Texte intégral
- Précarité, parité, mode de garde, droit à disposer de son corps, lutte contre les discriminations homophobes... Les sujets portés par le ministère des Droits des femmes sont multiples. Comment présenteriez-vous aux citoyens le fil rouge de votre action ?
Tout dabord, il faut avoir à lesprit que ce ministère de plein exercice est de retour après 26 ans dabsence : les droits des femmes sont redevenus une politique publique à part entière, cohérente, transversale, intégrée dans laction gouvernementale.
Rien nest évident dans ce domaine car il pose bien la question du type de société dans laquelle nous voulons vivre. Les illusions sont nombreuses sur légalité réelle entre les hommes et les femmes. On pense communément que les "grands combats" sont derrière nous, que la loi garantit, de fait, légalité devant les droits, légalité professionnelle... Or, depuis des décennies rien na été fait pour travailler en profondeur sur les clichés, les représentations, et pour faire évoluer les mentalités qui cantonnent chaque sexe dans des rôles différents, et qui sont à la racine des inégalités et, dans le pire des cas, des violences.
Deux volontés politiques très fortes guident notre action :
veiller à lapplication effective des lois car les adopter ne suffit pas. Légalité professionnelle en est le meilleur exemple ;
faire évoluer en profondeur les mentalités sur le sujet de légalité femme/homme pour mettre fin à la reproduction des comportements dhabitude.
- Mais concernant un grand nombre de problématiques des droits des femmes, notamment celle du harcèlement sexuel ou du sexisme ordinaire, celles-ci évoluent avec une prise de conscience de l'ensemble de la société. Comment les politiques entendent-elles avoir un impact sur les mentalités ?
Cest vrai, il est plus facile dadopter les lois que de faire évoluer les mentalités en profondeur... Mais les vecteurs de changement existent bel et bien, comme lécole et les médias notamment.
Le premier levier est en effet lEducation nationale car cest dès le plus jeune âge que les représentations se construisent. Des enseignements à légalité seront mis en uvre dès la dernière classe de maternelle jusquà la fin du primaire. Des enseignements déducation à la sexualité sont également prévus au collège et au lycée. Cest aussi de la responsabilité des pouvoirs publics de former les enseignants à traiter de manière égale leurs élèves filles et garçons, pour leur offrir les mêmes perspectives. Ces différences de "chances offertes" se retrouvent plus tard quand on constate que les femmes noccupent que 12 familles de métiers sur 87. Linstauration du nouveau service public national de lorientation sera loccasion douvrir les métiers masculins aux filles et réciproquement.
Il sagit également dagir sur tout ce qui est source de représentations : la télévision, le cinéma, les affiches, la publicité, le sport
Dans chacun de ces domaines, le Comité interministériel aux droits des femmes est venu proposer des solutions pour que lon offre une image plus juste et équilibrée des hommes et des femmes. Il est demandé au CSA comme à France Télévisions de veiller à mieux réguler limage des femmes dans les médias. Les instances sportives doivent également mieux garantir la parité et ne plus se contenter de "proportionnalité". Nous travaillons également avec des agences comme l'ARPP, lAutorité de régulation de la publicité, pour que les mécanismes soient également renforcés dans ce domaine.
Pris isolément, tout cela peut paraître anecdotique, ou sans importance, mais ces inégalités invisibles tissent souvent notre quotidien, renforcent nos préjugés. On constate par exemple que la plupart du temps les femmes invitées lors des émissions de télévision ne sont pas expertes et occupent bien plus souvent la place de témoin, ou de victime. Cela marque durablement les esprits, notamment les plus jeunes.
Il ne sagit pas de jeter la pierre à quiconque mais dinciter à interroger ses réflexes inconscients. Autant développer la douceur et le courage chez les petites filles comme chez les petits garçons car ils auront besoin des deux pour sen sortir dans la vie.
- L'adoption de la loi sur le harcèlement sexuel renforce à la fois les sanctions et la protection des victimes, et constitue une première belle victoire du ministère
Oui, cela a été un beau sujet pour plusieurs raisons. Quand le 4 mai 2012 la décision du Conseil constitutionnel a été rendue, cela a été comme un coup de tonnerre dans le paysage public. Il était incroyable que ce délit disparaisse et que les victimes de harcèlement sexuel, essentiellement des femmes, se retrouvent sans protection. Leffet positif a été une mobilisation très forte des associations qui ont porté le sujet dans le débat public.
Le président de la République, qui était alors candidat, sest engagé à pallier très vite ce vide juridique dès quil serait élu. Donc finalement, la loi sur le harcèlement sexuel a été le premier engagement tenu de ce quinquennat. Ce message de tolérance zéro à légard des violences sexuelles dès le début du quinquennat a été un signal très fort.
Dautres mesures sont passées plus discrètement mais sont également très importantes, telles que lintégration dun trimestre de congé maternité dans le calcul des droits à la retraite, le remboursement de lIVG et de la contraception pour mineurs à 100 %. Et même si cela na pas été présenté comme tel, laugmentation de lallocation de rentrée scolaire de 25 % a apporté une réponse concrète aux problématiques des familles monoparentales, souvent des femmes seules très précaires.
- Quel est votre prochain "défi" législatif ?
Légalité professionnelle est un enjeu crucial : jai voulu le mettre à lordre du jour de la Grande Conférence sociale qui sest tenue en juillet 2012. Nous avons défini une feuille de route en commun avec les partenaires sociaux que nous appliquons ensemble dans les territoires, avec les expérimentations, ou au travers de négociations dans le secteur privé comme dans la fonction publique. Et vendredi 11 janvier une étape essentielle a été franchie par les partenaires sociaux. Un accord a été conclu sur une racine majeure de linégalité et de la précarité, la multiplication des temps partiels occupés principalement par les femmes (80 % des employés). Cet accord propose des moyens de régulation significatifs.
Lintroduction dun minimum horaire de 24h par semaine comme référence dans les négociations qui doivent souvrir, ainsi que la majoration des heures complémentaires dès la première heure à compter du 31 décembre 2013 sont des avancées importantes.
Cet accord vise à créer une réelle dynamique de négociation dans les secteurs professionnels sur ce sujet. Les branches qui occupent au moins 30 % de salariés à temps partiel devront ouvrir des négociations très rapidement, mais plus généralement tous les secteurs sont concernés.
Ces dispositions vont permettre de réduire la précarité des salariés et dagir sur les écarts de salaire entre les femmes et les hommes. La moitié des écarts entre les femmes et les hommes sexpliquent en effet par le temps partiel.
Cet accord constitue une première étape. Les partenaires sociaux négocient actuellement sur le thème de légalité professionnelle. Leur négociation doit sachever au début du mois de mars 2013. Le Gouvernement tirera toutes les conséquences de cette nouvelle négociation dans le cadre de la loi-cadre sur les droits des femmes qui sera présentée en mai 2013. Celle-ci viendra combler toutes les failles existantes de notre législation en termes de droits des femmes et dégalité. Elle abordera différents sujets, notamment laspect professionnel, les violences faites aux femmes, la question de la parité.
Par ailleurs, les régions peuvent également avoir un rôle particulièrement dynamique pour faire avancer légalité professionnelle. Nous testons dans neuf régions pilotes plusieurs dispositifs comme des conventions entre les écoles et les entreprises afin de permettre aux élèves filles de se réaliser dans des métiers dordinaire "réservés" aux garçons. De la même façon, des réponses innovantes y sont expérimentées pour aider les femmes ayant pris un congé parental de 3 ans à ne pas séloigner durablement de lemploi. Elles bénéficieront ainsi régulièrement dun mode de garde pendant leur congé pour pouvoir se former et se réinsérer professionnellement plus facilement à leur retour.
- Vous vous êtes exprimée sur les dérives du réseau social Twitter dont certains hashtags stigmatisaient les homosexuels de manière particulièrement discriminatoire. Comment sintègre cette prise de position dans votre action générale ?
Le Premier ministre ma confié la responsabilité dune mission sur la lutte contre les discriminations sexuelles et lidentité de genre, et cest dans ce cadre que je me suis exprimée. Les réseaux sociaux quand ils incitent à la haine de cette manière sinscrivent contre les principes démocratiques. Il faut être particulièrement vigilant sur ce terrain qui est aussi celui du racisme, de lantisémitisme ou du sexisme car les répercussions, sur les plus jeunes, sont très graves.
Il ny a rien de virtuel dans ces propos haineux et discriminatoires qui doivent rester exclus du champ de la liberté dexpression. Ma conviction est que ma responsabilité est dagir, pas de constater les dégâts et de les déplorer : internet nest pas une zone de non-droit.
Les utilisateurs de Twitter sont des citoyens et des justiciables qui ont droit à la protection de la loi, et qui sont responsables de ce quils font. Il ne sagit de censurer, mais dappliquer la loi, qui est une bonne loi. Nous savons que les difficultés sont importantes, mais nous resterons déterminés et combatifs, pour obtenir des résultats. Nous avons engagé un dialogue très encourageant avec Twitter pour trouver des solutions concrètes, dans un travail étroit avec les associations.
Jai dailleurs mené une concertation interministérielle avec elles : nous avons reçu plus dun millier de contributions et élaboré un programme d'actions contre les violences et discriminations commises à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre. Une ligne de secours SOS homophobie a désormais notre soutien, des trames dauditions vont être remises dans les commissariats pour recevoir les plaintes de manière adéquate Cette mission sur la lutte contre les discriminations sexuelles et lidentité de genre recouvre une grande importance pour moi, au côté de mes autres attributions de ministre des Droits des femmes et de porte-parole du Gouvernement.
Source http://www.gouvernement.fr, le 15 janvier 2013