Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à France-Info le 20 août 2013, sur la situation économique, l'emploi et le chômage.

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Média : France Info

Texte intégral


RAPHAËLLE DUCHEMIN
Bonjour, Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. Alors, comme ça, il parait qu’il n’y aura plus de problème d’emploi en 2025, il n’y aura plus de chômage, d’après votre collègue Pierre MOSCOVICI ?
MICHEL SAPIN
Vous le présentez de manière ironique, je crois qu’il ne faut pas faire comme cela. Pourquoi ? Parce que le chômage c’est à la fois une préoccupation immédiate, immédiate, là, dans le mois qui viennent, dans les semaines qui viennent, est-ce que c’est notre volonté ? Ce sera le cas ! On fait reculer le chômage parce que les Français attendent que l’on fasse reculer le chômage, parce qu’il y a des familles qui sont dans la difficulté, parce que ce sont des jeunes qui sont dans la recherche d’un emploi. Mais, en même temps, si on ne se projette pas à 10 ans d’ici, si on ne pense pas les emplois de demain, si on ne pense pas les nouvelles filières, les nouveaux emplois, mais on manque à notre devoir de gouvernant, donc bien gouverner – y compris sur le front du chômage – c’est se battre dans l’immédiat et c’est penser en même temps l’avenir pour que le plein emploi, qui est évidemment ce que l’on rechercher, ne soit pas simplement un moment, un passage, mais que ce soit quelque chose dans la durée.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et, dans 12 ans, c’est faisable ?
MICHEL SAPIN
Mais le plein emploi, je pense qu’on retrouvera une situation de bon emploi… alors je ne sais pas s’il faut dire plein emploi mais de bon emploi dans les années qui viennent, mais la question au fond elle n’est pas seulement là, un gouvernement qui serait le nez sur les 3 mois qui viennent est un gouvernement – je le répète – qui manquerait à ses devoirs, il doit aussi en même temps se projeter, et pas simplement penser emploi mais il faut penser travail… Il y a 5 millions de personnes aujourd’hui qui sont en mal-être par rapport à la quantité de travail soit parce qu’ils n’en ont pas du tout, soit parce qu’ils en ont trop peu, mais il y a 25 millions de Français qui sont au travail et qui ont droit aussi de savoir quelle qualité, qu’est-ce que ce sera le travail de demain, quelles seront les relations au sein de l’entreprise ? Parce que tout va bouger ! Alors de deux choses l’une, ou bien on laisse faire, ou bien on pilote, ou bien on organise et on fait en sorte que le travail de demain – qui sera une suite de métiers ou d’emplois et pas simplement un emploi pendant 40 ans – ça se passe bien, qu’il y ait une bonne transition, qu’il y a une formation professionnelle, qu’il y ait un accompagnement, c’est ça penser la France dans 10 ans.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et pour créer de l’emploi vous misez au gouvernement notamment sur les Emplois aidés, on fait un point sur les chiffres Michel SAPIN, les Emplois d’avenir vous espérez 100.000 contrats à la fin de l’année, vous en êtes à combien aujourd’hui ?
MICHEL SAPIN
On a dépassé les 48.000 ! Mais je ne vais pas vous faire une comptabilité comme ça, ça y est c’est parti les Emplois d’avenir, largement…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
On était à 30.000 au mois de juin !
MICHEL SAPIN
Comment ?
RAPHAËLLE DUCHEMIN
On était à 30.000 au mois de juin, donc 18.000 cet été de plus ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Oui, non mais c’est parti, ça va aller même très fort. Je vais vous dire une chose, on va les dépasser les 100.000 à la fin de cette année, parce que ça correspond tellement à un besoin de ces jeunes qui n’ont ni formation, ni emploi et à qui on offre une solution qui est une solution durable, ce n’est pas les occuper pendant quelques mois pour qu’ils ne soient plus au chômage, c’est une solution durable avec un emploi sur plus d’un an, jusqu’à 3 ans, avec une formation qui les accompagne. Donc, ça, cela marche extrêmement bien. Mais je voudrais revenir… lutter contre le chômage c’est 2 fronts, c’est le front de la croissance pour que les entreprises créent des emplois et en attendant, parce qu’il y a toujours un temps de latence entre la croissance qui revient, les entreprises qui vont mieux et le moment où elles embauchent, en attendant ce sont les Emplois dit aidés, mais ce n’est pas péjoratif un Emploi, c’est une volonté gouvernementale qui permet de trouver des solutions à des jeunes ou à des moins jeunes qui sont au chômage depuis trop longtemps.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Donc, on gère le court terme avec ces Emplois aidés et pour le long terme il faut attendre cette croissance qui…
MICHEL SAPIN
Mais on n’attend pas, elle est là…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Elle est...
MICHEL SAPIN
Elle est en train de naître.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
D’après l’INSEE, elle sera de 0,1% à la fin de l’année, ça ne suffit pas.
MICHEL SAPIN
Ah ! Eh bien ça n’est pas si mal, puisque tout le monde nous disait que ce serait – 0,2. Bien ! Donc, on a une croissance qui reprend.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Il en faut un peu plus pour créer de l’emploi et de la croissance ?
MICHEL SAPIN
Personne ne connait le chiffre ! Moi j’entends des chiffres, on nous dit : il faut 1,5, 1,8%...
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Mais c’est ce qui revient le plus souvent, 1,5.
MICHEL SAPIN
Ce sont des chiffres qu’on nous répète depuis 20 ans. Ecoutez, en 20 ans, il s’est passé des choses dans la France et dans le monde. Non ! Ce que nous voulons – mais là aussi c’est la France de dans 10 ans – c’est que la croissance, qu’il faut trouver, soit une croissance différente, une croissance durable et une croissance riche en emplois. Vous savez on pourrait avoir 2% de croissance sans créer d’emplois, eh bien moi je préfère qu’on ait 1% de croissance en créant des emplois.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Michel SAPIN, le gouvernement prépare une réforme des retraites - c’est l’un des gros dossiers de la rentrée - les syndicats vous mettent déjà la pression, il y a une journée de mobilisation prévue le 10 septembre. Est-ce qu’il faut faire une réforme des retraites, c’est une question que même au sein de votre parti certains se posent ?
MICHEL SAPIN
C’est parce qu’il y a toujours quelqu’un pour poser une question de cette nature ! Mais, écoutez, les Français…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Qui considère que ce n’est pas l’urgence, l’urgence justement…
MICHEL SAPIN
Les Français savent…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
C’est la croissance.
MICHEL SAPIN
Que, s’il n’y a pas une réforme des retraites – ce à quoi ils tiennent comme à la prunelle de leurs yeux, c'est-à-dire une retraite par répartition, une retraite de solidarité, non pas chacun pour soi mais les générations qui sont solidaires les unes par rapport aux autres – si on ne fait rien, ça va s’écrouler. Parce qu’on ne peut pas vivre avec des déficits de plusieurs milliards d’année en année, un déficit c’est une dette. Cette dette, elle est remboursée comment ? Par les générations qui suivent ! Et, à la fin, tout explose. Donc, oui…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et c’est pour ça que quelqu’un comme Jean-Luc MELENCHON dit : le problème du financement des retraites c’est surtout le niveau de l’emploi, c’est ça la priorité.
MICHEL SAPIN
MELENCHON, Jean-Luc MELENCHON il est ailleurs, il est dans un autre monde, il ne pense plus la réalité, il ne pense qu’à lui-même - donc laissons-le de côté - et pensons ce à quoi les Français pensent, c'est-à-dire l’avenir de leur retraite. Donc il faut une réforme des retraites, mais qui ait 2 caractéristiques : celle qui permet là encore l’immédiat et l’avenir, dans l’immédiat de trouver les financements nécessaires pour assurer le versement des pensions sans diminuer ces pensions, sans diminuer, en garantissant le pouvoir d’achat des pensions ; et puis il faut penser la retraite dans 10 ans, dans 20 ans, dans 30 ans, il faut qu’un jeune qui aujourd’hui rentre sur le marché du travail ait confiance dans son système de retraite, et c’est pour cela qu’il faut adapter en particulier la durée de cotisations - c’est une des propositions qui est sur la table – et qui permettra…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et qui a votre faveur ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Mais elle est évidente, elle est évidente, elle est d’ailleurs très partagée par beaucoup, puisque l’on vit plus longtemps il faut une durée de cotisations qui soit plus longue, sinon chacun voit bien que personne n’est capable d’assurer le financement durable du système des retraites. Mais il faut en même temps la justice et la justice c’est par exemple prendre en compte la pénibilité d’un travail, certains ont un travail pendant longtemps extrêmement pénible, si vous travaillez toutes les nuits à un moment donné je peux vous assurer que ça pèse sur votre santé, eh bien ceux-là auront le droit de partir à la retraite plus tôt.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Alors, puisque vous parlez de justice, pourquoi avoir d’emblée écarté les régimes spéciaux, on a l’impression que c’est toujours interdit quand un gouvernement s’attaque à la réforme des retraites les régimes spéciaux on les écarte ?
MICHEL SAPIN
Mais c’est tout à fait inexact ! Toutes les réformes qui vont être mises en oeuvre s’appliqueront à tous les Français, quel que soit leur régime, que vous soyez dans le privé, que vous soyez fonctionnaire, que vous soyez dans un ce qu’on appelle régime spécial, s’il y a un allongement de la durée de cotisations, ça vaudra pour tout le monde, il n’y aura aucune exception. Alors quand on dit régime spécial, je vous prends un exemple, on dit : les fonctionnaires ils sont avantagés parce qu’on calcule sur les 6 derniers mois alors que l’ensemble des Français c’est les 25 meilleures années, mais est-ce que vous pensez que si on alignait les fonctionnaires sur le système du privé ça rapporterait un euro ? Rien ! Parce que, pour une raison simple, c’est que dans le privé les 25 meilleures années sont souvent des années avec des primes - mais qui sont plus anciennes que les toutes dernières – savez-vous qu’il y a même presque la moitié des Français du privé qui prennent leur retraite alors qu’ils sont en préretraite ou au chômage, donc vous voyez bien avec des tous petits salaires, dans le public…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Et ce n’est pas…
MICHEL SAPIN
C’est l’inverse. Bien ! Bref, pour dire les choses, ça ne servirait à rien de vouloir mettre en oeuvre une réforme de cette nature qui ne rapporterait pas un euro et qui ne permettrait pas de mettre de la justice, c’est un faux-semblant…
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Mais, puisque vous parliez de jus…
MICHEL SAPIN
Ne le faisons pas.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Puisque vous parliez de justice, la plupart, quand on regarde la moyenne de départs à la retraite de ces régimes spéciaux, c’est autour de 54 – 55 ans, quand on demande aux Français de travailler plus longtemps aux autres… Voilà ! Ca pose des problèmes de justice quand même ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Mais là aussi, si on allonge la durée de cotisations – ce qui sera le cas pour tout le monde, de la même manière, quels que soient les Français – à ce moment là par définition chacun fera un choix entre l’âge de départ et le montant de sa pension, donc ceci revient au même. Ne mettons pas sur la table de faux débats qui ne servent à rien, regardons les choses en face, c’est déjà pas si simple que cela de financer dans l’immédiat les régimes de retraite et de mettre en place des réformes qui assureront la pérennité de la justice, de la retraite par répartition.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Un dernier mot aussi, Michel SAPIN, de ce qui s’est passé hier lors du séminaire de rentrée. Manuel VALLS, le ministre de l’Intérieur, a dit qu’il fallait repenser la politique migratoire d’ici 10 ans – notamment avec l’Afrique – et qu’il va falloir réfléchir à nouveau au regroupement familial puisque la démographie est très importante en Afrique…
MICHEL SAPIN
Mais vous y étiez ?
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Vous êtes d’accord ou pas ?
MICHEL SAPIN
Vous y étiez ?
RAPHAËLLE DUCHEMIN
C’est ce qui ressort partout ! Ce sont les…
MICHEL SAPIN
Mais c’est ce qui ressort, je ne sais pas de qui.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Vous l’avez entendu, vous, ou pas ?
MICHEL SAPIN
Eh bien il était à côté de moi, donc moi j’écoute les gens et je ne parle pas à l’extérieur pour dire n’importe quoi. Donc Manuel VALLS, ministre de l’Intérieur, dans la France de dans 10 ans, s’est projeté, il a dit : dans la France de dans 10 ans c’est quoi le rôle de l’immigration ? Quelle immigration ? Vous ne croyez pas que ça inquiète beaucoup de Français ça ?
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Mais je ne critique pas, je demande votre avis.
MICHEL SAPIN
… Bon… Donc c’est normal quand même de se poser la question, c’est quoi l’immigration dans 10 ans ? Il y aura l’immigration mais cette immigration doit être maîtrisée, évidemment maîtrisée, non pas interdite, non pas de rejeter, non pas la peur de l’étranger – ça c’est l’Extrême droite – mais une immigration humaine et maîtrisée. De même qu’il a dit, j’ai revu ça encore dans la presse ce matin, qu’il fallait, il fallait - c’est un enjeu énorme – démontrer aux français qu’il n’y a pas d’opposition entre l’islam et la démocratie, alors que tout le monde a en tête, j’ai vu ce qui se passe ici ou là qu’il pourrait y avoir une opposition, non, on peut être musulman comme on est aujourd’hui catholique et être extrêmement attaché au bon fonctionnement de la démocratie. Voilà aussi un très bel enjeu pour que chacun ait envie de vivre ensemble dans une France unie dans 10 ans.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Merci beaucoup Michel SAPIN, ministre du Travail et de l’Emploi, et invité de France Info ce matin.
MICHEL SAPIN
Merci.
RAPHAËLLE DUCHEMIN
Il est 8 h 26.
source : Service d'information du Gouvernement, le 21 août 2013