Texte intégral
GUILLAUME DURAND
Je suis ravi de vous retrouver avec Harlem DESIR, notre invité ce matin, bonjour, bienvenue. Je rappelle que vous êtes chargé des affaires européennes au gouvernement et que, évidemment, on va parler de la Grèce pour savoir ce qui va se passer dans les heures, dans les semaines et dans les mois qui viennent.
HARLEM DESIR
Bonjour Guillaume DURAND.
GUILLAUME DURAND
Un mot, il est important, concernant Charles PASQUA, parce que, d'une certaine manière, c'était l'ennemi politique absolu de votre génération.
HARLEM DESIR
Disons que nous avons été adversaires, mais quand quelqu'un disparaît il faut surtout lui rendre hommage. Il était un patriote, nous n'étions pas de la même famille de pensées politiques, mais il avait été un jeune résistant, c'était un homme d'engagement, de courage, de fidélité, au Général DE GAULLE. Et qui était aussi un homme paradoxal, parce qu'il a moi c'est ce que j'ai vécu évidemment comme leader de mouvement de jeunesse été très dur sur les questions d'immigration. Peut-être qu'il a pensé pouvoir contenir aussi la montée du Front national, qui finalement, il le voyait, était une menace pour les gaullistes, pour les vrais républicains, en allant parfois sur le terrain de la dureté par rapport à l'immigration. Et à d'autres moments, dans des accents de vérité, il avait eu le courage de dire que l'immigration zéro ça n'existait pas, il avait même osé parler de quotas, ce mot est pourtant difficile, en disant « il faudra qu'on accepte d'accueillir tous les ans une certaine quantité de migrants. »
GUILLAUME DURAND
Vous êtes pratiquement dans le respect ce matin alors que, fondamentalement, à l'époque, c'était violent. L'homme du SAC
HARLEM DESIR
Je n'ai pas connu cette époque, c'était avant.
GUILLAUME DURAND
Non, non, mais je veux dire dans la caricature
HARLEM DESIR
Oui, il y a eu « les voltigeurs », il y a eu l'intervention dure contre le mouvement étudiant de 1986
GUILLAUME DURAND
Quand Emmanuelle COSSE dit ce matin « je ne me souviens pas du résistant, par contre je me souviens » - enfin, je me souviens « mon souvenir c'est d'abord et avant tout celui de Malik OUSSEKINE », est-ce qu'elle a raison, pour vous, ou est-ce que, fondamentalement, c'est un manque de respect ?
HARLEM DESIR
Non, je vous dis moi aussi je pense à cela, évidemment, mais c'est un moment où il faut présenter ses condoléances à sa famille, à ses proches, à ceux pour qui il était un être cher, parce qu'il était aussi une figure militante et politique. Je crois que lui-même s'est exprimé après, sur l'affaire Malik OUSSEKINE, en disant que ça avait été, pour lui aussi, un choc et un drame. Je ne crois pas qu'on puisse dire qu'il souhaitait, évidemment, qu'une telle chose arrive.
GUILLAUME DURAND
Vous êtes sincère en disant tout ça ou fondamentalement ce sont des mots d'un ministre à propos d'un ancien grand politique ?
HARLEM DESIR
C'est un grand politique. J'ai dit, nous n'étions pas du même côté politique, nous avons été adversaires, ça n'empêche pas le respect pour l'homme, et, même s'il y a eu des zones d'ombre, mais enfin il y a aussi des zones plus lumineuses pour lui.
GUILLAUME DURAND
Harlem DESIR, beaucoup d'interrogations concernant ce qui se passe en Grèce, je rappelle que vous êtes chargé des affaires européennes au gouvernement. D'abord, ce soir, probablement ce défaut de paiement, je dis probablement parce que j'aimerais bien vous poser la question à vous, est-ce que vous considérez, puisque vous vous occupez de ces affaires, que le défaut de paiement est déjà acté et est-ce que vous pensez qu'à terme, comme le dit benoît COEURE ce matin dans Les Echos, que la Grèce va sortir de l'Europe ?
HARLEM DESIR
Il y a un risque. A terme, ça va dépendre des décisions qui seront prises en Grèce. Aujourd'hui il y a une échéance de remboursement très importante vis-à-vis du FMI, et aujourd'hui, comme le président de la République l'a dit, la France est disponible pour reprendre des discussions, pour trouver une solution, pour réussir à mettre en oeuvre cet accord qui avait été préparé par les institutions, c'est-à-dire en fait par la Commission européenne, la Banque Centrale, mais aussi le FMI. Et la France a tout fait pour essayer de faire en sorte qu'il y ait à la fois des financements, des soutiens à la Grèce, mais en même temps qu'il y ait des mesures de réformes, parce que c'est vrai que si la Grèce est dans cette situation ce n'est pas la responsabilité du gouvernement actuel, mais c'est parce que, à un moment, la gestion publique n'était pas crédible, parce que les impôts ne rentraient pas, parce que les dépenses étaient trop importantes.
GUILLAUME DURAND
Mais il y a une chose que je ne comprends pas dans la position de la France, et celle de François HOLLANDE, c'est qu'au fond on a l'impression que d'un côté il est solidaire des grandes institutions internationales, il est solidaire de l'Europe, et de l'autre côté disons, en le disant, tout en ne le disant pas, il fait comprendre à TSIPRAS qu'il va plaider son dossier. Donc, il est avec qui, il est avec TSIPRAS ou il est avec Christine LAGARDE ?
HARLEM DESIR
Mais parce que nous sommes avec ce qu'est l'intérêt de la Grèce, et du peuple grec, et de l'Europe. L'intérêt de l'Europe c'est d'avancer ensemble. Dans ces moments où il y a des défis, qui sont d'abord ceux de l'économie, de la croissance, et c'est cela qui a provoqué aussi cette crise politique en Grèce, c'est qu'il y a eu une période où le poids de la crise, plus l'austérité, ont fait que les citoyens n'ont plus cru dans le projet européen, et ils ont voulu un changement politique, il faut tenir compte de ce qu'ils ont exprimé, l'Europe c'est la démocratie, mais il faut combiner
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi, mais vous ne répondez pas à ma question
HARLEM DESIR
Si, parce que
GUILLAUME DURAND
Moi je vous dis, ce n'est pas du tout pareil le point de vue qui est celui de Christine LAGARDE, on l'a entendue
HARLEM DESIR
Oui, mais il y avait pourtant des négociations
GUILLAUME DURAND
Elle a dit « on ne discute pas avec des adultes, leurs propositions sont absurdes »
HARLEM DESIR
Je crois que c'était des propos vraiment inutilement arrogants, mais il y avait des négociations, et elles étaient sur le point d'aboutir, elles ont été rompues unilatéralement par une décision du gouvernement grec vendredi soir à minuit. Nous l'avons regretté. parce que je crois qu'on était en train de trouver une solution qui combinait à la fois des exigences qu'avait exprimé le gouvernement grec, notamment de pouvoir discuter de la « soutenabilité » de la dette, du poids de la dette, pour qu'à long terme ne soit pas imposée, de façon infinie, une sorte d'austérité sur la Grèce, et en même temps il y avait des garanties qui étaient demandées par les créanciers, par les autres Etats de l'Union européenne, que la gestion en Grèce
GUILLAUME DURAND
C'est pour ça qu'il y a un référendum.
HARLEM DESIR
Oui, mais attendez, que la gestion en Grèce soit sérieuse. Non, il y a un référendum qui porte sur des propositions qui n'étaient pas forcément les dernières. Maintenant, ce référendum c'est une liberté de la part de la démocratie grecque de décider de consulter ses citoyens, donc nous respectons ce choix, c'est un choix souverain de la Grèce. Mais derrière ce référendum, et là il faut que le vote des citoyens se fasse en toute lucidité, en pleine conscience de l'enjeu, il y a effectivement la question de la place future de la Grèce dans la zone euro. De ce point de vue, ce que peut dire par exemple le membre du directoire de la Banque Centrale européenne, Benoît COEURE, est exact. Si un certain nombre de décisions étaient prises, ou de choix étaient faits, qui ne permettaient pas de revenir à une négociation, il y aurait ce risque. Nous nous pensons que la place de la Grèce c'est dans la zone euro.
GUILLAUME DURAND
Mais il y aurait ce risque quand ? Parce qu'on a l'impression d'un feuilleton qui n'en finit plus, même si la situation économique et la situation du déficit des paiements, est absolument catastrophique. Donc vous vous êtes fixés, vous qui négociez avec eux, une date, une barre, ou on continue ?
HARLEM DESIR
Nous, à chaque instant, nous avons essayé de faire en sorte que puisse être trouvé un accord. Encore une fois, il y a eu une décision qui a été prise par une partie. Maintenant
GUILLAUME DURAND
Y compris sur le référendum aboutit à un « non » le week-end prochain ?
HARLEM DESIR
Je pense très franchement, vous le dites vous-même, aujourd'hui il y a une échéance qui est très importante, de remboursement d'un montant de 1,5 milliard vis-à-vis du FMI, qui fait courir à la Grèce le risque d'un défaut, il serait préférable que, maintenant, soit reprise la discussion qui permette d'apporter une solution. Ensuite, il y a un référendum, on verra ce que sera la situation en fonction du choix qu'auront fait les citoyens grecs, et c'est vrai que c'est à eux de décider s'ils veulent que la Grèce reste dans l'euro ou s'ils veulent qu'elle sorte. Nous nous pensons que l'intérêt de la Grèce c'est de rester dans l'euro.
GUILLAUME DURAND
Imaginons par exemple que les Grecs, dans un réflexe économique, disent au fond « oui, on accepte les projets qui nous sont proposés, d'économies », est-ce que ça veut dire que TSIPRAS, s'il ne le gagne pas ce référendum, il faut qu'il parte ?
HARLEM DESIR
Ça c'est la politique intérieure grecque.
GUILLAUME DURAND
Oui, mais enfin ça vous concerne
HARLEM DESIR
Oui, mais, par définition, chaque pays vit dans ses règles démocratiques, et ce n'est pas le gouvernement d'un autre pays
GUILLAUME DURAND
Est-ce que c'est une hypothèse que vous retenez ?
HARLEM DESIR
Non, ce que nous pouvons retenir comme hypothèse c'est que le « oui » l'emporte, ça je ne sais pas, et d'ailleurs ce qui va se passer pendant les jours qui viennent, c'est une campagne électorale, sur un référendum, qui doit permettre d'éclairer le sens de ce vote, et on voit bien qu'il y a, en Grèce, des positions qui essayent de donner un sens - c'est souvent le cas avec un référendum, les gens ne répondent pas forcément uniquement à la question posée et là je crois que le sens
GUILLAUME DURAND
C'est pour ça que je vous pose la question du départ de TSIPRAS si jamais ce n'est pas le « non » qui l'emporte mais le « oui. »
HARLEM DESIR
Moi je n'ai pas à donner de consigne de vote, parce que c'est aux Grecs
GUILLAUME DURAND
Mais je ne vous demande pas de donner des consignes de vote, est-ce que c'est une hypothèse que les négociateurs
HARLEM DESIR
Je n'ai pas à exercer une sorte de pression ou de chantage, mais simplement je pense qu'on peut
GUILLAUME DURAND
Mais c'est lui qui en exerce un chantage sur vous.
HARLEM DESIR
Oui, ce que je pense c'est qu'on peut demander qu'il y ait de la clarification sur le sens de ce vote, et la clarification c'est qu'il s'agit d'un vote qui peut déterminer la place, à l'avenir, de la Grèce dans la zone euro. Or je crois qu'il est mieux, pour la Grèce, pour son économie, pour les aides dont elle a besoin, pour la modernisation de son économie, pour le retour à la croissance - Jean-Claude JUNCKER a rappelé hier qu'il y avait un plan, que la France a vraiment voulu promouvoir, qui était proposé à la Grèce, de 35 milliards d'investissements nouveaux, dans des infrastructures, dans les réseaux d'énergie, dans les équipements universitaires, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas simplement la volonté de dire il faut faire des réformes en échange des financements pour pouvoir rembourser des échéances de prêts qui arrivent maintenant au FMI ou à la Banque centrale, mais d'avoir une perspective économique de long terme, parce que ce qui permettra à la Grèce de sortir de la crise terrible, profonde, dans laquelle elle est depuis 4 ou 5 ans, c'est de faire redémarrer son économie. Donc, évidemment qu'il faut traiter les questions du budget, les questions de la mauvaise gestion publique, donc il faut qu'il y ait une administration plus moderne, il faut que les gens payent des impôts, il faut la TVA soit perçue, il faut qu'un certain nombre de catégories, comme les armateurs, apportent leur contribution, mais il y a aussi un besoin d'avoir une perspective de redémarrage de l'économie, du tourisme, de la croissance.
GUILLAUME DURAND
Harlem DESIR, c'est très important pour nous tous cette affaire de la Grèce, vous le savez très bien, à la fois pour l'avenir de l'Europe et en même temps pour l'avenir et pour les comptes des différents organismes internationaux. Par exemple, le FMI ne croit pas une seule seconde que dans l'état actuel du pays la réforme fiscale en Grèce va avoir lieu, c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles Christine LAGARDE dit « je voudrais discuter avec des adultes. » Les impôts rentrent moins bien qu'ils ne rentraient il y a encore 1 an.
HARLEM DESIR
C'est pour ça qu'en échange des aides, de la solidarité, l'Europe a exercé sa solidarité, et d'autres créanciers, comme le FMI, ont aussi accordé les prêts, il y avait la demande qu'il y ait cette réforme de l'administration, qu'on s'assure qu'effectivement il y ait un cadastre, par exemple, qu'on s'assure que dans tous les commerces on fait payer la TVA, qu'on s'assure que les paiements
GUILLAUME DURAND
Mais alors, on attend après le référendum, ou on continue à négocier jusqu'au référendum ?
HARLEM DESIR
Aujourd'hui nous sommes prêts, nous, à tout moment, à ce que cette discussion reprenne, mais maintenant il y a un référendum, il a lieu dans 5 jours, et évidemment beaucoup va dépendre de ce référendum, mais je crois que la Grèce continuera à avoir besoin de cet appui.
GUILLAUME DURAND
Dernier point, qui est évidemment de politique française. Tout à l'heure on parlait ensemble de Charles PASQUA qui, vous le savez, en 92 a soutenu Philippe SEGUIN en votant « non » au Traité de Maastricht. C'est une thèse qui est aussi reprise par le Front national, Marine LE PEN est candidate dans le Nord aujourd'hui, cette candidature est officialisée, vous en pensez quoi, dans ce contexte européen ?
HARLEM DESIR
Ce n'est pas une surprise. Il y a un premier sondage, les sondages ne sont pas le résultat d'une élection, mais il montre que la gauche doit aller unie à cette bataille, surtout dans cette région du Nord-Pas-de-Calais.
GUILLAUME DURAND
C'est-à-dire ?
HARLEM DESIR
C'est-à-dire que si elle n'y va pas unie, elle sera très largement distancée, et qu'elle ne sera pas en mesure de conserver la présidence de cette région, populaire, dans laquelle un très bon travail a été fait, par le président de région sortant, et dans laquelle je crois qu'il faut que les écologistes, les radicaux de gauche, les socialistes, tous ceux qui ont gouverné ensemble la région d'ailleurs, et qui l'ont aidée à sortir là aussi d'une situation difficile, parce que c'était une région de vieilles industries, de mines, etc., qu'il a fallu moderniser, il faut qu'ils travaillent ensemble, ils ne faut pas qu'ils aillent séparés à cette élection. Mais c'est l'affaire des partis, c'est un Conseil général.
GUILLAUME DURAND
Pardonnez-moi, tout à l'heure on parlait de votre passé Harlem DESIR, pour les gens de gauche, de votre génération, le Nord c'était la région de Pierre MAUROY, c'était la gauche, c'était le symbole de la gauche en France.
HARLEM DESIR
Ça l'est encore aujourd'hui.
GUILLAUME DURAND
Sauf que c'est le Front national qui risque de l'emportait.
HARLEM DESIR
Enfin pour ce qui est de la région, mais vous avez raison de dire que le département, lui, il n'est déjà plus à gauche, donc ça montre que si la gauche
GUILLAUME DURAND
Ce n'est pas un échec pour vous ?
HARLEM DESIR
Si la gauche
GUILLAUME DURAND
Je ne parle pas de l'alliance, je parle
HARLEM DESIR
Mais attendez, d'abord cette élection elle aura lieu en décembre, donc avant de savoir si c'est un échec, il faut travailler à faire un succès, et pour faire un succès, il faut un projet, il faut un bon candidat, il a été désigné, et il faut une unité, elle est indispensable.
GUILLAUME DURAND
Vous considérez que la candidate de gauche contre Marine LE PEN, ou les candidats de gauche
HARLEM DESIR
Le candidat, Pierre DE SAINTIGNON.
GUILLAUME DURAND
Oui, vous pensez qu'ils sont à la hauteur ?
HARLEM DESIR
Oui, d'ailleurs quand, dans les sondages qui ont été publié ce matin, il y a une liste commune des socialistes, des écologistes et des radicaux de gauche, les scores sont serrés, donc la bataille n'est pas jouée, elle va dépendre des projets, d'abord pour la région, et, encore une fois, du fait de ne pas se disperser et de ne pas avoir une confrontation de partis sur des questions politiques qui ne concerneraient pas l'avenir de cette région.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 juin 2015