Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication à France Culture le 22 juillet 2015, sur la situation et l'avenir de Radio France et la suppression de postes dans l'audiovisuel public.

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Texte intégral


NICOLAS MARTIN
L'invitée de ce mercredi 22 juillet est la ministre de la Culture et de la communication, Fleur PELLERIN bonjour.
FLEUR PELLERIN
Bonjour.
NICOLAS MARTIN
Merci beaucoup de nous faire le plaisir d'être dans le studio de France Culture et des « Matins d'été ». Nous sommes également en compagnie de Stéphane ROBERT du service politique de la rédaction de France Culture. Madame la Ministre, les sujets à aborder avec vous ce matin ne manquent pas en pleine période de festivals – vous revenez d'Avignon il y a quelques jours. Nous évoquerons également la question ou les questions plutôt liées au budget de la culture ; au statut des intermittents ; la jeune création qui est, on le sait, l'un de vos engagements principaux, l'un de vos chevaux de bataille ; ainsi que quelques-unes des grandes opérations lancées par votre ministère. Mais pour commencer, il y a évidemment une actualité qui nous brûle les lèvres, celle de notre belle maison, Radio France, avec pas mal de remue-ménage depuis quelques mois et la grève historique de vingt-huit jours en mars-avril dernier. Mathieu GALLET, notre président-directeur général qui n'est pas loin, en régie derrière nous, expliquait la semaine dernière dans les colonnes du Monde que vous ne vous étiez pas vus depuis la fin de la grève. Vous vous êtes revus depuis, avant ce matin ?
FLEUR PELLERIN
Vous savez, il y a une façon très simple lorsqu'on souhaite voir la ministre, j'ai un secrétariat, il a mon numéro de téléphone, il suffit de m'appeler. Je n'ai pas de trace de demande de rendez-vous mais bien évidemment, je suis à la disposition de tous les patrons d'entreprise publique, tous les patrons d'établissement culturel, les directeurs ou les présidents qui souhaitent me voir. La méthode est très simple, elle est la même que celle que vous utilisez quand vous voulez voir quelqu'un : vous prenez votre téléphone et vous appelez. Je suis à la disposition de tout le monde.
NICOLAS MARTIN
Fleur PELLERIN, est-ce que cet antagonisme qu'on sait qui existe entre vous, le ministère de tutelle de Radio France, et notre PDG, c'est quelque chose dont nos auditeurs et les salariés doivent s'inquiéter ?
FLEUR PELLERIN
Je vous arrête tout de suite. Je vous arrête tout de suite parce que je ne suis pas du tout dans la personnalisation des choses. Ce qui me préoccupe en tant que ministre de la Culture, et je pense que ce qui préoccupe également tout le monde en tant qu'auditeur ou en tant que cadre dirigeant de cette très belle maison, c'est l'avenir de l'entreprise, c'est l'avenir de Radio France, c'est l'avenir de la radio publique et je crois que c'est ça, la préoccupation majeure. En faire une histoire de personnes en permanence comme ont tendance parfois à le faire certains, je pense que ça n'a absolument aucun intérêt. En tout cas, ce n'est certainement pas ma préoccupation. La seule chose qui m'intéresse, c'est que nous puissions travailler ensemble sur la stratégie de l'entreprise, sur un projet stratégique – ce qu'on appelle donc dans notre langage le contrat d'objectifs et de moyens -, que nous puissions travailler sur la politique musicale, sur la complémentarité des antennes, sur la manière dont on finit enfin ce grand chantier qui vous agace beaucoup tous à juste titre…
NICOLAS MARTIN
Et qui a surtout grevé le budget.
FLEUR PELLERIN
Qui grève le budget. J'ai une méthode dont je n'ai absolument pas dévié. Vous savez que j'ai annoncé le 3 avril, j'ai dit que je souhaitais avoir les grandes orientations stratégiques de l'entreprise, moyennant quoi je serai en mesure de donner mes arbitrages. J'ai réussi à dégager 80 millions d'euros pour achever le chantier, ce n'est pas rien 80 millions d'euros, au départ ce n'était pas prévu.
NICOLAS MARTIN
C'était par ailleurs le manque à gagner de Radio France.
FLEUR PELLERIN
Ce n'est pas le manque à gagner. Quand le gouvernement de Jean-Marc AYRAULT est arrivé, il y avait une trajectoire financière pour l'entreprise qui reposait sur une augmentation des ressources extrêmement dynamique, on va dire, pour le dire comme cela, qui n'était pas tenable en réalité parce que c'étaient des budgets de pré-élection et il y avait donc peut-être eu un petit peu de créativité de la part de nos prédécesseurs. C'était une augmentation qui reposait sur une augmentation massive de la contribution à l'audiovisuel public, de la redevance, de l'ordre de plus de cent millions d'euros, 120 millions d'euros. Ce n'était objectivement pas tenable compte tenu des orientations qui ont été prises par ce gouvernement, c'est-à-dire une responsabilité accrue dans la manière de gérer les finances publiques. C'est vrai qu'on a stabilisé, on n'a pas baissé de 80 millions d'euros. L'effort qui a été demandé à Radio France porte sur environ huit millions d'euros sur deux ans, 2013-2014, pour un budget de plus de six cents millions d'euros. Ce n'est pas 80 millions d'euros de baisse de budget.
STEPHANE ROBERT
En même temps, le budget prévisionnel, c'était le contrat d'objectifs et de moyens qui avait été signé en 2010. L'entreprise se construit et fonctionne comme ça, c'est ce que vous êtes d'ailleurs en train de négocier.
FLEUR PELLERIN
C'est vrai, c'est tout à fait vrai.
STEPHANE ROBERT
Donc remise en cause en 2012, est-ce que ça ne pose pas quand même un certain nombre de problèmes ?
FLEUR PELLERIN
Je pense que le problème, c'était initialement d'avoir signé un contrat d'objectifs et de moyens qui était totalement irréaliste, c'est ça le problème. C'est d'avoir engagé les Français, le contribuable français, dans une évolution des dépenses ou des ressources en tout cas qu'on allait affecter à Radio France, qui n'était pas réaliste. La dette explose, le déficit explose et on va augmenter de 120 millions d'euros sur deux-trois ans les ressources affectées à l'entreprise sans par ailleurs engager – vous savez bien qu'il y a un chantier aussi de modernisation à engager avec l'ensemble d'ailleurs des représentants des salariés de cette belle entreprise. Avoir tout cela sans contrepartie, ça n'était vraiment pas sérieux. Honnêtement, c'était de bonne gestion, c'était responsable vis-à-vis des contribuables qui payent leur redevance que de dire : « On ne peut pas continuer sur un contrat d'objectifs et de moyens qui est aussi responsable. » Nous avons, c'est vrai, modifié la trajectoire qui était prévue dans ce contrat d'objectifs et de moyens pour arriver sur quelque chose de réaliste et qui soit respectueux de l'argent des Français.
NICOLAS MARTIN
La responsabilité, si on vous comprend bien, elle incombe au gouvernement précédent ?
FLEUR PELLERIN
Peu importe. Je ne suis pas en train de dire : c'est la faute d'untel ou untel. Ça ne m'intéresse pas. Je veux absolument que nous puissions avoir une réflexion tous ensemble, parce que je me suis portée garante devant vos représentants du personnel, devant les syndicats lorsque je suis venue au plus dur de la grève, du dialogue social, donc garante de la qualité du dialogue social entre vous et la direction évidemment, notamment en nommant un médiateur. Moi, c'est ça qui m'importe, que cette maison puisse retrouver les conditions d'un dialogue social afin de réfléchir ensemble à la réforme. Le monde change, vous le savez très, très bien ; il y a beaucoup de modifications dans les usages de nos concitoyens, leur façon d'accéder à la formation, d'accéder à la radio et on voit qu'aujourd'hui il faut que tout le monde soit aligné sur un seul objectif : c'est faire en sorte que l'on préserve ce merveilleux outil qu'est Radio France, qui est plein de talent, de savoir-faire et je veux absolument que l'audiovisuel public puisse continuer à davantage rayonner. Vous êtes sur une très belle antenne qui est très chère à mon coeur.
NICOLAS MARTIN
Très chère au nôtre aussi.
FLEUR PELLERIN
Voilà. Ce qui est important, c'est que nous ayons de bonnes conditions de dialogue social, de cadrage financier pour avoir un projet stratégique, pour y associer tout le monde et qu'on puisse enfin avancer au lieu d'être dans une situation de crise depuis maintenant près de deux ans.
NICOLAS MARTIN
Fleur PELLERIN, vous dites que ce qui vous intéresse c'est l'avenir, parlons-en de cet avenir puisqu'il y avait hier soir à Radio France un comité central d'entreprise. Il y a un point qui cristallise toutes les tensions, c'est celui de la suppression de trois cent cinquante postes qui est proposée par Mathieu GALLET et la présidence. Vous avez rencontré hier soir Dominique-Jean CHERTIER qui est le médiateur que vous avez nommé. Lui dit, et vous l'avez même dit vous-même, que l'emploi ne doit pas être la seule variable d'ajustement. Alors vers quoi va tendre votre arbitrage ?
FLEUR PELLERIN
C'est vrai. Je vous le disais tout à l'heure, le 3 avril j'ai fixé ma feuille de route de ministre de tutelle. J'avais dit que je souhaitais – je m'étais engagée sur un accompagnement financier de la fin du chantier mais j'avais aussi dit que je ne souhaitais pas que l'emploi soit la seule variable d'ajustement. S'il y a un plan de départs volontaires qui est nécessaire et qui rentre dans le cadre d'une réflexion stratégique, on l'étudiera évidemment. Sur les orchestres, j'avais été très claire, je souhaite qu'il y ait une politique musicale et pour moi, une politique musicale implique de travailler avec ces deux orchestres et de voir comment ensuite on peut les redimensionner. J'avais été très claire aussi sur le fait que je ne souhaitais pas que l'emploi paye pour les errements du chantier, et cætera. Pour moi, c'était très important. C'est pour ça que je suis ouverte à la discussion. Je l'ai dit : il n'y a pas de totem, il n'y a pas de tabou, je souhaite que l'on puisse avoir un scénario crédible de retour à l'équilibre qui soit compatible avec l'ambition que j'ai pour le service public et la manière dont Radio France l'incarne, et je souhaite qu'on puisse étudier des possibilités qui ne portent pas uniquement sur des économies en matière d'emploi.
NICOLAS MARTIN
Il y a un autre scénario qui est celui proposé par les élus du CCE qui ont mandaté un cabinet d'experts et qui propose des économies qui pourraient être amorties en tout cas d'ici 2018, sans aucun départ volontaire. Je vous propose d'écouter Jean-Paul QUENNESSON du syndicat Sud.
JEAN-PAUL QUENNESSON, DELEGUE DU SYNDICAT SUD DE RADIO FRANCE
Un plan de départs volontaires en 2017 serait une erreur d'un point de vue économique parce que ça coûte cher et également serait un véritable gaspillage de ces savoir-faire que nous avons ici à Radio France. Ça créerait une sorte de trou d'air sur l'emploi avec l'absence de transmission de compétences, avec des savoir-faire comme ça qui s'évaporeraient dans la nature. C'est tout ce qu'on ne veut pas, on veut maintenir le niveau d'emploi et on pense qu'avec un retour à l'équilibre non pas en 2017 comme envisagé mais en 2018, avec les départs naturels qui vont se faire progressivement. Grâce aux données RH, on voit qu'on peut tout à fait organiser des départs sur la base des départs naturels et faire en sorte que sur la base de l'effet de noria, qui fait qu'on va recruter des gens qui coûtent bien moins cher que ceux qui partent, on doit pouvoir réaliser des économies substantielles qui nous permettront de retourner à l'équilibre.
ADBELHAK EL IDRISSI
Qu'est-ce que vous demandez concrètement à Fleur PELLERIN ?
JEAN-PAUL QUENNESSON
On demande à la ministre de la Culture que sa volonté du retour à l'équilibre en 2017, elle puisse apprécier que ce n'est pas réaliste et que si on demande effectivement un retour à l'équilibre en 2018, c'est bien pour préserver les missions de Radio France. Sans cela, je crains que nous repartions dans un conflit social et Radio France n'en a pas besoin.
NICOLAS MARTIN
Retour à l'équilibre un an plus tard, en 2018, sans suppressions de postes ?
FLEUR PELLERIN
Dans la lettre que j'ai adressée au président de Radio France, je n'ai jamais dit : « Il faut que le retour à l'équilibre soit opéré pour le 31 décembre 2017 », il n'y a pas du tout cela dans ma lettre, ce n'est pas vrai. Il n'y a pas d'injonction, j'avais parlé d'un horizon. Vous voyez bien pourquoi j'ai choisi, par exemple, 2017 ; je suis quelqu'un de responsable et j'aimerais mieux pouvoir partir, si je devais partir, en laissant une situation assainie. Donc j'ai parlé d'horizon2017, je n'ai pas dit une date limite butoir absolument inconditionnelle. Ça n'a jamais été formulé comme ça, ça n'était pas du tout l'esprit de ce que j'ai écrit. Je le répète et je le dis très clairement sur votre antenne, il n'y a pas de tabou à examiner un scénario de retour à l'équilibre ultérieur. Ce que je veux, c'est un scénario crédible, c'est tout ce que je demande.
NICOLAS MARTIN
Et pour le moment, vous n'avez pas ce scénario sur la table ?
FLEUR PELLERIN
Je ne peux pas l'apprendre en lisant Le Monde. Tout à l'heure le conseil d'administration va se réunir, il faut qu'il soit présenté au conseil d'administration. Ce que je crois comprendre, c'est que le contrat d'objectifs et de moyens qui devait normalement être présenté fin juillet le sera plutôt à l'automne mais je n'ai pas de problèmes avec ça. Je ne veux pas qu'on se précipite, je veux qu'on ait des choses crédibles, sérieuses sur lesquelles on puisse travailler, sachant que les grands points d'arbitrage, je les ai quand même donnés. L'Etat va apporter 80 millions pour achever le chantier et ne pas faire peser ce chantier sur les frais de fonctionnement de Radio France, et ça c'est quand même un engagement, on ne peut pas le nier, qui est très important.
STEPHANE ROBERT
On a quand même l'impression que les discussions sont difficiles. Le site Internet Strategies.fr, dans un article publié avant-hier, nous rapporte que devant l'association des journalistes médias il y a quelques jours, le 8 juillet, un journaliste vous a posé la question : « Le dialogue avec Mathieu GALLET est-il ouvert et constructif ? », ce à quoi vous avez répondu : « Le dialogue est ouvert », provocant du même coup les rires de l'assistance. Et vous avez ajouté : « C'est difficile de réinstaller le dialogue après être arrivé à un point de rupture aussi fort. »
FLEUR PELLERIN
Je parlais de l'entreprise. Je parlais de l'entreprise parce que la mission pour laquelle j'ai mandaté Dominique-Jean CHERTIER au sein de la maison, c'était pour retravailler sur ce dialogue social parce que, vous le savez bien, il est vrai que ce mouvement de grève a laissé des traces profondes, et aussi probablement parce qu'il n'y avait pas forcément une culture de la concertation entre la présidence et la direction. Là, c'est quelque chose qui remonte peut-être à plus de temps, je n'incrimine personne en particulier. Pas suffisamment de culture de la concertation et du dialogue social au sein de l'entreprise. Ce ne sont pas juste des mots, ce sont des choses très simples. Le fait par exemple de fournir des documents en amont des réunions avec les organisations syndicales suffisamment tôt pour qu'elles puissent les étudier, et cætera, c'est une méthode, le dialogue social. Ce sont des choses très simples qui peuvent paraître évidentes mais qui, lorsqu'elles ne sont pas là, ne peuvent pas créer la confiance. Quand je parlais de la difficulté qu'il y avait eu, le point de rupture, c'était probablement parce qu'effectivement cette confiance-là, dans la qualité du dialogue social et la confiance mutuelle qu'on peut s'accorder, avait été très fortement écornée, c'est de cela que je parlais. Après, j'ai bien vu le souhait qu'ont les uns et les autres de personnaliser ce débat. Franchement, je n'en ai pas du tout envie puis ça ne m'intéresse pas. Ma porte est ouverte, tout le monde sait où me trouver lorsqu'il y a des choses à aborder, pas pour prendre le thé et parler du beau temps, il faut vraiment qu'on ait des choses à se dire aussi. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on ait un dialogue sur des choses très précises sur lesquelles l'Etat peut, le cas échéant, arbitrer, des versions stabilisées, des idées fermes et assez définitives sur ce qu'on souhaite faire et la direction qu'on souhaite emprunter. Mais c'est comme ça avec tous les établissements ; j'en ai à peu près une centaine sous ma tutelle et ça se passe très bien. Il n'y a aucune personnalisation des choses, je suis à la disposition de Mathieu GALLET pour évoquer les sujets de gouvernance, de stratégie d'entreprise. Encore une fois, la méthode est simple : il suffit de prendre son téléphone, d'appeler mon secrétariat et de prendre un rendez-vous.
NICOLAS MARTIN
Ou en sortant de ce studio, de descendre de quelques étages pour aller discuter avec lui.
FLEUR PELLERIN
Après, j'ai le conseil des ministres.
NICOLAS MARTIN
Un autre élément puis on en aura fini avec la question de Radio France, mais il y a un autre élément qui nous concerne au premier chef ici, un autre sujet de discorde : c'est l'éviction il y a dix jours du directeur de France Culture, Olivier POIVRE D'ARVOR. La version de Mathieu GALLET, c'est qu'Olivier POIVRE D'ARVOR a manifesté à plusieurs reprises des intentions de départ vers d'autres institutions culturelles et que son détachement auprès du ministère des Affaires étrangères arrivait à son terme à la fin du mois d'août. Celle d'Olivier POIVRE D'ARVOR est qu'il a été sanctionné pour avoir critiqué l'action du président-directeur général dans la presse et dénoncé, je cite, « un projet uniquement budgétaire et comptable ».Vous avez publiquement, Fleur PELLERIN, défendu le bilan d'Olivier POIVRE D'ARVOR après cinq ans à la tête de France Culture. C'est une éviction que vous n'approuvez pas ?
FLEUR PELLERIN
Je n'ai pas à approuver ou à désapprouver. J'ai juste rendu hommage aux résultats très objectifs qui ont été obtenus par Olivier POIVRE D'ARVOR à la direction de France Culture. J'ai cité des chiffres, donc on ne peut pas être plus objectif et pas moins subjectif. C'est vrai qu'il y a des performances en termes d'audience et de public.
NICOLAS MARTIN
De 10.5 à 2.2.
FLEUR PELLERIN
Voilà, qui sont donc de beaux résultats. Je trouve que c'est une belle antenne qui est fidèle à son ADN et qui aussi en matière d'innovation a été présente avec des publications, avec des partenariats culturels qui sont, je crois, extrêmement intéressants. J'ai constaté effectivement de beaux résultats et j'ai souhaité les saluer, les saluer à travers Olivier POIVRE D'ARVOR mais aussi à travers toutes les équipes qui contribuent à faire aussi ce succès de l'antenne.
STEPHANE ROBERT
Est-ce que vous estimez que cette décision qui arrive au coeur de l'été, comme ça, est susceptible de nuire à la sérénité du dialogue social auquel vous dites être attachée ?
FLEUR PELLERIN
Je ne sais pas dans quelles conditions elle a été partagée au sein de l'entreprise et avec ceux qui étaient les premiers concernés, c'est-à-dire vous. Encore une fois, je ne souhaite pas m'ingérer dans des actes de gestion qui sont des actes de gestion qui appartiennent par définition à un dirigeant, à un président ou à une direction de l'entreprise. Ce qui me paraît important, c'est qu'effectivement lorsqu'on doit diriger une entreprise comme Radio France qui est une grande entreprise – peut-être que nos concitoyens ne le savent pas mais il y a près de quatre mille personnes qui travaillent dans cette maison, c'est une grosse entreprise, une entreprise très importante -, il est important d'être entouré, d'être bien entouré. Ça fait partie aussi de la bonne gestion ; il faut avoir une vision de la radio publique mais il faut aussi bien savoir s'entourer et je crois donc que c'est important d'avoir un organigramme, d'être entouré des personnes en qui on a confiance et en qui on fait pleinement confiance pour aller dans le sens que l'on souhaite. Je ne le conteste absolument pas et ce sont des décisions qui appartiennent au président.
NICOLAS MARTIN
Un dernier mot sur France Culture : quel message vous voudriez faire passer ce matin aux auditeurs de France Culture et aux salariés également qui s'inquiètent de la perte de la spécificité de cette antenne et de son alignement sur un projet de radio plus généraliste à l'heure où on parle de la syndication des contenus par exemple sur les services sport de France Info et de France Inter ?
FLEUR PELLERIN
Là en revanche, ce n'est pas s'ingérer dans la gestion que de dire que la ministre de la Culture que je suis sera très vigilante dans le travail sur la complémentarité des antennes, sur l'identité de chaque antenne, sur le fait que France Culture qui est très identifiée préserve cette spécificité.
NICOLAS MARTIN
Un schéma de radio unique au monde, il faut le rappeler.
FLEUR PELLERIN
Absolument. C'est très amusant parce que j'étais à Avignon il y a quelques jours, je déjeunais avec beaucoup d'artistes plutôt du spectacle vivant et, je ne sais pas pourquoi, on en est venu à parler de France Culture et on se rappelait – en tout cas, j'avais ces souvenirs d'enfance – d'avoir écouté les fictions enregistrées sur France Culture, en particulier « Zazie dans le métro ». Il se trouve que j'étais avec Olivier PY qui me disait avoir enregistré lui-même comme jeune comédien beaucoup de personnages d'adolescents dans les fictions de France Culture, dans ces studios de bruitage qui sont totalement uniques au monde. C'est ça aussi la spécificité du service public ; ça peut paraître anecdotique mais c'est formidable d'avoir ces techniciens, ces preneurs de son, cette capacité de réaliser des choses qu'on ne peut réaliser absolument nulle part ailleurs en France. Voilà, je suis très attachée à cela, je suis très attachée à l'essence même, à l'identité de France Culture. Je suis sûre que le président y est également très attaché parce qu'il en sait la valeur. Là-dessus en revanche, j'estime être dans mon rôle pour m'assurer que cette empreinte-là, cette essence-là et tous les savoir-faire qui la rendent possible, tous les talents et toutes les voix qui la rendent possible sont préservés.
NICOLAS MARTIN
Fleur PELLERIN pour conclure, est-ce que cette crise à Radio France ainsi que celle qui a agité nos confrères de France Télévisions autour du départ de l'ancien président-directeur général Rémy PFLIMLIN et de l'arrivée de Delphine ERNOTTE qui prendra ses fonctions fin août, est-ce que ces deux crises remettent en cause, interrogent en tout cas, la décision du chef de l'Etat de confier la nomination des dirigeants de l'audiovisuel public au CSA ?
FLEUR PELLERIN
Absolument pas, absolument pas. Je suis très fière de cette réforme. Je pense qu'avoir un collège de personnes dont je rappelle qu'il n'est pas composé majoritairement par notre gouvernement : il a été désigné pour moitié sous la précédente majorité et par le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale, et cætera. Avoir un collège indépendant, ou en tout cas mixte dans ses orientations politiques, qui décide avec une procédure, des auditions, et cætera, pour moi ce sera toujours mieux que quelqu'un qui décide tout seul dans son bureau sur le conseil de quelques visiteurs du soir plus ou moins bien inspirés. Voilà, je crois que c'était vraiment une bonne réforme démocratique. Après, qu'il y ait quelques aménagements pour améliorer la transparence de la procédure, le CSA lui-même en a proposé : le fait de rendre publics peut-être certains des projets, le fait de mettre en ligne un certain nombre des auditions dans un cadre qui soit respectueux évidemment des règles juridiques ou la protection de la vie privée, et cætera, parce qu'il y a quand même des règles qui s'appliquent, tout cela peut être examiné et le sera probablement avec le CSA. Mais cela ne remet absolument pas en cause le souhait qu'a eu le président de la République et qu'il avait d'ailleurs indiqué pendant sa campagne, de rendre davantage d'indépendance au processus de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public.
STEPHANE ROBERT
Est-ce qu'il faut éclaircir selon vous les conditions de la nomination de Delphine ERNOTTE à la tête de France Télévisions ?
FLEUR PELLERIN
Si des citoyens ou des parlementaires souhaitent lancer, demander des précisions et cætera, ils sont libres de le faire. Pour moi, je ne vois rien en tout cas de ce qui a été écrit dans certains articles de presse qui discrédite cette procédure. Si elle devait être l'objet de requêtes ou de contestations devant la justice, on verra bien. Mais je ne vois rien de ce qui a été écrit qui n'était pas relevant de l'anecdote et qui entachait vraiment juridiquement la régularité de ce processus.
NICOLAS MARTIN
Sur l'évolution de l'audiovisuel public, aujourd'hui on a l'impression que la projection dans l'avenir se fait dans une période de crise, on voit celle qu'est en train de traverser Radio France. Du coup, on a du mal à envisager sereinement la transition vers une autre forme de production de contenu, vers l'adaptation aux nouveaux médias. C'est plus compliqué, du coup, d'envisager cet avenir de l'audiovisuel public dans ces conditions-là ? Comment vous le percevez, vous, cet avenir ?
FLEUR PELLERIN
Oui et non parce que probablement la situation de tension ou de crise nous incite aussi probablement à accélérer notre réflexion sur ces changements. On dit souvent qu'il faut être plus imaginatif quand on est en période de crise. En tout cas, je crois que ce mouvement social et cette espèce de crise latente précipite non pas les décisions et cætera, mais précipite au sens quasi chimique du terme cette réflexion sur les changements qui doivent être apportés à la manière de fonctionner, probablement aussi à la manière de délivrer l'information ou le savoir et la connaissance au public.
NICOLAS MARTIN
Est-ce que ce n'est pas symptomatique aussi du fait que personne, aucun gouvernement ou chef de l'Etat n'ait eu de grands projets, de grandes visions depuis des années, peut-être des dizaines d'années, pour l'audiovisuel public ?
FLEUR PELLERIN
C'est la raison pour laquelle quand je suis arrivée – j'ai été nommée il y a un peu moins d'un an – j'ai souhaité qu'on fasse ce travail, qui n'avait pas été fait pour Radio France, pour France Télévisions. C'est-à-dire qu'on se mette autour de la table entre des personnes qui réfléchissent, qui peuvent être des économistes de l'audiovisuel, des sociologues de l'audiovisuel, qu'on ait un travail entre ministères de tutelle et qu'on parle de l'audiovisuel, de ce qu'on imaginait de France Télévisions dans cinq ou dix ans. Parce que ça me semble être un préalable indispensable pour que l'Etat « actionnaire » entre guillemets puisse fixer une feuille de route au prochain président ou à la prochaine présidente de France Télévisions, mais c'est un travail qui doit être fait en amont du choix d'une personnalité pour diriger l'entreprise publique. On apprend aussi en marchant ; je regrette que ce travail n'ait pas été fait pour Radio France. Je suggère maintenant, et je l'ai dit au président de la République, qu'il le soit systématiquement à chaque fois qu'il faudra renouveler un dirigeant d'entreprise publique. Ce travail de vision doit être fait mais ce n'est pas juste quelque chose qu'on invente comme ça, sur le coin d'une table ; c'est quelque chose qui se partage, c'est un diagnostic partagé, c'est une vision partagée et on l'a fait sur France Télévisions. Vous avez raison, il faut faire ce travail-là en amont des grandes décisions pour l'audiovisuel public.
NICOLAS MARTIN
Un mot pour conclure cette première partie, pour faire un bond dans le temps. Est-ce que l'avenir de l'audiovisuel public à la télé, à la radio, est-ce que cet avenir finalement c'est de devenir des banques de programmes pour s'adapter aux nouvelles consommations sur Internet, pour composer sa propre chaîne de télé, sa propre chaîne de radio, et perdre petit à petit sa vocation de flux ?
FLEUR PELLERIN
Je pense que ce sera un mix des deux. Je crois que ça se passe beaucoup plus vite, en réalité, sur la télévision que sur la radio mais ce qu'on appelle la consommation délinéarisée, c'est-à-dire qu'on n'allume pas sa télé et on regarde pendant une certaine durée un flux continu de programmes, tout cela a vraiment changé. Maintenant, on consomme de plus en plus – enfin, le public consomme beaucoup plus en ce qu'on appelle catch up, en télévision de rattrapage et vraiment à la carte. C'est-à-dire à la carte en termes de choix de programme et choix de contenu et de choix d'heure à laquelle on le fait. Le rendez-vous, il faut peut-être le regretter, du vingt heures le soir n'est plus tellement la norme aujourd'hui surtout chez les jeunes, surtout chez les plus jeunes. Vous voyez bien qu'aujourd'hui, les gens qui ont moins de dix-huit ans ont une consommation totalement délinéarisée ou à la carte des contenus, que ce soit à la radio avec les podcasts ou à la télévision. Il faut prendre cela en compte. En même temps, regardez le succès aussi des chaînes d'info en contenu, donc il y a le besoin probablement d'avoir une information de flux qui soit un peu repensée parce qu'elle est concurrencée aussi par les réseaux sociaux ou par de nouveaux apporteurs d'information mais en même temps, il y a la nécessité, c'est vrai, de réfléchir beaucoup plus en des briques de programmes qui soient avec des marques identifiées un peu, je pense.
NICOLAS MARTIN
Fleur PELLERIN, vous restez avec nous. On va vous retrouver tout à l'heure pour continuer à parler de la politique culturelle du ministère après le journal de 08 heures.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 juillet 2015