Texte intégral
Q - Dix-sept heures de négociations rien que la nuit dernière pour arriver à l'«agreekment» selon l'expression de Donald Tusk, le président du conseil européen, contraction d'«agreement» - accord en anglais - et «greek» - la Grèce - qui échappe donc au Grexit mais de quelle façon, sous quelles conditions, quels sacrifices demandés à la Grèce. Est-ce que cet accord est viable ? Avec nous pour en parler, le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, bonjour Harlem Désir.
R - Bonjour Pierre de Vilno.
Q - Vous avez vingt minutes pour vous expliquer. Avant d'essayer de voir avec vous en quoi consiste cet accord, retour sur des propos tenus par Manuel Valls il y a quinze jours sur Europe 1, au Grand Rendez-vous. Il disait : «Le Grexit n'a aucune incidence sur la zone euro» ; aujourd'hui il nous dit : «Un Grexit serait un désastre pour la Grèce et la zone euro». Excusez-moi, mais on n'arrive pas bien à comprendre.
R - Oui, parce qu'il évoquait l'éventualité d'un risque économique. Pour cela, il y a aujourd'hui des dispositifs qui ont été mis en place et qui, depuis la crise, permettent de protéger les autres pays de la zone euro : la France, l'Allemagne...
Q - Cela veut dire qu'en quinze jours on a fait des progrès immenses ?
R - Non. Mais par ailleurs, dans la même interview, Manuel Valls disait déjà qu'il y avait un risque géopolitique, un risque pour le projet européen, un risque pour l'unité européenne. La France a voulu depuis le début que la Grèce puisse rester dans la zone euro. Il a fallu toute la détermination du président de la République...
Q - Donc dans le «aucune incidence», il ne fallait pas y voir : «Oui, ce n'est pas grave».
R - Il faudrait que vous repreniez l'intégralité de sa déclaration.
Q - Je l'ai suivi, c'était sur Europe 1.
R - Oui, mais vous l'avez vu, il n'y a pas eu de hausse des taux d'intérêt par exemple pour la France. Cela voulait dire que la France est protégée économiquement. Ce n'est pas cela qui était en jeu, c'est l'intérêt général européen. Cet accord qui a été passé au petit matin, après, comme vous l'avez dit, dix-sept heures de négociations, c'est une victoire pour l'Europe, c'est une victoire pour la solidarité européenne, aussi pour le respect des règles européennes. On peut comprendre qu'un certain nombre de pays aient voulu qu'il y ait des garanties, des engagements, que la Grèce allait mener des réformes notamment en matière de fiscalité, en matière de lutte contre la fraude fiscale, de modernisation de l'administration, de modernisation de l'économie. Mais il fallait refuser la logique des égoïsmes nationaux et il fallait qu'à l'issue de cette négociation la confiance et la solidarité puissent l'emporter parce que c'est l'intégrité de la zone euro, sa solidité à l'avenir. L'enjeu, c'était aussi éviter un risque géopolitique.
Q - Avant de donner la parole aux auditeurs puisque ce sont eux qui vont vous interroger, Jean-Claude Juncker a dit : «Le Grexit a disparu». C'est vrai ? Ce n'est pas vrai ? Cette fois-ci, c'est la bonne ?
R - Oui. L'accord qui a été passé, c'est un engagement de la part de l'ensemble des États membres de la zone euro, donc des dix-huit partenaires de la Grèce. Il a fallu évidemment que l'axe franco-allemand promeuve une solution. Le président de la République y a oeuvré en recevant la chancelière Angela Merkel à Paris lundi dernier.
Q - On ne va pas revenir dans quelques mois en nous disant : «Il y a encore une menace du Grexit» ?
R - Non. C'est une décision politique très importante, historique, qui a été prise de dire : «Nous ne laisserons pas la Grèce dans le chaos ; nous ne la laisserons pas sortir». Certains disaient : «On pourrait organiser une sortie en douceur». Cela n'existe pas, on n'organise pas le chaos. C'était un risque inconsidéré. Il a donc été décidé de faire en sorte que la Grèce puisse maintenant bénéficier des aides nécessaires de financement de moyen terme, mais aussi d'aides d'urgence pour faire face à des échéances de remboursement.
Q - Pour faire face à des concessions immenses.
R - Et pour faire face aussi à ses besoins de financement quotidiens : le paiement des salaires des fonctionnaires, le paiement des retraites. En même temps, la Grèce s'est engagée, comme l'avait fait courageusement d'ailleurs le Premier ministre Aléxis Tsípras en faisant voter le parlement la semaine dernière, à mettre en oeuvre un certain nombre de réformes très importantes.
Q - Des questions pour vous, Harlem Désir, au 39 21 et des réflexions également. Vassili nous appelle, je crois que vous avez la nationalité franco-grecque donc vous êtes directement impliqué par le problème.
Q - Vassili - Oui. Je pense que cette histoire depuis le début est absolument scandaleuse. La Grèce est un pays qui a été attaqué. Bien sûr, il y a des problèmes en Grèce sur la situation interne, et cætera, mais il ne faut pas oublier que cette histoire est d'abord une attaque financière, que la Grèce a perdu plus de quatre cents milliards d'euros en à peine trois semaines si je me souviens bien - c'était à l'époque au début de la crise - et que c'est comme ça que tout a commencé. C'est l'honneur de la France de défendre la Grèce, c'est l'honneur à la fois de Nicolas Sarkozy et de François Hollande d'avoir fait un travail phénoménal pour soutenir le pays dans des moments extrêmement difficiles et qu'en ce moment l'Allemagne, qui va vraiment tout fait pour empêcher cet accord, c'est scandaleux. L'Allemagne n'a jamais payé ses dettes dans toute l'histoire du XXIème siècle et aujourd'hui elle se permet de donner des leçons. Enfin, très important, l'histoire de la dette de guerre que certains prennent pour une blague n'est pas une blague. C'est très sérieux. L'histoire des dettes de guerre de l'Allemagne doit être réglée.
Q - L'affaire de 1953, Vassili, c'est ça ?
R - Vassili - Oui. La dette de la Seconde guerre mondiale, ce qu'on appelle les dettes de guerre, n'ont jamais été réglées. Les Grecs l'ont demandé, l'Allemagne a payé ses dettes de guerre à d'autres pays mais elle n'a pas payé ses dettes de guerre à un petit pays qui s'appelle la Grèce : c'est complètement injuste et je peux vous dire que c'est beaucoup plus de milliards que le petit milliard six cents millions qui posait problème. Je voulais rappeler tout ça et je serai très heureux d'avoir le commentaire d'Harlem Désir là-dessus. Merci beaucoup.
Q - Merci de votre réflexion, Vassili. Harlem Désir, est-ce que l'Allemagne et puis les autres tordent le bras à la Grèce ?
R - Il y a eu un accord qui a été passé dans cette négociation parce qu'il y a eu aussi une volonté commune à la fin de l'ensemble des partenaires de la zone euro et notamment de la France et de l'Allemagne. Moi je veux dire que l'axe franco-allemand, que l'amitié franco-allemande, sont absolument indispensables si l'on veut résoudre les crises en Europe, si l'on veut faire progresser l'Europe.
Q - Est-ce que les Grecs étaient d'accord ou est-ce qu'ils ont dû être d'accord ? - ce qui n'est pas exactement la même chose.
R - Cela a été une négociation et c'est pour cela qu'elle a pris du temps. Il a fallu évidemment qu'il y ait un accord avec le gouvernement grec.
Q - Donc on tord le bras aux Grecs.
R - Non, je ne le crois pas. Le peuple grec veut rester dans la zone euro et le Premier ministre, Aléxis Tsípras, a réuni après son référendum les différentes formations politiques qui ont confirmé qu'elles lui donnaient un mandat pour aller négocier les conditions du maintien de la Grèce dans la zone euro. La Grèce a subi, c'est vrai, très durement la crise financière. Il est vrai qu'il y a eu aussi de la spéculation sur la dette grecque. Mais depuis des années, et pas simplement depuis cinq mois que le gouvernement grec actuel est en place, les gouvernements en Grèce n'ont pas mené un certain nombre de réformes que j'évoquais tout à l'heure. On sait qu'elles concernent aussi bien le cadastre, la façon dont est perçu l'impôt, dont est perçue la TVA. Tout cela est nécessaire et le gouvernement d'Aléxis Tsípras en est tout à fait d'accord et tout à fait conscient.
Il y a donc eu un accord qui s'est fait sur la base d'un intérêt mutuel. Celui de la Grèce de pouvoir bénéficier d'un soutien ainsi que d'un plan de soutien aux investissements parce qu'il faut que la croissance redémarre en Grèce. Jean-Claude Juncker avait donc proposé qu'il y ait trente-cinq milliards sur les trois prochaines années d'investissement dans les infrastructures, dans la modernisation de l'économie. Cela suppose, encore une fois, qu'il y ait aussi un certain nombre de réformes qui soient menées pour que la Grèce n'ait plus de nouvelles dettes.
Q - Pardonnez-moi mais toutes ces réformes et tous ces plans, on a l'impression de les avoir vus et revus. Qu'est-ce qu'il y a de nouveau ?
R - On en parle depuis longtemps mais elles n'ont pas été adoptées, elles n'ont pas été mises en oeuvre. Je cite un exemple : aujourd'hui dans le plan qui a été agréé, il y a une indépendance du futur office des statistiques, l'équivalent de notre Insee.
C'est très important pour que les comptes ne puissent pas être truqués.
Q - Cette fois-ci, les Grecs sont obligés d'appliquer ces mesures ? Cette fois-ci, c'est une obligation de résultats ?
R - Les Grecs se sont engagés. Ils ont accepté parce qu'ils ont conscience du fait que, de toute façon, ces réformes sont nécessaires. Cela a été une discussion politique qui a commencé il y a plusieurs semaines, plusieurs mois même en réalité.
Q - C'est ce qu'a dit François Hollande tout à l'heure.
R - Absolument. Elle s'est conclue là, cette nuit, mais a porté sur les objectifs politiques que devaient se fixer ensemble la Grèce et ses partenaires de la zone euro. Cet objectif est commun, c'est d'aider la Grèce à redémarrer, à sortir de la crise et à sortir de ce cycle de surendettement dans lequel elle s'était trouvée et qui a donné prise à la spéculation.
Q - Jean-Michel nous appelle de Charente-Maritime, bonjour Jean-Michel !
Q - Jean-Michel - Oui, bonjour Europe 1 et bonjour Monsieur Harlem Désir. J'entends bien tout ce que vous dites mais moi je vais vous dire, je pense à une seule chose, c'est que la Grèce n'est pas irréprochable dans sa gestion, sinon elle ne serait pas dans cette situation aujourd'hui. Après, restera, ne restera pas, les feuilletons qu'on entend depuis déjà quatre, cinq, six, sept, huit, dix semaines, l'idée que j'ai, en France, on a une municipalité, une commune une ville qui faillit à ses obligations financières, qu'est-ce que l'on fait ? On les met sous tutelle. Pourquoi en Europe, pour l'Europe, ils ne pourraient pas se constituer une direction et au bout d'un moment un pays comme la Grèce qui faillit parce que je ne pense pas que demain, ils vont sortir des nouvelles procédures du chapeau et qui permettront de rembourser la dette, pourquoi on ne dirait pas : puisque vous faillissiez (sic), il y a deux poids, deux solutions. La première, vous n'êtes plus capable de rester dans l'Europe, donc vous sortez, ce qui n'est pas souhaitable, je l'entends, on peut le comprendre mais ce qu'il serait souhaitable dans ces conditions, messieurs les responsables de la Grèce, on va vous mettre sous tutelle pendant trois ans, à l'épreuve, on va vous donner des directives parce que qui paye ses impôts en Grèce, la combine, on ne sait pas. On vous met sous tutelle, au bout de trois ans, dans trois ans, on revoit.
Q - Proposition de Jean-Michel : trois ans de tutelle et ensuite, on revoit le dossier, qu'est-ce que vous en pensez Harlem Désir ?
R - Bonjour Jean-Michel. La question que pose Jean-Michel renvoie à deux éléments. Le premier, c'est que l'Europe, c'est une communauté politique, c'est une communauté par laquelle un ensemble d'États souverains ont décidé de partager ensemble leur souveraineté mais on doit respecter quand même la démocratie dans chaque pays. Donc effectivement, il faut qu'il y ait un respect des engagements qui sont pris, un respect de règles et il faut qu'il y ait aussi, c'est vrai, une gestion publique, une gestion des comptes publics qui soit compatible avec cette communauté monétaire qui est la zone euro.
Q - Donc il n'y a pas de gendarme européen ?
R - Donc il y a des disciplines, il y a des règles et c'est vrai qu'elles n'avaient pas été respectées. C'est pour cela que la Grèce s'était retrouvée dans une situation d'accumulation de dettes et qu'il est très important que demain, tout le monde paye la TVA par exemple dans les commerces, que demain, tout le monde paye les impôts, y compris les armateurs parce que, comme le dit Jean-Michel, il faut qu'il y ait des recettes qui soient correspondantes aux dépenses et il faut qu'il y ait un remboursement de la dette. Dans cette négociation, il a aussi été convenu que compte tenu du poids de cette dette, il y aurait une discussion sur son rééchelonnement, c'est-à-dire sur la durée des prêts, sur leur maturité, sur les échéances de remboursement parce que l'objectif, c'est de faire redémarrer encore une fois l'économie grecque. Donc s'il n'y avait pas d'engagement de réforme, je comprends ce que dit Jean-Michel, on pourrait considérer que cela n'a pas de sens d'apporter une aide. Cette aide, elle est donc liée, on pourrait dire conditionnée au fait que soient vraiment mises en oeuvre des réformes qui vont permettre ...
Q - Mais qui va vérifier ?
R - La vérification se fait par à la fois la Commission européenne, par la Banque centrale européenne, ce qu'on appelle les institutions - avant, on parlait de la Troïka, le FMI va rester partie prenante parce qu'il a accordé des prêts qui viennent à échéance en 2016 et que probablement on aura encore besoin de l'aide du FMI en complément de l'aide européenne. Au total, la Grèce va bénéficier de financements d'environ 80 milliards d'euros mais elle va devoir avoir des recettes, par exemple de privatisation dans un certain nombre de domaines ou des recettes fiscales qui lui permettent d'assumer ses propres besoins de fonctionnement et de rembourser ses avances.
Q - Justement, Harlem Désir, ce matin, François Hollande parlait de créer la croissance en Grèce parce que c'est aussi le leitmotiv de François Hollande pour la France mais d'une certaine manière, nos envoyés spéciaux qui rentrent maintenant de Grèce nous disent : les gens n'ont rien à manger, ils peuvent retirer 60 euros, parfois 50 euros au distributeur. Comment est-ce que vous voulez relancer l'économie avec une telle politique d'étouffement ?
R - Alors, c'est vrai que l'urgence, c'est d'abord de faire en sorte que l'économie fonctionne tout simplement normalement, que les banques puissent rouvrir. Cela va probablement prendre quelques jours mais cela supposait qu'il y ait cet accord politique passé au sommet de la zone euro pour que la Banque centrale européenne puisse refournir des liquidités au système bancaire grec et que demain, les Grecs, comme vous le dites, puissent aller simplement retirer leur paye, puissent aller utiliser leur compte en banque, que les particuliers puissent commander leurs produits importés parce que la Grèce aujourd'hui importe la quasi-totalité de ce qu'elle consomme, ce qui est un vrai problème.
Q - Retirer ses liquidités, cela veut dire qu'à partir de demain ou d'après-demain ou dans une semaine parce qu'on est dans une période de négociations, les gens qui aujourd'hui ne peuvent retirer que 60 euros, ils pourront retirer plus, 100, 120, 300 ?
R - C'est la Banque centrale européenne qui doit prendre cette décision. Elle est indépendante. En tant que membre d'un gouvernement je dois respecter ...
Q - Harlem Désir, vous savez ce qu'elle va dire ...
R - Non parce qu'elle est indépendante, je sais qu'à partir du moment où il y a eu cette réunion et cet accord politique, elle a un mandat politique comme toutes les autres institutions européennes pour de nouveau envoyer, enfin donner des liquidités, accorder ...
Q - Le signal fort, c'est donner des liquidités ...
R - Voilà... qui vont permettre au système bancaire de fonctionner, donc aux entreprises, encore une fois, de payer leurs salaires ou aux salariés d'aller retirer leur salaire, aux entreprises de faire des commandes à l'étranger, par exemple pour les magasins d'alimentation comme vous le disiez, et ça, c'était une urgence et c'est aussi pour cela que cet accord était indispensable parce que sinon, le risque, c'était le chaos économique et peut-être le chaos politique.
Q - Brigitte nous appelle au 39 21 et va réagir à vos propos, Harlem Désir ?
Q - Brigitte - Je m'interroge à deux niveaux parce que les Grecs ont quand même voté à 61% leur désaccord quant au plan qui avait été mis en place jusqu'alors. On est à un troisième plan, qui est encore plus sévère que les précédents. Alors, j'avoue que je ne comprends pas bien. Bien sûr, ils ont envie de reste dans la zone euro comme beaucoup d'autres dirigeants de pays mais je ne vois pas ce que ça va changer ce troisième plan. Ensuite, c'est un non-respect pour moi quelque part, c'est un non-respect de ce référendum parce que je pense que les Grecs ne voulaient alléger les plans qui étaient prévus. Ensuite, je m'interroge à un autre niveau, au niveau des instances européennes. Les instances européennes, elles n'ont pas prévu ce qui allait se passer en Grèce, elles n'ont pas surveillé au niveau macroéconomique. Alors, je comprends qu'on décide qu'au niveau de l'Europe, on décide de garder la Grèce parce que quelque part, cela veut dire que l'Europe n'a pas joué son rôle, n'a pas joué son rôle de gardien et n'a pas respecté les peuples. J'ai envie de dire que moi, j'aurais bien aimé qu'on m'interroge en tant qu'Européenne par un référendum. Il y a eu un référendum en Grèce, pourquoi pas un référendum dans les autres pays européens pour savoir ce que pensent les citoyens ?
Q - Merci pour toutes ces réflexions, Brigitte. Alors, dans l'ordre, cela va être difficile, d'abord la question du gendarme de l'Europe, je vous l'ai déjà posée, vous m'avez dit que cela irait mieux. Ensuite, pourquoi ne pas tenir compte de ...
R - Sur ce point d'abord, il faut tirer les leçons de l'histoire. Brigitte a raison, il y a eu un moment où les comptes ont été truqués en Grèce et il y a un Premier ministre ...
Q - Et l'Europe était là pour surveiller théoriquement !
R - C'était il y a pratiquement une dizaine d'années, un Premier ministre était élu et il a dit : écoutez, en fait, nos déficits ne sont pas de 6%, ils sont de 12%. Et à ce moment-là, on s'est rendu compte que cet État était en faillite, la spéculation s'est déchainée ...
Q - Il était trop tard pour réagir !
R - Il n'est jamais trop tard pour essayer de réparer des erreurs mais l'erreur était lourde, elle était grave. C'est une des raisons, je l'ai dit tout à l'heure, pour lesquelles il y aura un organisme de statistiques indépendant avec un directeur de cette administration qui ne pourra pas être renvoyé par le gouvernement, avec un contrôle qui sera fait aussi par les organismes européens en particulier la Commission européenne et Eurostat pour qu'on sache à chaque instant où en est vraiment la situation financière de la Grèce.
Deuxièmement, rester dans la zone euro, ce n'est pas simplement un choix des dirigeants en Grèce, c'est un choix des citoyens. Les citoyens ont toujours élu en Grèce des gouvernements, des majorités qui se sont engagés à maintenir la Grèce dans la zone euro.
Q - Sauf le référendum ...
R - Non, parce que le référendum n'était pas un référendum pour dire «oui» ou «non» au maintien dans la zone euro. Je comprends la réaction de Brigitte, on a eu un peu tous la même ...
Q - L'intitulé était gros comme une page A4 mais cela dit ...
R - Non, l'intitulé était le refus d'un programme, d'un projet de programme qui d'ailleurs n'avait pas fait l'objet d'un accord et qui a été rejeté parce qu'il était considéré comme ajoutant de l'austérité à la crise. Ce que le gouvernement grec a négocié avec tous ses partenaires et l'accord que la France a permis, c'est certes un programme de réformes très exigeant, courageux, qui va demander des efforts, c'est tout à fait juste, mais aussi un plan de soutien. D'abord des financements pour faire face à un certain nombre d'échéances de remboursement au FMI, à la Banque centrale européenne, etc., pour permettre le fonctionnement de l'État mais aussi, je l'ai dit, une discussion sur le rééchelonnement de la dette et un plan très massif de soutien aux investissements de 35 milliards d'euros. Donc c'est cet équilibre qui a permis à la Grèce et à Alexis Tsipras d'accepter ce plan qui est différent de celui qui avait été soumis au référendum, lequel n'avait d'ailleurs pas fait l'objet d'un accord.
Q - Et pour reprendre la dernière question de Brigitte, pourquoi pas un référendum européen, consulter tout le monde sur la question grecque ?
R - C'est déjà arrivé qu'il y ait des référendums européens, par exemple sur le traité de Maastricht pour passer à l'euro ou sur le traité constitutionnel en 2005 mais il y a quand même des procédures dans chacun de nos pays et on a décidé à un moment de faire l'euro avec des pays qui remplissaient les conditions. Pour la Grèce, il s'est avéré ensuite que les statistiques n'étaient pas correctes. Donc il faut corriger cela mais on ne va pas maintenant être dans une logique où chaque pays organiserait des référendums pour dire qu'il ne veut pas maintenir dans la zone euro un autre pays avec lequel nous sommes engagés.
Notre devoir à nous tous, c'est de maintenir cette cohésion de la zone euro. Quand il y a un pays qui est en difficulté, que cette difficulté soit économique ou liée à la question de l'accueil des réfugiés ou des migrants par exemple - c'était l'objet d'une discussion en Conseil européen il y a quelques semaines, avec l'Italie -, il faut que s'exprime la solidarité et qu'en même temps, il y ait la responsabilité, c'est-à-dire que le pays ou les pays qui bénéficient de la solidarité se comportent d'une façon conforme aux règles parce que s'ils ne le faisaient pas, cela aurait des conséquences sur notre communauté d'ensemble.
Q - Harlem Désir, ce que vous êtes en train de m'expliquer, c'est que le référendum au niveau européen et au niveau national, finalement c'est une mesure de contentement des peuples et qu'en réalité, ce sont les institutions qui décident.
R - Non, pas du tout parce que c'est par référendum dans la quasi-totalité des pays qu'on a décidé à un moment de passer à l'euro, c'est-à-dire de mettre en partage notre monnaie.
Q - Des exemples de référendums où on a refait voter comme pour les accords européens il y a quelques années parce que finalement c'était le non et après on voulait absolument le oui, excusez-moi mais là c'est pareil. On polémique sur les mots, on joue sur les mots et sur le référendum grec, mais c'était quand même oui ou non au Grexit.
R - D'abord, là c'est un référendum qui a été décidé par la Grèce, par le gouvernement grec conformément à leurs propres règles. Cela relève de la souveraineté de la Grèce, de même qu'il y a eu à un certain moment des référendums en Irlande ou au Danemark qui avaient été décidés par ces pays, même si, dans d'autres pays, les ratifications de traités se faisaient par la voie parlementaire. Là les parlements vont voter dans beaucoup de pays.
Q - Sauf en Allemagne où il y aura une recommandation au Bundestag.
R - Oui, mais je pense qu'à un moment quand la négociation finale aura été nouée, il faudra...
Q - Mais mercredi, l'Allemagne ne votera pas.
R - Oui, mais à la fin - ce sera probablement au mois d'août - il y aura un vote et le Premier ministre, vous le savez, a décidé que l'Assemblée nationale débattrait et s'exprimerait également par un vote pour qu'il y ait cette légitimité effectivement de la décision qui a été prise parce que c'est une décision très importante qui, je crois, a un caractère historique : c'est le choix de maintenir l'intégrité de la zone euro évidemment avec le respect des règles.
Q - Dernière question, c'est Danièle qui nous appelle de Lyon. Bonjour Danièle.
Q - Danièle - Je suis quand même extrêmement choquée que l'Europe, si libérale, si financière, ait prêté de l'argent. Elle a laissé prêter de l'argent depuis une quinzaine d'années à un pays qui n'a ni agriculture, ni industrie et qui n'a pas de régime fiscal puisque les seules personnes qui ont de l'argent, c'est-à-dire les armateurs et le clergé dans ses possessions patrimoniales, ceux-là ne sont pas touchés. C'est toujours le petit peuple à qui on va augmenter la TVA. On va les mettre à la retraite un peu plus tard, je ne trouve pas du tout que ces accords soient bons. Peut-être qu'ils font plaisir à la zone euro parce qu'on va enfin amasser de l'argent mais je ne comprends pas qu'on ait laissé prêter autant d'argent à un pays qui n'avait pas de ressources.
Q - Merci Danièle. Réponse d'Harlem Désir. Ni industrie, ni agriculture, c'est discutable. Quand même, ils fournissent de l'huile d'olive.
R - Il y a une agriculture en Grèce. L'industrie est très affaiblie. Si on veut faire redémarrer la croissance, il faut faire en sorte que la Grèce ait à nouveau une industrie qui produise une partie de ce qu'elle consomme. Il y a une industrie qui marche bien, c'est celle du tourisme même si là, la saison a été mal engagée.
La Grèce a donc des capacités à faire en sorte qu'il y ait de l'activité économique, qu'il y ait des devises qui entrent. Les armateurs vont payer l'impôt, cela fait partie du plan de réforme. La justice fiscale c'est indispensable, vous avez raison de le dire. Il faut qu'en Grèce il y ait aussi un changement sur ce plan-là et je crois que c'est un des engagements qu'a pris le nouveau gouvernement.
Cet accord n'a pas été fait pour faire plaisir à des financiers ; il a été fait parce que nous pensons qu'il faut sortir la Grèce de cette crise et qu'il faut que l'Europe soit capable de montrer qu'elle peut aider un pays à surmonter cet enlisement dans lequel il était depuis des années.
Q - Merci beaucoup Harlem Désir.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2015