Texte intégral
Interview à RMC le 28 août :
Thème de l'émission : La rentrée scolaire : L'enseignement professionnel, son image, sa place dans le système éducatif
Jean-Jacques BOURDIN
Cette semaine sur RMC Info, la rentrée scolaire avec de nombreux sujets, les questions les plus directes et les plus embarrassantes seront posées et sont posées, les débats s'engagent. Hier, c'était les rythmes scolaires, ce matin l'enseignement professionnel, pourquoi est-il si dévalorisé en France ? Pourquoi dirige-t-on vers les filières professionnelles les élèves en échec scolaires ? Comment se fait-il que l'Education nationale n'arrive pas à former des personnels qualifiés que recherchent les entreprises. Jean-Luc MELENCHON bonjour.
Jean-Luc MELENCHON
Bonjour.
Jean-Jacques BOURDIN
Vous êtes ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Tout le monde sait que vous vous battez pour valoriser cet enseignement professionnel, mais ce n'est pas facile, non ?
Jean-Luc MELENCHON
Non, ce n'est pas facile, je dois bien le reconnaître, et c'est absurde, c'est surtout ça qui est le plus frappant.
Jean-Jacques BOURDIN
Oui, mais alors pourquoi. Est-ce que ça tient au conservatisme de l'Education nationale déjà ?
Jean-Luc MELENCHON
Bon, il faut bien sûr toujours bien peser ses mots. Le conservatisme
Jean-Jacques BOURDIN
Il faut dire la réalité aussi..
Jean-Luc MELENCHON
Oui, je pense surtout si vous voulez que c'est une affaire d'ignorance, de méconnaissance de ce qu'est cet enseignement professionnel, parce que pour beaucoup et y compris les enseignants de l'Education nationale surtout en collège, l'enseignement professionnel ça reste un enseignement court comme on disait autrefois. Donc on y va pour deux/trois ans et puis après c'est fini, on a le CAP et puis terminé on va au travail. Et les parents évidemment ont été en quelque sorte marqués aussi par cette idée. Or, depuis 1985-alors 1985 c'est loin derrière nous, mais c'est peu dans la mémoire collective , l'enseignement professionnel va jusqu'au bac, au bac professionnel et ensuite on a les brevets de technicien supérieur et ensuite on a les IUT. Donc on peut faire une carrière de formation du premier niveau de diplôme professionnel jusqu'aux écoles d'ingénieurs en quelque sorte, et ça ne se sait pas. Ou alors on a une vision.." Oh ! l'enseignement professionnel ", c'est moins d'enseignement en quelque sorte, alors qu'en réalité, l'enseignement professionnel enseigne exactement les mêmes choses que dans l'enseignement général en matières générales plus l'apprentissage d'un métier. Et donc, quand un jeune sort de là, il a entre les mains une valeur, il a un diplôme qui lui permet d'aller sur le marché du travail et d'avoir un salaire et une reconnaissance de ce qu'il sait faire, c'est ça la force des diplômes que nous tenons, c'est qu'ils sont reconnus par tout le monde, aussi bien les entrepreneurs que les salariés.
Jean-Jacques BOURDIN
Oui, mais parfois c'est compliqué, c'est compliqué de savoir, je me mets à la place des parents, par exemple la filière génie thermique et génie climatique, c'est en fait la filière plomberie, pourquoi compliquer les choses ?
Jean-Luc MELENCHON
Bon, vous touchez juste. J'ai souvent dit que ça confinait à l'absurde
Jean-Jacques BOURDIN
Oui, absurde, oui.
Jean-Luc MELENCHON
Des appellations de ce type là.
Jean-Jacques BOURDIN
Génie thermique !
Jean-Luc MELENCHON
Maintenant, attendez.. Aussi il ne faut pas non plus que vous fassiez vous
Jean-Jacques BOURDIN
Non, on est d'accord.
Jean-Luc MELENCHON
Non, mais vous comprenez
Jean-Jacques BOURDIN
Je vais plus loin
Jean-Luc MELENCHON
Attendez, mais laissez-moi vous dire sur ce point. Vous-même, vous n'y êtes pas passé dans la filière professionnelle
Jean-Jacques BOURDIN
Non, non.
Jean-Luc MELENCHON
Et moi non plus, donc reconnaissons les choses, nous qui ne connaissons nous-mêmes rien au départ, bon, je suis ministre maintenant j'y connais quelque chose, mais on n'y connaît rien nous-mêmes. Ces mots ont aussi un sens. Voyez-vous un jour, dans un lycée, j'ai commencé à dire aux jeunes " Ecoutez, on pourrait appeler ça autrement que chaudronnier ". Les gens étaient absolument révoltés, les jeunes qui étaient là autant que les profs.
Jean-Jacques BOURDIN
Non, mais chaudronnier, c'est un vrai métier.
Jean-Luc MELENCHON
Non, mais attendez, les métiers enseignés en génie thermique le sont aussi. Soit dit par parenthèses, il reste de très nombreuses places dans les lycées, ce sont de très beaux métiers et très bien payés. Bref, ces noms ont souvent une histoire, mais je suis d'accord avec vous que souvent c'est absurde. Par exemple le CAP de boucher, savez-vous comment ça s'appelle ? Ca s'appelle CAP Préparateur de produits carnés, option A bovins, options B caprins. Ca aurait été trop facile que ce soit C les caprins et option D.., bref vous avez compris. C'est terrifiant d'avoir procédé comme ça.
Jean-Jacques BOURDIN
Oui. Alors pourquoi retrouve-t-on, c'est encore une question, pourquoi retrouve-t-on des élèves en échec scolaire dans les filières professionnelles ?
Jean-Luc MELENCHON
D'abord, je vais dire tant mieux pour eux. Parce que
Jean-Jacques BOURDIN
Oui. On est d'accord, tant mieux pour eux, on est d'accord, mais
Jean-Luc MELENCHON
Alors d'abord en échec scolaire, non, mais c'est là qu'on est au cur de l'affaire. L'échec scolaire, c'est l'échec du système, c'est pas l'échec de l'élève, moi je ne cesse de le dire.
Jean-Jacques BOURDIN
C'est vrai.
Jean-Luc MELENCHON
Et oui, non mais il ne faut jamais oublier ça.
Jean-Jacques BOURDIN
Vous avez raison de le dire.
Jean-Luc MELENCHON
Il ne faut jamais oublier ça parce que l'enseignement général a un modèle pédagogique. Je vais employer des grands mots, pardon, c'est un peu abstrait, ça s'appelle hypothétiquement déductif. C'est à dire, on part de l'abstrait puis on y reste. Le modèle de l'enseignement professionnel a une autre pédagogie qui est une pédagogie inductive, on part du concret pour aller à l'abstrait. Mais nom de nom à la fin, c'est le même abstrait dans les deux cas, voyez-vous ? Alors on y met les élèves là parce que les autres ne savent pas comment faire, qu'est-ce qu'on peut faire avec ce jeune ? On voit bien qu'il est intelligent, on voit bien qu'il est débrouillard etc.. Mais honnêtement, je vais dire quelque chose qui va un peu déranger, c'est que je sais très bien, et je suis très colère, qu'à certains élèves qui ont de bonnes moyennes, on leur dit : " Ah ! non, ne va pas l'enseignement professionnel, toi tu peux t'en sortir ". C'est stupide, c'est monstrueux de dire ça !
Jean-Jacques BOURDIN
Oui, mais ça s'est dit. Mais le collège unique, c'est une bêtise, le collège unique.
Jean-Luc MELENCHON
Attendez là, vous m'entraînez sur un sujet qui va me valoir des embêtements
Jean-Jacques BOURDIN
Avec votre ministre LANG, oui.
Jean-Luc MELENCHON
Non, pas avec mon ministre LANG parce qu'on voit les choses à peu près de la même manière, maintenant bon les syndicats, 14 d'entre eux ont dit que non ce n'était pas une bonne idée, que ce que je disais pouvait être dangereux. Ils ont tort, je vais essayer de convaincre et d'avancer. Maintenant, je ne voudrais pas qu'on reste tous les deux sur un sentiment un peu défaitiste. Moi j'ai réussi quelque chose et quand même je vais le dire, c'est la rentrée donc, c'est une bonne nouvelle. L'année dernière, écoutez bien, alors que nous étions en plein décollage de la croissance et de l'emploi, que tout le monde constate que partout il manque du monde, l'année dernière nous avions 30 000 élèves inscrits à la rentrée. Naturellement, j'étais fou de rage. Alors nous avions travaillé toute l'année, on a mobilisé tout le monde, j'ai fait le tour des lycées et des académies pour expliquer les choses, et cette année, je suis très heureux parce qu'à cette rentrée j'ai +10 000 inscrits par rapport à l'année. Alors ça c'est plutôt une bonne nouvelle, je crois que les idées peuvent avancer, mais pour ça il faut qu'il y ait des gens comme vous qui posent des questions
Jean-Jacques BOURDIN
La réalité, tout simplement.
Jean-Luc MELENCHON
Oui, parce que franchement, quand on voit qu'il a fallu aller chercher des infirmières en Espagne, l'Espagne est un pays développé également, donc là c'est pas du pillage, hein. Mais bon, maintenant il ne reste plus qu'à trouver des malades qui parlent espagnol. C'est absurde. C'est absurde, des milliers de jeunes français ont envie d'être dans ces métiers, mais on ne leur propose pas.
Jean-Jacques BOURDIN
Mais on en reparlera Jean-Luc MELENCHON, on en reparlera quand vous voulez, avec les auditeurs en plus.
Jean-Luc MELENCHON
Merci.
Jean-Jacques BOURDIN
Merci Jean-Luc MELENCHON. Au revoir.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 5 septembre 2001)
Interview à la revue "Politis" le 30 août :
Comment cette deuxième rentrée scolaire de Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'Enseignement professionnel, s'annonce-t-elle ?
La première, je l'avais trouvée préparée. Elle se caractérisait par une situation absolument intolérable. Au moment où il y avait reprise de la croissance et de l'emploi, où un million de personnes retrouvaient un travail, les inscriptions dans l'enseignement secondaire professionnel reculaient. Et de façon spectaculaire, puisqu'il y avait à la rentrée 2000 trente mille inscrits de moins que l'année précédente. S'il ne s'était agi que de la conséquence de la baisse démographique normale, on aurait dû assister à la même baisse dans toutes les filières. Or, j'ai découvert que les deux tiers de la baisse démographique se concentraient sur l'enseignement professionnel. J'en ai déduit que c'était un pur effet de système. C'est-à-dire que le système éducatif conduisait à un mépris pour la voie professionnelle, alors même que cette voie avait complètement changé de nature avec l'apparition des bacs professionnels, et que ce n'est plus un " enseignement court ", comme on disait autrefois. J'ai donc combattu pied à pied pour identifier toutes les causes de cette situation. Depuis les plus techniques, comme par exemple le fait que, dans les bordereaux d'inscription, quand on sort de troisième, la voie professionnelle n'est pas mentionnée comme une voie qui va au bac. Après avoir mobilisé l'institution, en lui faisant confiance, en réunissant des réunions inter-académiques, avec tous les cadres, tous les proviseurs, tous les principaux - au total près de cinq mille personnes - j'ai eu le bonheur de constater au mois de juillet que les inscriptions avaient augmenté de dix mille par rapport à l'année dernière. On passe de moins trente mille à plus dix mille inscrits. Et, au total, de 660 000 à 670 000.
Quelle était selon vous la cause profonde de la régression de l'an dernier ?
L'orientation vers la voie professionnelle était vécue comme une relégation. A un point tel que j'ai découvert que l'on refusait cette orientation à des élèves qui l'avaient choisie : on les jugeait trop brillants pour cela ! J'ai voulu m'attaquer à la racine idéologique du mal, c'est-à-dire à ce que je considère comme un véritable mépris de caste, qui rejoint évidemment un mépris de classe que chacun connaît à l'égard du travail. Mon argumentation repose sur l'idée que la qualification professionnelle est un droit. C'est une idée républicaine. Il faut faire comprendre que plus la valeur d'usage de ce travail est élevée, plus la qualification professionnelle est bien rémunérée.
La question est de savoir qui assure la qualification professionnelle. L'école républicaine, gratuitement, ou bien le patronat, ou pire encore, des officines privées de formation ?
J'ai ensuite voulu convaincre que la culture de base de notre époque c'est la culture des savoirs et des savoir-faire. Quand on est dans la logique de l'enseignement professionnel qui est d'aller du concret à l'abstrait, d'abord on entraîne davantage de monde, ensuite on réalise une véritable synthèse pédagogique entre les matières qui sont enseignées. Des milliers de métiers ont des savoirs initiaux communs qui sont des savoirs de sciences. La culture de l'honnête homme de notre époque, celle qui lui permet de maîtriser notre environnement, c'est cette culture-là. J'ai fini par considérer qu'une certaine vision académique de l'enseignement est en réalité un obscurantisme parce qu'elle prive des jeunes esprits de cette capacité de comprendre le monde qui nous entoure. Je pense que mon propos a contribué à décomplexer. J'ai ressenti souvent un véritable enthousiasme. Je ne peux pas m'expliquer autrement une aussi spectaculaire inversion des flux en un an.
Vous avez lancé au mois de mars dernier un débat visant à remettre en cause le collège unique hérité de la loi Haby de 1977. A partir de quel constat vous êtes-vous risqué à ouvrir une telle boîte de Pandore ?
En fait, je suis entré dans ce débat par effraction. Ce n'est pas mon débat, puisque je suis en charge de l'enseignement professionnel. Je défendais l'existence de classes de 4ème et 3ème technologiques qui se situent à mi-chemin entre les deux types d'enseignement, et qui peuvent être aussi bien un sas d'entrée pour l'enseignement professionnel que pour la voie générale. Ces classes étaient mises en cause par les actions conjuguées de toute une série d'organisations qui y voyaient la négation du collège unique. Mes propos en défense de ces classes ont immédiatement suscité une levée de bouclier qui sentait fort l'esprit de caste. J'ai même lu sous la plume d'un illustre professeur que c'étaient des " classes poubelles ". Tout cela m'a permis de poser des questions et de proposer des solutions. J'ai pointé du doigt l'incroyable hypocrisie qui avait cours. Parmi ceux qui criaient si fort pas un d'ailleurs n'osait dire qu'il fallait rapatrier dans les collèges les neuf mille élèves qui sont aujourd'hui dans les classes de pré-apprentissage. Et on ne me disait pas pourquoi un jeune de 15 ans qui, en principe, est en seconde, peut faire un choix entre filières technologiques et générales, voire l'enseignement professionnel, alors qu'un jeune du même âge, mais à un niveau inférieur des ses études, n'aurait, lui, pas le droit de faire ce choix.
Le constat que j'ai fait est simple, et il est tragique : chaque année, seize mille élèves qui sont en classe de 4ème ont 15 ans, et parfois 16 ou 17 ans. Nous savons parfaitement que ces élèves sont hors d'état psychologique de s'accomplir et de se construire en tant que jeunes adultes dans un environnement d'enfants de 13 ou 14 ans. Il va donc se construire dans un rapport avec l'adulte qui est le maître, et nécessairement dans un rapport de rivalité et de violence. J'ai été terrifié de constater qu'il y a onze mille élèves qui, tous les ans, triplent la seconde. Le meilleur système du monde ne donnera jamais cent pour cent de résultat, surtout si ce système est uniforme. J'ai trouvé que les réponses faites habituellement à ces problèmes sont assez pauvres La première consiste à dire qu'il faut plus de moyens, plus de profs, moins d'élèves par classe. C'est évidemment juste un certain nombre de fois. Mais ce n'est pas la clé dorée. La deuxième consiste à dire qu'il faut stimuler l'appétit des élèves en proposant plus d'options, de toutes sortes. Moi je crois que c'est l'offre pédagogique qu'il faut diversifier. On ne peut se limiter à une pédagogie qui s'adresse aux seuls esprits qui entrent dans l'abstraction sans trop de difficultés, et qui parfois se trouvent très encombrés du concret. Il n'existe pas de mathématiques pour les pauvres. Dans l'enseignement professionnel ou dans les filières générales, ce sont les mêmes. Simplement, dans l'enseignement professionnel, on va du concret vers l'abstrait, tandis que dans l'enseignement général, on va directement à l'abstrait et on y reste. Je déplore donc de voir qu'un certain académisme qui mythifie le collège unique entre en parfaite convergence avec les propos du Medef. Le Medef dit : " L'Education nationale certifie les connaissances, et nous, nous certifions les compétences ". Ce modèle-là, c'est celui dans lequel il n'y a plus d'héritage gratuit des qualifications dans le système scolaire. C'est un modèle dans lequel il y aurait, d'une part, une culture générale et, d'autre part, un permis de travailler octroyé par les patrons. A une époque où les machines et les techniques évoluent tous les deux ou trois ans, la certification des compétences au sens étroit où l'entend le Medef aboutirait à une déqualification massive du travail. Ils ne l'ont pas inventé, c'est ce qui s'est passé en Angleterre.
Dans ce débat sur le collège unique, l'arbitrage du ministre de l'Education nationale vous a finalement été défavorable Quelle leçon en tirez-vous ?
L'arbitrage ne pouvait pas m'être favorable dès lors que quatorze organisations syndicales ont écrit un texte pour combattre mes positions. Je me suis sans doute mal fait comprendre. Mais cela stimule en moi l'envie de reprendre mon bâton de pèlerin pour convaincre.
Ce débat a-t-il modifié vos relations avec Jack Lang ?
Non. C'est la vie médiatique qui fait les choses comme ça. On s'est trouvé dans une posture qui a finalement permis de bien sonder le terrain. Je n'ai ressenti chez Jack Lang aucun mépris pour l'enseignement professionnel. Il n'y a pas deux lignes. Il y a un homme qui a une responsabilité sur l'ensemble du système éducatif N'oublions pas de quelle période sinistrée nous venons.
La période Allègre
Mon sentiment est que Jack Lang pense que ce j'ai dit était sans doute juste mais risquait de provoquer un tremblement de terre. On peut aimer cela, mais si ça débouche sur une impasse et des affrontements sans fin, ce n'est pas la bonne voie.
Propos recueillis par Denis Sieffert.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 4 septembre 2001)
Interview dans "La Dépêche du Midi" du 5 septembre :
A la veille de la rentrée scolaire, Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'Enseignement professionnel, fait le point sur le regain des filières techniques.
La rentrée 2001 est-elle marquée par un regain d'intérêt pour la filière technique ?
Tout à fait. On peut même dire qu'il y a une inversion de la tendance. Les parents ont compris qu'il y avait là de vrais débouchés, que leurs enfants pourraient, dans cette voie, aller aussi loin qu'il leur serait possible. Ils sont demandeurs, ce qui est assez nouveau. Les conseils de classe n'ont pas hésité à proposer cette orientation.
Malgré la baisse démographique enregistrée par cette classe d'âge, le nombre d'inscriptions est supérieur de 12 000 élèves cette rentrée. Dans l'Académie de Toulouse, par exemple, le nombre des élèves entrant dans la filière technique sera supérieur de 802 par rapport à 2000. Je ne parle ici que des lycéens.
On entend parler de licenciements. Y aura-t-il du travail pour tous ?
Certainement. D'abord in ne faut pas oublier que dans les 10 ans à venir, 2 750 000 personnes vont partir à la retraite et que par conséquent, nous devrons faire arriver sur le marché du travail au minimum 275 000 personnes par an en remplacement, si nous voulons que notre économie fonctionne. En collaboration avec les régions et département par département, nous avons établi une carte des besoins et fait coïncider les formations avec les besoins exprimés. Pourquoi aller chercher très loin des gens qualifiés qui existent plus ou moins et ne pas les former sur place ?
Quelles sont les filières où il y a la plus de demandes ?
Cela dépend des régions mais le tertiaire prédomine. Nous formons aussi pour tous les métiers du bâtiment, l'ébénisterie, le carrelage, l'automobile. Je tiens à le signaler, il y a en France des lycées professionnels de prestige où l'on sollicite une inscription de tout l'hexagone. Le lycée Mouchard dans le Jura spécialisé dans tous les métiers du bois en est un, les lycées hôteliers de Souillac et de Tarbes en sont d'autres.
Propos recueillis par François Cariès.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 11 septembre 2001)
Interview à France Culture le 7 septembre 2001 :
Jean-Claude PAJAK
Le plaidoyer de Jean-Luc Mélenchon pour l'enseignement professionnel victime de préjugés dit-il qu'il faut combattre, c'est le thème de l'entretien que nous allons entendre du ministre délégué à l'Enseignement professionnel avec Jean-Louis CRIMON. Pour cette rentrée 2001, Jean-Luc Mélenchon affirme avoir mis fin à la baisse des effectifs qui était par exemple de moins 30 000 à la rentrée précédente et même d'avoir inversé la tendance puisque les lycées professionnels compteront 1 2000 élèves supplémentaires cette année.
Jean-Luc MELENCHON
Pour nous d'abord, c'est un sujet d'immense fierté professionnelle pour tous les cadres, les principaux de collèges, les directeurs qui se sont mobilisés. Moi, ça me prouve, voyez-vous, que, quand on a une volonté politique claire et ferme, l'institution est capable de se mobiliser et d'obtenir un résultat. Pour le pays, c'est une démonstration tout à fait claire parce que, ce qui est frappant, c'est que la demande des parents en direction de l'enseignement professionnel a augmenté, ce qui signifie que nos concitoyens comprennent qu'il y a de l'emploi et que cet emploi est un emploi qualifié, c'est-à-dire que les métiers de notre époque sont des sciences pratiques et qu'on y accède avec un bon niveau de qualification. Je suis content de cette prise de conscience. On va peut-être en parler dans un instant parce que pour l'avenir, je dis que le besoin d'emploi va être considérable. Il est temps de se réveiller, pas de se laisser fasciner par les petites fluctuations du chômage qui font hélas craindre. Certains se disent, ça y est, on est revenu aux années du chômage de masse. Mais non, pas du tout, c'est la tendance inverse qui est en route.
Jean-Louis CRIMON
Vous aviez à cur de montrer, d'apporter la preuve que l'enseignement professionnel n'est pas une voie par défaut ?
Jean-Luc MELENCHON
Oui, parce que ça, vraiment, ça participe de préjugés vulgaires et stupides. Alors je sais bien qu'ici et là on regarde de haut les lycées professionnels, qu'il y a même, je veux bien le reconnaître, des enseignants d'enseignement général qui disent aux élèves " si tu travailles pas bien, tu finiras à l'enseignement professionnel " comme si c'était le bagne ou la maison de redressement alors que je veux en témoigner avec force, la majorité de ceux qui s'y trouvent ont voulu y être, la pédagogie est extrêmement efficace, le niveau de sortie est extrêmement élevé et puis, à la sortie, c'est 100 % d'emploi.
Jean-Louis CRIMON
Vous tenez également à rappeler, à mettre en avant qu'à la sortie du parcours en lycée professionnel, c'est non seulement 100 % d'emploi mais c'est aussi des salaires tout à fait intéressants.
Jean-Luc MELENCHON
Il faut quand même souligner le nombre d'emplois même très bien payés. Un électronicien qui sort avec son Bac Pro, quand la SNCEMA l'embauche pour aller faire la fabrication des moteurs, le réglage se fait au micron, son salaire commence à 15 000 francs. Hier matin, j'étais dans une section d'installation et maintenance de la micro-informatique, les jeunes, quand ils sortent de là, ont 19, 20 ans, ils commencent à des salaires qui sont supérieurs au salaire de départ de leurs propres professeurs. Donc,? il faut arrêter de regarder les métiers de notre temps avec un il misérabiliste ou en croyant que tout le monde est payé avec un lance-pierres, ce n'est pas vrai du tout. Et comme il y a un besoin énorme, j'insiste, énorme de main d'uvre, il faut maintenant se mobiliser pour le retour au travail. Je vais vous donner un chiffre pour que vraiment tous nos auditeurs comprennent l'importance de qui est en jeu. Pour que dans les dix prochaines années on reste au niveau d'activité auquel on a été dans les dix dernières années en moyenne, c'est-à-dire en intégrant les périodes d'années de chômage de masse, à cause des départs à la retraite, donc simplement les départs à la retraite sans compter l'effet 35 heures et l'effet croissance, il faut que nous trouvions 2 750 000 personnes pour rentrer au travail, 275 000 par an. Rendez-vous compte ! Quand on était au pic démographique, c'est-à-dire quand il y avait plus de jeunes qui arrivaient sur le marché de l'emploi, c'était la singularité des Français, on avait 250 000 jeunes qui arrivaient tous les ans. Aujourd'hui, c'est à peu près de l'ordre de 200 000, cela signifie que l'on va être en déficit 75 000 personnes. Il faut que le maximum de ceux qui sortent, sortent avec une qualification professionnelle efficace. Nous avons un chantier extrêmement fort à mettre en route. Il faut que tout le monde se mobilise et arrête de regarder de haut les formations professionnelles. C'est vraiment absurde.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 12 septembre 2001)
Thème de l'émission : La rentrée scolaire : L'enseignement professionnel, son image, sa place dans le système éducatif
Jean-Jacques BOURDIN
Cette semaine sur RMC Info, la rentrée scolaire avec de nombreux sujets, les questions les plus directes et les plus embarrassantes seront posées et sont posées, les débats s'engagent. Hier, c'était les rythmes scolaires, ce matin l'enseignement professionnel, pourquoi est-il si dévalorisé en France ? Pourquoi dirige-t-on vers les filières professionnelles les élèves en échec scolaires ? Comment se fait-il que l'Education nationale n'arrive pas à former des personnels qualifiés que recherchent les entreprises. Jean-Luc MELENCHON bonjour.
Jean-Luc MELENCHON
Bonjour.
Jean-Jacques BOURDIN
Vous êtes ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Tout le monde sait que vous vous battez pour valoriser cet enseignement professionnel, mais ce n'est pas facile, non ?
Jean-Luc MELENCHON
Non, ce n'est pas facile, je dois bien le reconnaître, et c'est absurde, c'est surtout ça qui est le plus frappant.
Jean-Jacques BOURDIN
Oui, mais alors pourquoi. Est-ce que ça tient au conservatisme de l'Education nationale déjà ?
Jean-Luc MELENCHON
Bon, il faut bien sûr toujours bien peser ses mots. Le conservatisme
Jean-Jacques BOURDIN
Il faut dire la réalité aussi..
Jean-Luc MELENCHON
Oui, je pense surtout si vous voulez que c'est une affaire d'ignorance, de méconnaissance de ce qu'est cet enseignement professionnel, parce que pour beaucoup et y compris les enseignants de l'Education nationale surtout en collège, l'enseignement professionnel ça reste un enseignement court comme on disait autrefois. Donc on y va pour deux/trois ans et puis après c'est fini, on a le CAP et puis terminé on va au travail. Et les parents évidemment ont été en quelque sorte marqués aussi par cette idée. Or, depuis 1985-alors 1985 c'est loin derrière nous, mais c'est peu dans la mémoire collective , l'enseignement professionnel va jusqu'au bac, au bac professionnel et ensuite on a les brevets de technicien supérieur et ensuite on a les IUT. Donc on peut faire une carrière de formation du premier niveau de diplôme professionnel jusqu'aux écoles d'ingénieurs en quelque sorte, et ça ne se sait pas. Ou alors on a une vision.." Oh ! l'enseignement professionnel ", c'est moins d'enseignement en quelque sorte, alors qu'en réalité, l'enseignement professionnel enseigne exactement les mêmes choses que dans l'enseignement général en matières générales plus l'apprentissage d'un métier. Et donc, quand un jeune sort de là, il a entre les mains une valeur, il a un diplôme qui lui permet d'aller sur le marché du travail et d'avoir un salaire et une reconnaissance de ce qu'il sait faire, c'est ça la force des diplômes que nous tenons, c'est qu'ils sont reconnus par tout le monde, aussi bien les entrepreneurs que les salariés.
Jean-Jacques BOURDIN
Oui, mais parfois c'est compliqué, c'est compliqué de savoir, je me mets à la place des parents, par exemple la filière génie thermique et génie climatique, c'est en fait la filière plomberie, pourquoi compliquer les choses ?
Jean-Luc MELENCHON
Bon, vous touchez juste. J'ai souvent dit que ça confinait à l'absurde
Jean-Jacques BOURDIN
Oui, absurde, oui.
Jean-Luc MELENCHON
Des appellations de ce type là.
Jean-Jacques BOURDIN
Génie thermique !
Jean-Luc MELENCHON
Maintenant, attendez.. Aussi il ne faut pas non plus que vous fassiez vous
Jean-Jacques BOURDIN
Non, on est d'accord.
Jean-Luc MELENCHON
Non, mais vous comprenez
Jean-Jacques BOURDIN
Je vais plus loin
Jean-Luc MELENCHON
Attendez, mais laissez-moi vous dire sur ce point. Vous-même, vous n'y êtes pas passé dans la filière professionnelle
Jean-Jacques BOURDIN
Non, non.
Jean-Luc MELENCHON
Et moi non plus, donc reconnaissons les choses, nous qui ne connaissons nous-mêmes rien au départ, bon, je suis ministre maintenant j'y connais quelque chose, mais on n'y connaît rien nous-mêmes. Ces mots ont aussi un sens. Voyez-vous un jour, dans un lycée, j'ai commencé à dire aux jeunes " Ecoutez, on pourrait appeler ça autrement que chaudronnier ". Les gens étaient absolument révoltés, les jeunes qui étaient là autant que les profs.
Jean-Jacques BOURDIN
Non, mais chaudronnier, c'est un vrai métier.
Jean-Luc MELENCHON
Non, mais attendez, les métiers enseignés en génie thermique le sont aussi. Soit dit par parenthèses, il reste de très nombreuses places dans les lycées, ce sont de très beaux métiers et très bien payés. Bref, ces noms ont souvent une histoire, mais je suis d'accord avec vous que souvent c'est absurde. Par exemple le CAP de boucher, savez-vous comment ça s'appelle ? Ca s'appelle CAP Préparateur de produits carnés, option A bovins, options B caprins. Ca aurait été trop facile que ce soit C les caprins et option D.., bref vous avez compris. C'est terrifiant d'avoir procédé comme ça.
Jean-Jacques BOURDIN
Oui. Alors pourquoi retrouve-t-on, c'est encore une question, pourquoi retrouve-t-on des élèves en échec scolaire dans les filières professionnelles ?
Jean-Luc MELENCHON
D'abord, je vais dire tant mieux pour eux. Parce que
Jean-Jacques BOURDIN
Oui. On est d'accord, tant mieux pour eux, on est d'accord, mais
Jean-Luc MELENCHON
Alors d'abord en échec scolaire, non, mais c'est là qu'on est au cur de l'affaire. L'échec scolaire, c'est l'échec du système, c'est pas l'échec de l'élève, moi je ne cesse de le dire.
Jean-Jacques BOURDIN
C'est vrai.
Jean-Luc MELENCHON
Et oui, non mais il ne faut jamais oublier ça.
Jean-Jacques BOURDIN
Vous avez raison de le dire.
Jean-Luc MELENCHON
Il ne faut jamais oublier ça parce que l'enseignement général a un modèle pédagogique. Je vais employer des grands mots, pardon, c'est un peu abstrait, ça s'appelle hypothétiquement déductif. C'est à dire, on part de l'abstrait puis on y reste. Le modèle de l'enseignement professionnel a une autre pédagogie qui est une pédagogie inductive, on part du concret pour aller à l'abstrait. Mais nom de nom à la fin, c'est le même abstrait dans les deux cas, voyez-vous ? Alors on y met les élèves là parce que les autres ne savent pas comment faire, qu'est-ce qu'on peut faire avec ce jeune ? On voit bien qu'il est intelligent, on voit bien qu'il est débrouillard etc.. Mais honnêtement, je vais dire quelque chose qui va un peu déranger, c'est que je sais très bien, et je suis très colère, qu'à certains élèves qui ont de bonnes moyennes, on leur dit : " Ah ! non, ne va pas l'enseignement professionnel, toi tu peux t'en sortir ". C'est stupide, c'est monstrueux de dire ça !
Jean-Jacques BOURDIN
Oui, mais ça s'est dit. Mais le collège unique, c'est une bêtise, le collège unique.
Jean-Luc MELENCHON
Attendez là, vous m'entraînez sur un sujet qui va me valoir des embêtements
Jean-Jacques BOURDIN
Avec votre ministre LANG, oui.
Jean-Luc MELENCHON
Non, pas avec mon ministre LANG parce qu'on voit les choses à peu près de la même manière, maintenant bon les syndicats, 14 d'entre eux ont dit que non ce n'était pas une bonne idée, que ce que je disais pouvait être dangereux. Ils ont tort, je vais essayer de convaincre et d'avancer. Maintenant, je ne voudrais pas qu'on reste tous les deux sur un sentiment un peu défaitiste. Moi j'ai réussi quelque chose et quand même je vais le dire, c'est la rentrée donc, c'est une bonne nouvelle. L'année dernière, écoutez bien, alors que nous étions en plein décollage de la croissance et de l'emploi, que tout le monde constate que partout il manque du monde, l'année dernière nous avions 30 000 élèves inscrits à la rentrée. Naturellement, j'étais fou de rage. Alors nous avions travaillé toute l'année, on a mobilisé tout le monde, j'ai fait le tour des lycées et des académies pour expliquer les choses, et cette année, je suis très heureux parce qu'à cette rentrée j'ai +10 000 inscrits par rapport à l'année. Alors ça c'est plutôt une bonne nouvelle, je crois que les idées peuvent avancer, mais pour ça il faut qu'il y ait des gens comme vous qui posent des questions
Jean-Jacques BOURDIN
La réalité, tout simplement.
Jean-Luc MELENCHON
Oui, parce que franchement, quand on voit qu'il a fallu aller chercher des infirmières en Espagne, l'Espagne est un pays développé également, donc là c'est pas du pillage, hein. Mais bon, maintenant il ne reste plus qu'à trouver des malades qui parlent espagnol. C'est absurde. C'est absurde, des milliers de jeunes français ont envie d'être dans ces métiers, mais on ne leur propose pas.
Jean-Jacques BOURDIN
Mais on en reparlera Jean-Luc MELENCHON, on en reparlera quand vous voulez, avec les auditeurs en plus.
Jean-Luc MELENCHON
Merci.
Jean-Jacques BOURDIN
Merci Jean-Luc MELENCHON. Au revoir.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 5 septembre 2001)
Interview à la revue "Politis" le 30 août :
Comment cette deuxième rentrée scolaire de Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'Enseignement professionnel, s'annonce-t-elle ?
La première, je l'avais trouvée préparée. Elle se caractérisait par une situation absolument intolérable. Au moment où il y avait reprise de la croissance et de l'emploi, où un million de personnes retrouvaient un travail, les inscriptions dans l'enseignement secondaire professionnel reculaient. Et de façon spectaculaire, puisqu'il y avait à la rentrée 2000 trente mille inscrits de moins que l'année précédente. S'il ne s'était agi que de la conséquence de la baisse démographique normale, on aurait dû assister à la même baisse dans toutes les filières. Or, j'ai découvert que les deux tiers de la baisse démographique se concentraient sur l'enseignement professionnel. J'en ai déduit que c'était un pur effet de système. C'est-à-dire que le système éducatif conduisait à un mépris pour la voie professionnelle, alors même que cette voie avait complètement changé de nature avec l'apparition des bacs professionnels, et que ce n'est plus un " enseignement court ", comme on disait autrefois. J'ai donc combattu pied à pied pour identifier toutes les causes de cette situation. Depuis les plus techniques, comme par exemple le fait que, dans les bordereaux d'inscription, quand on sort de troisième, la voie professionnelle n'est pas mentionnée comme une voie qui va au bac. Après avoir mobilisé l'institution, en lui faisant confiance, en réunissant des réunions inter-académiques, avec tous les cadres, tous les proviseurs, tous les principaux - au total près de cinq mille personnes - j'ai eu le bonheur de constater au mois de juillet que les inscriptions avaient augmenté de dix mille par rapport à l'année dernière. On passe de moins trente mille à plus dix mille inscrits. Et, au total, de 660 000 à 670 000.
Quelle était selon vous la cause profonde de la régression de l'an dernier ?
L'orientation vers la voie professionnelle était vécue comme une relégation. A un point tel que j'ai découvert que l'on refusait cette orientation à des élèves qui l'avaient choisie : on les jugeait trop brillants pour cela ! J'ai voulu m'attaquer à la racine idéologique du mal, c'est-à-dire à ce que je considère comme un véritable mépris de caste, qui rejoint évidemment un mépris de classe que chacun connaît à l'égard du travail. Mon argumentation repose sur l'idée que la qualification professionnelle est un droit. C'est une idée républicaine. Il faut faire comprendre que plus la valeur d'usage de ce travail est élevée, plus la qualification professionnelle est bien rémunérée.
La question est de savoir qui assure la qualification professionnelle. L'école républicaine, gratuitement, ou bien le patronat, ou pire encore, des officines privées de formation ?
J'ai ensuite voulu convaincre que la culture de base de notre époque c'est la culture des savoirs et des savoir-faire. Quand on est dans la logique de l'enseignement professionnel qui est d'aller du concret à l'abstrait, d'abord on entraîne davantage de monde, ensuite on réalise une véritable synthèse pédagogique entre les matières qui sont enseignées. Des milliers de métiers ont des savoirs initiaux communs qui sont des savoirs de sciences. La culture de l'honnête homme de notre époque, celle qui lui permet de maîtriser notre environnement, c'est cette culture-là. J'ai fini par considérer qu'une certaine vision académique de l'enseignement est en réalité un obscurantisme parce qu'elle prive des jeunes esprits de cette capacité de comprendre le monde qui nous entoure. Je pense que mon propos a contribué à décomplexer. J'ai ressenti souvent un véritable enthousiasme. Je ne peux pas m'expliquer autrement une aussi spectaculaire inversion des flux en un an.
Vous avez lancé au mois de mars dernier un débat visant à remettre en cause le collège unique hérité de la loi Haby de 1977. A partir de quel constat vous êtes-vous risqué à ouvrir une telle boîte de Pandore ?
En fait, je suis entré dans ce débat par effraction. Ce n'est pas mon débat, puisque je suis en charge de l'enseignement professionnel. Je défendais l'existence de classes de 4ème et 3ème technologiques qui se situent à mi-chemin entre les deux types d'enseignement, et qui peuvent être aussi bien un sas d'entrée pour l'enseignement professionnel que pour la voie générale. Ces classes étaient mises en cause par les actions conjuguées de toute une série d'organisations qui y voyaient la négation du collège unique. Mes propos en défense de ces classes ont immédiatement suscité une levée de bouclier qui sentait fort l'esprit de caste. J'ai même lu sous la plume d'un illustre professeur que c'étaient des " classes poubelles ". Tout cela m'a permis de poser des questions et de proposer des solutions. J'ai pointé du doigt l'incroyable hypocrisie qui avait cours. Parmi ceux qui criaient si fort pas un d'ailleurs n'osait dire qu'il fallait rapatrier dans les collèges les neuf mille élèves qui sont aujourd'hui dans les classes de pré-apprentissage. Et on ne me disait pas pourquoi un jeune de 15 ans qui, en principe, est en seconde, peut faire un choix entre filières technologiques et générales, voire l'enseignement professionnel, alors qu'un jeune du même âge, mais à un niveau inférieur des ses études, n'aurait, lui, pas le droit de faire ce choix.
Le constat que j'ai fait est simple, et il est tragique : chaque année, seize mille élèves qui sont en classe de 4ème ont 15 ans, et parfois 16 ou 17 ans. Nous savons parfaitement que ces élèves sont hors d'état psychologique de s'accomplir et de se construire en tant que jeunes adultes dans un environnement d'enfants de 13 ou 14 ans. Il va donc se construire dans un rapport avec l'adulte qui est le maître, et nécessairement dans un rapport de rivalité et de violence. J'ai été terrifié de constater qu'il y a onze mille élèves qui, tous les ans, triplent la seconde. Le meilleur système du monde ne donnera jamais cent pour cent de résultat, surtout si ce système est uniforme. J'ai trouvé que les réponses faites habituellement à ces problèmes sont assez pauvres La première consiste à dire qu'il faut plus de moyens, plus de profs, moins d'élèves par classe. C'est évidemment juste un certain nombre de fois. Mais ce n'est pas la clé dorée. La deuxième consiste à dire qu'il faut stimuler l'appétit des élèves en proposant plus d'options, de toutes sortes. Moi je crois que c'est l'offre pédagogique qu'il faut diversifier. On ne peut se limiter à une pédagogie qui s'adresse aux seuls esprits qui entrent dans l'abstraction sans trop de difficultés, et qui parfois se trouvent très encombrés du concret. Il n'existe pas de mathématiques pour les pauvres. Dans l'enseignement professionnel ou dans les filières générales, ce sont les mêmes. Simplement, dans l'enseignement professionnel, on va du concret vers l'abstrait, tandis que dans l'enseignement général, on va directement à l'abstrait et on y reste. Je déplore donc de voir qu'un certain académisme qui mythifie le collège unique entre en parfaite convergence avec les propos du Medef. Le Medef dit : " L'Education nationale certifie les connaissances, et nous, nous certifions les compétences ". Ce modèle-là, c'est celui dans lequel il n'y a plus d'héritage gratuit des qualifications dans le système scolaire. C'est un modèle dans lequel il y aurait, d'une part, une culture générale et, d'autre part, un permis de travailler octroyé par les patrons. A une époque où les machines et les techniques évoluent tous les deux ou trois ans, la certification des compétences au sens étroit où l'entend le Medef aboutirait à une déqualification massive du travail. Ils ne l'ont pas inventé, c'est ce qui s'est passé en Angleterre.
Dans ce débat sur le collège unique, l'arbitrage du ministre de l'Education nationale vous a finalement été défavorable Quelle leçon en tirez-vous ?
L'arbitrage ne pouvait pas m'être favorable dès lors que quatorze organisations syndicales ont écrit un texte pour combattre mes positions. Je me suis sans doute mal fait comprendre. Mais cela stimule en moi l'envie de reprendre mon bâton de pèlerin pour convaincre.
Ce débat a-t-il modifié vos relations avec Jack Lang ?
Non. C'est la vie médiatique qui fait les choses comme ça. On s'est trouvé dans une posture qui a finalement permis de bien sonder le terrain. Je n'ai ressenti chez Jack Lang aucun mépris pour l'enseignement professionnel. Il n'y a pas deux lignes. Il y a un homme qui a une responsabilité sur l'ensemble du système éducatif N'oublions pas de quelle période sinistrée nous venons.
La période Allègre
Mon sentiment est que Jack Lang pense que ce j'ai dit était sans doute juste mais risquait de provoquer un tremblement de terre. On peut aimer cela, mais si ça débouche sur une impasse et des affrontements sans fin, ce n'est pas la bonne voie.
Propos recueillis par Denis Sieffert.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 4 septembre 2001)
Interview dans "La Dépêche du Midi" du 5 septembre :
A la veille de la rentrée scolaire, Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'Enseignement professionnel, fait le point sur le regain des filières techniques.
La rentrée 2001 est-elle marquée par un regain d'intérêt pour la filière technique ?
Tout à fait. On peut même dire qu'il y a une inversion de la tendance. Les parents ont compris qu'il y avait là de vrais débouchés, que leurs enfants pourraient, dans cette voie, aller aussi loin qu'il leur serait possible. Ils sont demandeurs, ce qui est assez nouveau. Les conseils de classe n'ont pas hésité à proposer cette orientation.
Malgré la baisse démographique enregistrée par cette classe d'âge, le nombre d'inscriptions est supérieur de 12 000 élèves cette rentrée. Dans l'Académie de Toulouse, par exemple, le nombre des élèves entrant dans la filière technique sera supérieur de 802 par rapport à 2000. Je ne parle ici que des lycéens.
On entend parler de licenciements. Y aura-t-il du travail pour tous ?
Certainement. D'abord in ne faut pas oublier que dans les 10 ans à venir, 2 750 000 personnes vont partir à la retraite et que par conséquent, nous devrons faire arriver sur le marché du travail au minimum 275 000 personnes par an en remplacement, si nous voulons que notre économie fonctionne. En collaboration avec les régions et département par département, nous avons établi une carte des besoins et fait coïncider les formations avec les besoins exprimés. Pourquoi aller chercher très loin des gens qualifiés qui existent plus ou moins et ne pas les former sur place ?
Quelles sont les filières où il y a la plus de demandes ?
Cela dépend des régions mais le tertiaire prédomine. Nous formons aussi pour tous les métiers du bâtiment, l'ébénisterie, le carrelage, l'automobile. Je tiens à le signaler, il y a en France des lycées professionnels de prestige où l'on sollicite une inscription de tout l'hexagone. Le lycée Mouchard dans le Jura spécialisé dans tous les métiers du bois en est un, les lycées hôteliers de Souillac et de Tarbes en sont d'autres.
Propos recueillis par François Cariès.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 11 septembre 2001)
Interview à France Culture le 7 septembre 2001 :
Jean-Claude PAJAK
Le plaidoyer de Jean-Luc Mélenchon pour l'enseignement professionnel victime de préjugés dit-il qu'il faut combattre, c'est le thème de l'entretien que nous allons entendre du ministre délégué à l'Enseignement professionnel avec Jean-Louis CRIMON. Pour cette rentrée 2001, Jean-Luc Mélenchon affirme avoir mis fin à la baisse des effectifs qui était par exemple de moins 30 000 à la rentrée précédente et même d'avoir inversé la tendance puisque les lycées professionnels compteront 1 2000 élèves supplémentaires cette année.
Jean-Luc MELENCHON
Pour nous d'abord, c'est un sujet d'immense fierté professionnelle pour tous les cadres, les principaux de collèges, les directeurs qui se sont mobilisés. Moi, ça me prouve, voyez-vous, que, quand on a une volonté politique claire et ferme, l'institution est capable de se mobiliser et d'obtenir un résultat. Pour le pays, c'est une démonstration tout à fait claire parce que, ce qui est frappant, c'est que la demande des parents en direction de l'enseignement professionnel a augmenté, ce qui signifie que nos concitoyens comprennent qu'il y a de l'emploi et que cet emploi est un emploi qualifié, c'est-à-dire que les métiers de notre époque sont des sciences pratiques et qu'on y accède avec un bon niveau de qualification. Je suis content de cette prise de conscience. On va peut-être en parler dans un instant parce que pour l'avenir, je dis que le besoin d'emploi va être considérable. Il est temps de se réveiller, pas de se laisser fasciner par les petites fluctuations du chômage qui font hélas craindre. Certains se disent, ça y est, on est revenu aux années du chômage de masse. Mais non, pas du tout, c'est la tendance inverse qui est en route.
Jean-Louis CRIMON
Vous aviez à cur de montrer, d'apporter la preuve que l'enseignement professionnel n'est pas une voie par défaut ?
Jean-Luc MELENCHON
Oui, parce que ça, vraiment, ça participe de préjugés vulgaires et stupides. Alors je sais bien qu'ici et là on regarde de haut les lycées professionnels, qu'il y a même, je veux bien le reconnaître, des enseignants d'enseignement général qui disent aux élèves " si tu travailles pas bien, tu finiras à l'enseignement professionnel " comme si c'était le bagne ou la maison de redressement alors que je veux en témoigner avec force, la majorité de ceux qui s'y trouvent ont voulu y être, la pédagogie est extrêmement efficace, le niveau de sortie est extrêmement élevé et puis, à la sortie, c'est 100 % d'emploi.
Jean-Louis CRIMON
Vous tenez également à rappeler, à mettre en avant qu'à la sortie du parcours en lycée professionnel, c'est non seulement 100 % d'emploi mais c'est aussi des salaires tout à fait intéressants.
Jean-Luc MELENCHON
Il faut quand même souligner le nombre d'emplois même très bien payés. Un électronicien qui sort avec son Bac Pro, quand la SNCEMA l'embauche pour aller faire la fabrication des moteurs, le réglage se fait au micron, son salaire commence à 15 000 francs. Hier matin, j'étais dans une section d'installation et maintenance de la micro-informatique, les jeunes, quand ils sortent de là, ont 19, 20 ans, ils commencent à des salaires qui sont supérieurs au salaire de départ de leurs propres professeurs. Donc,? il faut arrêter de regarder les métiers de notre temps avec un il misérabiliste ou en croyant que tout le monde est payé avec un lance-pierres, ce n'est pas vrai du tout. Et comme il y a un besoin énorme, j'insiste, énorme de main d'uvre, il faut maintenant se mobiliser pour le retour au travail. Je vais vous donner un chiffre pour que vraiment tous nos auditeurs comprennent l'importance de qui est en jeu. Pour que dans les dix prochaines années on reste au niveau d'activité auquel on a été dans les dix dernières années en moyenne, c'est-à-dire en intégrant les périodes d'années de chômage de masse, à cause des départs à la retraite, donc simplement les départs à la retraite sans compter l'effet 35 heures et l'effet croissance, il faut que nous trouvions 2 750 000 personnes pour rentrer au travail, 275 000 par an. Rendez-vous compte ! Quand on était au pic démographique, c'est-à-dire quand il y avait plus de jeunes qui arrivaient sur le marché de l'emploi, c'était la singularité des Français, on avait 250 000 jeunes qui arrivaient tous les ans. Aujourd'hui, c'est à peu près de l'ordre de 200 000, cela signifie que l'on va être en déficit 75 000 personnes. Il faut que le maximum de ceux qui sortent, sortent avec une qualification professionnelle efficace. Nous avons un chantier extrêmement fort à mettre en route. Il faut que tout le monde se mobilise et arrête de regarder de haut les formations professionnelles. C'est vraiment absurde.
(source http://www.enseignement-professionnel.gouv.fr, le 12 septembre 2001)