Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur le projet de loi relatif au dialogue social et à l'emploi, Paris le 26 mai 2015.

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Texte intégral


M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, relatif au dialogue social et à l'emploi (nos 2739, 2770, 2773, 2792).
(...)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Monsieur le président, cher monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les députés, la grande ambition du modèle social français, c'est de donner à chacun de nos concitoyens la possibilité de s'épanouir dans une société qui ne conçoit pas de se construire sans chacune et chacun d'entre eux. Évidemment, au cœur de cette promesse, il y a le travail, parce que le travail, c'est d'abord du lien social, mais aussi le fondement de notre protection sociale. De ce point de vue, l'activité, le travail n'est pas seulement la rétribution d'un effort : c'est aussi le moyen de l'émancipation individuelle et collective, le moyen de se construire et de développer une vie personnelle.
La responsabilité d'un gouvernement de gauche est de prendre en compte les évolutions de la société pour faire en sorte que le travail soit toujours valorisé, dans un contexte qui évolue. C'est bien le sens de la prime d'activité, dont la création figure au titre IV de ce texte porté par François Rebsamen. La crise a considérablement fragilisé le lien de nos concitoyens avec le travail, pas simplement parce qu'il y a du chômage, parce que l'inquiétude de ne pas avoir d'emploi, de ne pas en retrouver est évidemment très forte chez un nombre important de Français, mais aussi parce que, de manière paradoxale, il y a, pour un certain nombre de nos concitoyens, l'impression, le sentiment, l'inquiétude, – en fonction des situations – que la reprise d'une activité pourrait s'accompagner d'une précarisation accrue.
De fait, la reprise d'une activité, ce sont aussi, parfois, des contraintes et des coûts supplémentaires : des frais de transport, des frais de garde d'enfants, parfois des frais d'équipement. Nous devons donc faire en sorte que la reprise de l'activité soit toujours valorisée, et que plus un de nos concitoyens ne s'interroge sur son utilité, sur la capacité qu'il peut avoir à reprendre le chemin de l'activité ou d'une activité plus importante. C'est pour cela qu'à travers la prime d'activité, nous nous adressons à ceux qui perdent le bénéfice du revenu de solidarité active – le RSA socle – pour reprendre quelques heures de travail, voire davantage, ainsi qu'à ceux qui ont un emploi à temps partiel et qui ont la possibilité, par exemple, de trouver un emploi à temps plein.
La prime d'activité exercera son plein effet au profit de ceux de nos concitoyens qui perçoivent une rémunération comprise entre 900 et 1 300 euros par mois. La cible est donc bien identifiée. Les dispositifs qui existent, plus ou moins récents – parce qu'en effet, il en existe – fonctionnent mal. De fait, la prime pour l'emploi était perçue par des salariés qui ne savaient pas toujours pourquoi, et qui la percevaient avec un an de retard, de manière relativement éparse et, parfois, pour des montants très limités. Quant au RSA activité – comme nous l'avions souligné lors de sa mise en place –, il renvoyait paradoxalement du côté des revenus d'assistance des hommes et des femmes qui travaillaient. Lorsque nos concitoyens entendaient « RSA activité », ils comprenaient « RSA », plus qu' « activité ». L'objectif recherché n'a pas été atteint : nous savons que des Français ont préféré ne pas demander le bénéfice du RSA activité, en raison de leur fierté du travail, de l'activité, et de leur souhait que cette fierté soit reconnue.
La cible principale de la prime d'activité, j'y insiste, concerne les personnes percevant de 900 à 1300 euros de revenus, ce qui ne signifie pas que les personnes gagnant moins ne perçoivent aucune prime. L'enjeu est aussi de reconnaître qu'il y a des Français qui travaillent, gagnent par exemple le SMIC, et ont l'impression de ne plus cocher les cases de la reconnaissance sociale. Ils gagnent « trop » – j'emploie des guillemets – pour pouvoir bénéficier des aides sociales qui s'adressent aux plus démunis, mais ne gagnent pas assez pour payer des impôts – ce qui est on ne peut plus logique – et ne pourront donc pas bénéficier des baisses d'impôts qui vont s'appliquer, à la rentrée prochaine, aux contribuables concernés par la première tranche d'imposition. Il y a donc une partie importante de Français qui gagnent trop pour bénéficier des aides sociales mais pas assez pour profiter des baisses fiscales.
Mme Isabelle Le Callennec. C'est du Sarkozy dans le texte !
Mme Marisol Touraine, ministre. Nous voulons leur adresser un signe en termes de pouvoir d'achat. La prime d'activité n'est donc en aucun cas, j'y insiste, un dispositif de lutte contre la pauvreté. C'est un dispositif d'accompagnement à la reprise ou à l'accroissement de l'activité. C'est un dispositif de reconnaissance et de pouvoir d'achat pour ceux qui sont au niveau du SMIC. Il ne s'agit pas de cibler les plus précaires de nos concitoyens, pour qui existent d'autres dispositifs.
Cette prime sera liée à l'activité individuelle et, dans le même temps, tiendra compte de la situation familiale. Je n'ignore pas qu'un certain nombre d'entre vous auraient préféré que cette prime soit exclusivement individuelle, mais je veux appeler votre attention sur le fait qu'une prestation strictement individuelle reviendrait à pénaliser les parents, en particulier les parents isolés, alors que nous devons évidemment être attentifs à leur situation. Dans le cadre du dispositif qui vous est proposé, une mère seule – les parents isolés étant souvent des femmes –, avec un enfant à charge, qui perçoit le SMIC, bénéficiera d'une prime de 290 euros par mois, ce qui représentera un gain net de pouvoir d'achat d'un peu plus de 130 euros par mois.
Cette prime d'activité représente une avancée majeure, en particulier pour les jeunes de 18 à 25 ans, puisqu'elle traduit l'engagement du Président de la République en faveur de la jeunesse. Les gouvernements appartenant à la précédente majorité, lorsqu'ils ont mis en place des dispositifs qui étaient censés accompagner la reprise d'emploi, avaient fait des jeunes les grands sacrifiés de leur politique. Il suffit de rappeler qu'il y a aujourd'hui, en tout et pour tout, 5 000 jeunes de 18 à 25 ans qui bénéficient du RSA activité. Or, il n'y a aucune raison que ces derniers, lorsqu'ils travaillent dans les mêmes conditions qu'une personne plus âgée, ne puissent pas bénéficier, selon les mêmes modalités, des mêmes dispositifs d'accompagnement social…
M. Christophe Sirugue, rapporteur de la commission des affaires sociales. C'est clair !
Mme Marisol Touraine, ministre. …d'autant plus que, on le sait, lorsque les jeunes entrent dans la vie active, ils ont plus de difficultés que les autres à s'y insérer durablement.
De fait, les difficultés d'insertion que l'on connaît autour de la vingtaine, au début de la vie active, forment souvent une cicatrice qui marque durablement la vie professionnelle. C'est la raison pour laquelle la prime d'activité, telle qu'elle vous est proposée, accompagnera tous ceux qui travaillent, tous les actifs, y compris les jeunes et certains étudiants et apprentis qui, même s'ils ont encore un contrat d'apprentissage ou une carte d'étudiant, sont déjà largement actifs. La prime sera étendue aux étudiants et aux apprentis qui gagnent plus de 0,78 SMIC, soit environ 900 euros par mois. Demain, au total, un million de jeunes – je dis bien : un million de jeunes – pourront bénéficier de cette prime d'activité alors qu'ils ne sont aujourd'hui que 5 000, en tout et pour tout, à bénéficier du RSA activité.
Cette prime est aussi la démonstration que la protection sociale ne peut pas être considérée comme de l'assistanat. Ce gouvernement s'est engagé à rappeler constamment et fermement que la protection sociale a été mise en place pour protéger contre les risques nés de l'organisation du travail issue de la révolution industrielle.
Chacun aspire en réalité à s'épanouir dans et par son travail ; encore faut-il lui en donner la possibilité. C'est précisément ce que nous voulons faire en renforçant la valeur que les travailleurs tirent de leur activité.
Ainsi que l'a indiqué François Rebsamen, ce projet de loi sera par ailleurs l'occasion de préciser les contours du compte pénibilité issu de la loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Je ne reviendrai pas sur les dispositions que le ministre a mentionnées. Je rappellerai simplement que ce compte est une avancée sociale majeure. En reconnaissant la pénibilité au travail, nous effectuons un travail objectif d'identification de celles et ceux qui, en raison de leurs conditions de travail, connaîtront une espérance de vie en bonne santé plus courte que les autres salariés. Reconnaître la pénibilité, c'est donc faire œuvre de justice, car être juste revient à considérer que les conditions de départ en retraite doivent être différentes selon les situations individuelles.
J'ai annoncé voilà quelque temps que la déclaration de la pénibilité par les entrepreneurs se ferait en un simple clic. C'est aujourd'hui le cas pour les quatre facteurs de pénibilité pris en considération pour le calcul des points depuis le 1er janvier 2015. La même démarche doit être suivie grâce aux propositions inscrites par Christophe Sirugue et les autres auteurs dans le rapport remis ce matin, propositions qui susciteront des amendements sur le présent texte.
Je voudrais pour ma part insister sur trois points. Premièrement, au travers de ce travail, la logique du compte pénibilité est bien renforcée ; elle n'est nullement remise en cause. Les dix facteurs sont maintenus, le barème des points également. Je rappelle que cette année, 1 million de salariés vont acquérir des points au titre de ce compte. Ils seront environ 3 millions l'année prochaine lorsque les dix facteurs de pénibilité seront entrés en vigueur. Au terme de la montée en charge du dispositif, ce sont plus de 100 000 salariés par an qui pourront partir à la retraite plus tôt grâce au compte pénibilité.
Cependant, et c'est le deuxième point sur lequel je souhaite appeler votre attention, pour que ce compte soit effectif, il faut en simplifier le plus possible la mise en œuvre, afin d'en faciliter le déploiement sur le terrain et de garantir l'effectivité des droits nouveaux des salariés. Il n'y a pas d'un côté, les employeurs et, de l'autre, les salariés. Une meilleure compréhension des seuils d'exposition et une meilleure information sur les droits en la matière et les démarches à entreprendre devraient profiter à tous.
Il a ainsi été décidé que la caisse nationale d'assurance vieillesse, au travers des caisses de retraites, assumerait la responsabilité d'organiser le compte, de répertorier les points et de les transmettre aux salariés.
Troisième point, en sécurisant juridiquement le dispositif, il ne s'agit en aucun cas de créer de nouveaux régimes spéciaux. Ce serait évidemment contraire à l'esprit même de la loi qui a créé ce compte. Les branches définiront des cadres opposables qui s'appliqueront ensuite individuellement aux salariés concernés. Grâce à cette étape nouvelle de simplification, l'avancée majeure que représente la mise en place du compte pénibilité entrera de façon définitive dans le patrimoine social des salariés.
Je souhaiterais enfin aborder rapidement la question de l'égalité entre les femmes et les hommes dans ce projet de loi, car je sais qu'elle a suscité des inquiétudes auxquelles le ministre du travail a répondu à l'instant.
Il n'a jamais été question de remettre en cause les acquis en matière d'égalité professionnelle, et ce d'autant moins que ce gouvernement, depuis trois ans, s'est engagé résolument en faveur des droits des femmes, en particulier pour l'égalité professionnelle et salariale.
Il fallait lever ces inquiétudes ; c'est chose faite. J'y insiste : aucune des informations que l'employeur doit actuellement transmettre relativement à l'égalité professionnelle ne disparaîtra. L'intégralité du contenu du rapport de situation comparée est maintenue dans la loi.
Nous avons également entendu les inquiétudes sur le devenir de la négociation sur l'égalité professionnelle. Une simplification des négociations est nécessaire, mais l'égalité n'est évidemment pas une option. On ne simplifie pas « sur le dos » de ceux, en l'occurrence de celles qui se trouvent dans les situations les plus fragiles. C'est bien pourquoi l'égalité professionnelle reste un thème de négociation obligatoire et que, en l'absence d'accord, l'obligation de l'employeur de déposer un plan d'action spécifique est maintenue. Les entreprises qui ne respectent pas ces obligations encourront évidemment des pénalités.
Pour aller plus loin, un amendement sera présenté qui tend à apporter de nouvelles avancées. La périodicité de la négociation sur l'égalité professionnelle ne pourra pas être modifiée en l'absence d'accord sur ce thème.
Mme Sandrine Mazetier. Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. Le Gouvernement veut confirmer ce qui est l'une de ses priorités depuis trois ans : l'égalité entre les femmes et les hommes partout, dans tous les domaines, en particulier, bien sûr, sur le marché du travail.
Je voudrais rappeler que c'est ce gouvernement qui a rendu effectives les lois sur l'égalité professionnelle qui depuis trente ans se succédaient sans être appliquées : les entreprises sont enfin contrôlées, et lorsqu'elles ne respectent pas leurs obligations, elles sont sanctionnées.
Mme Catherine Coutelle. Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. C'est ce gouvernement qui a enrichi les informations que doit transmettre l'employeur en matière d'égalité entre les femmes et les hommes. C'est ce gouvernement qui a inscrit dans la loi un seuil minimal pour les emplois à temps partiel, occupés à 80 % par des femmes.
Les inégalités salariales reculent aujourd'hui presque deux fois plus vite en France que dans le reste de l'Europe. Depuis 2012, le taux d'activité et le taux d'emploi des femmes ont recommencé à progresser après des années de recul ou de stagnation.
Tous ces acquis, nous les avons obtenus par la politique que nous menons depuis trois ans. Nous devons évidemment faire en sorte de progresser encore, d'aller plus loin, en luttant contre tout ce qui vient entraver l'égalité professionnelle et l'épanouissement des femmes au travail, notamment contre tout ce qui s'apparente à du sexisme. Le sexisme sévit dans tous les champs d'activité, dans la société, dans les transports, dans la vie quotidienne. Vous le savez, nous sommes engagés dans une politique résolue contre le sexisme, qui inclut la lutte contre le sexisme au travail.
Nous sommes collectivement fiers de cette action, des résultats qu'elle produit. Nous devons tenir bon et rester vigilants, car en période de crise, certains sont tentés de mettre de côté l'égalité entre les femmes et les hommes. Nous entendons dire, chez certains de nos voisins mais aussi parfois en France, que tout irait mieux si les femmes restaient chez elles pour que les hommes puissent travailler. Cette petite musique ressurgit toujours en situation de crise, mais je peux vous assurer que ce gouvernement ne l'écoutera pas. C'est notre engagement, notre fierté, et telle est notre volonté. En période de crise plus encore qu'en période de croissance, nous devons nous assurer que les droits des femmes et l'accès des femmes au marché du travail sont bien garantis.
Mesdames, messieurs les députés, mois après mois, réforme après réforme, ce gouvernement imprime une marque, sa marque sur notre modèle social. Modernisé, celui-ci est plus juste. Porteur de droits nouveaux pour toutes et tous, il est le ciment de notre société. Ce texte en est une nouvelle illustration. La prime d'activité est et sera considérée comme une avancée majeure pour les travailleurs modestes qui sauront désormais qu'ils peuvent eux aussi compter sur notre république sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 2 juin 2015