Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "Europe 1" le 26 juin 2015, sur les négociations européennes en cours avec la Grèce et l'absence de politique migratoire européenne.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenue, Michel SAPIN bonjour.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci d'être là en direct avec nous, pas seulement parce que vous faites des allers-retours avec Bruxelles, mais vous avez un fort rhume, merci d'être là. Le sommet européen a consacré 7 heures aux migrants, qui déstabilisent l'Europe, pas de répartition à 28, pas de répartition solidaire à 28, mais des volontaires. Qui veut des migrants ? Est-ce que ça c'est la solidarité ?
MICHEL SAPIN
Il n'y a pas longtemps vous auriez dit, mais, on ne peut pas faire des quotas, on ne va pas mettre en place des quotas, donc on ne met pas de quotas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça on n'en veut plus, l'Europe n'en veut plus, elle les a supprimés.
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas seulement l'Europe, je me permets de vous dire que c'est la France qui ne voulait pas, le Premier ministre, le président de la République, l'ont dit très clairement, pas de quotas. De quoi parlons-nous ? Nous ne parlons pas de l'immigration illégale, nous ne parlons pas d'une immigration économique, qui serait autorisée, nous parlons de gens qui sont dans la misère la plus totale parce qu'ils sont, pour des raisons politiques, pour des raisons de sécurité, expulsés, qu'ils essayent vraiment d'éviter la mort chez eux. Donc, ce sont des réfugiés, et il y a des règles, qui sont des règles internationales, qui font qu'on doit accueillir les réfugiés. Simplement, on ne peut pas demander à un pays, l'Italie, de porter tout le poids de cela.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'où la colère de Matteo RENZI, que vous comprenez.
MICHEL SAPIN
Que je peux parfaitement comprendre, et d'où la volonté, qui est celle de la France, de faire en sorte que ce fardeau, mais on peut dire aussi cette solidarité, elle soit portée équitablement par l'ensemble des pays. Aujourd'hui c'est l'Italie, l'Allemagne, la France principalement, et la Suède, qui sont les pays qui accueillent cela, parfois malgré nous, mais qui les accueillons. Donc il faut répartir cette solidarité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que l'Europe, ce matin, n'a pas de politique commune en matière de migration.
MICHEL SAPIN
Mais ça n'existe pas…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut le reconnaître.
MICHEL SAPIN
Il n'y a pas de politique commune, en dehors de ce qui concerne un certain nombre de pays en Europe, et qui sont dans un mécanisme de surveillance des frontières, qui nous est commune, nous avons, aujourd'hui, une volonté commune. Cette volonté commune c'est que cette charge, qui est une charge de solidarité, elle soit répartie justement entre tous les pays.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'autant plus qu'elle doit continuer parce que Daesh et ses trafiquants se servent des migrants comme des armes anti-occident.
MICHEL SAPIN
Oui, d'où la nécessité de continuer à combattre Daesh partout, partout dans le Moyen-Orient, ou partout dans le Maghreb, où Daesh, d'une manière ou d'une autre, porte la mort et porte l'horreur.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Même en France. A Bruxelles l'Europe vit donc la journée de toutes les crises, les journées devrais-je dire, surtout à propos de la Grèce. On sait maintenant que la solution, il ne faut pas l'attendre du sommet européen, ils ont d'autres sujets, mais de l'Eurogroupe. Vous, vous rentrez du quatrième Eurogroupe en une semaine, il y en aura un autre demain, et il va y en avoir combien, comme ça, jusqu'à quand, et c'est sans résultat. Et le commissaire européen, OETTINGER, vient de dire « une sortie de la Grèce de la zone euro est inévitable s'il n'y a pas d'accord au 30 juin. » Le 30, c'est mardi. Vous êtes d'accord, là, avec lui ?
MICHEL SAPIN
Chaque qui passe nous rapproche du moment où l'inévitable se produira.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'inévitable, c'est-à-dire ?
MICHEL SAPIN
L'inévitable ça serait une mauvaise solution, une solution où dans une forme de chaos, de désordre, la Grèce, progressivement, sortirait de l'euro, dans des conditions qui, par ailleurs, n'apporteraient que des problèmes et que des difficultés aux autres pays d'Europe.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous dites comme OETTINGER, s'il n'y a pas de solution au 30 juin, la sortie est inévitable ?
MICHEL SAPIN
Pourquoi le 30 juin ? Parce qu'il y a aujourd'hui ce qu'on appelle un programme, nous accompagnons la Grèce jusqu'au 30 juin, et la Banque Centrale Européenne en particulier, est en capacité d'accompagner la Grèce et de faire en sorte que celle-ci puisse faire face à ses difficultés, voilà. C'est un accord qui avait été signé entre l'ensemble des pays et la Grèce, qui vaut jusqu'au 30 juin, après le 30 juin, c'est autre chose. Donc, nous allons trouver un accord, parce qu'il n'y a pas d'autre solution que celle d'un accord, qui permette de préserver, préserver les intérêts de la Grèce, tout en mettant l'Europe à l'abri de ce qui serait dangereux, d'une manière ou d'une autre, pour nous. On est en train de retrouver la croissance, vous croyez qu'on a besoin, dans cette période où on retrouve de la croissance, qu'on s'inquiète des conséquences de la sortie d'un pays comme la Grèce de l'euro ? Non. On a besoin de stabilité, on a besoin de visibilité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc, le scénario, samedi Eurogroupe avec vous, peut-être un accord, ensuite monsieur TSIPRAS va faire voter ce texte par le Parlement…
MICHEL SAPIN
… moindre difficulté, et on peut le comprendre, pour lui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec la gauche de la gauche de son parti, ensuite les Allemands doivent voter, et c'est le 30.
MICHEL SAPIN
Oui, voilà, je crois que vous avez très bien décrit les choses.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, s'il y accord.
MICHEL SAPIN
Donc c'est samedi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez parlé de la BCE. Depuis janvier, en six mois la BCE a accordé aux banques grecques, vous dites qu'elle accompagne, près de 100 milliards. Depuis, ces 100 milliards, au lieu de servir les banques grecques, où ils vont, ils sont placés dans les banques d'Allemagne, de Suisse, de Luxembourg, peut-être de France, est-ce que c'est normal ?
MICHEL SAPIN
Non, mais… vous simplifiez un truc qui est extrêmement compliqué. Mais la Banque Centrale européenne elle est là pour la Grèce comme pour tout autre pays, quand un banque a besoin de ce qu'on appelle de liquidité, cet argent…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous ne démentez pas les 90 à 100 milliards ?
MICHEL SAPIN
Non, je ne connais pas les chiffres, je n'ai pas à les démentir ou à ne pas les démentir…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais on se bat pour 3 milliards ou 4 milliards à Bruxelles, alors que…
MICHEL SAPIN
Et vous n'êtes pas banque centrale, et moi non plus, donc je ne vais pas aller rentrer dans les détails des comptes que vous ne connaissez pas plus que moi, et que je n'ai pas à connaître, pas plus que vous. Donc, de quoi s'agit-il ? Vous avez aujourd'hui un certain nombre de Grecques et de Grecs qui sont inquiets, qui se disent « si mon pays sort de l'euro, les euros que j'ai à moi, là, qui valent ce qu'ils valent en France, qu'est-ce qu'ils vont valoir demain ? Je préfère donc sortir les euros de la banque, les mettre sous mon matelas, parce que ces billets-là je considérerais que demain ils seront toujours valables. » Donc voilà, c'est une espèce de fuite, et c'est cette fuite-là…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais alors à quoi sert qu'on les leur donne, les 90, 100 milliards, 110 milliards, les chiffres que je ne connais pas et que vous ne connaissez pas ?
MICHEL SAPIN
Mais, Monsieur ELKABBACH, si vous allez à la banque pour sortir 250 euros et qu'on vous dit « non Monsieur ELKABBACH, vous n'aurez pas vos 250 euros », je pense que vous n'allez pas être content.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pourquoi…
MICHEL SAPIN
Eh bien le Grec il est comme vous, s'il va chercher 250 euros, il a envie de récupérer ses 250 euros.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais moi je peux avoir confiance dans mon gouvernement, là, apparemment, il y a une défiance, dans les gouvernements.
MICHEL SAPIN
Il y a une vraie difficulté, mais c'est gentil de montrer qu'on peut avoir confiance dans le gouvernement français, mais il y a une vraie difficulté, et il y a une vraie terreur d'un certain nombre de Grecs, de la sortie de l'euro, et donc la Grèce ne sortira pas de l'euro, et il faut qu'elle prenne elle-même les mesures qui lui permettent d'être dans l'euro dans des conditions budgétaires et financières de stabilité. Parce que la Grèce elle a besoin de quoi, Monsieur ELKABBACH ? Elle n'a pas besoin de milliards de ceci ou de milliards de cela, elle a besoin de retrouver de la croissance, de l'activité. Il faut qu'il y ait des entreprises, il faut qu'il y ait des commerces, il faut qu'il y ait des artisans qui fonctionnent, mais tout est à l'arrêt aujourd'hui, ça ne peut pas continuer comme ça, un pays à l'arrêt, il ne peut pas se redresser. Donc, il faut redonner à la Grèce une perspective, une stabilité, qui lui permette de retrouver la croissance.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Que son gouvernement le lui donne, mais pour éviter la fuite de l'argent, prêté, pourquoi le gouvernement TSIPRAS ne décide pas le contrôle des changes, lui-même, pour éviter que son argent file ailleurs ?
MICHEL SAPIN
Mais personne, d'ailleurs, ne lui demande aujourd'hui, parce que ce n'est pas une solution, ce n'est pas une solution normale, ce n'est pas comme ça qu'on fait dans une économie qui fonctionne, et, le contrôle de changes, ce serait l'aveu de l'échec, pour nous, pas pour la Grèce, pour nous tous. Donc ce n'est pas ça qu'on cherche. On cherche un accord qui soit un accord stable, qui soit un accord global, et qui soit un accord durable. Je n'ai pas envie de recommencer tous les jours, ou toutes les semaines, ou tous les 3 mois.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je vous comprends, il y a d'autres problèmes. Ce matin, pour la Grèce, c'est toujours « To be or not to be » dans la zone euro, mais à vous écouter ça serait plutôt « Not to be » dans la zone euro ?
MICHEL SAPIN
Ah non, pas du tout !
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça sera « To be. »
MICHEL SAPIN
Dans la vie politique on n'est pas là à faire du commentaire, ça c'est votre propre vie de journaliste, moi je suis là dans l'action, je suis là, avec les autres ministres des Finances…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, essayer de savoir la vérité c'est une forme d'action aussi.
MICHEL SAPIN
Non, non, je suis là dans l'action, et je suis, avec les autres ministres des Finances, parce que les chefs d'Etat et de gouvernement nous ont demandé de trouver la solution, dans le dialogue, avec le gouvernement grec, pour trouver cette solution et cet accord, parce que c'est le seul moyen qui apporte à la Grèce de la stabilité et à nous, aussi, une perspective. Vous croyez qu'on a besoin, nous, de mouvements de capitaux, de mouvements sur les marchés ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'autant plus qu'il y aura d'autres réunions, en octobre, peut-être en décembre, en janvier…
MICHEL SAPIN
Mais il y en a tout le temps, et on parle, à ce moment-là, de la Grèce, de la France…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
La Grèce, on en a pour 5 à 10 ans.
MICHEL SAPIN
Tenez, en octobre on va voir que la France va beaucoup mieux, que ses déficits diminuent, c'est agréable parfois, aussi, les rencontres au niveau européen.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous reviendrez avec moins de colère et que vous parlerez des choses qui s'améliorent en France. Le scandale des violences des taxis qui vont payer longtemps leur impopularité, on entendait l'invité avec Thomas SOTTO tout à l'heure, ils bloquent les villes, il y a des violences, ils bloquent les aéroports, etc. Personne n'arrêtera le numérique, et l'évolution de « l'ubérisation » de l'économie, comme disait Maurice LEVY.
MICHEL SAPIN
Oui, oui, on cherche toujours des néologismes comme ça, mais les violences…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les réalités, historiques.
MICHEL SAPIN
Les violences, quelles qu'elles soient, elles sont condamnables, elles seront condamnées, et ceux qui les ont produites, ceux qui se sont donnés dans cette violence, seront condamnés. C'est comme ça pour tout le monde, qu'on soit taxi ou qu'on ne soit pas taxi, c'est comme ça pour tout le monde. La deuxième chose. S'il y a des technologies nouvelles, tant mieux, ça facilite la vie, tant mieux, c'est parfait, dans ce domaine comme dans d'autres, mais est-ce qu'on est là pour favoriser le travail au noir ? Est-ce qu'on est là, d'une manière ou d'une autre, pour favoriser des activités où vous ne payez plus d'impôts, plus de cotisations sociales ? La réponse est non. Et donc, les nouvelles technologies, oui, mais dans un cadre qui permet de respecter…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il faut trouver de nouvelles règles.
MICHEL SAPIN
Respecter la solidarité, et surtout qui respecte une vraie concurrence. Les uns payent des charges, les autres doivent les payer aussi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et quand on dit que l'Etat pourrait trouver une solution qui allège ou surprime le poids des licences, garantir leur avenir, racheter les licences, etc. Le ministre des Finances, qu'est-ce qu'il dit ?
MICHEL SAPIN
Ça c'est une très vieille histoire, mais ça voudrait dire complètement réformer la profession de taxi, faire en sorte que, au fond, tout le monde puisse s'installer pour faire taxi. Ce n'est pas encore aujourd'hui, me semble-t-il, la solution. Ce que nous voulons, c'est une concurrence égale des règles et une concurrence qui soit une concurrence juste. Si le service est meilleur avec ceux qui paient des impôts et des cotisations, eh bien c'est eux qui auront le plus de chiffre d'affaires, à tout le monde d'être bon, y compris aux taxis parisiens d'être aimables et d'être accueillants.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous pensez que malgré cela UBER peut continuer, alors qu'il y a des interdits ?
MICHEL SAPIN
Comme vous le savez, on confond deux choses. Donc, UBER est légal, mais l'autre activité ne l'est pas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Une question simple, je reviens à la Grèce. On dit le 30 juin, la Grèce doit rembourser au FMI 1,6 milliard, si elle le fait on lui débloque 7,2 milliards.
MICHEL SAPIN
Non, ça ne suffit pas, il faut qu'il y ait un accord.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que pour éviter la faillite on ne peut pas inverser, lui donner les 7,2 milliards pour qu'elle…
MICHEL SAPIN
Non, mais je vais vous dire…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est simple, donnez-lui les 7 milliards, ils remboursent.
MICHEL SAPIN
C'est très simple, il y a une négociation, cette négociation doit aboutir, ça sera le mieux pour la Grèce, ça sera le mieux pour nous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais la dette continue, elle ne sera pas remboursée la dette de la Grèce.
THOMAS SOTTO
Je pense qu'il faut inviter Jean-Pierre à la table des négociations, il va vous régler le problème en deux coups de cuillère à pot !
MICHEL SAPIN
Je vais l'inviter à la table des négociations… c'est déjà un peu compliqué aujourd'hui, je pense qu'il ne simplifierait pas le débat, et moi j'ai besoin de gens qui simplifient le débat Monsieur ELKABBACH, et c'est comme ça qu'on va réussir demain.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est pour ça que vous êtes ministre et diplomate, moi non.
THOMAS SOTTO
Merci Jean-Pierre ELKABBACH, merci Michel SAPIN.Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 juin 2015