Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RTL le 8 octobre 2001, sur la nature du soutien français à l'offensive militaire américaine en Afghanistan et l'engagement de la France dans la lutte contre le terrorisme, les conséquences des bombardements et l'aide humanitaire à la population afghane, l'avenir politique de ce pays, la consultation du Parlement sur la participation française et le renforcement du plan Vigipirate.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

R. Elkrief Quelle est la nature exacte du soutien français à l'offensive militaire américaine ?
- "Nous sommes solidaires du peuple américain qui a été frappé - 5.000 à 6.000 morts -, qui est en état de légitime défense, comme l'a reconnu le Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous considérons que cette action était devenue inévitable et nécessaire, dès lors que les taliban avaient refusé de livrer les réseaux Ben Laden, dont on ne voit aucune tentative pour dire "ce n'est pas moi " - on le voit à travers les déclarations de Ben Laden. Nous considérons que cela était devenu absolument nécessaire, aussi nécessaire pour nous que pour les Etats-Unis, que pour tous les pays du monde qui veulent extirper le terrorisme. Ce n'est pas simplement une action de solidarité, ce doit être notre action aussi. Il faut en venir à ces actions militaires, qui ne sont pas des actions contre l'Afghanistan, qui ne sont évidemment pas des actions contre les musulmans, ni même contre des musulmans. Ce sont des actions contre le système et contre le réseau Ben Laden et contre le système taliban - je n'ose même pas l'appeler "régime" tellement c'est particulier, informe, mais tout à fait nocif en l'espèce. C'est une action ciblée, précise. C'est ce que nous avions demandé, souhaité et c'est ce qui est engagé."
Vous dites que la France est impliquée, au même titre par exemple que G. Schröder, l'Allemand, mais pas tout à fait comme T. Blair, l'Anglais, qui a participé aux premières frappes. Est-ce que la France va être impliquée, comme avec T. Blair, dans quelques jours ?
- "Il faut distinguer l'aspect technique et militaire. Par exemple, les Britanniques avaient des manoeuvres prévues depuis trois ans dans cette région, donc il y a une sorte de coïncidence militaire. Chacun intervient en fonction des capacités qu'il a."
Est-ce politique ? Y a-t-il un lien privilégié dans lequel nous ne serions pas ?
- "Il y a un engagement politique à lutter contre le terrorisme et à extirper ses racines, qui passe par une action militaire. Les responsables américains répètent d'ailleurs depuis plusieurs jours - et ils ont tout à fait raison - que l'aspect militaire n'est qu'un aspect des choses dans cette lutte contre le terrorisme et dans cette lutte beaucoup plus vaste pour régler les maux importants qui déchirent le monde et qui sont le cadre de fond de tout cela. Nous sommes tout à fait engagés, le président de la République l'a dit. Il a dit ce qu'est notre position, arrêtée au cours de plusieurs réunions ces derniers jours, avec le Premier ministre, le ministre de la Défense et moi-même, donc avec le Gouvernement. C'est la position de la France."
Est-ce qu'il y aura des soldats français en territoire afghan, dans les prochains jours ?
- "Je ne répondrai pas à des questions militaires trop précises, vous comprendrez bien pourquoi. Mais vous avez entendu le président de la République, comme vous aviez entendu le Premier ministre, dire que la France prendrait toutes ses responsabilités. C'est une position politique. Rien n'est impossible. Après, il y a des décisions à prendre en fonction des demandes, des possibilités, des opportunités. Ce qui est clair, c'est notre engagement dans cette affaire pour des raisons maintes fois expliquées et qu'il faut garder à l'esprit dans les jours qui viennent."
Vous êtes inquiet. Vous avez l'impression qu'on peut ne pas comprendre, par exemple en France...
- "Je n'ai pas vu de signes d'incompréhension dans l'opinion française, mais une action militaire est toujours un peu "frappante" - dans les deux sens du terme, cela peut choquer. Il faut bien rappeler les choses : c'est peut-être plusieurs milliers de morts, c'est une légitime défense, des actions ciblées, comme on l'avait demandé, contre des installations. Ce n'est pas l'Afghanistan en tant que tel, ce malheureux pays, qui a tellement besoin qu'on s'occupe de lui maintenant et après, mais des installations militaires, des infrastructures terroristes en Afghanistan."
Apparemment, les taliban affirment aujourd'hui qu'il y a déjà une vingtaine de morts. Êtes-vous inquiet pour des victimes civiles ? Comment peut-on les éviter ?
- "Tout a été fait dans le choix des sites pour qu'il y en ait le moins possible. D'autre part, le temps s'est écoulé. Les infrastructures sont connues en Afghanistan : les gens savent très bien s'ils sont à côté d'une base, à côté d'un terrain d'aviation, à côté de repères plus ou moins secrets - secrets pour nous, mais pas forcément pour les villageois d'à côté. Tout a été fait par rapport à cela. Il y a eu des informations échangées entre quelques pays, dont la France, la Grande-Bretagne et d'autres, avec les Etats-Unis, sur la façon d'éviter au maximum ces types de conséquences. Et là, il est impossible de savoir si ce qui est dit par les taliban est vrai. Il n'y a pas de raison que ce soit plus exact que ce qu'ils disent d'habitude sur d'autres sujets. Nous souhaitons évidemment qu'il y en ait le moins possible. Je rappelle que l'un des objectifs, après avoir cassé les infrastructures terroristes, c'est de libérer l'Afghanistan des griffes des taliban. Je le dis depuis longtemps, c'est manifestement un objectif. Il ne faut pas qu'on organise leur avenir à leur place, naturellement, mais il faudra qu'on s'occupe d'eux. Il y a des besoins humanitaires énormes dans ce pays, pas seulement à cause des vingt années de guerre, mais aussi à cause de la sécheresse - c'est un des pays les plus touchés. Il y a toute cette dimension qui est derrière et nous n'allons pas abandonner la suite, sous prétexte que nous passons maintenant par cette inévitable phase militaire."
Quelle solution politique peut-être trouvée en Afghanistan ? Est-ce que nous avons en tête, nous, ici, une solution politique qui serait déjà préparée ?
- "La France, il y a quelques jours, a communiqué à ses partenaires européens, aux Nations unis et aux pays voisins, un plan d'action pour l'Afghanistan qui comprend naturellement, en toute priorité, une action humanitaire de très grande ampleur - on voit d'ailleurs que ça afflue de partout. Aujourd'hui, l'urgence est de la coordonner et de l'organiser. Le représentant spécial des Nations unies pour l'Afghanistan, M. Brahimi, vient d'être renommé dans cette tâche - il est encore à Paris ces jours-ci -, aura un rôle important à jouer, parce qu'il faut que cela atteigne le plus possible ceux qui en ont véritablement besoin. Tout de suite après, il y a la question de l'avenir politique de ce pays."
Quelle est la position de la France là-dessus ?
- "Nous n'avons pas arrêté une position, de loin et dans l'abstrait. Notre souhait est que les Afghans soient mis en position d'être libérés de ces éléments du régime qui s'étaient emparés de ce pays, pour pouvoir organiser entre eux leur propre avenir. C'est l'un des objectifs, il ne faut pas l'oublier. Nous avons fait dans ce plan un certain nombre de propositions qui devraient permettre aux Afghans, aux différentes forces politiques afghanes représentant l'ensemble du pays, de s'organiser pour trouver un avenir."
Est-ce que le Parlement français sera consulté sur l'engagement français aux côtés des Américains ?
- "Oui, naturellement. Le Premier ministre avait d'ailleurs annoncé que le Parlement serait informé et consulté."
Dans quel délai ?
- "C'est à lui de s'exprimer sur ce point. Il le fera certainement rapidement dans la semaine."
Des mesures de sécurité supplémentaires vont-elles être prises pour la vie quotidienne en France ?
- "Depuis le début, le Gouvernement, par l'intermédiaire de Vigipirate renforcé, a pris toutes les mesures..."
On ne les renforce pas ce matin ?
- "Non, nous n'allons pas renforcer le renforcement. Ce qui a été fait est très complet, très systématique, très méthodique. Le ministre de l'Intérieur y veille constamment, ainsi que les autres ministres compétents. Le Gouvernement est mobilisé sur ce point. S'il y avait quoi que ce soit qui doive être fait en plus, naturellement, ce serait fait. Le Premier ministre suit cette question quotidiennement. Nous sommes donc très vigilants."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 9 octobre 2001)