Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Au moment où nous parlons de l'Europe, je voudrais qu'on s'interroge un instant sur le visage que nous lui offrons. Durant ces derniers jours, en effet, deux crimes racistes ont été commis, deux crimes sans autre mobile que la haine, la haine la plus immonde, la haine la plus idiote et la haine la plus sale.
Naturellement le Gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour réprimer ce genre d'agissements. Mais je sais être votre interprète à tous en disant non seulement notre émotion commune mais aussi la volonté de notre démocratie de tout faire pour extirper les germes d'un racisme déshonorant.
J'en viens maintenant au sujet du jour, cette motion de censure dont chacun sait qu'elle n'a d'européen que le prétexte. Qu'importe ! Je vous prends au mot ! Je résisterai donc à la tentation de commenter cette initiative improvisée et ne vous parlerai que de choses sérieuses.
A quelques marges près, la construction européenne est aujourd'hui perçue par tous comme une nécessité. Qu'il y ait ici de l'inquiétude, là quelques formes de découragement, encore ailleurs des traces de pessimisme, tout le monde en est conscient.
Encore faut-il savoir que ces inquiétudes, ce pessimisme relatif, cette tentation du découragement ne sont nullement causés par la présence de l'Europe, mais bien plutôt par son absence. Ils n'atteignent pas une opinion publique hostile à l'Europe, mais frappent cette opinion justement parce qu'elle est acquise à cette volonté commune.
Et pour tout dire je préfère encore une opinion "europessimiste" - ce qui signifie voulant l'Europe mais redoutant les difficultés de sa construction - à une opinion qui nourrirait l'illusion selon laquelle la France seule a les moyens de son avenir.
Et, de fait, quel visage la construction européenne offre-t-elle communément à nos concitoyens ? De quoi sont malheureusement faits les titres qui y sont consacrés ? "Recul de tel pays, réticence de tel autre, désaccord d'un troisième". Ou encore : "Bruxelles impose ceci, Bruxelles nous interdit cela". Les échecs ou les tergiversations sont bruyants et immédiatement perçus tandis que les succès sont souvent plus discrets, parfois fragiles, et presque toujours acquis aux prix de marathons qui honorent l'endurance de ceux qui y participent mais ne donnent certainement pas l'image d'une communion dans l'enthousiasme.
Sachons, et n'ayons pas peur de le reconnaître, que si l'idée européenne est exaltante, sa réalité est trop souvent rébarbative. Et faute de l'expliquer, ce décalage irait en s'aggravant.
Je n'entends pas dresser ici un inventaire. Il m'importe davantage d'indiquer aussi clairement que possible le mode d'emploi de la politique européenne telle que le gouvernement entend la conduire dans les lignes tracées par le Président de la République.
Il y a, Mesdames et Messieurs, plusieurs manières de ne pas faire l'Europe, mais il n'y a selon nous qu'une manière de la faire et c'est là ce que je m'attacherai à démontrer.
Oui, il y a plusieurs manières de ne pas faire l'Europe et je pourrais décrire la manière chauvine - celle qui prétend exiger de nos onze partenaires qu'ils se soumettent tous à notre seul intérêt -, la manière incantatoire - celle dont le seul effort consiste à chercher la traduction dans toutes les langues de la Communauté de la formule "y-a-qu'à" - et je pourrais continuer à dénoncer ces discours inefficaces ou dangereux.
Mais il est un danger plus grave que celui de ces formulations stériles, une menace plus pesante parce qu'elle est effective, celle d'une Europe qu'on prétendrait construire sur deux bases dont l'une s'appellerait "laisser faire" et l'autre "laisser passer".
Il est toujours moins difficile d'obtenir un accord pour ne rien faire que de bâtir intelligemment. Or chacun sait que quelques uns de nos partenaires européens, tout comme certains de nos opposants français, rêvent d'une Europe dont le trait dominant soit non pas la liberté mais plutôt l'absence de règles qui confine à la sauvagerie.
Faire l'Europe, pour eux, c'est repousser aux frontières communautaires un système sans foi et le plus souvent possible sans lois.
La technique en est simple et les effets multiples. Lorsqu'est avancée une proposition nouvelle, destinée à mettre un peu d'ordre et de raison dans nos affaires communes, elle suppose souvent un effort de discipline, parfois des sacrifices ponctuels. Tel ou tel pays les refuse, souvent le même, et oppose à toute mesure la force la plus terrible : celle de l'inertie.
Mais comme il faut bien malgré tout traiter le problème, la possibilité d'issue - car je n'appelle pas cela une solution- qui se dessine plus ou moins vite, est celle qui exige le moins d'effort de chacun, c'est-à-dire l'alignement de tous sur les règles les moins contraignantes. Et c'est ainsi que triomphent la dérégulation, la déréglementation, la dilution de toute puissance publique.
Il y a là une abdication de la volonté devant tantôt des dogmes, tantôt des facilités, tantôt des considérations passagères de politique intérieure, toutes choses que la France ne peut accepter, en tout cas pas lorsqu'elle est dirigée par des socialistes.
Les français sont inquiets à la perspective du marché unique. Nous mêmes le serions aussi s'il devait être seulement le champ clos où s'exerce la loi du plus fort.
Nous connaissons bien, et nous reconnaissons, les vertus de l'économie de marché, avec ce qu'elle implique de dynamisme et de compétition, mais nous ne cessons de rappeler, sur le plan national, qu'il faut que ce jeu se déroule en respectant des règles, celles qui assurent la justice sociale et du même mouvement renforcent l'efficacité économique.
Nous n'avons nulle raison de changer de conviction en changeant de terrain. Socialistes à Paris, nous n'opterons pas pour le libéralisme à Strasbourg ou Bruxelles.
On ne fera pas l'Europe, et surtout nous ne ferons pas l'Europe, sur les ruines des législations nationales, sur les débris des droits sociaux ni par une simple coalition des inerties.
Nous travaillons à une Europe sociale, car nous refuserions celle qui oublierait de l'être. Des progrès sont déjà enregistrés en matière d'hygiène et de sécurité. D'autres sont à portée de main en matière de représentation des travailleurs dans l'entreprise et nous oeuvrons, comme vous le savez, à la consécration de droits sociaux fondamentaux.
Faut-il encore, et le Président de la République l'a rappelé et le Gouvernement y veillera, que ce ne soit pas un alignement généralisé sur le moins disant social.
Car de "moins disant social" en "moins taxant fiscal" en passant par le "moins réglementant", l'Europe cesserait d'être un plus pour devenir une accumulation de moins.
L'Europe ne peut être ni celle du "chacun chez soi", ni celle du "chacun pour soi".
Oui, Mesdames et Messieurs, il y a bien des manières de ne pas faire l'Europe mais il n'y en a qu'une de la réaliser.
Cette manière-là repose avant tout sur la volonté. Une volonté lucide, qui connaisse et mesure les obstacles, mais une volonté opiniâtre qui sache les surmonter, et répondre ainsi à trois nécessités constantes : négocier, décider, contrôler.
Négocier, chacun le sait ici, n'est pas toujours chose simple quand on le fait à douze qui n'ont pas tous une égale volonté d'aboutir.
Qu'on songe à l'Europe monétaire. Elle est l'accomplissement naturel du marché unique. Elle est aussi un saut qualitatif considérable. Mais cela ne suffit pas à en faire un complément facile.
Nos partenaires n'ont pas encore complètement arrêté leurs positions mais pour m'en tenir au plan intérieur français, j'observe avec surprise que ceux qui exigent une Europe mieux contrôlée sont les mêmes qui rêvent d'un consortium de banques centrales auquel serait en quelque sorte purement et simplement remis le privilège de battre monnaie et de prendre quasi souverainement des décisions devant lesquelles les douze nations n'auraient plus qu'à s'incliner.
A cela nous ne pouvons consentir lorsqu'on sait l'importance, au coeur de nos économies, des choix faits en matière de parité des monnaies ou de taux d'intérêts. Nous souhaitons des souverainetés qui s'accordent, nous refusons des souverainetés qui disparaissent sans être remplacées par des instances représentant toutes la légitimité démocratique requise.
Autant dire que la chose n'est pas simple, mais ici à nouveau seule la volonté permettra de triompher de la complexité.
Et cette volonté doit apparaître aussi lorsqu'il s'agit non plus seulement de négocier mais également de décider. Et je récuse ici les surenchères qui prétendent opposer les objectifs initiaux et les résultats obtenus.
Prenons l'exemple de la création audiovisuelle et du fameux quota d'oeuvres européennes. En quoi peut-il intéresser profondément les pays qui n'ont pas de production nationale à défendre ? Comment les nations anglophones seraient-elles aussi inquiètes que nous du déferlement de programmes créés dans leur propre langue ?
La réalité qui s'impose à nous est celle-là. Tous nos partenaires peuvent certes être préoccupés de la menace culturelle, mais cette préoccupation n'est pas telle qu'elle l'emporte sur leurs intérêts économiques immédiats. On peut le déplorer, on peut le dénoncer, on ne doit pas l'ignorer. Et l'alternative qui s'offre à nous est alors simple : ou nous acceptons un compromis qui protège notre création nationale sans imposer aux autres des règles identiques, ou nous le repoussons avec dédain ce qui a pour seul effet tangible, dans une démarche du tout ou rien, de n'aboutir à rien.
Et je n'ai pris cet exemple que pour illustrer une constante car les mêmes termes pourraient s'appliquer à bien d'autres sujets.
Sachez qu'il n'est pas une semaine, pas un jour, qui passe sans que M. Dumas, M. Bérégovoy, Mme Cresson et l'ensemble du Gouvernement d'une manière générale n'oeuvrent avec acharnement pour discuter, avancer, et soutenir les initiatives constructives que la commission, et son président Jacques Delors prennent de leur côté.
Au delà, de surcroît, présider le Conseil de la Communauté est un rôle essentiel lorsqu'il est exercé avec discernement et volonté.
A cet égard je voudrais rappeler toutes les craintes qui s'étaient manifestées avant l'adhésion de l'Espagne et du Portugal. Le Président de la République avait su dominer les inquiétudes et surmonter les obstacles. Cinq ans après, cette adhésion apparaît à tous comme particulièrement positive. Tout le monde y a gagné et nos nouveaux partenaires ont à ce point pris place dans le concert européen qu'on a l'impression aujourd'hui que la péninsule ibérique a toujours fait partie de la Communauté. La réalité est bien loin des tableaux apocalyptiques qui en avaient été préalablement dressés à tort. L'Europe, ici, a su décider et c'est bien.
Le champ qui s'offre à elle est à peu près illimité. Aussi, bien tentons-nous chaque fois que c'est possible, de poursuivre en même temps plusieurs objectifs complémentaires, et par exemple, je souhaite que nos efforts en faveur de l'écologie dans le domaine de la voiture propre soient relayés par des efforts de tous en matière de sécurité routière.
Une Europe négociée, une Europe décidée, il nous faut également une Europe contrôlée.
Et c'est d'ailleurs pour cela que les prochaines élections revêtent tant d'importance. Des élus français prestigieux, présents, compétents pourront, avec leurs collègues, exercer la pression nécessaire pour contrôler effectivement les instances communautaires.
Déjà, au plan national, vous êtes en train de doter le Parlement français de pouvoirs nouveaux. Le Gouvernement y contribue lui-même et Mme Cresson a su faire en sorte que notre pays soit le premier dont tous les citoyens puissent aisément disposer, depuis ce matin même, de l'intégralité de l'information concernant les activités et décisions européennes.
Chacun sent, chacun sait, qu'une nouvelle étape de l'édification s'ouvrira prochainement. Des progrès notables ont été faits. Des progrès considérables restent à faire.
Déjà l'Europe a avancé sur le plan de ses manifestations extérieures et nos politiques étrangères s'harmonisent un peu mieux. Déjà l'Europe est attentive aux mouvements qui se dessinent à l'est. Et d'une manière générale la multiplicité des difficultés ne doit pas faire oublier le bilan des acquis.
De ce point de vue, nul ne doit être insensible à l'absolue continuité qui s'est manifestée, indépendamment du contexte politique, d'un septennat à l'autre. De 1981 jusqu'au sommet de Fontainebleau de 1984, de celui-ci jusqu'au sommet de Bruxelles de 1988, en passant évidemment par la signature de l'Acte Unique, et 1988 à aujourd'hui et à demain à travers les perspectives tracées par le Xème Plan, c'est la même volonté qui domine, c'est la même volonté qui s'acharne, et contre vents et marées, c'est la même volonté qui l'emporte.
J'aurais donc pu, et j'aurais voulu, vous parler plus longuement de tout ce qui nous tient à coeur. Mais le foisonnement est tel qu'il interdit de tout traiter et c'est pourquoi j'ai préféré mettre l'accent sur la démarche.
Parce que nous savons tous, comme l'a exprimé François Mitterrand, que si "la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir" notre politique européenne doit être aussi éloignée du cynisme que de la naïveté, c'est-à-dire lucide. Elle doit être aussi éloignée du découragement que de la facilité, c'est-à-dire volontaire. Elle doit être enfin aussi éloignée de l'immobilisme que de la précipitation, c'est-à-dire opiniâtre.
Et c'est justement parce que conformément à la ligne fixée par le Président de la République, la politique européenne du gouvernement est lucide, volontaire et opiniâtre que la motion de censure sera rejetée.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Au moment où nous parlons de l'Europe, je voudrais qu'on s'interroge un instant sur le visage que nous lui offrons. Durant ces derniers jours, en effet, deux crimes racistes ont été commis, deux crimes sans autre mobile que la haine, la haine la plus immonde, la haine la plus idiote et la haine la plus sale.
Naturellement le Gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour réprimer ce genre d'agissements. Mais je sais être votre interprète à tous en disant non seulement notre émotion commune mais aussi la volonté de notre démocratie de tout faire pour extirper les germes d'un racisme déshonorant.
J'en viens maintenant au sujet du jour, cette motion de censure dont chacun sait qu'elle n'a d'européen que le prétexte. Qu'importe ! Je vous prends au mot ! Je résisterai donc à la tentation de commenter cette initiative improvisée et ne vous parlerai que de choses sérieuses.
A quelques marges près, la construction européenne est aujourd'hui perçue par tous comme une nécessité. Qu'il y ait ici de l'inquiétude, là quelques formes de découragement, encore ailleurs des traces de pessimisme, tout le monde en est conscient.
Encore faut-il savoir que ces inquiétudes, ce pessimisme relatif, cette tentation du découragement ne sont nullement causés par la présence de l'Europe, mais bien plutôt par son absence. Ils n'atteignent pas une opinion publique hostile à l'Europe, mais frappent cette opinion justement parce qu'elle est acquise à cette volonté commune.
Et pour tout dire je préfère encore une opinion "europessimiste" - ce qui signifie voulant l'Europe mais redoutant les difficultés de sa construction - à une opinion qui nourrirait l'illusion selon laquelle la France seule a les moyens de son avenir.
Et, de fait, quel visage la construction européenne offre-t-elle communément à nos concitoyens ? De quoi sont malheureusement faits les titres qui y sont consacrés ? "Recul de tel pays, réticence de tel autre, désaccord d'un troisième". Ou encore : "Bruxelles impose ceci, Bruxelles nous interdit cela". Les échecs ou les tergiversations sont bruyants et immédiatement perçus tandis que les succès sont souvent plus discrets, parfois fragiles, et presque toujours acquis aux prix de marathons qui honorent l'endurance de ceux qui y participent mais ne donnent certainement pas l'image d'une communion dans l'enthousiasme.
Sachons, et n'ayons pas peur de le reconnaître, que si l'idée européenne est exaltante, sa réalité est trop souvent rébarbative. Et faute de l'expliquer, ce décalage irait en s'aggravant.
Je n'entends pas dresser ici un inventaire. Il m'importe davantage d'indiquer aussi clairement que possible le mode d'emploi de la politique européenne telle que le gouvernement entend la conduire dans les lignes tracées par le Président de la République.
Il y a, Mesdames et Messieurs, plusieurs manières de ne pas faire l'Europe, mais il n'y a selon nous qu'une manière de la faire et c'est là ce que je m'attacherai à démontrer.
Oui, il y a plusieurs manières de ne pas faire l'Europe et je pourrais décrire la manière chauvine - celle qui prétend exiger de nos onze partenaires qu'ils se soumettent tous à notre seul intérêt -, la manière incantatoire - celle dont le seul effort consiste à chercher la traduction dans toutes les langues de la Communauté de la formule "y-a-qu'à" - et je pourrais continuer à dénoncer ces discours inefficaces ou dangereux.
Mais il est un danger plus grave que celui de ces formulations stériles, une menace plus pesante parce qu'elle est effective, celle d'une Europe qu'on prétendrait construire sur deux bases dont l'une s'appellerait "laisser faire" et l'autre "laisser passer".
Il est toujours moins difficile d'obtenir un accord pour ne rien faire que de bâtir intelligemment. Or chacun sait que quelques uns de nos partenaires européens, tout comme certains de nos opposants français, rêvent d'une Europe dont le trait dominant soit non pas la liberté mais plutôt l'absence de règles qui confine à la sauvagerie.
Faire l'Europe, pour eux, c'est repousser aux frontières communautaires un système sans foi et le plus souvent possible sans lois.
La technique en est simple et les effets multiples. Lorsqu'est avancée une proposition nouvelle, destinée à mettre un peu d'ordre et de raison dans nos affaires communes, elle suppose souvent un effort de discipline, parfois des sacrifices ponctuels. Tel ou tel pays les refuse, souvent le même, et oppose à toute mesure la force la plus terrible : celle de l'inertie.
Mais comme il faut bien malgré tout traiter le problème, la possibilité d'issue - car je n'appelle pas cela une solution- qui se dessine plus ou moins vite, est celle qui exige le moins d'effort de chacun, c'est-à-dire l'alignement de tous sur les règles les moins contraignantes. Et c'est ainsi que triomphent la dérégulation, la déréglementation, la dilution de toute puissance publique.
Il y a là une abdication de la volonté devant tantôt des dogmes, tantôt des facilités, tantôt des considérations passagères de politique intérieure, toutes choses que la France ne peut accepter, en tout cas pas lorsqu'elle est dirigée par des socialistes.
Les français sont inquiets à la perspective du marché unique. Nous mêmes le serions aussi s'il devait être seulement le champ clos où s'exerce la loi du plus fort.
Nous connaissons bien, et nous reconnaissons, les vertus de l'économie de marché, avec ce qu'elle implique de dynamisme et de compétition, mais nous ne cessons de rappeler, sur le plan national, qu'il faut que ce jeu se déroule en respectant des règles, celles qui assurent la justice sociale et du même mouvement renforcent l'efficacité économique.
Nous n'avons nulle raison de changer de conviction en changeant de terrain. Socialistes à Paris, nous n'opterons pas pour le libéralisme à Strasbourg ou Bruxelles.
On ne fera pas l'Europe, et surtout nous ne ferons pas l'Europe, sur les ruines des législations nationales, sur les débris des droits sociaux ni par une simple coalition des inerties.
Nous travaillons à une Europe sociale, car nous refuserions celle qui oublierait de l'être. Des progrès sont déjà enregistrés en matière d'hygiène et de sécurité. D'autres sont à portée de main en matière de représentation des travailleurs dans l'entreprise et nous oeuvrons, comme vous le savez, à la consécration de droits sociaux fondamentaux.
Faut-il encore, et le Président de la République l'a rappelé et le Gouvernement y veillera, que ce ne soit pas un alignement généralisé sur le moins disant social.
Car de "moins disant social" en "moins taxant fiscal" en passant par le "moins réglementant", l'Europe cesserait d'être un plus pour devenir une accumulation de moins.
L'Europe ne peut être ni celle du "chacun chez soi", ni celle du "chacun pour soi".
Oui, Mesdames et Messieurs, il y a bien des manières de ne pas faire l'Europe mais il n'y en a qu'une de la réaliser.
Cette manière-là repose avant tout sur la volonté. Une volonté lucide, qui connaisse et mesure les obstacles, mais une volonté opiniâtre qui sache les surmonter, et répondre ainsi à trois nécessités constantes : négocier, décider, contrôler.
Négocier, chacun le sait ici, n'est pas toujours chose simple quand on le fait à douze qui n'ont pas tous une égale volonté d'aboutir.
Qu'on songe à l'Europe monétaire. Elle est l'accomplissement naturel du marché unique. Elle est aussi un saut qualitatif considérable. Mais cela ne suffit pas à en faire un complément facile.
Nos partenaires n'ont pas encore complètement arrêté leurs positions mais pour m'en tenir au plan intérieur français, j'observe avec surprise que ceux qui exigent une Europe mieux contrôlée sont les mêmes qui rêvent d'un consortium de banques centrales auquel serait en quelque sorte purement et simplement remis le privilège de battre monnaie et de prendre quasi souverainement des décisions devant lesquelles les douze nations n'auraient plus qu'à s'incliner.
A cela nous ne pouvons consentir lorsqu'on sait l'importance, au coeur de nos économies, des choix faits en matière de parité des monnaies ou de taux d'intérêts. Nous souhaitons des souverainetés qui s'accordent, nous refusons des souverainetés qui disparaissent sans être remplacées par des instances représentant toutes la légitimité démocratique requise.
Autant dire que la chose n'est pas simple, mais ici à nouveau seule la volonté permettra de triompher de la complexité.
Et cette volonté doit apparaître aussi lorsqu'il s'agit non plus seulement de négocier mais également de décider. Et je récuse ici les surenchères qui prétendent opposer les objectifs initiaux et les résultats obtenus.
Prenons l'exemple de la création audiovisuelle et du fameux quota d'oeuvres européennes. En quoi peut-il intéresser profondément les pays qui n'ont pas de production nationale à défendre ? Comment les nations anglophones seraient-elles aussi inquiètes que nous du déferlement de programmes créés dans leur propre langue ?
La réalité qui s'impose à nous est celle-là. Tous nos partenaires peuvent certes être préoccupés de la menace culturelle, mais cette préoccupation n'est pas telle qu'elle l'emporte sur leurs intérêts économiques immédiats. On peut le déplorer, on peut le dénoncer, on ne doit pas l'ignorer. Et l'alternative qui s'offre à nous est alors simple : ou nous acceptons un compromis qui protège notre création nationale sans imposer aux autres des règles identiques, ou nous le repoussons avec dédain ce qui a pour seul effet tangible, dans une démarche du tout ou rien, de n'aboutir à rien.
Et je n'ai pris cet exemple que pour illustrer une constante car les mêmes termes pourraient s'appliquer à bien d'autres sujets.
Sachez qu'il n'est pas une semaine, pas un jour, qui passe sans que M. Dumas, M. Bérégovoy, Mme Cresson et l'ensemble du Gouvernement d'une manière générale n'oeuvrent avec acharnement pour discuter, avancer, et soutenir les initiatives constructives que la commission, et son président Jacques Delors prennent de leur côté.
Au delà, de surcroît, présider le Conseil de la Communauté est un rôle essentiel lorsqu'il est exercé avec discernement et volonté.
A cet égard je voudrais rappeler toutes les craintes qui s'étaient manifestées avant l'adhésion de l'Espagne et du Portugal. Le Président de la République avait su dominer les inquiétudes et surmonter les obstacles. Cinq ans après, cette adhésion apparaît à tous comme particulièrement positive. Tout le monde y a gagné et nos nouveaux partenaires ont à ce point pris place dans le concert européen qu'on a l'impression aujourd'hui que la péninsule ibérique a toujours fait partie de la Communauté. La réalité est bien loin des tableaux apocalyptiques qui en avaient été préalablement dressés à tort. L'Europe, ici, a su décider et c'est bien.
Le champ qui s'offre à elle est à peu près illimité. Aussi, bien tentons-nous chaque fois que c'est possible, de poursuivre en même temps plusieurs objectifs complémentaires, et par exemple, je souhaite que nos efforts en faveur de l'écologie dans le domaine de la voiture propre soient relayés par des efforts de tous en matière de sécurité routière.
Une Europe négociée, une Europe décidée, il nous faut également une Europe contrôlée.
Et c'est d'ailleurs pour cela que les prochaines élections revêtent tant d'importance. Des élus français prestigieux, présents, compétents pourront, avec leurs collègues, exercer la pression nécessaire pour contrôler effectivement les instances communautaires.
Déjà, au plan national, vous êtes en train de doter le Parlement français de pouvoirs nouveaux. Le Gouvernement y contribue lui-même et Mme Cresson a su faire en sorte que notre pays soit le premier dont tous les citoyens puissent aisément disposer, depuis ce matin même, de l'intégralité de l'information concernant les activités et décisions européennes.
Chacun sent, chacun sait, qu'une nouvelle étape de l'édification s'ouvrira prochainement. Des progrès notables ont été faits. Des progrès considérables restent à faire.
Déjà l'Europe a avancé sur le plan de ses manifestations extérieures et nos politiques étrangères s'harmonisent un peu mieux. Déjà l'Europe est attentive aux mouvements qui se dessinent à l'est. Et d'une manière générale la multiplicité des difficultés ne doit pas faire oublier le bilan des acquis.
De ce point de vue, nul ne doit être insensible à l'absolue continuité qui s'est manifestée, indépendamment du contexte politique, d'un septennat à l'autre. De 1981 jusqu'au sommet de Fontainebleau de 1984, de celui-ci jusqu'au sommet de Bruxelles de 1988, en passant évidemment par la signature de l'Acte Unique, et 1988 à aujourd'hui et à demain à travers les perspectives tracées par le Xème Plan, c'est la même volonté qui domine, c'est la même volonté qui s'acharne, et contre vents et marées, c'est la même volonté qui l'emporte.
J'aurais donc pu, et j'aurais voulu, vous parler plus longuement de tout ce qui nous tient à coeur. Mais le foisonnement est tel qu'il interdit de tout traiter et c'est pourquoi j'ai préféré mettre l'accent sur la démarche.
Parce que nous savons tous, comme l'a exprimé François Mitterrand, que si "la France est notre patrie, l'Europe est notre avenir" notre politique européenne doit être aussi éloignée du cynisme que de la naïveté, c'est-à-dire lucide. Elle doit être aussi éloignée du découragement que de la facilité, c'est-à-dire volontaire. Elle doit être enfin aussi éloignée de l'immobilisme que de la précipitation, c'est-à-dire opiniâtre.
Et c'est justement parce que conformément à la ligne fixée par le Président de la République, la politique européenne du gouvernement est lucide, volontaire et opiniâtre que la motion de censure sera rejetée.