Texte intégral
Je vous prie d'abord de m'excuser : je ne pourrai assister au colloque organisé demain au Sénat car je serais à Vienne pour poursuivre les négociations sur le nucléaire iranien. Je vais à présent vous donner lecture de la déclaration du Premier ministre, sur la situation de la Grèce et les enjeux européens.
Depuis 70 ans, l'Europe, ce «vieux rêve», est devenue une réalité pour nos pays, pour les peuples. Ensemble, à force de volonté, nous avons su transformer notre histoire : sceller une paix durable et faire que, du Sud à l'Est, la démocratie s'enracine. C'est une magnifique construction par des nations qui ont uni leurs forces, leurs destins, pour peser davantage, économiquement, mais aussi politiquement, diplomatiquement. L'Europe, c'est une voix qui parle et qui porte.
Bien sûr, elle a ses insuffisances : des vides démocratiques qui restent à combler, des faiblesses diplomatiques, des difficultés économiques. Mais sans l'Europe, nous n'abandonnerions pas simplement un idéal, nous perdrions beaucoup de nous-mêmes. Dans un monde qui change si vite, nos nations se trouveraient esseulées, diluées. Affaiblies, elles perdraient progressivement pied.
J'ai souhaité que ce débat ait lieu pour que la représentation nationale soit pleinement associée, car nous sommes à un moment crucial, pour la Grèce et le peuple grec, crucial, aussi, pour nous et pour la construction européenne. Nous devons refuser une Europe du ressentiment, de la punition et de l'humiliation. Une Europe où monteraient, ici, les sentiments anti-grecs, et là, les sentiments anti-allemands, où s'installeraient les égoïsmes et les populismes, où les plus faibles seraient livrés à eux-mêmes. L'Europe, c'est la fierté d'être soi, pas le repli sur soi. C'est le respect des peuples et des individus.
Il y a, entre la France et la Grèce, un lien historique très fort. La Grèce c'est le berceau de l'Europe, par son histoire, sa culture et ce qu'elle nous a apporté : la démocratie. Au début du XIXe siècle, le chant de liberté du peuple grec prenant son indépendance a été entonné par les poètes, les écrivains, les artistes français.
La Grèce est un grand pays européen. Elle est dans l'Union européenne depuis 1981, grâce notamment à la France avec le président Valéry Giscard d'Estaing. Elle est alors sortie de la dictature des colonels. Et il y a les personnages incontournables de cette âme culturelle commune que nous nous sommes forgée. Je pense à Costa-Gavras et son film Z, ou à Jacqueline de Romilly, cette femme française qui a dévoué sa vie à la langue grecque si bien qu'elle a reçu, à titre honorifique, en 1995, la nationalité grecque.
La Grèce, c'est une passion française. Et l'Europe, c'est la muse de la Grèce ! Nous devons être fidèles au passé et à l'avenir de cette relation. La Grèce a aussi conscience de ce que l'Europe lui a apporté.
Sachons donc entendre les messages. Les Grecs par leur vote lors du référendum - réponse claire à une question qui l'était moins, ajouterai-je à titre personnel - n'ont pas voulu quitter l'Europe. Ils savent que sortir de l'Europe aurait pour eux des conséquences dramatiques : inflation des produits importés, y compris de première nécessité, troubles sociaux, crise politique. Est-ce cela que nous voulons, pour le peuple grec ? Est-ce cette image que nous voulons donner de l'Europe aux yeux du monde ? Non ! En tout cas, ce n'est pas la position de la France.
L'Europe a besoin de solidarité. Mais, face aux défis colossaux de notre époque, elle a aussi besoin d'unité et de stabilité. Le maintien de la Grèce dans l'euro et dans l'Union européenne, c'est aussi un enjeu géostratégique et géopolitique. Je pense à nos relations avec la Turquie, aux regains de tensions dans les Balkans. La Grèce, par ses liens avec la Russie et le monde orthodoxe, est un acteur majeur du partenariat oriental. Je pense également aux enjeux migratoires. La Grèce et l'Italie sont les pays les plus exposés aux arrivées massives de migrants. La Grèce, membre de l'OTAN, c'est aussi l'avant-poste européen d'un Proche-Orient en plein embrasement. Affaiblir la Grèce, serait donc nous affaiblir collectivement, avec des répercussions économiques. J'ai constaté à Vienne que cette inquiétude est partagée par les dirigeants américains et chinois. Le monde nous regarde.
C'est pourquoi, la France ne ménage pas ses efforts, pour trouver des solutions, pour faire converger les points de vue. Nous agissons, avec le président de la République, sans relâche pour que la Grèce tienne ses engagements ; pour écouter le choix d'un peuple, tout en assurant la cohésion de l'Europe. C'est à cette condition que nous parviendrons à un accord satisfaisant pour toutes les parties.
Telle est l'histoire de l'Europe : trouver des solutions communes, bâtir ensemble, dans le respect de gouvernements élus démocratiquement, dans le respect de chacun, des sensibilités qui ne sont pas les mêmes quand on est à Dublin, à Bratislava ou à Lisbonne. Rien n'est facile, les risques sérieux. C'est pour cela que la France, membre fondateur, tient son rang, puise en elle-même cette force qui en a toujours fait un garant du destin européen. C'est notre vocation. Ne pas céder à la résignation, ne pas subir, mais agir. Nous portons l'Europe dans notre cœur. Nous en connaissons le prix immense et la richesse incalculable. Nous ne pouvons-nous dérober à nos responsabilités historiques.
Lundi soir, le président de la République a rencontré Mme Merkel. La France et l'Allemagne s'efforcent d'être à la hauteur de l'évènement. Nous ne sommes ni à la remorque de l'Allemagne ni indulgents à l'égard de la Grèce. Depuis les années 2000, la Grèce a connu une forte croissance grâce à son entrée dans la zone euro, elle n'a néanmoins pas su moderniser son économie. Elle a été frappée fortement par la crise de 2007-2008. Sans l'aide européenne, la Grèce aurait été en faillite. Accepter maintenant une sortie de la Grèce de l'Europe constituerait un aveu d'impuissance.
Avec notre partenaire allemand, nous privilégions la recherche d'un compromis. Avec lui, nous avons conscience de notre capacité d'entrainement. Rien n'est facile. Le retour de la croissance ces dernières années n'a pas permis à la Grèce de combler son déficit budgétaire et commercial et de diminuer sa dette.
Le gouvernement grec, élu début 2015, a souhaité revoir le programme d'assistance. Après des discussions longues et difficiles, nous étions, il y a deux semaines, tout près d'un accord, visant à permettre à la Grèce de respecter ses engagements tout en renouant avec la croissance. Le gouvernement grec, interrompant les négociations, a voulu s'en référer à son peuple.
Depuis, un sommet a eu lieu, le dialogue a été renoué. Paradoxe, un accord est difficile mais à portée de main. C'est la responsabilité de tous les états membres d'y travailler, y compris la Grèce. L'Europe n'est pas un droit de tirage illimité : il y a des règles à respecter. La France a décidé d'aider la Grèce mais il faut que le gouvernement grec s'aide lui-même.
Les paramètres d'une solution efficace et durable sont connus : des réformes en Grèce afin de rebâtir l'État ; des moyens pour apporter à l'économie grecque l'oxygène nécessaire. Le président Juncker a parlé d'une aide de 35 milliards d'euros et d'un échelonnement raisonnable de la dette. Nous avons jusqu'à dimanche.
Ce matin, les Grecs ont formulé officiellement la demande d'un nouveau programme d'aide, par une lettre équilibrée, faisant montre d'une réelle volonté de réforme, mais manquant encore de précisions. Celles-ci doivent être apportées jeudi, l'Eurogroupe se réunira samedi et un sommet se réunira dimanche.
L'avenir de l'Europe est en jeu. Quelle que soit l'issue, le Parlement aura à se prononcer.
L'Europe politique est mise à l'épreuve. Beaucoup d'entre nous l'ont réclamée, nous y sommes. Il appartient à la France, si possible au couple franco-allemand, de se saisir de cette occasion - c'est le même mot qui, en grec, désigne le risque et la chance : kindunos.
L'approfondissement de la zone euro n'est absolument pas achevé : gouvernement économique, convergence fiscale et sociale, mise de la monnaie unique au service de la croissance et de l'emploi, légitimité démocratique. Tous ces enjeux sont soulevés par la crise grecque.
Les solutions à cette crise devront répondre à la volonté exprimée dimanche par le peuple grec, mais aussi à la volonté des autres peuples et, enfin, au souci d'avancer.
(Interventions des parlementaires)
Saut dans l'inconnu pour le peuple grec, certes...
La question du coût n'est pas exclusive. S'il faut en parler, au moins restons rigoureux : une sortie de la Grèce de la zone euro coûterait plus cher et plus vite que son maintien...
On glisse de la science à l'idéologie également quand on s'engage dans une recherche en responsabilité. À la vérité, tout le monde est responsable. Ne cédons pas à la tentation de la césure politique... Il y avait eu la lumière avant 2012, l'obscurité totale ensuite.
Dois-je rappeler le sommet de Deauville de 2010 et ses conséquences pour l'Irlande ou le Portugal ? Pour le sénateur, la situation grecque serait liée à un gouvernement d'une couleur particulière. Certains ont même parlé de proximité entre le gouvernement français et le gouvernement grec... Pardon mais l'axe Macron-Tsipras ne m'a pas sauté aux yeux.
Malgré le ton mesuré qu'il a pris, je me suis senti mis en cause quand vous avez évoqué le leadership de la France sous un quinquennat précédent et son isolement actuel. J'ai à l'esprit les efforts que le président de la République et moi-même avons dû déployer pour nous réconcilier avec l'Algérie, l'Afrique noire, la Turquie, la Pologne, le Mexique, le Japon, la Chine.
Oui, Monsieur le Sénateur, nous devons éviter un Grexit. Oui, la Grèce doit se réformer, l'Union européenne également. Oui, responsabilité et solidarité.
Le Grexit, s'il devait advenir, coûterait plus cher, et vous avez raison. Il ne faut pas restreindre le débat aux aspects financiers, c'est exact, nous devons aussi parler des enjeux politiques et géopolitiques - j'y reviendrai.
Comme vous, je pense que l'affaire grecque est aussi notre affaire, celle de la France, celle de l'Europe.
Je souscris aux propos du sénateur : les Européens, les gouvernements successifs de la Grèce ont leur part de responsabilité. Vous avez parlé juste en parlant de justice. Il n'y aura pas de Grexit sans traumatisme, il faut en avoir conscience.
Beaucoup d'orateurs ont parlé de solidarité. Elle ne sera ni aveugle ni illimitée. Si l'Europe doit aider la Grèce, la Grèce doit aider l'Europe à l'aider. Sans quoi les peuples réagiront et ils auront raison.
Soyons carrés sur le plan économique si sortie il y a ; les risques économiques seront considérables. Le pays n'aura plus de monnaie nationale - ce qui n'était pas le cas de l'Argentine. Faillites bancaires, perte des petits épargnants, renchérissement des importations, explosion de l'économie grise et donc moindres rentrées fiscales... Il y a des risques pour la zone euro.
Les risques sont aussi politiques. Pour s'en convaincre, il suffit de converser avec des responsables étrangers. Aux négociations sur le nucléaire iranien, personne des Chinois, des Russes ou des Américains ne considère qu'une sortie de la Grèce renforcera l'Europe. Les opinions publiques européennes seraient confortées dans leur découragement européen, les critiques populistes et les appels au repli sur soi se multiplieraient. Songez aussi à la perspective du référendum britannique...
Les risques sont aussi géopolitiques. À proximité, l'Irak, la Syrie, la Libye, les Balkans... Que signifierait une sortie de la Grèce sur la question migratoire et la lutte contre le terrorisme ? Sans parler de l'opportunisme gourmand dont pourrait faire preuve la Russie en venant au secours de la Grèce parce que l'Europe aurait manqué à le faire. Il faut en avoir conscience.
À l'impossible nul n'est tenu. À chacun d'éviter l'hybris - il est des succès électoraux qu'il faut savoir maîtriser, un pouvoir de dire non qu'il faut savoir retenir si les circonstances le permettent - et de saisir le kaïros, ce moment particulier dans la vie d'un peuple où l'on peut transformer un risque en une chance.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juillet 2015