apporte.
Beaucoup de choses sont donc possibles aujourd'hui, qui ne l'étaient pas ou pas autant durant les dernières décennies.
A condition que la volonté politique et collective soit plus forte.
Chimie verte, nouvelle génération d'éco-carburants, matériaux bio-sourcés, véhicules et navires électriques, éolien off shore et énergie thermique des mers, réseaux intelligents pour maîtriser nos consommations énergétiques, bâtiments et territoires à énergie positive, usines sobres et agriculture éco-efficiente, stockage des énergies intermittentes et mille autres choses encore : les champs que l'économie verte ouvre à l'innovation et à l'esprit d'entreprise sont innombrables.
Le mouvement est lancé mais il faut l'amplifier et l'accélérer : c'est le défi d'aujourd'hui.
Plus nous agirons rapidement, plus nous serons efficaces.
Pour hâter le pas, nous avons besoin de règles claires, de règles stables qui donnent de la visibilité aux États, aux territoires, aux entreprises, qui les aident à anticiper et sécurisent leurs investissements.
Et nous avons besoin que tous les acteurs financiers (les investisseurs, les banquiers, les assureurs, les agences de notation, les régulateurs…) prennent, comme ils commencent à le faire, pleinement en compte le risque financier systémique et de dépréciation des actifs liés au changement climatique.
La décarbonation des portefeuilles s'amorce à l'échelle mondiale. Les émissions d'obligations vertes (les green bonds) rencontrent un succès prometteur. Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à réclamer, dans le sillage de l'initiative de la Banque mondiale, la fixation d'un prix mondial du carbone qui est effectivement une nécessité même s'il existe déjà toutes sortes de tarifications, implicites et explicites, du CO2. Une soixantaine de pays et régions font déjà payer le CO2 par le biais de taxes ou de marchés carbone. Beaucoup d'entreprises travaillent déjà avec un prix du carbone en interne. L'Europe est en train de réformer son marché du carbone. Le Québec en a formé un avec la Californie, que l'Ontario souhaite rejoindre. La Chine mène actuellement 7 expérimentations régionales dans la perspective de la création d'un marché national du carbone.
CONCLUSION
3 remarques pour conclure.
1) L'innovation technologique est une clef majeure de la lutte contre le réchauffement climatique.
Le rapport de l'Agence internationale de l'énergie qui m'a été remis il y a un mois insiste à juste titre sur cet enjeu. Il appelle à flécher davantage les investissements dans le secteur énergétique. Il souligne que les pays, en particulier émergents, qui doivent s'équiper en infrastructures peuvent sauter une étape et embrayer directement sur des techniques faiblement émettrices de CO2.
C'est dire aussi l'importance des transferts de technologies des pays riches vers ceux qui le sont moins : là aussi, il faut des règles du jeu qui fixent la part légitime due au profit des entreprises et la part nécessaire de mise en commun des technologies auxquelles les pays pauvres doivent pouvoir accéder pour prendre leur part de la lutte contre le dérèglement climatique et s'adapter à ses effets.
2) La généralisation de l'accès aux énergies renouvelables doit correspondre, dans les villages de l'Afrique rurale comme dans les métropoles des pays industrialisés, à un gain de bien-être et de pouvoir d'achat pour les familles.
De ce point de vue, par exemple, l'énergie solaire, produite dans de vastes parcs ou décentralisée à l'échelle des villages, est une chance à saisir pour les pays du Sud et en particulier pour l'Afrique où foisonnent déjà nombre d'expériences qui indiquent la voie du possible, comme je l'ai expérimenté moi-même dans un partenariat régional de ma région Poitou-Charentes.
Et ce n'est pas un hasard si l'Inde a, en ce domaine,
l'ambition de devenir un leader mondial.
3) Il nous reste bien du chemin à parcourir d'ici le Sommet Climat de Paris. Je suis consciente des méfiances à lever et des obstacles à surmonter. Mais je crois profondément au rapprochement possible des points de vue car il en va de l'intérêt bien compris de tous nos pays.
Le moment n'a jamais été aussi propice pour une avancée mondiale qui engage tous nos pays sur le chemin de la croissance verte et d'une réelle solidarité climatique, bénéfique pour chacun. Les solutions sont là mais le risque majeur, c'est de ne pas aller assez vite et agir assez fort.
Vous avez, acteurs rassemblés aujourd'hui pour ce forum économique international des Amériques, un rôle décisif à jouer en portant un message volontariste, créatif, constructif, un message qui pousse à l'action, qui réponde aux attentes de nos peuples et qui soit à la hauteur du défi climatique, cette chance historique de hâter l'émergence d'un nouveau projet de développement, de société et au bout du compte de civilisation.
Permettez-moi, pour finir, de citer un très grand astrophysicien français, né à Montréal, qui a grandi et enseigné à Montréal, très engagé également en France pour la défense d'un modèle de développement fondé sur une nouvelle alliance avec la nature :
Hubert Reeves.
« Issus nous-mêmes de la biodiversité, dit-il, utilisons sa stratégie : innovons ! ». Et « n'oublions pas que négliger les problèmes environnementaux, c'est les laisser s'aggraver avec le temps pour les retrouver, plus tard, plus difficiles à résoudre ».
Je vous souhaite d'excellents travaux.
Le Sommet de Paris a besoin de votre mobilisation.
Je vous remercie.
Source http://www.developpement-durable.gouv.fr, le 10 juin 2015