Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé à France 2 le 20 août 2013, sur la réforme des retraites et la situation économique.

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Média : France 2

Texte intégral


GILLES BORNSTEIN
Bonjour à tous, bonjour Marisol TOURAINE.
MARISOL TOURAINE
Bonjour.
GILLES BORNSTEIN
Merci d’être là, à quoi rime un séminaire de rentrée sur 2025 quand on ne sait pas ce qui va nous arriver dans quelques semaines sur les retraites, j’espère que vous nous le direz, sur le budget ou sur l’emploi ?
MARISOL TOURAINE
La meilleure façon de préparer les décisions d’aujourd'hui c'est de réfléchir à ce que nous voulons être la France de demain. On ne peut pas inscrire une action avec simplement le nez sur le guidon et voir le prochain tournant. La droite elle a tellement été dans la réaction immédiate, clic-clac, un fait divers, une loi qu’elle ne peut pas comprendre que nous réfléchissions à l’avenir pour préparer précisément cet avenir et qu’il s’agisse de l’emploi, de la réorientation de notre activité économique, des décisions sociales à prendre, on voit bien que c’est en fonction de ce que nous voulons être la France de demain que nous devons prendre les décisions d’aujourd'hui.
GILLES BORNSTEIN
Alors il y en a un qui a brisé le consensus manifestement, c'est Jean PISANI-FERRY, le nouveau Commissaire général à la stratégie, là où tout le monde promettait le plein emploi, un logement pour tout le monde, lui il a promis une France plus vieille, plus petite et moins riche, ce qui ne fait pas vraiment rêver. Comment cette France-là pourra-t-elle préserver son modèle social dont vous avez la charge ?
MARISOL TOURAINE
C'est une des grandes questions que vous posez là et c'est ce sur quoi d’ailleurs, je suis intervenue hier au séminaire gouvernemental. Au fond, notre pacte social il fait partie de notre patrimoine républicain et un des grands enjeux, c’est de savoir comment ce pacte social, cette solidarité peut résister aux défis qui existent, le défi du vieillissement, la question du financement par exemple. Vous avez deux approches : soit vous vous dites, au fond, je dois tout faire pour maintenir ce qui est en l’état ; soit vous vous dites et c’est ce que nous préconisons, nous devons adapter ce modèle social pour faire en sorte qu’il prenne davantage en compte les réalités quotidiennes des gens. Je vous prends un exemple, vous évoquiez tout à l’heure la question de la retraite, mais je pourrais évidemment, évoquer d’autres sujets. Sur la question de la retraite, la réforme à laquelle je travaille aujourd'hui, à laquelle travaille le gouvernement c’est quoi ? Ca n’est pas simplement de dire je dois colmater des brèches et trouver du financement pour les quelques années qui sont devant nous, ça c’est ce qu’a fait la droite et on voit que, année après année, il faut y revenir. Ce que nous voulons faire c’est inscrire une nouvelle perspective et donner de la visibilité à l’ensemble des Français. Concrètement comment ? En disant il n’est pas normal que tout le monde parte à la retraite dans les mêmes conditions si les conditions de travail ne sont pas les mêmes. Eh bien une manière d’adapter, de moderniser, de sauver notre modèle social, c’est de faire en sorte qu’il prenne davantage en compte la réalité de la vie de chacun de nos concitoyens. Il y a des Français qui ont eu des carrières pénibles, j’en ai rencontrés, la semaine dernière j’étais avec le Premier ministre à rencontrer des salariés d’une entreprise qui creuse des tunnels, ils nous ont tous ces salariés, dit à la fois leur enthousiasme et leur passion pour leur travail et en même temps, j’ai pu constater qu’ils travaillent au quotidien dans des conditions pénibles. Il est donc normal que ces salariés ne partent pas dans les mêmes conditions à la retraite que vous ou moi.
GILLES BORNSTEIN
On parlera des retraites un peu plus tard, mais d’une manière générale, puisque la France sera plus petite et moins riche, est-ce qu’elle pourra garder son niveau de protection sociale ou est-ce qu’inéluctablement, nous serons moins protégés dans dix ou douze ans ?
MARISOL TOURAINE
Nous devons tout faire pour sauver le modèle social et c’est précisément pour cela, ce que je vous disais…
GILLES BORNSTEIN
Oui mais le sauver en l’adaptant par le bas.
MARISOL TOURAINE
Non, pas en l’adaptant par le bas, en faisant en sorte qu’il réponde mieux aux préoccupations des gens et qu’il réponde mieux au défi qu’il nous faut prendre en compte. Notre système de santé ne peut pas se reproduire sans transformation. Très concrètement, quelqu’un aujourd'hui qui est malade n’est pas malade comme l’était quelqu’un il y a trente ans. Il a besoin d’être suivi dans la durée, d’être davantage accompagné. Nous devons concentrer les moyens en direction précisément d’une réorganisation de notre système de santé, faire que le médecin généraliste près de chez vous travaille main dans la main avec l’hôpital par exemple. Nous devons faire en sorte que les services d’urgence soient réorganisés pour qu’ils puissent mieux prendre en charge ceux qui s’y présentent et donc nous avons des défis à relever. La droite elle au fond, elle peut s’accommoder d’une dérive du système social parce que si nous ne faisons rien, si nous ne l’adaptons pas, alors vous aurez ceux qui iront s’assurer chez des assureurs privés ou ceux qui iront vers des fonds de pension pour garantir leur retraite. La volonté de ce gouvernement, c’est précisément de prendre aujourd'hui les décisions qui permettront que dans dix ans, eh bien les Français puissent toujours compter sur un système social fort, rassembleur et protecteur.
GILLES BORNSTEIN
Alors dans une semaine, pas dans dix ans, c’est l’annonce de la réforme sur les retraites, un certain nombre de choses paraissent acquises, en particulier l’allongement de la durée de cotisation, est-il acquis, Marisol TOURAINE, qu’il y aura pour financer cette réforme, une augmentation de la CSG ?
MARISOL TOURAINE
Les décisions aujourd'hui ne sont pas encore prises, le Premier ministre rencontrera les organisations syndicales et patronales…
GILLES BORNSTEIN
Pour leur faire part des décisions du gouvernement, donc j’imagine qu’elles sont prises.
MARISOL TOURAINE
Pour faire part de l’architecture de la réforme. Nous sommes en train, ces derniers jours, de déterminer les choix qui doivent être présentés, la CSG est une des options, c’est une option qui a sa cohérence, il y a d’autres options sur la table. En tout cas l’essentiel de la réforme est évidemment d’apporter un financement qui consolide nos régimes de retraite dans la durée, mais on n’en restera pas là et nous ne pouvons pas en rester là. Ce qui serait dangereux précisément c’est de mettre sur la table une réforme des retraites qui se contente comme je vous le disais il y a un instant, de chercher à boucher les trous financiers que la droite nous a légués. Il s’agit véritablement d’engager une réforme dans la durée, pour l’avenir, pour donner de la confiance aux jeunes générations qui aujourd’hui, ne nous le cachons pas, sont interrogatives sur le fait de savoir si demain, lorsque viendra leur tour de partir à la retraite, elles pourront compter sur la solidarité nationale. Lorsque vous parlez avec des jeunes générations, vous entendez très souvent le sentiment que le moment venu, il n’y aura plus de régime de retraite. Notre responsabilité c’est de garantir que dans dix ans, dans vingt ans, il y aura toujours des régimes de retraite et que les Français contribuent aujourd'hui mais demain pourront compter sur la solidarité nationale.
GILLES BORNSTEIN
Hier au séminaire, des propos de Manuel VALLS rapportés dans la presse : l’Islam doit démontrer qu’il est compatible avec la démocratie, il faut s’interroger sur la question du regroupement familial. Est-ce que vous êtes d’accord avec ces propos ?
MARISOL TOURAINE
Des interventions ont eu lieu hier au séminaire, chacun a présenté des orientations en fonction de son propre champ de compétences, je crois que nous devons rappeler évidemment, que nous sommes dans un cadre républicain et que ce cadre républicain doit être réaffirmé, il y a des lois, il y a des règles, elles doivent être respectées par tous. Pour ma part je ne crois pas que la mise en cause du regroupement familial serait une manière de faire vivre notre cadre républicain. Pour autant, des règles existent et elles doivent être appliquées, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de dire que les mouvements de populations peuvent se faire comme bon semble à chacun. La France, la République a des règles, l’immigration doit être encadrée, pour autant, cet encadrement est connu, il est précisé et au fond il doit nous permettre de vivre tous ensemble.
GILLES BORNSTEIN
Mais vous l’avez dit, le regroupement familial n’a pas vocation à être remis en cause. J’ai une dernière question : l’abolition des peines plancher est une proposition du président de la République donc vous n’allez pas me dire que vous êtes contre, ma question : est-ce qu’il faut le faire tout de suite, est-ce que c’est une priorité du gouvernement ou est-ce qu’on a un peu le temps pour le faire ?
MARISOL TOURAINE
La garde des Sceaux présentera un projet de loi dans quelques semaines en Conseil des ministres qui viendra en discussion, l’enjeu c'est quoi ? C'est de faire en sorte que la récidive soit davantage prévenue, nous ne pouvons pas accepter qu’il y ait des récidivistes qui au fond se sentent impunis ou se sentent en situation de ne pas pouvoir être arrêtés. La question est, est-ce que la prison, est-ce que les peines plancher sont la meilleure façon d’y répondre ? C'est à cela que travaille la garde des Sceaux et je suis convaincue que le temps…
GILLES BORNSTEIN
Pour tout de suite ou pour après les municipales pour dire les choses clairement ?
MARISOL TOURAINE
… un projet de loi, un projet de loi sera présenté prochainement en Conseil des ministres, aujourd’hui nous en sommes au temps du débat et c’est évidemment à la garde des Sceaux de faire ses propositions.
GILLES BORNSTEIN
Merci Marisol TOURAINE, bonne journée.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 août 2013