Texte intégral
Q - Merci beaucoup d'être avec nous. On a appris il y a quelques minutes la démission du ministre des finances grec, M. Yanis Varoufakis. Personnage haut en couleurs, qui incarnait d'ailleurs depuis plusieurs mois, avec évidemment M. Tsipras, cette opposition aux créanciers, cette opposition à une partie de l'Europe. Il quitte son poste au lendemain du référendum qui a été un grand succès pour le non. Est-ce que cette démission change la donne, selon vous ?
R - Il appartient d'abord au Premier ministre grec, de dire quel sens il faut donner à cette démission. Il y avait des relations difficiles entre M. Varoufakis et un certain nombre de ses collègues, des autres ministres des finances, mais ce qui est important maintenant, c'est que la discussion, la négociation, puisse reprendre au sein de la zone euro. On verra si cette décision est en lien avec cette volonté.
Q - Visiblement, c'est ce qu'il explique sur son blog, il explique que des membres de l'Eurogroupe ne souhaitaient pas sa présence à des réunions, c'est ce qu'il écrit, et que donc dans ce cadre, le Premier ministre grec, a jugé utile, pour l'obtention d'un accord, qu'il quitte son poste. La France avait demandé sa tête ?
R - Non. C'est la version qu'il en donne. Ce qui serait important c'est de savoir ce qu'en dit le Premier ministre grec, qui a décidé de changer son ministre des finances. Mais nous, nous n'avons pas à nous mêler de la composition des gouvernements. Il y a un gouvernement en Grèce qui est issu des élections qui ont eu lieu au mois de janvier, et nous travaillons avec ce gouvernement.
Q - La Grèce est-elle sortie de l'euro hier soir ?
R - Non. Hier, il y a eu un vote, il faut le respecter. Ce vote n'a pas indiqué une volonté de sortir de l'euro. Mais il comporte un risque, nous l'avions dit. Maintenant il faut donc que le gouvernement grec prenne ses responsabilités, c'est-à-dire que le Premier ministre grec dise ce qu'il veut faire de ce vote, de ce résultat, et il faut le faire rapidement. Il y a une urgence, on le voit. Il y a une urgence économique, financière, il y a aussi une urgence sociale et humanitaire. C'est pourquoi nous souhaitons que rapidement puissent être engagées des discussions sur des bases sérieuses, sur des bases utiles. La France continuera à agir pour que des négociations se tiennent, qui permettent d'aboutir à un accord pour le maintien de la Grèce dans la zone euro.
Q - M. François Hollande a eu au téléphone hier soir M. Tsipras, qu'est-ce qu'ils se sont dit ? En tout cas ça montre que le dialogue continue, il n'est pas rompu.
R - Oui, parce que nous sommes convaincus qu'il faut aller vite, donc hier le président de la République a eu M. Alexis Tsipras, il a également eu la chancelière Mme Angela Merkel, le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, le président du Conseil européen, M. Donald Tusk, ainsi que d'autres personnalités. Il a demandé à ce que rapidement, ça sera donc demain soir, puisse se tenir un Conseil de la zone euro, c'est-à-dire une réunion des chefs d'État et de gouvernement, des dix-neuf États membres de la zone euro. Et ce soir il rencontrera Mme Angela Merkel à Paris, parce qu'évidemment l'axe franco-allemand, dans la résolution de cette crise, est absolument essentiel. L'axe franco-allemand il est essentiel, pour faire avancer l'Europe, d'une façon générale, et face à cette situation, il est là, il est solide et il restera solide.
Q - Les Allemands ne sont pas contents, on peut voir ce matin dans la presse allemande, par exemple, que la réaction des éditorialistes à ces scènes de joie à Athènes a été vécue comme une provocation. Vous pensez vraiment qu'aujourd'hui Mme Angela Merkel est disposée à discuter à nouveau avec les Grecs.
R - Aujourd'hui il y a dans plusieurs pays, pas simplement l'Allemagne, une méfiance...
Q - Enfin, c'est le moteur de l'Europe, avec la France.
R - Oui, mais il y a aussi la Finlande, il y a aussi d'autres pays qui ont exprimé une très grande méfiance. La zone euro fonctionne à la fois sur un principe de solidarité mais aussi un principe de respect des règles. C'est pourquoi il est urgent maintenant que la confiance soit rétablie et que s'engage une discussion sur les bases que la France a défendues la semaine passée. Il s'agit de permettre à la fois de prolonger des financements à la Grèce, qui a à faire face à des échéances de remboursements mais aussi au financement du fonctionnement de son administration, de ses systèmes sociaux, de mener des réformes, parce qu'elles sont indispensables en Grèce, et depuis longtemps sur le plan de la fiscalité, il faut que tout le monde puisse s'acquitter de ses impôts, sur le plan de la modernisation de l'administration, et puis c'est vrai aussi, dégager une perspective de croissance, et le président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, sous l'impulsion de la France, avait proposé qu'il y ait un plan de soutien à la croissance de 35 milliards d'euros d'ici à 2020. Donc maintenant, il appartient au Premier ministre grec, M. Alexis Tsipras, qui a souhaité ce référendum, sur la base de ce résultat, de dire ce qu'il compte faire de ce vote, pour être utile à une reprise des discussions et à un accord avec les autres membres de la zone euro.
Q - M. Harlem Désir, la semaine dernière les Grecs et les Européens se sont quittés sur un constat d'échec. Il y a eu ce référendum, qui a donné raison à M. Tsipras. Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui ou demain, il pourrait venir en disant : «eh bien finalement vous aviez raison, je vais me ranger à votre avis» ? Pardon, mais c'est incohérent.
R - Le point de départ, vous avez raison, c'est de respecter ce résultat et en même temps, nous l'avions dit, ce référendum comportait, si le non l'emportait, le risque d'une situation qui n'allait pas forcément apporter une solution. Ce que je veux dire, c'est que ce vote a exprimé une aspiration, qui avait déjà été exprimée d'ailleurs par les électeurs grecs quand ils ont élu ce nouveau gouvernement, c'est-à-dire la fin de l'austérité. Il n'a pas apporté une solution en lui-même. Nous devons respecter et entendre cette aspiration. Maintenant il faut aussi construire la solution. C'est au Premier ministre grec de dire quelles solutions il propose, sur la base de ce qu'ont exprimé les citoyens, qu'il a sollicités, et comment cette solution peut être l'objet d'un accord avec les autres pays de la zone euro. Car encore une fois, il doit avoir présent à l'esprit, comme nous tous, qu'être membre de cette zone économique commune, de cette monnaie unique c'est un projet politique qui repose sur deux principes : la solidarité et le respect des règles communes. L'action menée dans chaque État membre, la bonne gestion des finances publiques, ou non, a un impact sur le reste de la zone économique. Nous voulons, à la fois, qu'il y ait une solution utile à la Grèce, et il nous semble que le mieux, c'est que la Grèce reste dans la zone euro, mais aussi une solution utile à l'Europe, c'est-à-dire que l'euro soit une monnaie qui reste solide et fiable pour nos économies.
Q - Honnêtement, vous vous attendiez à un tel score ? 61,3% en faveur du non ?
R - Notre rôle n'est pas de faire des prédictions sur un résultat. La question qui a été posée, était : est-ce que le peuple grec accepte ou non un projet d'accord, qui n'avait pas été l'objet d'une finalisation, qui n'était pas agréé par son propre gouvernement, et la question a été posée, dans des conditions qui étaient celles d'un gouvernement qui appelait sa population à voter non. Ce résultat a confirmé la position de M. Alexis Tsipras, c'est-à-dire le refus de ce projet qui n'était pas celui que nous avions obtenu.
Q - Mais c'est bien pour ça que ce matin on a du mal à comprendre de quoi vous allez parler entre vous, puisque les Grecs ont dit : «On ne veut pas de ça», et qu'on ne voit pas très bien comment Mme Angela Merkel et M. François Hollande peuvent dire : «attendez, ok on a compris, on va passer à autre chose». Les positions semblent figées, malgré ce vote, et ce désaveu au fond, c'est un désaveu pour les Européens.
R - Non, je ne le crois pas.
Q - Le résultat n'est pas un désaveu ?
R - Non, je crois que ce résultat rend les choses plus compliquées, nous l'avions dit. Il faut maintenant que chacun fasse peut-être davantage encore d'efforts de clarification, à commencer par le gouvernement, parce que c'est lui qui a organisé ce référendum et c'est lui qui a appelé à ce vote. En même temps je crois que la volonté des Grecs est de rester dans la zone euro.
Pour rester dans la zone euro, un pays qui est dans une situation où il a besoin de la solidarité et de l'aide des autres États membres, doit aussi dire comment il veut avoir un accord avec les autres États membres, à travers des engagements de réformes. Nous, nous sommes tout à fait d'accord avec l'idée par exemple qu'il y ait une discussion qui doit pouvoir porter sur la soutenabilité de la dette, sur le poids de la dette, mais en même temps, tous les membres de la zone euro disent à juste titre : il faut quand même que l'on ait l'assurance que les finances publiques vont être mieux gérées en Grèce, que l'on ne va pas dépenser davantage que les recettes fiscales, donc que tous les impôts soient payés, qu'il y ait une lutte contre la corruption ou les dysfonctionnements de l'administration. Et nous, nous ajoutons qu'il est normal aussi qu'il y ait une priorité donnée au soutien à la croissance de l'économie en Grèce, parce que le plus important c'est cela. Pour que l'économie fonctionne, d'ailleurs, il faut qu'il y ait cette solidarité européenne, parce qu'on le voit aujourd'hui, on est au bord d'une catastrophe humanitaire et d'un système qui ne peut plus fonctionner, puisque les banques sont fermées et que les entreprises ne peuvent plus payer leurs fournisseurs, qu'il n'y a plus d'importations. Il y a une extrême urgence à trouver un terrain d'entente. C'est pourquoi le président de la République a voulu ce conseil de la zone euro, dès demain soir à Bruxelles.
Q - Et recevoir Mme Angela Merkel dès ce soir, vous l'avez rappelé. Quel est le rôle d'ailleurs de la France et plus précisément de M. François Hollande dans cette affaire ? Diriez-vous qu'il est une sorte d'arbitre entre la fermeté, la grande fermeté de Berlin et la Grèce ?
R - La France et le président de la République ont tout fait pour que puisse aboutir une négociation. Nous avons fait en sorte que les points de vue puissent être conciliables. À partir d'un double principe qu'avait exprimé le président de la République dès le lendemain des élections qui ont vu M. Alexis Tsipras devenir Premier ministre : d'une part, le respect du vote des Grecs, parce que l'Europe c'est la démocratie, quand un peuple s'exprime on doit respecter ce qu'il dit, et là ils ont voulu qu'il y ait un changement de politique, la fin de l'austérité, et d'autre part le respect des engagements et des règles européennes, parce que la Grèce est dans la zone euro, et a dit qu'elle voulait y rester, donc elle doit accepter qu'il y a des partenaires et qu'il y a des règles en commun. Voilà les éléments qui ont fait que pendant cinq mois, étape après étape, nous avons essayé de faire en sorte que d'un côté il y ait des engagements qui puissent être pris par la Grèce en matière de réformes, en matière d'amélioration, encore une fois, du fonctionnement de l'économie grecque, et puis de l'autre côté, qu'il y ait l'engagement de la solidarité, qui d'ailleurs a été poursuivi notamment par la Banque centrale européenne.
Q - Il y a donc à nouveau, même si vous allez me dire le contraire, il y a donc à nouveau une différence entre Paris et Berlin. Je voudrais vous citer... pourquoi je vous dis ça ? Parce que je voudrais vous citer M. Sigmar Gabriel, ministre de l'économie allemand, qui est un des poids lourds de la coalition au pouvoir. Que dit-il hier soir ? Il juge difficilement imaginable de nouvelles négociations dans ces circonstances, après le référendum, et il ajoute : le Premier ministre grec a coupé les derniers ponts entre son pays et l'Union européenne.
R - Il peut y avoir des différences de points de vue, mais à la fin, il y aura une communauté d'action, entre la France et l'Allemagne. Je ne crois pas que l'on puisse dire que les derniers ponts ont été coupés, peut-être que, disons, la rivière a été élargie et que donc il faut un pont plus long. Il faut bâtir maintenant, c'est vrai, une passerelle encore plus grande. C'est notre travail et c'est ce que nous allons continuer à faire. Mais encore une fois c'est le gouvernement grec qui a souhaité ce référendum, qui l'a organisé. C'est à lui maintenant de venir devant ses partenaires et de dire : voilà comment nous proposons, à partir de ce que notre peuple a exprimé, de reprendre une discussion, sur des bases solides, sérieuses, compatibles, avec la zone euro.
Q - Le Grexit, la fameuse sortie de la Grèce de la zone euro, là c'est... sans parler même des conséquences, là on peut dire aujourd'hui, franchement, que c'est quelque chose qui est sur la table. C'est une hypothèse qui n'a jamais été aussi forte.
R - Bruce Toussaint, nous avions dit que si le non l'emportait, il y avait un risque. Donc nous sommes dans ce que nous avions expliqué. Nous avions un devoir de vérité vis-à-vis des Français, c'était de dire qu'il y avait ce risque. Nous pensons, nous, qu'il serait de loin mieux pour la Grèce, de rester dans la zone euro. C'est mieux pour son économie, c'est mieux pour sa participation au projet politique européen. Il y a aussi une dimension géopolitique, alors que la région balkanique est confrontée à des crises, à de l'instabilité. La Grèce dans ce contexte représente un partenaire essentiel mais encore faut-il que le peuple grec, et son gouvernement, fassent le choix, d'une certaine façon, de faire cette passerelle avec les autres membres de la zone euro. La France fera tout pour y contribuer.
(...)
Q - Merci beaucoup Harlem Désir.
R Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2015