Texte intégral
Jai eu le privilège au cours de ces dernières semaines dun long entretien avec Jean-Michel Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui rend public aujourdhui son rapport dactivité 2013.
Lors de cet entretien comme à loccasion de la remise de son rapport, cette personnalité éminente et unanimement respectée pour la pertinence de ses recommandations (la dernière à propos de létat des Baumettes à Marseille) a évoqué avec moi la possibilité dintervenir dans les EHPAD (Etablissements dHébergement des Personnes âgées Dépendantes) dont on sait que certaines, nombreuses, comportent des unités fermées pour les malades dAlzheimer.
Il conçoit cet éventuel élargissement de son champ daction dans une perspective de prévention. Des inspections administratives sont possibles en EHPAD (diligentées par les Agences Régionales de Santé (ARS) et/ou les Conseils généraux) mais reconnaissons quelles surviennent souvent à la suite dincidents ou daccidents et dévénements considérés comme relevant de la maltraitance. La possibilité dune visite inopinée du contrôleur général constituerait en effet un message de vigilance susceptible de prévenir et déviter des comportements non adaptés ou de voir perdurer des locaux inadéquats.
Pourtant, cette proposition qui a dores et déjà le mérite de poser des questions essentielles sur la liberté et les droits des résidents, se heurte à la fois à des difficultés concrètes et à des questions que je qualifierais de déontologiques.
Tout dabord les lieux « privatifs » de liberté constituent par définition des lieux où lon entre contre sa volonté. Une révision de cette définition imposerait un recours à la loi et il faudrait sans doute compléter par « lieux privatifs » par « lieux privatifs ou limitatifs de liberté ».
Mais une première question est tout de suite posée : le consentement dentrer des âgés est-il toujours plein et entier ? Les conditions du recueil de ce consentement sont-elles bien celles dans lesquelles on reçoit le « consentement éclairé » des personnes entrant dans des essais de recherche clinique et ce consentement répond-il à sa pleine définition ? Ma réponse est : nous pouvons et nous devons améliorer les unes et lautre. Je compte beaucoup sur notre loi dadaptation de la société au vieillissement pour avancer dans ce domaine. Les droits des âgés sont les droits de toute personne humaine mais ils doivent être explicités pour toutes les circonstances spécifiques quelles sont amenées à connaître. Celle-ci en est une et pas la moindre.
Par ailleurs, et cest un point majeur au regard de la diversité des EHPAD mais plus encore de la diversité des résidents et de leur état cognitif, est-il plus adéquat dassimiler ces établissements à des lieux limitatifs de liberté ou seulement considérer individuellement les droits des personnes, sans considération du lieu ?
Dans létat de nos règlements et de notre perception du grand âge, ma faveur va à la deuxième proposition. Considérer le lieu en soi comme limitatif de liberté aurait deux conséquences fâcheuses.
Il sagirait dun signe peu encourageant pour les âgés eux-mêmes de penser quils sont susceptibles dentrer dans un tel lieu ainsi défini, eux qui ont vécu jusquà un âge avancé avec leur pleine autonomie, dans un domicile qui leur était propre et qui, bien souvent, ont eu à traverser des moments (je pense en particulier aux guerres) où ils ont été amenés à défendre leur liberté. De plus, comment le vivraient les personnels de ces EHPAD ? Ils ont, à tous les niveaux, un métier difficile, exigeant où le dénominateur commun de leur engagement est de conserver aussi longtemps que possible, voire daméliorer lautonomie des résidents ? Ne serait-ce pas là aussi un mauvais signe que dassimiler le lieu de leur exercice comme un lieu limitatif de liberté et non comme un lieu où tout est tenté pour la préserver ?
Mon échange avec M. Delarue a été parfaitement positif. Il na méconnu aucune de ces réserves et nen a écarté aucune. Nous avons parlé des portes fermées, des unités fermées, des digicodes, de la possibilité de dispositifs de géolocalisation pour retrouver des résidents égarés. Sans tabou. Pour ma part la liberté de chaque résident, à tout instant et quel que soit son degré de perte dautonomie, doit être lastre supérieur qui commande chacune des décisions et des pratiques (portes fermées, dispositifs de géolocalisation ) en EHPAD. Comme partout.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 26 février 2013