Texte intégral
Chers amis,
Je serai bref devant vous, comme je le serai tout à l'heure devant le Comité directeur et demain devant l'Assemblée nationale.
La gravité de l'heure et le sens de nos responsabilités nous obligent à aller directement à l'essentiel.
Je ne referai donc pas l'historique des événements survenus depuis le 2 août, ni le rappel des positions de principe que le Président de la République n'a cessé d'exprimer et de défendre avec continuité et autorité.
J'essaierai plutôt de répondre à un certain nombre d'interrogations légitimes, de dissiper quelques doutes.
Convenons premièrement entre nous qu'il n'y a pas d'un côté les partisans de la paix et de l'autre des partisans de la guerre.
Il n'y a chez les socialistes, et vraisemblablement chez les Français, que des femmes et des hommes attachés à la paix. Philosophiquement, politiquement, et je dirais viscéralement, nous sommes tous pacifiques.
Deuxièmement, il n'y a pas non plus une bonne et une mauvaise solution. Saddam Hussein a créé des conditions telles qu'il n'y a d'autre choix que d'opter entre des positions qui toutes ont quelque chose de dramatique.
Tout faire pour le respect du droit, tout faire pour le maintien de la paix mais, quand il est avéré qu'il n'y a plus moyen de faire autrement, savoir opposer la force à la violence, le recours ultime à la force pour rétablir le droit contre la violence qui a détruit le droit.
Sur ces principes, qui au vocabulaire de la guerre préfèrent celui d'opération de police internationale, plusieurs questions fondamentales se posent.
Première question : tout a-t-il été réellement fait pour sauvegarder la paix, et par tout le monde ?
Deuxième question : qu'est-ce qui motive le passage de l'embargo à la force ?
Troisième question : la mobilisation de la communauté internationale n'est-elle pas avant tout fondée sur des arrière-pensées pétrolières ?
Quatrième question enfin : comment accepter l'idée que soient faits deux poids et deux mesures dans l'application de toutes les résolutions du Conseil de sécurité ?
Sur la première question, vous savez tous l'énergie que le Président a dépensée pour multiplier les initiatives, et cette nuit encore. Aucun signe, je dis bien aucun, n'est venu de l'Irak auquel elles étaient destinées. La question n'est pas de savoir, car il faut veiller à ne pas inverser les rôles, quel accueil les Etats-Unis ont pu réserver à telle ou telle proposition. Le fait, le seul qui compte, est le douloureux constat de ce que Bagdad a résolument refusé toutes les offres de dialogue compatibles avec les résolutions des Nations Unies, quelles qu'elles soient et d'où qu'elles viennent.
N'oublions pas non plus que le recours à la violence est avant tout celui de l'Irak et qu'il remonte au 2 août. Depuis, après avoir non seulement conquis, mais systématiquement détruit le Koweït, pratiqué le pillage, le viol et l'assassinat, l'Irak a refermé jusqu'à présent toutes les portes que l'on a pu songer à entrouvrir.
Depuis le discours du Président de la République le 24 septembre à l'Assemblée générale des Nations-Unies, la France a multiplié, en liaison avec les Douze de la Communauté européenne, avec des Etats arabes et des pays non alignés, avec le Secrétaire général des Nations-Unies, les propositions pour une solution pacifique conforme aux résolutions du Conseil de Sécurité.
Les initiatives de la France n'ont pas trouvé le moindre répondant du côté irakien. Nos propositions ne peuvent que demeurer sans effets dès lors qu'elles n'entraînent de la part de l'Irak aucun geste positif sur le Koweït.
Pour aller dans la voie de la paix il faut être au moins deux à le vouloir. Saddam Hussein persiste à le refuser.
Deuxième question : pourquoi est-on passé de l'embargo à la perspective de la violence ? Tout simplement parce que les Nations Unies ont fixé un délai, un délai raisonnable et dont la France avait même obtenu qu'il soit différé. Non seulement l'Irak n'a pas bougé, mais il a même fait savoir qu'il ne respecterait aucun ultimatum, ce qui rend inutile toute idée qu'on aurait pu avoir d'un report du délai.
L'objectif de l'Irak paraît malheureusement simple : miser sur l'usure de la mobilisation internationale, atteindre la période du ramadan, du pèlerinage à la Mecque et des grandes chaleurs pour tenter de paralyser les Nations-Unies. Au vrai, il a le "pacifisme" du conquérant : il désire garder "pacifiquement" sa conquête... jusqu'à la suivante ou au moins jusqu'à ce que soit entériné le fait accompli. L'histoire n'est pas avare d'exemples de ce genre de conduite, et nous savons quelles en sont, pour tous, les conséquences.
Dans toute opération de police, interne comme internationale, il arrive fatalement un moment où il faut agir pour que force reste au droit. Ce moment est hélas arrivé, après que nous avons tout fait pour l'éviter.
C'est le pétrole, disent certains, qui seul nous motive.
Pourquoi taire qu'il joue effectivement un rôle ? Dès lors que Saddam Hussein a maintes fois fait la preuve de ses visées et de ses ambitions, comme de son absence de scrupule, qui donc accepterait de gaieté de coeur qu'il puisse, grâce à une agression armée, contrôler 40 % des exportations de pétrole, qu'il puisse, en quelque sorte, tenir entre ses doigts la veine jugulaire de l'humanité ? La première guerre dont l'histoire ait gardé le souvenir, comme le disait Henri Emmanuelli ce matin, c'était la guerre du feu, celle de l'énergie vitale, vitale pour nos entreprises, vitale pour la vie de nos concitoyens, mais bien plus vitale encore pour l'ensemble des pays les plus dépendants qui sont aussi les plus pauvres. Alors ne feignons ni de l'ignorer ni de nous en choquer, mais gardons la réalité en tête.
Quatrième question enfin, pourquoi deux poids et deux mesures dans l'application des résolutions du Conseil de sécurité. Je pourrais vous dire que deux problèmes ne se posent jamais exactement dans les mêmes termes, qu'il faut fuir l'amalgame et refuser des liens entre ce qui est distinct.
Je préfère argumenter autrement. D'abord en notant que tous les pays du monde condamnent l'annexion du Koweït, et que tous, à l'exception de deux ou trois, sont solidaires face à l'Irak. Car enfin il ne faut jamais oublier qu'il ne s'agit nullement d'un conflit entre l'Irak et les Etats-Unis, ou entre l'Orient et l'Occident, ou entre les Arabes ou les Musulmans et les autres, et pas davantage entre le Tiers Monde et les nations développées.
Non, c'est bien l'Irak qui est en conflit avec l'ensemble de la communauté internationale pratiquement unanime.
Ensuite, quant à l'idée de conférence internationale sur les problèmes du Proche-Orient, en particulier sur le conflit israelo-arabe, la France, qui l'a avancée dès 1983, est très à l'aise pour en parler. Les Etats-Unis s'y étaient toujours opposés, mais nous avons néanmoins pu faire passer cette référence dans la déclaration du Conseil de Sécurité du 20 décembre dernier.
Cette idée figure à nouveau, parmi d'autres, dans les propositions présentées la nuit dernière par la France, notamment à nos partenaires du Conseil de Sécurité. Certains, dont les Etats-Unis, maintiennent leurs réserves. De toute manière, cette initiative reste sans effet, puisque l'Irak n'a donné aucun signe positif en réponse.
Tous les problèmes ne peuvent pas toujours être résolus simultanément. La chose qui compte à nos yeux, c'est d'engager un processus. Il faut bien une première fois. Une première fois pour que triomphe l'idée de sécurité collective que les socialistes ont défendue depuis qu'est né le socialisme. Une première fois qui, par essence, laisse provisoirement entière la question des fois précédentes.
Mais comment parviendrons nous jamais à faire avancer ce souci qui est consubstantiel à notre identité de socialistes si, à chaque tentative, on trouve de bonnes raisons dans le passé de ne rien faire pour l'avenir ?
Ce qui se passe créera un précédent dont nul ne peut croire qu'il restera sans suite. Tous ceux qui participent à la mobilisation internationale s'obligent pour le futur, qu'il s'agisse du futur du peuple palestinien, de celui du Liban ou de la Lituanie.
Alors, ensemble, disons notre appréhension mais disons également notre espoir. A tous, au monde arabe trop longtemps humilié, au Tiers-Monde qui cherche encore à sortir de la misère, aux jeunes du monde entier que toute guerre rebute autant que nous et plus instinctivement, disons que de cette crise peut surgir un nouvel ordre dont a besoin l'humanité, un ordre qui saura prévenir les conflits et assurer la paix. C'est à cela que Jaurès pensait. C'est peut-être cela que nous verrons poindre et que François Mitterrand recherche de toutes les forces de sa détermination.
Je serai bref devant vous, comme je le serai tout à l'heure devant le Comité directeur et demain devant l'Assemblée nationale.
La gravité de l'heure et le sens de nos responsabilités nous obligent à aller directement à l'essentiel.
Je ne referai donc pas l'historique des événements survenus depuis le 2 août, ni le rappel des positions de principe que le Président de la République n'a cessé d'exprimer et de défendre avec continuité et autorité.
J'essaierai plutôt de répondre à un certain nombre d'interrogations légitimes, de dissiper quelques doutes.
Convenons premièrement entre nous qu'il n'y a pas d'un côté les partisans de la paix et de l'autre des partisans de la guerre.
Il n'y a chez les socialistes, et vraisemblablement chez les Français, que des femmes et des hommes attachés à la paix. Philosophiquement, politiquement, et je dirais viscéralement, nous sommes tous pacifiques.
Deuxièmement, il n'y a pas non plus une bonne et une mauvaise solution. Saddam Hussein a créé des conditions telles qu'il n'y a d'autre choix que d'opter entre des positions qui toutes ont quelque chose de dramatique.
Tout faire pour le respect du droit, tout faire pour le maintien de la paix mais, quand il est avéré qu'il n'y a plus moyen de faire autrement, savoir opposer la force à la violence, le recours ultime à la force pour rétablir le droit contre la violence qui a détruit le droit.
Sur ces principes, qui au vocabulaire de la guerre préfèrent celui d'opération de police internationale, plusieurs questions fondamentales se posent.
Première question : tout a-t-il été réellement fait pour sauvegarder la paix, et par tout le monde ?
Deuxième question : qu'est-ce qui motive le passage de l'embargo à la force ?
Troisième question : la mobilisation de la communauté internationale n'est-elle pas avant tout fondée sur des arrière-pensées pétrolières ?
Quatrième question enfin : comment accepter l'idée que soient faits deux poids et deux mesures dans l'application de toutes les résolutions du Conseil de sécurité ?
Sur la première question, vous savez tous l'énergie que le Président a dépensée pour multiplier les initiatives, et cette nuit encore. Aucun signe, je dis bien aucun, n'est venu de l'Irak auquel elles étaient destinées. La question n'est pas de savoir, car il faut veiller à ne pas inverser les rôles, quel accueil les Etats-Unis ont pu réserver à telle ou telle proposition. Le fait, le seul qui compte, est le douloureux constat de ce que Bagdad a résolument refusé toutes les offres de dialogue compatibles avec les résolutions des Nations Unies, quelles qu'elles soient et d'où qu'elles viennent.
N'oublions pas non plus que le recours à la violence est avant tout celui de l'Irak et qu'il remonte au 2 août. Depuis, après avoir non seulement conquis, mais systématiquement détruit le Koweït, pratiqué le pillage, le viol et l'assassinat, l'Irak a refermé jusqu'à présent toutes les portes que l'on a pu songer à entrouvrir.
Depuis le discours du Président de la République le 24 septembre à l'Assemblée générale des Nations-Unies, la France a multiplié, en liaison avec les Douze de la Communauté européenne, avec des Etats arabes et des pays non alignés, avec le Secrétaire général des Nations-Unies, les propositions pour une solution pacifique conforme aux résolutions du Conseil de Sécurité.
Les initiatives de la France n'ont pas trouvé le moindre répondant du côté irakien. Nos propositions ne peuvent que demeurer sans effets dès lors qu'elles n'entraînent de la part de l'Irak aucun geste positif sur le Koweït.
Pour aller dans la voie de la paix il faut être au moins deux à le vouloir. Saddam Hussein persiste à le refuser.
Deuxième question : pourquoi est-on passé de l'embargo à la perspective de la violence ? Tout simplement parce que les Nations Unies ont fixé un délai, un délai raisonnable et dont la France avait même obtenu qu'il soit différé. Non seulement l'Irak n'a pas bougé, mais il a même fait savoir qu'il ne respecterait aucun ultimatum, ce qui rend inutile toute idée qu'on aurait pu avoir d'un report du délai.
L'objectif de l'Irak paraît malheureusement simple : miser sur l'usure de la mobilisation internationale, atteindre la période du ramadan, du pèlerinage à la Mecque et des grandes chaleurs pour tenter de paralyser les Nations-Unies. Au vrai, il a le "pacifisme" du conquérant : il désire garder "pacifiquement" sa conquête... jusqu'à la suivante ou au moins jusqu'à ce que soit entériné le fait accompli. L'histoire n'est pas avare d'exemples de ce genre de conduite, et nous savons quelles en sont, pour tous, les conséquences.
Dans toute opération de police, interne comme internationale, il arrive fatalement un moment où il faut agir pour que force reste au droit. Ce moment est hélas arrivé, après que nous avons tout fait pour l'éviter.
C'est le pétrole, disent certains, qui seul nous motive.
Pourquoi taire qu'il joue effectivement un rôle ? Dès lors que Saddam Hussein a maintes fois fait la preuve de ses visées et de ses ambitions, comme de son absence de scrupule, qui donc accepterait de gaieté de coeur qu'il puisse, grâce à une agression armée, contrôler 40 % des exportations de pétrole, qu'il puisse, en quelque sorte, tenir entre ses doigts la veine jugulaire de l'humanité ? La première guerre dont l'histoire ait gardé le souvenir, comme le disait Henri Emmanuelli ce matin, c'était la guerre du feu, celle de l'énergie vitale, vitale pour nos entreprises, vitale pour la vie de nos concitoyens, mais bien plus vitale encore pour l'ensemble des pays les plus dépendants qui sont aussi les plus pauvres. Alors ne feignons ni de l'ignorer ni de nous en choquer, mais gardons la réalité en tête.
Quatrième question enfin, pourquoi deux poids et deux mesures dans l'application des résolutions du Conseil de sécurité. Je pourrais vous dire que deux problèmes ne se posent jamais exactement dans les mêmes termes, qu'il faut fuir l'amalgame et refuser des liens entre ce qui est distinct.
Je préfère argumenter autrement. D'abord en notant que tous les pays du monde condamnent l'annexion du Koweït, et que tous, à l'exception de deux ou trois, sont solidaires face à l'Irak. Car enfin il ne faut jamais oublier qu'il ne s'agit nullement d'un conflit entre l'Irak et les Etats-Unis, ou entre l'Orient et l'Occident, ou entre les Arabes ou les Musulmans et les autres, et pas davantage entre le Tiers Monde et les nations développées.
Non, c'est bien l'Irak qui est en conflit avec l'ensemble de la communauté internationale pratiquement unanime.
Ensuite, quant à l'idée de conférence internationale sur les problèmes du Proche-Orient, en particulier sur le conflit israelo-arabe, la France, qui l'a avancée dès 1983, est très à l'aise pour en parler. Les Etats-Unis s'y étaient toujours opposés, mais nous avons néanmoins pu faire passer cette référence dans la déclaration du Conseil de Sécurité du 20 décembre dernier.
Cette idée figure à nouveau, parmi d'autres, dans les propositions présentées la nuit dernière par la France, notamment à nos partenaires du Conseil de Sécurité. Certains, dont les Etats-Unis, maintiennent leurs réserves. De toute manière, cette initiative reste sans effet, puisque l'Irak n'a donné aucun signe positif en réponse.
Tous les problèmes ne peuvent pas toujours être résolus simultanément. La chose qui compte à nos yeux, c'est d'engager un processus. Il faut bien une première fois. Une première fois pour que triomphe l'idée de sécurité collective que les socialistes ont défendue depuis qu'est né le socialisme. Une première fois qui, par essence, laisse provisoirement entière la question des fois précédentes.
Mais comment parviendrons nous jamais à faire avancer ce souci qui est consubstantiel à notre identité de socialistes si, à chaque tentative, on trouve de bonnes raisons dans le passé de ne rien faire pour l'avenir ?
Ce qui se passe créera un précédent dont nul ne peut croire qu'il restera sans suite. Tous ceux qui participent à la mobilisation internationale s'obligent pour le futur, qu'il s'agisse du futur du peuple palestinien, de celui du Liban ou de la Lituanie.
Alors, ensemble, disons notre appréhension mais disons également notre espoir. A tous, au monde arabe trop longtemps humilié, au Tiers-Monde qui cherche encore à sortir de la misère, aux jeunes du monde entier que toute guerre rebute autant que nous et plus instinctivement, disons que de cette crise peut surgir un nouvel ordre dont a besoin l'humanité, un ordre qui saura prévenir les conflits et assurer la paix. C'est à cela que Jaurès pensait. C'est peut-être cela que nous verrons poindre et que François Mitterrand recherche de toutes les forces de sa détermination.