Texte intégral
- Lutte contre le terrorisme - Irak - Syrie - Libye - Tunisie - Daech
Q - La semaine dernière, le terrorisme a frappé le même jour dans cinq pays sur trois continents. Pensez-vous que Daech soit suffisamment organisé pour entreprendre ce type d'opération, ou s'agit-il d'un concours de circonstances ?
R - Daech fixe la ligne générale de l'horreur, sans même avoir toujours besoin de donner une instruction spécifique. Les opérations peuvent être centralisées ou individuelles, le résultat est malheureusement identique: c'est Terrorisme sans frontières. Sous prétexte de religion, ces criminels sont prêts à tuer quiconque refuse de se soumettre à leur loi désastreuse. Leurs premières victimes sont d'ailleurs des musulmans. Mais c'est un danger pour nous tous, à travers tous les continents. Il n'y a pas d'autre réponse que de s'organiser pour lutter contre ce mal, l'éradiquer, avec une coordination internationale et en sachant que cela prendra du temps.
Q - La stratégie des frappes aériennes s'est révélée insuffisante pour réduire le territoire de Daech. Y a-t-il un autre plan sur la table ?
R - Ces frappes aériennes sont nécessaires, parce que la coalition internationale doit aider les populations à l'emporter. C'est pourquoi nous y participons. Mais on ne peut pas gagner cette guerre de l'extérieur. Les populations locales doivent se mobiliser sur le terrain. En Irak, chiites, sunnites et Kurdes doivent se rassembler contre Daech. Cela implique que le gouvernement pratique une politique réellement inclusive, qui les respecte et les rassemble. C'est essentiel.
Q - À écouter les Kurdes d'Irak, ce n'est toujours pas le cas...
R - C'est pourquoi nous insistons. L'action militaire ne suffit pas. L'action politique dépend du gouvernement lui-même et doit être inclusive. De même en Syrie, où sont menées des actions militaires, la solution est politique, avec là aussi la nécessité d'un gouvernement d'union qui rassemble à la fois l'opposition et des éléments du régime, mais sans Bachar Al-Assad.
Q - Ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire d'éviter l'effondrement de ce régime alaouite ?
R - Oui, il faut éviter que les bases de l'État s'effondrent, créant une situation à l'irakienne après la chute du régime de Saddam Hussein. Évidemment, Bachar Al-Assad étant largement à l'origine des 230.000 morts syriens et des millions de personnes déplacées, il ne peut pas être l'avenir de la Syrie. Nous travaillons à une solution politique avec à la fois les pays de la région, les États-Unis, les Européens et la Russie. C'est difficile, long, trop long. Mais c'est la solution souhaitable.
Q - En Syrie, comme en Libye, on a l'impression que l'un des principaux adversaires crédibles de Daech, sur le plan militaire, est Al-Qaïda qui, par exemple, a repoussé l'État islamique à Derna.
R - C'est pourquoi il est indispensable de renforcer l'opposition démocratique et de chercher la solution politique. Sinon, le risque serait d'avoir finalement à choisir entre une dictature criminelle et des groupes terroristes qui, d'ailleurs, se soutiennent souvent. N'oublions pas que Bachar Al-Assad est largement à l'origine du développement des groupes terroristes dans son pays.
Q - La tractation menée sous l'égide de l'ONU par Bernardino Leon peut-elle, selon vous, enrayer la spirale de violence en Libye ?
R - Il le faut. Nous soutenons les efforts de Bernardino Leon, qui en est à sa quatrième proposition de plan. L'objectif est un gouvernement d'union entre les forces de Tobrouk et celles de Tripoli. Nous mobilisons notre influence diplomatique pour appuyer cette solution et pressons les pays voisins d'aller dans le même sens. Les discussions sont difficiles, car chacun cherche à préserver ses avantages. Pourtant, l'accord est indispensable. Sinon, des groupes comme Daech en profiteront. Ce serait désastreux pour la Libye, pour les pays voisins et pour l'Europe, puisque le chaos libyen est partiellement responsable des mouvements migratoires, massifs et tragiques, en Méditerranée.
Q - La France n'a-t-elle pas une part de responsabilité dans ce chaos ? N'a-t-elle pas manqué de vision politique au moment de l'intervention en 2011 ?
R - Nous avions soutenu l'intervention française à l'époque, même si nous faisions partie de l'opposition. N'oublions pas que M. Kadhafi s'apprêtait alors à commettre des massacres. L'erreur grave a été le manque de suivi. Une intervention militaire ne peut, par elle-même, transformer un pays comme la Libye, agrégat de tribus surarmées sans structure étatique en un régime stable, équilibré et paisible. L'absence de suivi à l'époque, ce que vous appelez l'absence de «vision politique», porte donc une part de responsabilité. Maintenant, il est essentiel de parvenir, en Libye aussi, à une solution politique. Il existe des différences entre chaque situation géographique, mais le plus souvent la solution est politique et nécessite des gouvernements d'union. Sinon, les terroristes ont beau jeu de profiter du chaos et de jouer avec certaines proximités ethniques ou religieuses pour se renforcer et amplifier leurs actions macabres.
Q - Après l'attentat de Sousse, vous vous êtes entretenu avec des responsables politiques tunisiens. Ont-ils raison de craindre l'extension de Daech en Libye ?
R - Oui, les désordres libyens comportent des conséquences directes sur la Tunisie voisine. Mais il existe d'autres raisons d'inquiétude. Parmi les combattants étrangers sur les théâtres d'opération régionaux se trouvent beaucoup de Tunisiens. Ils peuvent malheureusement mettre à profit leur expérience criminelle dans leur propre pays. Les Tunisiens sont un peuple ami, courageux, qui a opéré une révolution démocratique maîtrisée: il doit être soutenu totalement. Il n'a pas beaucoup de ressources naturelles. Sa richesse vient en partie du tourisme. C'est la raison pour laquelle les terroristes ont frappé là. Une coopération internationale est indispensable. J'en ai discuté encore hier et avant-hier avec mes homologues britannique et allemand, ils souhaitent aussi cette coopération. Elle doit se développer très vite.
(...).
- Dérèglement climatique - COP21
(...)
Q - En prenant la présidence de la conférence climat 2015 COP21, vous vous faites une spécialité des négociations complexes. Espérez-vous aboutir à un accord en décembre prochain ?
R - Oui, même si je sais qu'il s'agit d'une tâche extraordinairement difficile. Car il faut mettre d'accord 196 «parties» sur un sujet en lui-même très complexe. Cela mérite tous nos efforts car, sans forcer le sens des mots, c'est notre avenir à tous, celui de notre planète, qui est enjeu. Il est impératif de convaincre tous les pays d'agir contre ce réchauffement climatique, sinon la planète sera inhabitable. (...).
- Iran
(...)
Q - Vous êtes à Vienne pour la négociation sur le nucléaire iranien. La France a-t-elle toujours une position «dure» ?
R - On personnalise même, parfois, en disant : «Fabius est trop ferme.» Ce n'est pas une affaire personnelle. Nous ne sommes pas «durs» : nous sommes cohérents.
L'Iran est un grand pays et les Perses une grande civilisation. Mais pour ce qui est de la négociation, il faut être clair: le nucléaire civil, oui; l'arme nucléaire, non. Si l'on veut éviter la prolifération nucléaire, l'accord doit être robuste. Sinon, cette prolifération aura lieu et ce sera très dangereux pour tout le monde. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juillet 2015
Q - La semaine dernière, le terrorisme a frappé le même jour dans cinq pays sur trois continents. Pensez-vous que Daech soit suffisamment organisé pour entreprendre ce type d'opération, ou s'agit-il d'un concours de circonstances ?
R - Daech fixe la ligne générale de l'horreur, sans même avoir toujours besoin de donner une instruction spécifique. Les opérations peuvent être centralisées ou individuelles, le résultat est malheureusement identique: c'est Terrorisme sans frontières. Sous prétexte de religion, ces criminels sont prêts à tuer quiconque refuse de se soumettre à leur loi désastreuse. Leurs premières victimes sont d'ailleurs des musulmans. Mais c'est un danger pour nous tous, à travers tous les continents. Il n'y a pas d'autre réponse que de s'organiser pour lutter contre ce mal, l'éradiquer, avec une coordination internationale et en sachant que cela prendra du temps.
Q - La stratégie des frappes aériennes s'est révélée insuffisante pour réduire le territoire de Daech. Y a-t-il un autre plan sur la table ?
R - Ces frappes aériennes sont nécessaires, parce que la coalition internationale doit aider les populations à l'emporter. C'est pourquoi nous y participons. Mais on ne peut pas gagner cette guerre de l'extérieur. Les populations locales doivent se mobiliser sur le terrain. En Irak, chiites, sunnites et Kurdes doivent se rassembler contre Daech. Cela implique que le gouvernement pratique une politique réellement inclusive, qui les respecte et les rassemble. C'est essentiel.
Q - À écouter les Kurdes d'Irak, ce n'est toujours pas le cas...
R - C'est pourquoi nous insistons. L'action militaire ne suffit pas. L'action politique dépend du gouvernement lui-même et doit être inclusive. De même en Syrie, où sont menées des actions militaires, la solution est politique, avec là aussi la nécessité d'un gouvernement d'union qui rassemble à la fois l'opposition et des éléments du régime, mais sans Bachar Al-Assad.
Q - Ne pensez-vous pas qu'il est nécessaire d'éviter l'effondrement de ce régime alaouite ?
R - Oui, il faut éviter que les bases de l'État s'effondrent, créant une situation à l'irakienne après la chute du régime de Saddam Hussein. Évidemment, Bachar Al-Assad étant largement à l'origine des 230.000 morts syriens et des millions de personnes déplacées, il ne peut pas être l'avenir de la Syrie. Nous travaillons à une solution politique avec à la fois les pays de la région, les États-Unis, les Européens et la Russie. C'est difficile, long, trop long. Mais c'est la solution souhaitable.
Q - En Syrie, comme en Libye, on a l'impression que l'un des principaux adversaires crédibles de Daech, sur le plan militaire, est Al-Qaïda qui, par exemple, a repoussé l'État islamique à Derna.
R - C'est pourquoi il est indispensable de renforcer l'opposition démocratique et de chercher la solution politique. Sinon, le risque serait d'avoir finalement à choisir entre une dictature criminelle et des groupes terroristes qui, d'ailleurs, se soutiennent souvent. N'oublions pas que Bachar Al-Assad est largement à l'origine du développement des groupes terroristes dans son pays.
Q - La tractation menée sous l'égide de l'ONU par Bernardino Leon peut-elle, selon vous, enrayer la spirale de violence en Libye ?
R - Il le faut. Nous soutenons les efforts de Bernardino Leon, qui en est à sa quatrième proposition de plan. L'objectif est un gouvernement d'union entre les forces de Tobrouk et celles de Tripoli. Nous mobilisons notre influence diplomatique pour appuyer cette solution et pressons les pays voisins d'aller dans le même sens. Les discussions sont difficiles, car chacun cherche à préserver ses avantages. Pourtant, l'accord est indispensable. Sinon, des groupes comme Daech en profiteront. Ce serait désastreux pour la Libye, pour les pays voisins et pour l'Europe, puisque le chaos libyen est partiellement responsable des mouvements migratoires, massifs et tragiques, en Méditerranée.
Q - La France n'a-t-elle pas une part de responsabilité dans ce chaos ? N'a-t-elle pas manqué de vision politique au moment de l'intervention en 2011 ?
R - Nous avions soutenu l'intervention française à l'époque, même si nous faisions partie de l'opposition. N'oublions pas que M. Kadhafi s'apprêtait alors à commettre des massacres. L'erreur grave a été le manque de suivi. Une intervention militaire ne peut, par elle-même, transformer un pays comme la Libye, agrégat de tribus surarmées sans structure étatique en un régime stable, équilibré et paisible. L'absence de suivi à l'époque, ce que vous appelez l'absence de «vision politique», porte donc une part de responsabilité. Maintenant, il est essentiel de parvenir, en Libye aussi, à une solution politique. Il existe des différences entre chaque situation géographique, mais le plus souvent la solution est politique et nécessite des gouvernements d'union. Sinon, les terroristes ont beau jeu de profiter du chaos et de jouer avec certaines proximités ethniques ou religieuses pour se renforcer et amplifier leurs actions macabres.
Q - Après l'attentat de Sousse, vous vous êtes entretenu avec des responsables politiques tunisiens. Ont-ils raison de craindre l'extension de Daech en Libye ?
R - Oui, les désordres libyens comportent des conséquences directes sur la Tunisie voisine. Mais il existe d'autres raisons d'inquiétude. Parmi les combattants étrangers sur les théâtres d'opération régionaux se trouvent beaucoup de Tunisiens. Ils peuvent malheureusement mettre à profit leur expérience criminelle dans leur propre pays. Les Tunisiens sont un peuple ami, courageux, qui a opéré une révolution démocratique maîtrisée: il doit être soutenu totalement. Il n'a pas beaucoup de ressources naturelles. Sa richesse vient en partie du tourisme. C'est la raison pour laquelle les terroristes ont frappé là. Une coopération internationale est indispensable. J'en ai discuté encore hier et avant-hier avec mes homologues britannique et allemand, ils souhaitent aussi cette coopération. Elle doit se développer très vite.
(...).
- Dérèglement climatique - COP21
(...)
Q - En prenant la présidence de la conférence climat 2015 COP21, vous vous faites une spécialité des négociations complexes. Espérez-vous aboutir à un accord en décembre prochain ?
R - Oui, même si je sais qu'il s'agit d'une tâche extraordinairement difficile. Car il faut mettre d'accord 196 «parties» sur un sujet en lui-même très complexe. Cela mérite tous nos efforts car, sans forcer le sens des mots, c'est notre avenir à tous, celui de notre planète, qui est enjeu. Il est impératif de convaincre tous les pays d'agir contre ce réchauffement climatique, sinon la planète sera inhabitable. (...).
- Iran
(...)
Q - Vous êtes à Vienne pour la négociation sur le nucléaire iranien. La France a-t-elle toujours une position «dure» ?
R - On personnalise même, parfois, en disant : «Fabius est trop ferme.» Ce n'est pas une affaire personnelle. Nous ne sommes pas «durs» : nous sommes cohérents.
L'Iran est un grand pays et les Perses une grande civilisation. Mais pour ce qui est de la négociation, il faut être clair: le nucléaire civil, oui; l'arme nucléaire, non. Si l'on veut éviter la prolifération nucléaire, l'accord doit être robuste. Sinon, cette prolifération aura lieu et ce sera très dangereux pour tout le monde. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juillet 2015