Texte intégral
Q - Comment sortir de la crise grecque, de jour en jour plus complexe ?
R - Cette crise dure en réalité depuis longtemps et les problèmes actuels de la Grèce sont moins imputables à Syriza qu'aux anciennes oligarchies au pouvoir qui n'ont jamais mené les réformes nécessaires. La crispation actuelle pose la question de la démocratie dans la zone euro.
Q - Faut-il modifier les institutions européennes et négocier un nouveau traité de coopération ?
R - Une entité politique avec autant de pouvoirs que l'Union européenne ne pourra pas longtemps perdurer sans renforcer réellement sa légitimité démocratique. Plusieurs propositions intéressantes ont été formulées. Je pense en particulier à celle de Thomas Piketty visant à donner un vrai Parlement à la zone euro. Toutes ces pistes doivent être explorées.
Q - La France s'implique fortement dans la crise européenne actuelle. Peut-elle faire plus encore ?
R - La France est l'un des rares pays européens à s'impliquer autant. C'est l'honneur du président de la République que de jouer ce rôle central. Sous Nicolas Sarkozy, le président a beaucoup bombé le torse pour finalement courber l'échine. François Hollande, lui, est dans une démarche moins tonitruante qui correspond à sa personnalité, mais aussi aux intérêts de la France et de l'Europe. Malgré toutes les difficultés actuelles, si la France ne s'impliquait pas comme elle le fait, la situation serait encore plus grave.
Q - Mais François Hollande a-t-il les pouvoirs nécessaires pour faire face, par exemple, à la chancelière Angela Merkel ?
R - J'ai grandi en Allemagne : là-bas le thème du déficit démocratique européen est beaucoup moins présent qu'en France. Pourquoi ? Parce qu'outre-Rhin, avant chaque conseil européen, la chancelière se rend au Parlement pour expliquer ses choix et débattre avec les parlementaires. Loin de l'affaiblir, cela la rend bien plus forte pour négocier avec les autres chefs d'État et de gouvernement, car elle peut s'appuyer sur le mandat qui lui a été confié. Le Premier ministre Manuel Valls est venu devant le Parlement pour présenter les objectifs européens de la France alors qu'il n'y était pas obligé. Il est temps de faire évoluer les institutions dans cet état d'esprit.
Q - Nos institutions sont-elles datées ?
R - Nous avons changé d'époque et de monde. Notre génération est celle de la révolution numérique. Une génération surinformée qui n'attend pas qu'on lui dise ce qu'elle a à faire pour bâtir des projets ou se mettre au service des autres. La société est aujourd'hui souvent en avance sur le politique. De ce fait, notre pays n'a plus besoin d'une figure paternelle. Nous ne vivons plus à l'époque du général de Gaulle, qui a forgé son autorité dans la Résistance et dans son combat face au nazisme. L'erreur de la Ve République, c'est de nous faire croire que tous les cinq ans quelqu'un va venir nous sauver. C'est une machine à déception permanente. La force de François Hollande, c'est de l'avoir parfaitement compris et d'avoir assumé ce tournant dans sa pratique du pouvoir. Il reste à ancrer cela durablement dans la Constitution, avec, à terme, une réforme profonde de nos institutions et de notre République.
Q - Vous ne pensez donc pas comme Emmanuel Macron, dans un entretien donné le 8 juillet à l'hebdomadaire «Le 1», que ce qui manque aujourd'hui à notre pays, c'est la figure du roi ?
R - Le grand absent aujourd'hui c'est le peuple, pas le roi. L'enseignement de Syriza ou de Podemos, c'est que Alexis Tsipras comme Pablo Iglesias ont compris qu'il faut écouter le peuple, entendre sa colère et porter son message pour mener de vraies politiques de transformation. Le soir du référendum grec, Tsipras n'a fait aucune apparition publique, il a laissé le peuple se réapproprier l'espace de la démocratie. C'est tout le contraire du FN, qui veut manipuler le peuple et l'enfermer dans les passions négatives.
Q - La gauche française doit-elle s'inspirer des mouvements comme Syriza ou Podemos ?
R - Je pense que l'avenir de la gauche passe par l'approfondissement de la question démocratique et non par son rétrécissement à un sauveur qui n'existe pas. Pour ma génération politique, l'avenir est davantage du côté de la société et de sa complexité que du côté des vieilles recettes du blairisme. La crise européenne actuelle nous rappelle aussi que l'Europe doit se fonder sur une part de rêve et de progrès humain et politique, pas simplement sur des tableaux Excel ou sur l'illusion technocratique selon laquelle les mêmes décisions pourraient s'appliquer en tout temps, en tout lieu, quels que soient les pays, leur histoire et leur corps social.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 juillet 2015