Texte intégral
Point de presse à Luxembourg le 8 octobre 2001 :
Les deux sujets principaux ce matin sont, évidemment, la suite des attentats aux Etats Unis, et l'avenir de l'Union européenne.
Sur la suite des attentats, je ne vous étonnerais pas en vous disant qu'il y a une parfaite cohésion au sein de l'Union européenne sur la situation. J'ai eu l'occasion de m'exprimer ce matin avant de venir, et je rappellerai deux ou trois choses simples.
Cette réaction et ces actions nécessaires étaient devenues inévitables. Elles sont légitimes au titre de la Charte des Nations unies comme cela a été reconnu par le Conseil de sécurité. Elles sont ciblées comme nous l'avions souhaité, demandé et comme d'ailleurs les Américains l'avaient à l'esprit depuis le début. Ce ne sont pas des actions contre l'Afghanistan, encore moins contre les Musulmans ou des Musulmans, ce sont des actions contre des infrastructures terroristes en Afghanistan, ce qui n'est pas la même chose. Un maximum de précautions ont été prises pour que ce soient bien des cibles militaires et qu'il n'y ait pas d'action qui puisse aggraver les malheurs des populations. Cela dit ce sont des actions pour lesquelles il peut y avoir des surprises par rapport à cela. Mais enfin cela a vraiment été conçu dans cet esprit. Cela peut naturellement se poursuivre, on ne peut pas donner d'indication particulière, parce que cela dépend de la façon dont les résultats sont atteints, donc des évaluations qui seront faites.
La France est engagée, le président de la République l'a indiqué, il a exprimé la position qui a été arrêtée par les autorités françaises. Il avait déjà exprimé, ainsi que le Premier ministre, notre disponibilité. Nous sommes engagés d'une façon qui peut s'accroître par la suite, mais cela dépendra aussi des besoins de cette opération. Nous avons souligné à plusieurs reprises que l'aspect militaire était malheureusement inévitable mais qu'il n'y a pas que l'aspect militaire et d'ailleurs les Américains aussi insistent beaucoup là-dessus. N'oublions donc pas au moment où les opérations commencent qu'il s'agit d'un élément, dans une action plus vaste, qui vise à casser la capacité destructrice de groupes terroristes, qui vise aussi à les empêcher de se réorganiser qui vise à éradiquer le terrorisme en portant atteinte à tout ce qui l'alimente, que ce soient des complicités, des réseaux, des financements, ou des situations de détresse et de crise. Sur ce diagnostic, sur cette analyse, sur ces intentions, il y a une parfaite cohésion au sein des Quinze.
C'est donc un combat qu'il fallait engager, qui est le nôtre. Nous y sommes clairement engagés. Il faut attendre des résultats. Dans cette affaire il faut penser au peuple afghan, une des optiques de ces actions doit être aussi de libérer l'Afghanistan du régime taleb et, à cet égard, vous savez que la France a fait, il y a quelques jours, une proposition, sur un "plan d'action Afghanistan", qui comporte un premier volet humanitaire qui est la contribution de la France à l'effort humanitaire mondial qui est considérable, et qui comporte un certain nombre de points politiques. D'autres pays ont fait ensuite des propositions, des contributions, notamment la Grande-Bretagne et l'Allemagne. On a pu constater aujourd'hui qu'il y a un accord sur les principes et sur les grandes orientations de ce qu'il faut faire par rapport à l'Afghanistan. Mais il y a beaucoup à faire encore. Nous avons continué à travailler dans le cadre de notre plan d'action. Il y a beaucoup à faire car il faut créer des conditions permettant au peuple afghan de se reconstruire un avenir dans la liberté. Mais on ne peut pas le faire à sa place et on ne va pas lui imposer une énième solution extérieure contre son gré. Il s'agit de créer des conditions qui favoriseraient les processus politiques de ce type. Et naturellement le travail du contrôle du terrorisme en général, son financement par exemple, mais aussi beaucoup d'autres aspects, doit se poursuivre dans d'autres instances. Il y a là-dessus consensus, cohésion, harmonie entre les Quinze, dans ce moment de gravité.
Nous en avons profité pour réactualiser sur certains points les actions que nous devons mener avec un certain nombre de pays clé comme le Pakistan, comme l'Iran
En ce qui concerne l'avenir de l'Union européenne, nous avons eu un échange intéressant. Nous avons travaillé en profitant des échanges qu'il y a déjà eu au moment du Gymnich. Nous avons travaillé en particulier sur les modalités de l'association des pays candidats, puisque nous avions déjà décidé qu'ils seraient associés, qu'ils seraient en tout cas observateurs. Il fallait préciser ces concepts et les modalités d'association de la "société civile" au processus autour de la convention. Il reste beaucoup de nuances entre les positions des uns et des autres sur le fonctionnement, la composition, le calendrier, le mandat, etc. mais il n'y a aucune position vraiment antagoniste en réalité. Ce sont donc plutôt des positions qui, chacun dans son ton et son style, se rapprochent tranquillement et qui n'auront à mon avis pas de mal à converger au bout du compte.
Sur l'association des pays candidats, il y a une très forte majorité pour qu'ils soient pleinement associés, mais nous l'avions déjà dit, ce n'est pas tout à fait nouveau. Mais le problème est lié à ce que fait la convention. Si la convention était chargée de réaliser un projet, nous aurions des problèmes très compliqués à régler, qui est de savoir qui se détermine sur le projet dans la convention ? Qu'est ce qu'un droit de vote ? Comment calcule-t-on le droit de vote quand vous avez côte à côte des représentants de parlements, de gouvernements. Que sont le corps électoral, le quorum, les votes ? C'est presque insoluble. A partir du moment où tous les gouvernements disent très clairement que leur position est que la convention élabore des options, toutes ces questions sont moins importantes. Toutes ces questions de représentation des uns et des autres, y compris les questions sur l'association des pays candidats. La conclusion restera à formaliser sur le plan exact des procédures, nous ne sommes pas encore à la veille de la convention. En tout cas il y a une volonté politique de les associer pleinement, c'est-à-dire qu'ils soient tout à fait informés, qu'ils participent tout à fait, qu'ils puissent s'exprimer, faire leurs propositions, et qu'il n'y ait, à cet égard, pas de différence entre le fait d'être membre et le fait d'être candidat. Je pense que nous avons bien avancé sur ces questions de l'avenir de l'Union européenne. Grâce au travail fait avant, grâce au Gymnich, et petit à petit les positions des Quinze avancent et certainement n'en formeront plus qu'une, d'ici à la fin de la présidence belge, sur ces procédures et ces mécanismes.
Au déjeuner, nous avons parlé du Proche-Orient. Nous avons adopté des conclusions. Il existait un projet que nous avons bien retravaillé. Ces conclusions se concentrent sur la dénonciation des entraves qui sont mises aujourd'hui pour empêcher la relance du processus de paix, pour empêcher en clair que la rencontre Peres/Arafat se transforme en un processus qui est en lui-même un nouveau processus de paix permettant de réunir les conditions qui autoriseraient la mise en uvre des conclusions de la Commission Mitchell et même d'aller au-delà puisqu'il faut rouvrir une perspective politique qui n'apparaît pas clairement dans le rapport Mitchell. Ce que nous souhaitons, c'est, d'après leurs dernières déclarations ce que veulent aussi les Etats Unis, c'est ce que veulent un certain nombre de gens en Israël. Mais il y a des entraves qui sont placées sur cette route et nous déplorons - c'est dans le texte - les victimes, les victimes de la terreur, des provocations venant des deux côtés, et la violence. Voilà ce qu'il faut surmonter aujourd'hui : tout ce qui vise à tuer ce nouveau dialogue, ce nouveau processus, dans l'uf.
Q - Sur l'Afghanistan, vous avez dit qu'il y avait à la fois un consensus, de la cohésion et de l'harmonie entre les Quinze, n'est-il pas regrettable que l'Union européenne ne s'exprime pas de façon collective dans la crise actuelle et dans les frappes en Afghanistan puisque finalement c'est la Grande-Bretagne qui apparaît surtout comme étant aux côtés des Américains et qui s'exprime ?
R - Vous avez le texte de l'expression des Quinze, on vous l'a distribué. Donc je ne pense pas qu'il y ait lieu de regretter que l'Union européenne ne s'exprime pas alors qu'elle s'exprime, justement. Il ne faut pas confondre l'expression et la participation militaire.
Q - Sur la participation militaire ?
R - L'Union européenne ne peut pas en tant que telle avoir une participation militaire. On peut le souhaiter, je parle de l'Union européenne, je ne parle pas de la France. Sur l'Union européenne, les choses sont claires, il y a une expression politique de l'Union européenne sur la crise, sur la lutte contre le terrorisme, il y a beaucoup de choses et la déclaration que vous avez entre les mains est - je crois- très complète. Elle est une vision d'ensemble de ce que peut faire et doit faire l'Union européenne dans ce contexte. D'autre part, il y a la position de chaque pays : un pays qui est engagé assez nettement pour toutes sortes de raisons, et plusieurs pays de l'Union européenne qui seront sans doute progressivement engagés au cours des jours qui viennent. Je ne vois pas ce que l'Union européenne en tant que telle peut ajouter à cela, ce n'est pas une situation anormale.
Q - Vous ne croyez pas qu'il aurait été souhaitable que d'autres pays s'engagent militairement de façon plus nette ?
R - De quel point de vue vous placez-vous ? Du point de vue américain ?
Q - Non, non pas du point de vue américain, du point de vue des Européens qui donnent davantage l'impression d'être impliqués.
R - Il s'agit d'une affaire sérieuse, il ne s'agit pas de donner des impressions. Il s'agit d'affaires compliquées, sérieuses, ce ne sont pas des manuvres, ni un exercice, pour montrer qu'on fait fonctionner des mécanismes. Il s'agit d'affaires précises qui se passent en Asie centrale et qui posent des problèmes militaires et logistiques compliqués et la réaction des Etats-Unis est reconnue comme légitime. J'ai rappelé l'article 51 de la Charte de l'OTAN, ils n'ont pas souhaité par exemple faire appel à l'OTAN en tant que telle parce que ce n'est pas pertinent. Ce n'est pas le lieu, ce n'est pas le mécanisme adapté. Les Etats-Unis ont construit des coalitions, des coopérations ou des collaborations ad hoc sur le plan militaire et cela pour des raisons de localisation géographique, de disponibilité ou de capacité militaire. Il ne faut pas raisonner comme s'il y avait des organismes qui se cherchent un emploi, dans cette affaire. Ce n'est pas comme cela que cela se présente. Il y a des pays qui ont une capacité de participer ou de s'engager, la France a déjà participé d'une certaine façon, comme le président Bush et M. Rumsfeld l'ont indiqué et fera certainement plus dans la période à venir.
Q - Quand vous dites "plusieurs pays" vont sans doute progressivement s'engager dans les jours qui viennent, vous pensez à qui ?
R - Je pense à ceux qui ont été cités par les Américains, c'est-à-dire notamment l'Allemagne, la France.
Q - La France ?
R - Ce n'est pas à moi de vous répondre, et pas maintenant en tout cas.
Q - Combien de militaires ? Combien de frégates ? Combien d'avions ?
R - Les informations seront données le moment venu, par rapport à cela. Ce qui est important, c'est la position que nous avons prise, qui est une position d'engagement et ce n'est pas uniquement parce que nous sommes solidaires du peuple américain, c'est parce que nous estimons que ce combat pour extirper ce risque terroriste doit être mené dans les conditions qu'on rappelle tous les jours. Il faut que cela soit ciblé, sans amalgame, naturellement, et sans oublier les problèmes nombreux qui existent dans le monde, que nous n'avons pas découvert le 12 septembre et sur lesquels nous travaillons depuis longtemps. Je crois que notre position est claire par rapport à cela. Il ne faut pas que l'Union européenne dans sa marche pour se renforcer dans son projet d'Europe de la Défense se sente perturbée parce qu'il se passe une grande crise par rapport à laquelle elle n'est pas aujourd'hui opérationnelle en tant que telle. Elle le sera certainement un jour.
Q - Le fait que vous ayez proposé un plan d'action pour l'Afghanistan, cela signifie-t-il que vous considérez que l'aide humanitaire américaine n'est pas suffisante
R - Pas du tout. Il n'y a aucune critique contre personne. J'espère que l'on peut garder un droit d'initiative et de proposition sans que cela implique une critique de quoi que ce soit. C'est un droit inaliénable d'avoir des idées, de les proposer et heureusement nous avons une politique étrangère inventive et créatrice. Dans le cas de l'Afghanistan, il nous a semblé, ces derniers jours, qu'il fallait faire un effort supplémentaire sur la question humanitaire. Nous avons pris des décisions pour augmenter notre capacité par rapport à cela. Il faut naturellement un effort supplémentaire de l'Europe et de tout le monde. Les Etats-Unis font un effort tout à fait considérable sur ce plan. Ensuite, il y a un problème de coordination, de logistique, de transport et de distribution, donc il faut que tout cela soit utilisable et aboutisse aux populations concernées. C'est un problème qui relève de l'Europe, qui relève des Nations unies, qui relève du représentant spécial des Nations unies, M. Brahimi qui reprend sa mission, qui relève du Programme alimentaire mondial, qui relève du Haut-commissariat aux réfugiés et notre tâche dans les prochains jours va être d'harmoniser tout cela pour que l'aide profite aux Afghans. Cela peut être fait à l'intérieur, si c'est possible ou à partir du Pakistan, de l'Iran et du Tadjikistan. Cela dépend des zones que l'on veut atteindre. Mais, nous avons estimé aussi que cela ne suffisait pas. Ce n'est pas simplement un problème d'urgence humanitaire. C'est un pays qui a besoin de retrouver un avenir tout simplement. C'est un pays qui est massacré depuis quand même très longtemps par toutes sortes de guerres, de guerres d'occupations, de guerres étrangères, de guerres fratricides, dont l'économie a été complètement détruite par les guerres, puis par une sécheresse qui est terrible, dont on ne parle pas assez parce que l'on pense surtout aux questions de guerre et de terrorisme. Il faut donc aider ce peuple afghan à retrouver des conditions dans lesquelles les différentes composantes de la vie afghane, de la politique afghane, pourront et, j'espère, travailleront ensemble en surmontant les traditions de division. Il faut qu'ils parviennent à travailler ensemble. Nous avons donc défini dans ce "Plan d'action Afghanistan" ce que pourraient être des processus politiques. Ce n'est pas à nous de trancher, de l'extérieur. Quel est le rôle de telle ou telle formation ? On ne va pas rentrer dans le jeu de puissances qui sont parfois proches, qui ont leur propre politique afghane, pour les uns, contre les autres et qui souvent ont contribué à rendre le problème afghan insoluble. Nous, au contraire, nous voulons rassembler.
Nous voulons être positifs et faire en sorte que cette priorité humanitaire soit accompagnée d'une perspective politique. Je me réjouis de voir qu'aujourd'hui sur les quelques grandes orientations nous nous trouvons d'accord à Quinze. Tout cela est très proche du plan que nous avons défini il y a quelques jours et des contributions britannique et allemande dont j'ai parlé et qui ont le même esprit. Nous avons la même approche. L'Italie évidemment a un rôle important à jouer à cause de la présence de l'ex-Roi d'Afghanistan à Rome. Nous devons tous ensemble bâtir cette politique. Nous allons continuer à travailler sur ce point. Donc, ce n'est pas du tout une critique.
Sur la question humanitaire, quand je dis qu'il faut que cela soit bien coordonné, c'est un conseil qui s'applique à tout le monde, y compris à nous. Il y a là un afflux. C'est toute l'économie, toute l'agriculture de ce pays qui est à remettre sur pied. Je crois qu'il y a déjà 7 millions - sans compter ce qui peut se passer dans les jours qui viennent, inévitablement- il y a 7 millions de personnes réfugiées ou déplacées à l'intérieur et à l'extérieur, sur moins de 25 millions d'habitants.
Q - Vous parlez du Roi, cela doit il passer par le Roi ?
R - C'est une des solutions et ce n'est pas à nous de dire que cela ne peut pas passer par le Roi, ni à nous d'imposer que cela ne peut passer que par lui. Mais quand on regarde les différentes composantes de la vie politique afghane, il en fait évidemment partie et c'est aujourd'hui un des symboles possible de l'unité du pays, notamment pour une période de transition. Il faut remettre les Afghans en condition de pouvoir se ressaisir du destin de leur propre pays.
Q - Monsieur le Ministre, il y a une sorte d'ambiguïté sur la politique américaine. Est-ce que la résolution du Conseil de Sécurité permet aux Etats-Unis de viser d'autres pays que l'Afghanistan ?
R - La résolution du Conseil de sécurité reconnaissant que les Etats-Unis sont en état de légitime défense, ne parle pas d'un pays en particulier. Il aurait été bien imprudent de le faire à ce moment-là. Cela ne signifie pas : "vous avez le droit de réagir contre UN pays", on ne réagit pas contre UN pays. On réagit contre un système. S'il y a une cible à cette opération, ce n'est pas l'Afghanistan, c'est Al Qaida. La légitime défense est une réaction face aux réseaux qui ont organisé cela. Jusqu'ici les indications recueillies par les différents services dans le monde convergent toutes. Ces réseaux, leurs implantations, leurs infrastructures, et tous ceux qui les aident, doivent être cassés.
Q - Ils sont en Afghanistan ?
R - Je sais que les cibles des opérations actuelles sont en Afghanistan.
Q - Sur le gel des avoirs qu'est ce qui a été décidé ?
R - Sur le gel, c'est bien la liste transmise par les Américains au comité des sanctions des Nations unies et endossée par ce dernier qui a été reprise.
Q - Sur la Turquie, est-ce qu'on a fait marche arrière ?
R - Je ne sais si on peut dire que l'on revient en arrière mais on peut plutôt dire qu'on est dans la même situation. Les problèmes que vous connaissez ne sont toujours pas résolus.
Q - Trouvez-vous normal que les Américains informent M. Solana de leur opération en Afghanistan et non la présidence belge de l'Union européenne.
R. : Nous avons été prévenus. Le président Bush a appelé le président Chirac.
Q - Au point 4 du plan de la France sur l'Afghanistan, le rôle éventuel du roi est mentionné alors qu'il n'a y a rien dans les conclusions du Conseil.
R - Notre plan est plus détaillé et plus complet que la position européenne. Vous avez un "Plan d'action Afghanistan" à partir duquel nous allons continuer de travailler activement avec tous les pays concernés, par exemple, je verrai M. Brahimi mercredi, avant qu'il ne quitte Paris. Il y a un certain nombre de contacts, d'initiatives qui sont prévus. C'est un plan qui va évoluer qui va s'enrichir de toute une série d'autres contributions. Dans le même temps nous participerons également à l'enrichissement de la politique européenne commune. Et ce qui a été adopté aujourd'hui sur l'Afghanistan est plus court. C'est une orientation. Ce n'est pas un plan d'action détaillé. Ce n'est pas une stratégie commune au sens de l'Union européenne. La présidence belge a dégagé les orientations principales à partir des pays qui avaient fait des propositions sur l'Afghanistan. Cela ne veut pas dire que personne soit contre un rôle pour l'ex-roi. C'est une option qui reste tout à fait ouverte. Et encore une fois, nous n'allons pas l'imposer de l'extérieur. Nous avons écrit ce qui nous paraît souhaitable, ce qui nous paraît être utile à l'Afghanistan. Ce n'est pas à nous Européens ni même aux Américains ni à personne de dire à l'extérieur vous devez adopter cette solution. Il faut recréer des conditions dans lesquelles les Afghans peuvent essayer de retrouver leur propre démarche.
Q - Qu'apportent les contributions allemande et britannique par rapport au plan français. C'est uniquement un complément ?
R - Je n'ai pas noté de différence particulière. Notre contribution est la première et la plus complète.
Q - Sur la Macédoine, vous êtes-vous mis d'accord sur le remplaçant de M. Léotard ?
R - Il y a eu un échange. Tout le monde regrette le départ de M. Léotard qui a fait du bon travail. Un certain nombre de pays se sont demandé s'il ne faudrait quand même pas essayer de trouver une personnalité politique. Javier Solana a fait remarquer qu'il n'y avait pas de candidature de personnalité politique et que d'autre part la question était urgente. Quelques pays ont dit qu'il fallait faire un effort et qu'une personnalité politique, était préférable. Javier Solana a fait un rapport qui est très favorable sur M. Le Roy. La conclusion est que nous nous sommes donnés jusqu'à vendredi midi. Et si à ce moment-là il n'y a pas une personnalité politique immédiatement disponible, la candidature de M. Le Roy devrait être retenue. Qu'il soit entendu que nous ne tenons pas à avoir absolument un Français à ce poste, mais dans le cadre du départ de M. Léotard et pour aider l'ONU, nous sommes prêts à proposer la candidature de M. Le Roy, qui est un haut fonctionnaire très expérimenté et qui a déjà une bonne connaissance des Balkans.
Je voudrais dire aussi que la Présidence belge a fait un très bon travail en faisant le point sur les travaux en cours dans les Conseils en matière de lutte contre le terrorisme. Vous vous rappelez que lors du Conseil européen extraordinaire du mois dernier, le Conseil Affaires générales a été chargé, conformément au Traité, de veiller à la coordination des activités passées et à venir des autres Conseils des ministres de l'UE. Cela sera désormais systématique. Et nous ferons le point lors du Conseil affaires générales extraordinaire du 17 octobre.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)
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Interview à France info à Luxembourg le 8 octobre 2001 :
Q - Quel a été l'accueil du plan d'action français pour l'Afghanistan, par nos quatorze partenaires.
R - Nos partenaires se sont tous montré intéressés. Deux pays ont d'ailleurs fait ensuite des contributions qui vont dans le même sens : la Grande-Bretagne et l'Allemagne et nous nous retrouvons, pour l'essentiel. Les Quinze adoptent une politique qui, dans ses grandes orientations, va dans la même direction. Mais nous gardons un plan d'action français puisqu'il est plus détaillé, plus développé. Nous allons d'ailleurs l'enrichir dans les prochains jours par de très nombreux contacts avec tous les pays qui sont concernés, qui ont une expérience, qui ont quelque chose à dire sur ces questions afghanes. Par exemple, je recevrais dans peu de temps M. Brahimi, qui vient d'être renommé Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l'Afghanistan.
Q - Vous vous placez, semble-t-il, résolument, dans la perspective du départ des Taleban ?
R - Nous avons dit, il y a quelques jours, qu'il ne fallait pas penser à l'Afghanistan uniquement à travers l'action humanitaire - même si elle est absolument indispensable et urgente, il faut l'harmoniser, la coordonner pour qu'il n'y ait pas de double emploi ni de gaspillage et qu'elle arrive aux gens qui en ont besoin - ni uniquement en terme militaire et il est clair que les actions militaires ont pour objectif, au bout du compte, ce qui nous semblerait légitime, d'arracher l'Afghanistan aux griffes des Taleban. Il faut donc réfléchir, tout de suite, à la façon dont nous pouvons, les uns et les autres, de l'extérieur, permettre aux Afghans de retrouver leur liberté, liberté de définir entre eux un régime politique qui permettra d'associer toutes les tendances, tous les parties, toutes les sensibilités et puis de redonner un avenir à ce pays qui est massacré, détruit depuis plus de vingt ans par des guerres extérieures, par des occupations, par des guerres internes, maintenant par la famine et la sécheresse. Il faut vraiment aider ce peuple à se reconstruire.
Q - L'un des volets de votre plan d'action prévoit qu'il y aura une reconstruction de l'Afghanistan. Quelle est l'ampleur de ce que vous prévoyez ? Est-ce que cela sera une espèce de plan Marshall ?
R - On ne peut pas aller plus loin dans le détail aujourd'hui. On peut imaginer le besoin mais on ne peut pas le chiffrer. Par exemple, ce n'est pas forcément la reconstruction d'installations très développées. Une des choses importantes est de remettre en marche l'agriculture afghane. 85 % des Afghans sont des paysans. Il y a déjà sept millions de personnes réfugiées ou déplacées déjà sur une population de moins de 25 millions d'habitants dont beaucoup sont à l'extérieur dans des camps de réfugiés en Iran, au Pakistan, au Tadjikistan. Il faut les aider à redémarrer leur activité. C'est dur à chiffrer mais il y a un tel élan de sympathie et de solidarité dans le monde entier, car personne ne confond, naturellement, la lutte contre des infrastructures terroristes qui se trouvent être situées en Afghanistan - le système Ben Laden et le système Taleb - et d'autre part le peuple afghan qui, le malheureux n'y est pour rien et est même victime de tout cela. Je crois que l'élan sera très grand, très fraternel et nous le verrons, le moment venu, quand il y aura des autorités afghanes légitimes ou des autorités de transition et des personnes pouvant évaluer les besoins et ce qu'il faudra faire. Nous le ferons avec générosité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)
Les deux sujets principaux ce matin sont, évidemment, la suite des attentats aux Etats Unis, et l'avenir de l'Union européenne.
Sur la suite des attentats, je ne vous étonnerais pas en vous disant qu'il y a une parfaite cohésion au sein de l'Union européenne sur la situation. J'ai eu l'occasion de m'exprimer ce matin avant de venir, et je rappellerai deux ou trois choses simples.
Cette réaction et ces actions nécessaires étaient devenues inévitables. Elles sont légitimes au titre de la Charte des Nations unies comme cela a été reconnu par le Conseil de sécurité. Elles sont ciblées comme nous l'avions souhaité, demandé et comme d'ailleurs les Américains l'avaient à l'esprit depuis le début. Ce ne sont pas des actions contre l'Afghanistan, encore moins contre les Musulmans ou des Musulmans, ce sont des actions contre des infrastructures terroristes en Afghanistan, ce qui n'est pas la même chose. Un maximum de précautions ont été prises pour que ce soient bien des cibles militaires et qu'il n'y ait pas d'action qui puisse aggraver les malheurs des populations. Cela dit ce sont des actions pour lesquelles il peut y avoir des surprises par rapport à cela. Mais enfin cela a vraiment été conçu dans cet esprit. Cela peut naturellement se poursuivre, on ne peut pas donner d'indication particulière, parce que cela dépend de la façon dont les résultats sont atteints, donc des évaluations qui seront faites.
La France est engagée, le président de la République l'a indiqué, il a exprimé la position qui a été arrêtée par les autorités françaises. Il avait déjà exprimé, ainsi que le Premier ministre, notre disponibilité. Nous sommes engagés d'une façon qui peut s'accroître par la suite, mais cela dépendra aussi des besoins de cette opération. Nous avons souligné à plusieurs reprises que l'aspect militaire était malheureusement inévitable mais qu'il n'y a pas que l'aspect militaire et d'ailleurs les Américains aussi insistent beaucoup là-dessus. N'oublions donc pas au moment où les opérations commencent qu'il s'agit d'un élément, dans une action plus vaste, qui vise à casser la capacité destructrice de groupes terroristes, qui vise aussi à les empêcher de se réorganiser qui vise à éradiquer le terrorisme en portant atteinte à tout ce qui l'alimente, que ce soient des complicités, des réseaux, des financements, ou des situations de détresse et de crise. Sur ce diagnostic, sur cette analyse, sur ces intentions, il y a une parfaite cohésion au sein des Quinze.
C'est donc un combat qu'il fallait engager, qui est le nôtre. Nous y sommes clairement engagés. Il faut attendre des résultats. Dans cette affaire il faut penser au peuple afghan, une des optiques de ces actions doit être aussi de libérer l'Afghanistan du régime taleb et, à cet égard, vous savez que la France a fait, il y a quelques jours, une proposition, sur un "plan d'action Afghanistan", qui comporte un premier volet humanitaire qui est la contribution de la France à l'effort humanitaire mondial qui est considérable, et qui comporte un certain nombre de points politiques. D'autres pays ont fait ensuite des propositions, des contributions, notamment la Grande-Bretagne et l'Allemagne. On a pu constater aujourd'hui qu'il y a un accord sur les principes et sur les grandes orientations de ce qu'il faut faire par rapport à l'Afghanistan. Mais il y a beaucoup à faire encore. Nous avons continué à travailler dans le cadre de notre plan d'action. Il y a beaucoup à faire car il faut créer des conditions permettant au peuple afghan de se reconstruire un avenir dans la liberté. Mais on ne peut pas le faire à sa place et on ne va pas lui imposer une énième solution extérieure contre son gré. Il s'agit de créer des conditions qui favoriseraient les processus politiques de ce type. Et naturellement le travail du contrôle du terrorisme en général, son financement par exemple, mais aussi beaucoup d'autres aspects, doit se poursuivre dans d'autres instances. Il y a là-dessus consensus, cohésion, harmonie entre les Quinze, dans ce moment de gravité.
Nous en avons profité pour réactualiser sur certains points les actions que nous devons mener avec un certain nombre de pays clé comme le Pakistan, comme l'Iran
En ce qui concerne l'avenir de l'Union européenne, nous avons eu un échange intéressant. Nous avons travaillé en profitant des échanges qu'il y a déjà eu au moment du Gymnich. Nous avons travaillé en particulier sur les modalités de l'association des pays candidats, puisque nous avions déjà décidé qu'ils seraient associés, qu'ils seraient en tout cas observateurs. Il fallait préciser ces concepts et les modalités d'association de la "société civile" au processus autour de la convention. Il reste beaucoup de nuances entre les positions des uns et des autres sur le fonctionnement, la composition, le calendrier, le mandat, etc. mais il n'y a aucune position vraiment antagoniste en réalité. Ce sont donc plutôt des positions qui, chacun dans son ton et son style, se rapprochent tranquillement et qui n'auront à mon avis pas de mal à converger au bout du compte.
Sur l'association des pays candidats, il y a une très forte majorité pour qu'ils soient pleinement associés, mais nous l'avions déjà dit, ce n'est pas tout à fait nouveau. Mais le problème est lié à ce que fait la convention. Si la convention était chargée de réaliser un projet, nous aurions des problèmes très compliqués à régler, qui est de savoir qui se détermine sur le projet dans la convention ? Qu'est ce qu'un droit de vote ? Comment calcule-t-on le droit de vote quand vous avez côte à côte des représentants de parlements, de gouvernements. Que sont le corps électoral, le quorum, les votes ? C'est presque insoluble. A partir du moment où tous les gouvernements disent très clairement que leur position est que la convention élabore des options, toutes ces questions sont moins importantes. Toutes ces questions de représentation des uns et des autres, y compris les questions sur l'association des pays candidats. La conclusion restera à formaliser sur le plan exact des procédures, nous ne sommes pas encore à la veille de la convention. En tout cas il y a une volonté politique de les associer pleinement, c'est-à-dire qu'ils soient tout à fait informés, qu'ils participent tout à fait, qu'ils puissent s'exprimer, faire leurs propositions, et qu'il n'y ait, à cet égard, pas de différence entre le fait d'être membre et le fait d'être candidat. Je pense que nous avons bien avancé sur ces questions de l'avenir de l'Union européenne. Grâce au travail fait avant, grâce au Gymnich, et petit à petit les positions des Quinze avancent et certainement n'en formeront plus qu'une, d'ici à la fin de la présidence belge, sur ces procédures et ces mécanismes.
Au déjeuner, nous avons parlé du Proche-Orient. Nous avons adopté des conclusions. Il existait un projet que nous avons bien retravaillé. Ces conclusions se concentrent sur la dénonciation des entraves qui sont mises aujourd'hui pour empêcher la relance du processus de paix, pour empêcher en clair que la rencontre Peres/Arafat se transforme en un processus qui est en lui-même un nouveau processus de paix permettant de réunir les conditions qui autoriseraient la mise en uvre des conclusions de la Commission Mitchell et même d'aller au-delà puisqu'il faut rouvrir une perspective politique qui n'apparaît pas clairement dans le rapport Mitchell. Ce que nous souhaitons, c'est, d'après leurs dernières déclarations ce que veulent aussi les Etats Unis, c'est ce que veulent un certain nombre de gens en Israël. Mais il y a des entraves qui sont placées sur cette route et nous déplorons - c'est dans le texte - les victimes, les victimes de la terreur, des provocations venant des deux côtés, et la violence. Voilà ce qu'il faut surmonter aujourd'hui : tout ce qui vise à tuer ce nouveau dialogue, ce nouveau processus, dans l'uf.
Q - Sur l'Afghanistan, vous avez dit qu'il y avait à la fois un consensus, de la cohésion et de l'harmonie entre les Quinze, n'est-il pas regrettable que l'Union européenne ne s'exprime pas de façon collective dans la crise actuelle et dans les frappes en Afghanistan puisque finalement c'est la Grande-Bretagne qui apparaît surtout comme étant aux côtés des Américains et qui s'exprime ?
R - Vous avez le texte de l'expression des Quinze, on vous l'a distribué. Donc je ne pense pas qu'il y ait lieu de regretter que l'Union européenne ne s'exprime pas alors qu'elle s'exprime, justement. Il ne faut pas confondre l'expression et la participation militaire.
Q - Sur la participation militaire ?
R - L'Union européenne ne peut pas en tant que telle avoir une participation militaire. On peut le souhaiter, je parle de l'Union européenne, je ne parle pas de la France. Sur l'Union européenne, les choses sont claires, il y a une expression politique de l'Union européenne sur la crise, sur la lutte contre le terrorisme, il y a beaucoup de choses et la déclaration que vous avez entre les mains est - je crois- très complète. Elle est une vision d'ensemble de ce que peut faire et doit faire l'Union européenne dans ce contexte. D'autre part, il y a la position de chaque pays : un pays qui est engagé assez nettement pour toutes sortes de raisons, et plusieurs pays de l'Union européenne qui seront sans doute progressivement engagés au cours des jours qui viennent. Je ne vois pas ce que l'Union européenne en tant que telle peut ajouter à cela, ce n'est pas une situation anormale.
Q - Vous ne croyez pas qu'il aurait été souhaitable que d'autres pays s'engagent militairement de façon plus nette ?
R - De quel point de vue vous placez-vous ? Du point de vue américain ?
Q - Non, non pas du point de vue américain, du point de vue des Européens qui donnent davantage l'impression d'être impliqués.
R - Il s'agit d'une affaire sérieuse, il ne s'agit pas de donner des impressions. Il s'agit d'affaires compliquées, sérieuses, ce ne sont pas des manuvres, ni un exercice, pour montrer qu'on fait fonctionner des mécanismes. Il s'agit d'affaires précises qui se passent en Asie centrale et qui posent des problèmes militaires et logistiques compliqués et la réaction des Etats-Unis est reconnue comme légitime. J'ai rappelé l'article 51 de la Charte de l'OTAN, ils n'ont pas souhaité par exemple faire appel à l'OTAN en tant que telle parce que ce n'est pas pertinent. Ce n'est pas le lieu, ce n'est pas le mécanisme adapté. Les Etats-Unis ont construit des coalitions, des coopérations ou des collaborations ad hoc sur le plan militaire et cela pour des raisons de localisation géographique, de disponibilité ou de capacité militaire. Il ne faut pas raisonner comme s'il y avait des organismes qui se cherchent un emploi, dans cette affaire. Ce n'est pas comme cela que cela se présente. Il y a des pays qui ont une capacité de participer ou de s'engager, la France a déjà participé d'une certaine façon, comme le président Bush et M. Rumsfeld l'ont indiqué et fera certainement plus dans la période à venir.
Q - Quand vous dites "plusieurs pays" vont sans doute progressivement s'engager dans les jours qui viennent, vous pensez à qui ?
R - Je pense à ceux qui ont été cités par les Américains, c'est-à-dire notamment l'Allemagne, la France.
Q - La France ?
R - Ce n'est pas à moi de vous répondre, et pas maintenant en tout cas.
Q - Combien de militaires ? Combien de frégates ? Combien d'avions ?
R - Les informations seront données le moment venu, par rapport à cela. Ce qui est important, c'est la position que nous avons prise, qui est une position d'engagement et ce n'est pas uniquement parce que nous sommes solidaires du peuple américain, c'est parce que nous estimons que ce combat pour extirper ce risque terroriste doit être mené dans les conditions qu'on rappelle tous les jours. Il faut que cela soit ciblé, sans amalgame, naturellement, et sans oublier les problèmes nombreux qui existent dans le monde, que nous n'avons pas découvert le 12 septembre et sur lesquels nous travaillons depuis longtemps. Je crois que notre position est claire par rapport à cela. Il ne faut pas que l'Union européenne dans sa marche pour se renforcer dans son projet d'Europe de la Défense se sente perturbée parce qu'il se passe une grande crise par rapport à laquelle elle n'est pas aujourd'hui opérationnelle en tant que telle. Elle le sera certainement un jour.
Q - Le fait que vous ayez proposé un plan d'action pour l'Afghanistan, cela signifie-t-il que vous considérez que l'aide humanitaire américaine n'est pas suffisante
R - Pas du tout. Il n'y a aucune critique contre personne. J'espère que l'on peut garder un droit d'initiative et de proposition sans que cela implique une critique de quoi que ce soit. C'est un droit inaliénable d'avoir des idées, de les proposer et heureusement nous avons une politique étrangère inventive et créatrice. Dans le cas de l'Afghanistan, il nous a semblé, ces derniers jours, qu'il fallait faire un effort supplémentaire sur la question humanitaire. Nous avons pris des décisions pour augmenter notre capacité par rapport à cela. Il faut naturellement un effort supplémentaire de l'Europe et de tout le monde. Les Etats-Unis font un effort tout à fait considérable sur ce plan. Ensuite, il y a un problème de coordination, de logistique, de transport et de distribution, donc il faut que tout cela soit utilisable et aboutisse aux populations concernées. C'est un problème qui relève de l'Europe, qui relève des Nations unies, qui relève du représentant spécial des Nations unies, M. Brahimi qui reprend sa mission, qui relève du Programme alimentaire mondial, qui relève du Haut-commissariat aux réfugiés et notre tâche dans les prochains jours va être d'harmoniser tout cela pour que l'aide profite aux Afghans. Cela peut être fait à l'intérieur, si c'est possible ou à partir du Pakistan, de l'Iran et du Tadjikistan. Cela dépend des zones que l'on veut atteindre. Mais, nous avons estimé aussi que cela ne suffisait pas. Ce n'est pas simplement un problème d'urgence humanitaire. C'est un pays qui a besoin de retrouver un avenir tout simplement. C'est un pays qui est massacré depuis quand même très longtemps par toutes sortes de guerres, de guerres d'occupations, de guerres étrangères, de guerres fratricides, dont l'économie a été complètement détruite par les guerres, puis par une sécheresse qui est terrible, dont on ne parle pas assez parce que l'on pense surtout aux questions de guerre et de terrorisme. Il faut donc aider ce peuple afghan à retrouver des conditions dans lesquelles les différentes composantes de la vie afghane, de la politique afghane, pourront et, j'espère, travailleront ensemble en surmontant les traditions de division. Il faut qu'ils parviennent à travailler ensemble. Nous avons donc défini dans ce "Plan d'action Afghanistan" ce que pourraient être des processus politiques. Ce n'est pas à nous de trancher, de l'extérieur. Quel est le rôle de telle ou telle formation ? On ne va pas rentrer dans le jeu de puissances qui sont parfois proches, qui ont leur propre politique afghane, pour les uns, contre les autres et qui souvent ont contribué à rendre le problème afghan insoluble. Nous, au contraire, nous voulons rassembler.
Nous voulons être positifs et faire en sorte que cette priorité humanitaire soit accompagnée d'une perspective politique. Je me réjouis de voir qu'aujourd'hui sur les quelques grandes orientations nous nous trouvons d'accord à Quinze. Tout cela est très proche du plan que nous avons défini il y a quelques jours et des contributions britannique et allemande dont j'ai parlé et qui ont le même esprit. Nous avons la même approche. L'Italie évidemment a un rôle important à jouer à cause de la présence de l'ex-Roi d'Afghanistan à Rome. Nous devons tous ensemble bâtir cette politique. Nous allons continuer à travailler sur ce point. Donc, ce n'est pas du tout une critique.
Sur la question humanitaire, quand je dis qu'il faut que cela soit bien coordonné, c'est un conseil qui s'applique à tout le monde, y compris à nous. Il y a là un afflux. C'est toute l'économie, toute l'agriculture de ce pays qui est à remettre sur pied. Je crois qu'il y a déjà 7 millions - sans compter ce qui peut se passer dans les jours qui viennent, inévitablement- il y a 7 millions de personnes réfugiées ou déplacées à l'intérieur et à l'extérieur, sur moins de 25 millions d'habitants.
Q - Vous parlez du Roi, cela doit il passer par le Roi ?
R - C'est une des solutions et ce n'est pas à nous de dire que cela ne peut pas passer par le Roi, ni à nous d'imposer que cela ne peut passer que par lui. Mais quand on regarde les différentes composantes de la vie politique afghane, il en fait évidemment partie et c'est aujourd'hui un des symboles possible de l'unité du pays, notamment pour une période de transition. Il faut remettre les Afghans en condition de pouvoir se ressaisir du destin de leur propre pays.
Q - Monsieur le Ministre, il y a une sorte d'ambiguïté sur la politique américaine. Est-ce que la résolution du Conseil de Sécurité permet aux Etats-Unis de viser d'autres pays que l'Afghanistan ?
R - La résolution du Conseil de sécurité reconnaissant que les Etats-Unis sont en état de légitime défense, ne parle pas d'un pays en particulier. Il aurait été bien imprudent de le faire à ce moment-là. Cela ne signifie pas : "vous avez le droit de réagir contre UN pays", on ne réagit pas contre UN pays. On réagit contre un système. S'il y a une cible à cette opération, ce n'est pas l'Afghanistan, c'est Al Qaida. La légitime défense est une réaction face aux réseaux qui ont organisé cela. Jusqu'ici les indications recueillies par les différents services dans le monde convergent toutes. Ces réseaux, leurs implantations, leurs infrastructures, et tous ceux qui les aident, doivent être cassés.
Q - Ils sont en Afghanistan ?
R - Je sais que les cibles des opérations actuelles sont en Afghanistan.
Q - Sur le gel des avoirs qu'est ce qui a été décidé ?
R - Sur le gel, c'est bien la liste transmise par les Américains au comité des sanctions des Nations unies et endossée par ce dernier qui a été reprise.
Q - Sur la Turquie, est-ce qu'on a fait marche arrière ?
R - Je ne sais si on peut dire que l'on revient en arrière mais on peut plutôt dire qu'on est dans la même situation. Les problèmes que vous connaissez ne sont toujours pas résolus.
Q - Trouvez-vous normal que les Américains informent M. Solana de leur opération en Afghanistan et non la présidence belge de l'Union européenne.
R. : Nous avons été prévenus. Le président Bush a appelé le président Chirac.
Q - Au point 4 du plan de la France sur l'Afghanistan, le rôle éventuel du roi est mentionné alors qu'il n'a y a rien dans les conclusions du Conseil.
R - Notre plan est plus détaillé et plus complet que la position européenne. Vous avez un "Plan d'action Afghanistan" à partir duquel nous allons continuer de travailler activement avec tous les pays concernés, par exemple, je verrai M. Brahimi mercredi, avant qu'il ne quitte Paris. Il y a un certain nombre de contacts, d'initiatives qui sont prévus. C'est un plan qui va évoluer qui va s'enrichir de toute une série d'autres contributions. Dans le même temps nous participerons également à l'enrichissement de la politique européenne commune. Et ce qui a été adopté aujourd'hui sur l'Afghanistan est plus court. C'est une orientation. Ce n'est pas un plan d'action détaillé. Ce n'est pas une stratégie commune au sens de l'Union européenne. La présidence belge a dégagé les orientations principales à partir des pays qui avaient fait des propositions sur l'Afghanistan. Cela ne veut pas dire que personne soit contre un rôle pour l'ex-roi. C'est une option qui reste tout à fait ouverte. Et encore une fois, nous n'allons pas l'imposer de l'extérieur. Nous avons écrit ce qui nous paraît souhaitable, ce qui nous paraît être utile à l'Afghanistan. Ce n'est pas à nous Européens ni même aux Américains ni à personne de dire à l'extérieur vous devez adopter cette solution. Il faut recréer des conditions dans lesquelles les Afghans peuvent essayer de retrouver leur propre démarche.
Q - Qu'apportent les contributions allemande et britannique par rapport au plan français. C'est uniquement un complément ?
R - Je n'ai pas noté de différence particulière. Notre contribution est la première et la plus complète.
Q - Sur la Macédoine, vous êtes-vous mis d'accord sur le remplaçant de M. Léotard ?
R - Il y a eu un échange. Tout le monde regrette le départ de M. Léotard qui a fait du bon travail. Un certain nombre de pays se sont demandé s'il ne faudrait quand même pas essayer de trouver une personnalité politique. Javier Solana a fait remarquer qu'il n'y avait pas de candidature de personnalité politique et que d'autre part la question était urgente. Quelques pays ont dit qu'il fallait faire un effort et qu'une personnalité politique, était préférable. Javier Solana a fait un rapport qui est très favorable sur M. Le Roy. La conclusion est que nous nous sommes donnés jusqu'à vendredi midi. Et si à ce moment-là il n'y a pas une personnalité politique immédiatement disponible, la candidature de M. Le Roy devrait être retenue. Qu'il soit entendu que nous ne tenons pas à avoir absolument un Français à ce poste, mais dans le cadre du départ de M. Léotard et pour aider l'ONU, nous sommes prêts à proposer la candidature de M. Le Roy, qui est un haut fonctionnaire très expérimenté et qui a déjà une bonne connaissance des Balkans.
Je voudrais dire aussi que la Présidence belge a fait un très bon travail en faisant le point sur les travaux en cours dans les Conseils en matière de lutte contre le terrorisme. Vous vous rappelez que lors du Conseil européen extraordinaire du mois dernier, le Conseil Affaires générales a été chargé, conformément au Traité, de veiller à la coordination des activités passées et à venir des autres Conseils des ministres de l'UE. Cela sera désormais systématique. Et nous ferons le point lors du Conseil affaires générales extraordinaire du 17 octobre.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)
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Interview à France info à Luxembourg le 8 octobre 2001 :
Q - Quel a été l'accueil du plan d'action français pour l'Afghanistan, par nos quatorze partenaires.
R - Nos partenaires se sont tous montré intéressés. Deux pays ont d'ailleurs fait ensuite des contributions qui vont dans le même sens : la Grande-Bretagne et l'Allemagne et nous nous retrouvons, pour l'essentiel. Les Quinze adoptent une politique qui, dans ses grandes orientations, va dans la même direction. Mais nous gardons un plan d'action français puisqu'il est plus détaillé, plus développé. Nous allons d'ailleurs l'enrichir dans les prochains jours par de très nombreux contacts avec tous les pays qui sont concernés, qui ont une expérience, qui ont quelque chose à dire sur ces questions afghanes. Par exemple, je recevrais dans peu de temps M. Brahimi, qui vient d'être renommé Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l'Afghanistan.
Q - Vous vous placez, semble-t-il, résolument, dans la perspective du départ des Taleban ?
R - Nous avons dit, il y a quelques jours, qu'il ne fallait pas penser à l'Afghanistan uniquement à travers l'action humanitaire - même si elle est absolument indispensable et urgente, il faut l'harmoniser, la coordonner pour qu'il n'y ait pas de double emploi ni de gaspillage et qu'elle arrive aux gens qui en ont besoin - ni uniquement en terme militaire et il est clair que les actions militaires ont pour objectif, au bout du compte, ce qui nous semblerait légitime, d'arracher l'Afghanistan aux griffes des Taleban. Il faut donc réfléchir, tout de suite, à la façon dont nous pouvons, les uns et les autres, de l'extérieur, permettre aux Afghans de retrouver leur liberté, liberté de définir entre eux un régime politique qui permettra d'associer toutes les tendances, tous les parties, toutes les sensibilités et puis de redonner un avenir à ce pays qui est massacré, détruit depuis plus de vingt ans par des guerres extérieures, par des occupations, par des guerres internes, maintenant par la famine et la sécheresse. Il faut vraiment aider ce peuple à se reconstruire.
Q - L'un des volets de votre plan d'action prévoit qu'il y aura une reconstruction de l'Afghanistan. Quelle est l'ampleur de ce que vous prévoyez ? Est-ce que cela sera une espèce de plan Marshall ?
R - On ne peut pas aller plus loin dans le détail aujourd'hui. On peut imaginer le besoin mais on ne peut pas le chiffrer. Par exemple, ce n'est pas forcément la reconstruction d'installations très développées. Une des choses importantes est de remettre en marche l'agriculture afghane. 85 % des Afghans sont des paysans. Il y a déjà sept millions de personnes réfugiées ou déplacées déjà sur une population de moins de 25 millions d'habitants dont beaucoup sont à l'extérieur dans des camps de réfugiés en Iran, au Pakistan, au Tadjikistan. Il faut les aider à redémarrer leur activité. C'est dur à chiffrer mais il y a un tel élan de sympathie et de solidarité dans le monde entier, car personne ne confond, naturellement, la lutte contre des infrastructures terroristes qui se trouvent être situées en Afghanistan - le système Ben Laden et le système Taleb - et d'autre part le peuple afghan qui, le malheureux n'y est pour rien et est même victime de tout cela. Je crois que l'élan sera très grand, très fraternel et nous le verrons, le moment venu, quand il y aura des autorités afghanes légitimes ou des autorités de transition et des personnes pouvant évaluer les besoins et ce qu'il faudra faire. Nous le ferons avec générosité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)