Texte intégral
Bima : Vous avez lancé l'été dernier un appel à projets " Dynamiques solidaires ". Comment le monde rural et agricole y a-t-il répondu ?
Guy Hascoët : 2 500 dossiers nous sont parvenus dont 1 760 tout à fait valables. L'économie solidaire se niche partout, les projets concernent la culture, la petite enfance, l'environnement et 5 % touchent au monde agricole et rural. Je disposais d'une enveloppe de 33 millions de francs et nous avons décidé d'être très sélectifs pour éviter le saupoudrage. 176 projets ont été subventionnés. Mais il reste 450 bons dossiers qui continuent à être instruits. Pour les soutenir, nous sommes en train de mobiliser divers partenaires. Il faut continuer à mobiliser des fonds et ce n'est pas seulement le rôle de l'état, ce peut être le fait de collectivités, de fondations ou de grands établissements financiers ayant des missions d'intérêt général. Enfin, nous venons d'identifier une centaine de têtes de réseaux de l'économie solidaire, avec lesquelles nous essayons de mettre en place des partenariats et qui vont pouvoir récupérer les bons dossiers les concernant. Aujourd'hui, environ 40 projets supplémentaires sont déjà sélectionnés.
Bima. : Où en sont vos projets pour un " Internet solidaire " ?
Guy Hascoët :Nous avons opté rapidement pour un portail, dont l'objectif est justement de fédérer toutes les familles de l'économie sociale et solidaire. Après, c'est au citoyen de faire son marché en utilisant le portail pour orienter sa recherche (mutualités, coopératives de commerçants, commerce équitable, financements solidaires, services à la personne). Tout cela devrait être en ligne dans quelques mois. À terme terme, notre objectif est de structurer un secteur de soutien financier en fédérant l'ensemble des acteurs et en les interconnectant. Ce n'est pas une mise sous tutelle, chacun continue d'exister avec sa spécificité, son autonomie. Mais une enseigne unique permet de montrer que ce secteur concerne plusieurs centaines de milliers de personnes, qu'il représente beaucoup d'initiatives et couvre 10 % du paysage économique. Pour l'instant, certaines familles paraissent embryonnaires mais je suis persuadé que d'ici 20 ou 30 ans, des domaines comme la finance solidaire, le commerce équitable ou les services de proximité ont vocation à devenir des grands secteurs.
Bima. : La Caisse solidaire du Nord-Pas-de- Calais(1) est l'un de ces modèles de financement solidaire appelé à se développer, y compris pour financer des projets agricoles ?
Guy Hascoët :Effectivement, une mission est lancée pour répandre les établissements financiers solidaires dans toute la France. J'ai contacté tous les Conseils régionaux, une dizaine a déjà répondu positivement, j'ai l'accord tacite des banques de l'économie sociale et des coopératives mutualistes et maintenant je démarche les territoires. Ces caisses solidaires régionales seraient dotées d'un fonds de 10 à 20 MF de capital de base, avec un flux qui irait de 20 à 100 MF et qu'il faudra brasser en prêts sur trois à quatre ans. Le capital serait issu pour un tiers des partenaires nationaux, les banques du secteur, la Caisse des dépôts et Consignations, pour un autre tiers du Conseil régional et un tiers des sociétés civiles régionales (associations, comités d'entreprises, coopératives, fondations, particuliers, etc.). Une fois créées les conditions politiques et financières, l'ensemble des acteurs d'un tissu régional intéressés par un tel outil doivent se mobiliser.
Bima. : Le projet de loi cadre sur l'économie citoyenne que vous préparez développe l'idée d'une labellisation des entreprises engagées dans une démarche d'économie solidaire : comment imaginez-vous ce type d'agrément pour les entreprises agricoles ?
Guy Hascoët : Pour l'instant, dans les territoires ruraux et agricoles, nous essayons d'identifier les domaines où des choses sont à inventer ou à accompagner. Nous commençons par nous intéresser au foncier solidaire en partant d'une donnée fondamentale : quatre départs pour une installation. On sait qu'il n'y a pas suffisamment d'enfants du milieu agricole pour reprendre les exploitations, cela signifie obligatoirement que des gens issus de milieux non agricoles s'installent. Ce n'est pas une chose aisée culturellement. Elle est rendue encore plus difficile par l'aspect financier. Cela implique un fort niveau d'endettement avec le risque qu'au premier faux pas, tout soit par terre. Il faut séparer ces deux questions, le foncier et l'exploitation, trouver un mécanisme de portage de la terre et des murs et ne demander à la personne qui s'installe de ne se soucier que du bilan de l'exploitation. On peut mobiliser des tas de citoyens sur l'idée de favoriser un tel mécanisme qui maintiendrait des emplois. Et en même temps recréer du lien intelligent, réinvestir sur la question agricole sous un angle positif. Les outils juridiques existent et il serait logique de demander au secteur financier agricole d'accepter une mission d'intérêt général pour accompagner une mobilisation de l'épargne et de l'argent permettant l'installation d'un plus grand nombre de jeunes. Avec le contrat territorial d'exploitation mis en place par la loi d'orientation agricole, le ministère de l'Agriculture et de la Pêche essaye de favoriser les installations progressives. Ces mécanismes doivent être complémentaires.
Bima : Vous étudiez un projet de Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) permettant de mutualiser les moyens de plusieurs entreprises au niveau régional : quelles sont vos réflexions à ce propos concernant le milieu coopératif agricole ?
Guy Hascoët :Pour agir, il n'est pas nécessaire de toucher au statut des coopératives, mais il faut faire en sorte que plusieurs partenaires à statuts juridiques différents puissent se regrouper : CUMA, GAEC, associations, collectivités locales. Prenons l'exemple des exigences en matière d'hygiène qui émanent de Bruxelles et impliquent des mises aux normes parfois coûteuses : pour y répondre, à l'échelle d'un terroir, on pourrait imaginer que se crée une SCIC où puissent se croiser des financements publics et privés avec des partenaires de plusieurs natures juridiques. Qu'il s'agisse d'entretien de paysage, de création d'un label alimentaire, de tels regroupements peuvent se réaliser au nom d'une utilité sociale. Dans tous les cas, il faut faciliter les rapprochements, car partout où les gens se rencontrent (milieu agricole, environnemental) cela donne de bons résultats. D'une manière générale, il faut mutualiser ce que peuvent payer les clients d'un service, ceux qui ont intérêt à ce que le service existe et la collectivité. C'est le mariage des trois qui peut faire avancer les choses.
Bima : L'Union européenne peut-elle favoriser ces démarches d'économie solidaire ?
Guy Hascoët : Le projet de statut coopératif européen est inscrit à l'ordre du jour de la présidence suédoise de l'UE. Une mission réunissant des représentants de trois états de l'Union européenne cherche actuellement comment les démarches d'économie solidaire pourraient être facilitées. C'est dans l'intérêt de tous les pays car il y a à la clé la création de beaucoup d'emplois. L'Europe doit reconnaître la pluralité des démarches économiques et ne pas s'en tenir à une version libérale. Il y a tout un secteur d'économie sociale et solidaire à consolider dans le milieu agricole au niveau européen. Et d'ailleurs cela va dans le sens de la réorientation de la politique agricole commune qui à travers le plan de développement rural, propose de soutenir davantage les hommes et donc les emplois et pas seulement la production.
Propos recueillis par Maryline Trassard et Jean-Marc Neuville
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 1 août 2001)
Guy Hascoët : 2 500 dossiers nous sont parvenus dont 1 760 tout à fait valables. L'économie solidaire se niche partout, les projets concernent la culture, la petite enfance, l'environnement et 5 % touchent au monde agricole et rural. Je disposais d'une enveloppe de 33 millions de francs et nous avons décidé d'être très sélectifs pour éviter le saupoudrage. 176 projets ont été subventionnés. Mais il reste 450 bons dossiers qui continuent à être instruits. Pour les soutenir, nous sommes en train de mobiliser divers partenaires. Il faut continuer à mobiliser des fonds et ce n'est pas seulement le rôle de l'état, ce peut être le fait de collectivités, de fondations ou de grands établissements financiers ayant des missions d'intérêt général. Enfin, nous venons d'identifier une centaine de têtes de réseaux de l'économie solidaire, avec lesquelles nous essayons de mettre en place des partenariats et qui vont pouvoir récupérer les bons dossiers les concernant. Aujourd'hui, environ 40 projets supplémentaires sont déjà sélectionnés.
Bima. : Où en sont vos projets pour un " Internet solidaire " ?
Guy Hascoët :Nous avons opté rapidement pour un portail, dont l'objectif est justement de fédérer toutes les familles de l'économie sociale et solidaire. Après, c'est au citoyen de faire son marché en utilisant le portail pour orienter sa recherche (mutualités, coopératives de commerçants, commerce équitable, financements solidaires, services à la personne). Tout cela devrait être en ligne dans quelques mois. À terme terme, notre objectif est de structurer un secteur de soutien financier en fédérant l'ensemble des acteurs et en les interconnectant. Ce n'est pas une mise sous tutelle, chacun continue d'exister avec sa spécificité, son autonomie. Mais une enseigne unique permet de montrer que ce secteur concerne plusieurs centaines de milliers de personnes, qu'il représente beaucoup d'initiatives et couvre 10 % du paysage économique. Pour l'instant, certaines familles paraissent embryonnaires mais je suis persuadé que d'ici 20 ou 30 ans, des domaines comme la finance solidaire, le commerce équitable ou les services de proximité ont vocation à devenir des grands secteurs.
Bima. : La Caisse solidaire du Nord-Pas-de- Calais(1) est l'un de ces modèles de financement solidaire appelé à se développer, y compris pour financer des projets agricoles ?
Guy Hascoët :Effectivement, une mission est lancée pour répandre les établissements financiers solidaires dans toute la France. J'ai contacté tous les Conseils régionaux, une dizaine a déjà répondu positivement, j'ai l'accord tacite des banques de l'économie sociale et des coopératives mutualistes et maintenant je démarche les territoires. Ces caisses solidaires régionales seraient dotées d'un fonds de 10 à 20 MF de capital de base, avec un flux qui irait de 20 à 100 MF et qu'il faudra brasser en prêts sur trois à quatre ans. Le capital serait issu pour un tiers des partenaires nationaux, les banques du secteur, la Caisse des dépôts et Consignations, pour un autre tiers du Conseil régional et un tiers des sociétés civiles régionales (associations, comités d'entreprises, coopératives, fondations, particuliers, etc.). Une fois créées les conditions politiques et financières, l'ensemble des acteurs d'un tissu régional intéressés par un tel outil doivent se mobiliser.
Bima. : Le projet de loi cadre sur l'économie citoyenne que vous préparez développe l'idée d'une labellisation des entreprises engagées dans une démarche d'économie solidaire : comment imaginez-vous ce type d'agrément pour les entreprises agricoles ?
Guy Hascoët : Pour l'instant, dans les territoires ruraux et agricoles, nous essayons d'identifier les domaines où des choses sont à inventer ou à accompagner. Nous commençons par nous intéresser au foncier solidaire en partant d'une donnée fondamentale : quatre départs pour une installation. On sait qu'il n'y a pas suffisamment d'enfants du milieu agricole pour reprendre les exploitations, cela signifie obligatoirement que des gens issus de milieux non agricoles s'installent. Ce n'est pas une chose aisée culturellement. Elle est rendue encore plus difficile par l'aspect financier. Cela implique un fort niveau d'endettement avec le risque qu'au premier faux pas, tout soit par terre. Il faut séparer ces deux questions, le foncier et l'exploitation, trouver un mécanisme de portage de la terre et des murs et ne demander à la personne qui s'installe de ne se soucier que du bilan de l'exploitation. On peut mobiliser des tas de citoyens sur l'idée de favoriser un tel mécanisme qui maintiendrait des emplois. Et en même temps recréer du lien intelligent, réinvestir sur la question agricole sous un angle positif. Les outils juridiques existent et il serait logique de demander au secteur financier agricole d'accepter une mission d'intérêt général pour accompagner une mobilisation de l'épargne et de l'argent permettant l'installation d'un plus grand nombre de jeunes. Avec le contrat territorial d'exploitation mis en place par la loi d'orientation agricole, le ministère de l'Agriculture et de la Pêche essaye de favoriser les installations progressives. Ces mécanismes doivent être complémentaires.
Bima : Vous étudiez un projet de Société coopérative d'intérêt collectif (SCIC) permettant de mutualiser les moyens de plusieurs entreprises au niveau régional : quelles sont vos réflexions à ce propos concernant le milieu coopératif agricole ?
Guy Hascoët :Pour agir, il n'est pas nécessaire de toucher au statut des coopératives, mais il faut faire en sorte que plusieurs partenaires à statuts juridiques différents puissent se regrouper : CUMA, GAEC, associations, collectivités locales. Prenons l'exemple des exigences en matière d'hygiène qui émanent de Bruxelles et impliquent des mises aux normes parfois coûteuses : pour y répondre, à l'échelle d'un terroir, on pourrait imaginer que se crée une SCIC où puissent se croiser des financements publics et privés avec des partenaires de plusieurs natures juridiques. Qu'il s'agisse d'entretien de paysage, de création d'un label alimentaire, de tels regroupements peuvent se réaliser au nom d'une utilité sociale. Dans tous les cas, il faut faciliter les rapprochements, car partout où les gens se rencontrent (milieu agricole, environnemental) cela donne de bons résultats. D'une manière générale, il faut mutualiser ce que peuvent payer les clients d'un service, ceux qui ont intérêt à ce que le service existe et la collectivité. C'est le mariage des trois qui peut faire avancer les choses.
Bima : L'Union européenne peut-elle favoriser ces démarches d'économie solidaire ?
Guy Hascoët : Le projet de statut coopératif européen est inscrit à l'ordre du jour de la présidence suédoise de l'UE. Une mission réunissant des représentants de trois états de l'Union européenne cherche actuellement comment les démarches d'économie solidaire pourraient être facilitées. C'est dans l'intérêt de tous les pays car il y a à la clé la création de beaucoup d'emplois. L'Europe doit reconnaître la pluralité des démarches économiques et ne pas s'en tenir à une version libérale. Il y a tout un secteur d'économie sociale et solidaire à consolider dans le milieu agricole au niveau européen. Et d'ailleurs cela va dans le sens de la réorientation de la politique agricole commune qui à travers le plan de développement rural, propose de soutenir davantage les hommes et donc les emplois et pas seulement la production.
Propos recueillis par Maryline Trassard et Jean-Marc Neuville
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 1 août 2001)