Interview de Mme Pascale Boistard, secrétaire d'Etat aux droits des femmes à LCP-Assemblée Nationale le 12 juin 2015, sur la pénalisation des clients de la prostitution et la lutte contre les violences des réseaux et des filières de prostitution.

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Média : LCP Assemblée nationale

Texte intégral


BRIGITTE BOUCHER
Magie de la télévision Pascale BOISTARD, on vous a vue dans ce sujet, vous êtes avec nous ce matin. Est-ce que vous pensez qu'il suffit de pénaliser le client pour faire complètement disparaître la prostitution en France ?
PASCALE BOISTARD
La loi n'a pas pour seul but de responsabiliser les clients, elle est déjà pour rendre les prostituées des victimes et non plus des délinquantes, et ça, la suppression du délit de racolage permet aux prostituées à travers ce texte de loi de pouvoir se défendre et de pouvoir aussi contribuer au démantèlement des réseaux, donc c'est une lutte contre la criminalité déjà en premier lieu. Deuxièmement, c'est lutter contre les violences, une forme de violence inouïe contre une majorité de femmes. Et puis, c'est aussi responsabiliser les clients qui, par leurs actes, contribuent à entretenir ces réseaux de traite humaine.
BRIGITTE BOUCHER
Responsabiliser, c'est les pénaliser avec une contravention. Quel sera le montant de l'amende ?
PASCALE BOISTARD
C'est plus de trois mille euros, c'est une amende de catégorie 5 qui est une lourde amende.
BRIGITTE BOUCHER
C'est dissuasif pour vous ?
PASCALE BOISTARD
C'est une lourde amende qui est effectivement prévue dans le texte.
BRIGITTE BOUCHER
Vous parlez de lutter contre les violences. Est-ce que vous entendez les arguments des prostituées qui disent elles : « Non, ça va repousser les filles vers des endroits qui sont plus reculés et donc encourager justement cette violence, voire les mettre en danger ». Qu'est-ce que vous répondez ?
PASCALE BOISTARD
Ce qui met en danger aujourd'hui les prostituées, c'est le délit de racolage. D'ailleurs aujourd'hui, moi j'ai fait des maraudes avec des associations sur le terrain, elles sont déjà loin des centres. Elles sont dans des sous-bois pour se prostituer là où on les contraint à se prostituer, donc c'est un faux débat. Cette question est un faux débat.
BRIGITTE BOUCHER
Elles sont toutes contraintes ?
PASCALE BOISTARD
A quatre-vingt-dix pourcent, oui. Elles sont issues de réseaux de traite humaine. C'est ça la réalité aujourd'hui de la prostitution en France.
BRIGITTE BOUCHER
Vous supprimez le délit de racolage que Nicolas SARKOZY avait installé. Est-ce que la pénalisation du client et la suppression de ce délit ne va pas freiner la lutte contre les réseaux ? On sait qu'avec le délit de racolage, on pouvait justement récupérer ces filles, les interroger pour essayer de remonter ces réseaux.
PASCALE BOISTARD
Non. Le délit de racolage permettait une tranquillité de centre-ville. Il ne réglait absolument la prostitution, la preuve en est qu'aujourd'hui nous avons…
BRIGITTE BOUCHER
On ne pouvait pas du tout démanteler de filière ?
PASCALE BOISTARD
C'était extrêmement difficile parce qu'à partir du moment où vous mettiez les prostituées dans une position délinquante, vous ne pouviez pas avoir de la part des prostituées une coopération parce que la loi protège ces prostituées une fois qu'elles ont décidé de sortir du système prostitutionnel. On les protège, on les accompagne à une réinsertion aussi, qu'elle soit d'ailleurs sociale mais aussi sanitaire parce qu'elles sont dans un état de santé extrêmement délabré. Ça nous permet aussi d'abord de sortir des personnes d'un état quasi d'esclavage sexuel mais aussi de démanteler les réseaux puisqu'il y a une coopération qui s'instaure entre ces femmes, majoritairement des femmes qui sont contraintes à la prostitution et les forces de police.
BRIGITTE BOUCHER
Vous luttez contre ces réseaux. Est-ce qu'en luttant contre la prostitution dans la rue, vous n'avez pas peur qu'elles se déplacent sur un autre terrain, celui d'internet ? On voit dans ce reportage que le modèle suédois marche plutôt pas mal, mais sur internet on se rend compte qu'il y a trente-sept mille prostituées en France dont soixante-deux pourcent sur internet. C'est ProstCost qui le dit.
PASCALE BOISTARD
Ce sont les mêmes réseaux qui organisent et, je le rappelle toujours, ce qui se passe sur internet n'est pas en dehors des lois, donc évidemment il y a différentes formes.
BRIGITTE BOUCHER
Vous allez lutter aussi bien dans la rue que sur le net ?
PASCALE BOISTARD
Bien sûr. D'ailleurs aujourd'hui déjà, les forces de police et les enquêteurs travaillent déjà sur les salons de massage, les bars à hôtesse et évidemment sur internet, puisque ceux qui sont porteurs de cette prostitution et qui l'organisent de cette manière-là sont des proxénètes.
BRIGITTE BOUCHER
Il y aura un blocage des sites comme on peut le voir sur la pédophilie ?
PASCALE BOISTARD
Ça, c'est un peu plus complexe en tous les cas. Déjà aujourd'hui, il est interdit de faire cas de prostitution, que ce soit dans les lieux fermés ou que ce soit sur internet, parce que c'est du proxénétisme et que le proxénétisme est toujours dans la loi et reste dans la loi.
BRIGITTE BOUCHER
Vous avez dit que vous vouliez accompagner ces prostituées. Comment vous allez les aider très concrètement ?
PASCALE BOISTARD
C'est par exemple les mettre à l'abri. J'ai rencontré déjà des anciennes prostituées qui sont dans des lieux secrets, on va dire les choses, car elles sont menacées de mort sur notre territoire et leur famille, au pays, eux sont aussi menacés de mort, donc des endroits sécurisés. Et puis, il faut pouvoir les accompagner à se reconstruire et à pouvoir mener une vie telle qu'elles souhaitent la mener.
BRIGITTE BOUCHER
Comment on finance tout ça ?
PASCALE BOISTARD
Il y a fonds de traite qui doit être abondé encore pour justement permettre de meilleurs dispositifs.
BRIGITTE BOUCHER
Et il y a combien dans ce fonds ?
PASCALE BOISTARD
On envisage de l'emmener jusqu'à dix millions d'euros. Aujourd'hui, c'est près de trois millions d'euros plus tout ce qui existe déjà et qui représente déjà huit millions d'euros au total des différents ministères, parce que du travail est déjà fait en la matière. Il faut le dire et je salue toutes les associations et aussi tous les fonctionnaires qui participent justement à ce combat essentiel contre la traite humaine, et qui est en majorité d'ailleurs issu de la prostitution.
BRIGITTE BOUCHER
Il y a un combat politique aussi évidemment avec notamment des écologistes qui disent : « On a le droit de disposer de son corps ». Qu'est-ce que vous leur répondez ?
PASCALE BOISTARD
Je leur réponds qu'assimiler l'émancipation des femmes, parce que disposer de son corps, c'était le grand maître-mot des grands mouvements féministes des années soixante, soixante-dix à vouloir disposer de son corps et une activité qui est en fait une activité criminelle qui se retourne en premier lieu vers les femmes, qui sont des violences inouïes, je trouve que c'est une faute politique que d'avancer cette question de cette manière-là.
BRIGITTE BOUCHER
La droite, elle a voté contre à cent une voix lors de la première lecture. Les écologistes sont partagés, vous pensez que ça va passer facilement ici ?
PASCALE BOISTARD
En tout cas ce que je veux dire, c'est que ce travail à l'Assemblée nationale est transpartisan. D'ailleurs Guy GEOFFROY y a participé énormément, à l'époque c'était avec Danielle BOUSQUET qui était alors député, aujourd'hui c'est avec Maud OLIVIER et Catherine COUTELLE et moi, je salue ce travail qui est fait en commun parce que c'est une question qui nous concerne toutes et tous et qui concerne toute la société, notamment les plus jeunes.
BRIGITTE BOUCHER
Beaucoup de temps a été perdu dans la navette parlementaire puisqu'il a fallu attendre plus d'un an avant que le texte n'arrive au Sénat, il revient maintenant à l'Assemblée. Quand pourra-t-il être définitivement voté et du coup appliqué ?
PASCALE BOISTARD
Tout dépend de l'attitude aujourd'hui du Sénat parce que si le texte est adopté, je l'espère d'ailleurs, aujourd'hui, il peut y avoir un accord de fait avec le Sénat pour que ce texte puisse être mis en vigueur.
Brigitte BOUCHER
Il faut rappeler que c'est le Sénat qui a la main sur les dates pour les propositions de loi socialistes.
PASCALE BOISTARD
Oui. Le Sénat a tardé à réinscrire ce texte, il faut dire les choses.
BRIGITTE BOUCHER
Pourquoi ?
PASCALE BOISTARD
Je n'en sais rien, en tout cas c'est un fait. Nous avons pu en débattre, ils ont détricoté le texte pour rester sur un statu quo d'une situation qu'on connaît aujourd'hui.
BRIGITTE BOUCHER
Il n'y a pas de pénalisation du client, ça c'est le texte qui revient.
PASCALE BOISTARD
Il n'y avait ni la suppression du délit de racolage, ni la responsabilisation du client évidemment qui étaient prévus dans le texte, donc ils ont détricoté le texte qui avait été voté en première lecture à l'Assemblée nationale.
BRIGITTE BOUCHER
On voit bien que le Sénat freine des quatre fers.
PASCALE BOISTARD
Oui, mais je pense aussi que peut-être quelques débats ont été biaisés par quelques-uns. Je pense que les mentalités avancent et j'ai bon espoir que le Sénat revienne, se rende compte des enjeux parce que la France est très regardée au niveau international. D'autres pays commencent déjà au-delà de la Suède à s'inscrire dans cette logique comme l'Irlande du Nord il y a quelques mois et je pense que la France se doit de respecter sa parole internationale qui est réaffirmée depuis 1949.
BRIGITTE BOUCHER
Une question à présent sur la loi Rebsamen. Le rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes a disparu du texte. Il est revenu, c'est-à-dire qu'on aura des données sur les hommes et sur les femmes dans l'entreprise mais pas de rapport de situation comparée comme il existait avant. Que dit la secrétaire d'Etat aux droits des femmes ? Est-ce que ce n'est pas un énorme recul pour les droits des femmes dans l'entreprise ?
PASCALE BOISTARD
Ce qui est fait, c'est aujourd'hui en fait une autre manière de mesurer ces inégalités pour mieux les combattre. C'est une base unique de données où nous avons obtenu qu'elle soit genrée, et ça c'était un vrai enjeu parce que si ça n'avait pas été le cas, effectivement ç'aurait été un recul. Ce n'est pas le cas. Par contre, on se dote d'outils différents pour pouvoir constater plus vite et plus finement justement ces inégalités pour mieux les combattre.
BRIGITTE BOUCHER
Vous pensez que ce sera aussi efficace ?
PASCALE BOISTARD
Tout va être fait pour que ce soit même plus efficace.
BRIGITTE BOUCHER
Ce sera public dans l'entreprise ? Tous les salariés pourront savoir qui a été augmenté ?
PASCALE BOISTARD
Ce sera à la connaissance des représentants des salariés, bien évidemment, mais attention ! Les entreprises ne sont pas exemptes de continuer à produire leurs accords d'égalité salariale par exemple ou d'égalité professionnelle.
BRIGITTE BOUCHER
Ça vous satisfait le texte comme ça ?
PASCALE BOISTARD
En tout cas, nous avons fait en sorte que les outils soient les plus performants possibles pour qu'on puisse continuer à avoir des données précises, encore plus précises, avec des rapports qui parfois n'avaient pas d'analyse, puisqu'il faut se dire les choses aussi. La réalité, c'est qu'il y avait peu d'analyse des rapports, mais aujourd'hui cette base de données, puisqu'elle est genrée justement, elle va nous permettre précisément de pouvoir combattre mieux, je pense, les inégalités.
BRIGITTE BOUCHER
La loi Macron, son examen en commission spéciale s'est achevé hier après-midi. Elle laisse la possibilité, ce projet de loi encore, de l'ouverture de douze dimanches par an. On sait que ce sont les femmes qui sont les plus pénalisées par le travail du dimanche et pourtant, rien n'est prévu dans cette loi pour elles. Pourquoi vous n'avez rien fait ?
PASCALE BOISTARD
Si, vous n'avez peut-être pas regardé. Les parlementaires ont déposé des amendements justement pour mettre des contraintes supplémentaires.
BRIGITTE BOUCHER
Il n'y a pas de compensation particulière, de compensation salariale particulière.
PASCALE BOISTARD
Ces femmes qui d'ailleurs sont une majorité qui travaille le dimanche comme vous le dites, aujourd'hui étaient sous un régime où elles n'étaient pas forcément avec des heures qui étaient valorisées pour un travail du dimanche, donc là hommes et femmes vont être dans un régime particulier, reconnu, et donc avec un salaire supplémentaire par rapport au fait qu'ils travaillent le dimanche. Mais nous avons inclus, et pour les hommes, et pour les femmes, des dispositifs de garde d'enfants, de compensation pour la garde d'enfants, et ça, ça n'existait pas non plus, donc ça les parlementaires l'ont inclus, et moi j'en suis extrêmement heureuse, parce qu'il faut reconnaître ce travail qui existait déjà, et pour femmes c'était extrêmement compliqué de garder les enfants.
BRIGITTE BOUCHER
Alors ça ce n'est pas un sujet qui est explosif pour les frondeurs, il y en a bien d'autres dans cette loi, le travail du dimanche, pas de minimum de compensation salariale, le plafonnement des indemnités prudhommales, est-ce qu'il faudra en passer par le 49.3 et quand ?
PASCALE BOISTARD
Ecoutez, le 49.3, je ne sais pas, on verra suivant les débats et ce qui se sera…
BRIGITTE BOUCHER
Jean-Marie LE GUEN dit c'est une option raisonnable. Vous aussi ?
PASCALE BOISTARD
C'est une option si elle devient incontournable, ensuite si ce texte, qui est quand même extrêmement important, peut recueillir la majorité des suffrages, je ne suis pas sûre que le 49.3 soit toujours le bienvenu. Le 49.3 c'est dans une situation particulière, nous verrons bien.
BRIGITTE BOUCHER
Vous souhaitez que les discussions s'ouvrent, du coup, et qu'il y ait un débat ici à l'Assemblée dès mardi ?
PASCALE BOISTARD
Il y a un débat dans l'hémicycle, et je trouve ça sain, et je trouve ça très bien, donc le travail parlementaire doit être respecté, et en même temps le gouvernement doit mener ses réformes parce qu'il y a urgence à mener ces réformes.
BRIGITTE BOUCHER
Il y a aussi un remaniement qui est annoncé pour la semaine prochaine, au moins deux départs, Carole DELGA et Geneviève FIORASO, est-ce que vous avez l'assurance que ce sont deux femmes qui arriveront à leur place ?
PASCALE BOISTARD
En tout cas la volonté du gouvernement et du président de la République c'est de continuer à faire que ce gouvernement soit paritaire.
BRIGITTE BOUCHER
Et vous pensez qu'il ne sera pas plus large ce remaniement ?
PASCALE BOISTARD
Je n'en sais rien.
BRIGITTE BOUCHER
Vous n'avez aucune idée ?
PASCALE BOISTARD
Non.
BRIGITTE BOUCHER
Vous avez l'assurance de rester à votre poste ?
PASCALE BOISTARD
Mais je n'en sais rien non plus.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 juin 2015