Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à RMC le 28 août 2013, sur la situation économique et le chômage des séniors.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité ce matin, Michel SAPIN, ministre du Travail. Michel SAPIN, bonjour.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je me tourne vers vous parce qu’exceptionnellement nous ne sommes pas face à face, Michel SAPIN, parce que je suis assisté d’un homme qui s’appelle Alain GUEZOU, qui a 56 ans.
ALAIN
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bonjour Alain, vous êtes notre grand témoin sur RMC depuis ce matin, Alain, 56 ans, vous cherchez du travail depuis 6 ans.
ALAIN
Je cumule les petits CDD depuis 6 ans on va dire.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, vous cumulez les petits CDD, vous avez travaillé dans un cabinet d’expertise comptable.
ALAIN
Oui, pendant 20 ans.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pendant 20 ans. Vous êtes ce qu’on appelle un précaire.
ALAIN
Un travailleur pauvre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un travailleur pauvre. Vous touchez le RSA.
ALAIN
Par alternance.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Par alternance, et vous allez être notre grand témoin, vous avez préparé trois, quatre questions à poser au ministre du Travail Michel SAPIN. Michel SAPIN, 6300 chômeurs de plus en juillet, +0,2%, +1,1% si l’on inclut les chômeurs ayant exercé une activité réduite, comment qualifier cette progression ? Quel mot emploieriez-vous ce matin ?
MICHEL SAPIN
La première chose, c’est le premier reflex, c’est de dire c’est 6000 de trop, puisque c’est 6000 de plus, et parmi ceux-là il y a peut-être quelqu’un qui vous ressemble, même si ceux-là viennent d’arriver au chômage alors que vous, la grande difficulté, c’est que vous l’êtes par intermittence, pour reprendre votre expression, depuis 6 ans.
ALAIN
Tout à fait.
MICHEL SAPIN
Donc c’est le premier reflex, c’est toujours 6000 de trop, et de ce point de vue là ce n’est pas l’inversion de la courbe du chômage. D’ailleurs, ce sont les chiffres de juillet.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous savez, je vais vous arrêter tout de suite Michel SAPIN, moi, cette histoire d’inversion de la courbe du chômage, je n’en parle plus, parce que je considère que c’est un artifice de communication, alors on va oublier cette inversion de la courbe du chômage.
MICHEL SAPIN
Eh bien je vais vous démentir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors allez-y, pourquoi ? Dites-moi.
MICHEL SAPIN
Et c’est le gros avantage de vous avoir, Monsieur, en face de nous. C’est qu’il y a des statistiques qui sont totalement invisibles, hors du temps. Si je vous parle de taux de prélèvements obligatoires, personne ne l’a rencontré au coin de la rue. Si je vous parle de taux de croissance – je préfère qu’il y ait de la croissance, il y a un retour de la croissance en France – personne ne rencontre le taux de croissance au coin de la rue. Mais si je vous dis, hausse ou baisse du chômage, ça c’est extrêmement concret. C’est quelqu’un, ici, là, sur ce plateau, ou c’est quelqu’un dans une famille, c’est quelqu’un autour de soi, qui est soit de plus au chômage, soit de moins.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais Michel SAPIN…
MICHEL SAPIN
Donc ce n’est pas un artifice de communication. Quand on dit cela, je pourrais le dire autrement, l’objectif du gouvernement c’est que d’ici à la fin de l’année le nombre des chômeurs diminue. Moins de chômeurs, c’est moins de personnes en difficulté. Moins de jeunes au chômage, ce sont des jeunes qui retrouvent l’espoir de construire leur vie. Moins de personnes au chômage depuis très longtemps, et ça c’est une des grandes questions d’aujourd’hui, parce que dans les chiffres il y a l’augmentation du nombre des chômeurs de très longue durée, comme vous Monsieur, donc voilà, c’est concret. Ce sont des gens, ce sont des regards, ce sont des personnes. Donc, je comprends que vous disiez que c’est un artifice de communication, ça ne l’est pas, c’est un objectif de politique économique et sociale, et nous atteindrons cet objectif. Donc pour reprendre comment je qualifie ce chiffre, pour reprendre votre question, je le qualifie d’un ralentissement, et avant d’inverser, avant de faire diminuer le nombre des chômeurs, il faut commencer par ralentir la hausse de ce chômage, c’est ce qui se passe. Nous allons dans la bonne direction.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Un ralentissement, ok, +0,2%.
MICHEL SAPIN
Et regardez pour les jeunes, la courbe du chômage…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, alors justement, il faut regarder les chiffres. Le nombre de jeunes au chômage diminue.
MICHEL SAPIN
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
0,8% pour juillet.
MICHEL SAPIN
Pour le troisième mois consécutif.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour le troisième consécutif, je suis d’accord.
MICHEL SAPIN
C’est important, parce que ces chiffres du chômage ils sont, comme on dit dans leur jargon, assez volatiles, parce qu’il suffit que Pôle Emploi ait travaillé une journée de plus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour les plus de 50 ans ça augmente…
MICHEL SAPIN
Oui, bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais on va s’attarder sur les jeunes. Emplois d’avenir, plus de 50 000.
MICHEL SAPIN
Oui, nous avons passé le cinquante millième lundi, mais là encore ce n’est pas une course aux chiffres, on ne va pas être dans une sorte de je ne sais pas quoi…de TELETHON.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C’est une course aux chiffres lorsque vous voulez inverser la baisse, la courbe.
MICHEL SAPIN
A chaque fois – moi je me déplace énormément – je ne l’ai pas fait au mois d’août, encore que si, je l’ai fait avec le président de la République, nous avons rencontré des jeunes en emplois d’avenir – mais, à chaque fois que je rencontre un jeune qui vient signer un contrat, un emploi d’avenir, c’est extraordinaire, il vous raconte ce qu’il a vécu, et ce qu’il a vécu c’était « je n’ai pas d’avenir », « on ne me fait pas confiance », « on ne me fait plus confiance », et là, à chaque fois ce sont 50 000 jeunes à qui la société a fait de nouveau confiance, ça change beaucoup de choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
100 000 à la fin de l’année, l’objectif sera tenu ?
MICHEL SAPIN
100 000 à la fin de l’année, il sera tenu, et je peux même dire que j’espère qu’il sera dépassé. Mais là encore, je ne fais pas du TELETHON.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon.
MICHEL SAPIN
C’est 100 000 personnes, 100 000 jeunes, qui auront trouvé une solution, et une solution durable, pas pour les occuper pendant quelques mois, j’entends parfois des critiques de cette nature, c’est assez scandaleux comme critiques, ce sont des emplois qui sont durables, pour au moins 1 an ou 3 ans, avec ce qu’il y a de plus important pour un chômeur, de quelle que nature qu’il soit, qu’il soit jeune ou qu’il soit plus âgé, c’est d’avoir la formation correspondante aux besoins actuels des entreprises.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Contrats de génération, combien ?
MICHEL SAPIN
Contrats de génération, ça a démarré fort, les petites entreprises, les moins de 50, et ça ne marche pas suffisamment bien dans les plus de 50, pour des raisons qui tiennent au fait qu’il faut des négociations, d’abord, entre partenaires sociaux. La date limite…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On en est à combien ?
MICHEL SAPIN
Je n’ai pas le chiffre là, je vous le donnerai bien sûr, mais je vous le donnerai à la fin du mois de septembre, c'est-à-dire au moment où la date limite des négociations dans les entreprises sera atteinte, et là je suis persuadé qu’il y aura énormément de contrats de génération.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien d’emplois aidés créés en 2013, combien ?
MICHEL SAPIN
Alors ce sont des chiffres qui sont toujours difficiles, mais ce qui est programmé par le gouvernement c’est qu’il y ait 330 000 emplois aidés classiques en plus, bien entendu, des emplois d’avenir. C'est-à-dire, pour le dire autrement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
… ça fait 400 000.
MICHEL SAPIN
Pour le dire autrement, ce sont les chiffres…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça fait 500 000 sur l’année quoi !
MICHEL SAPIN
Là c’est du... soyons très clairs. Je souhaite que d’ici à la fin de cette année, puisque c’est ça que vous voulez me faire dire, il y ait 100 000 personnes de plus qui sont aujourd’hui en difficulté, des jeunes ou des moins jeunes, et qui puissent retrouver un emploi et un espoir, voilà l’objectif…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc un emploi aidé.
MICHEL SAPIN
Un emploi qu’on appelle aidé, parce qu’à un moment donné il faut aider…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et qui coûte cher.
MICHEL SAPIN
Quand on est chômage…
JEAN-JACQUES BOURDIN
A l’Etat.
MICHEL SAPIN
Quand on est au RSA, est-ce qu’on ne coûte pas quelque chose d’une manière ou d’une autre ? Moi je préfère quelqu’un qui « coûte » - je n’aime pas beaucoup le terme de coûter quand on parle des hommes et des femmes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est d’accord.
MICHEL SAPIN
Mais je préfère quelqu’un qui « coûte » à la société quand il est au travail, plutôt que quelqu’un qui « coûte » à la société quand il est au chômage. Il ne faut pas avoir cette dévalorisation, que je ressens dans le terme de « emplois aidés. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est totalement d’accord Michel SAPIN, mais alors oublions toutes les statistiques, parce que j’ai la sensation qu’aujourd’hui, lorsqu’on parle emploi, on pense statistiques. Tiens, justement…
MICHEL SAPIN
Je crois vous avoir dit le contraire ! Je vous ai dit que derrière la statistique je ne voyais que des visages, je suis heureux de le votre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alain GUEZOU, qu’est-ce que vous vouliez dire à Michel SAPIN ? Quelle question avez-vous envie de lui poser ?
ALAIN
Avant de poser une question je voulais juste vous dire que, en tant que travailleur pauvre, je suis très très loin de tout ce que vous dites. Je ne comprends pas, je suis désolé, je ne comprends pas votre discours. Etre un travailleur pauvre aujourd’hui c’est être un esclave, c'est-à-dire que, effectivement – là je viens de finir un contrat aidé, pris en charge à 95% par l’Etat pour mon employeur, j’ai été un esclave pendant 6 mois, mais véritablement un esclave, parce que je pense que, avec toute l’intelligence que vous avez, parce que je pense que vous êtes quelqu’un d’intelligent, parce que ça fait assez longtemps qu’on vous suit quand même, ce n’est pas parce qu’on est précaire qu’on ne s’intéresse pas à la vie politique française. Vous oubliez une chose importante, c’est qu’avec les contrats aidés vous ne donnez plus l’espoir aux précaires de la notion de travail mais uniquement la notion de revenu.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire, expliquez-nous.
ALAIN
Moi j’ai fini mon contrat de travail au mois d’avril…
MICHEL SAPIN
Je suis prêt à répondre à ce point-là parce que c’est une critique qui est tout à fait justifiée.
ALAIN
Je viens de finir mon contrat de travail le 15 avril, donc depuis le 15 avril je viens de redépendre de Pôle Emploi en fait, et parce que je suis à Pôle Emploi, je n’ai plus droit au RSA, parce que je ne suis plus considéré comme un travailleur, et donc, quand on va me proposer un ixième CDD, ma première réaction avant de dire « oui, bien sûr, je le prends, c’est du travail, donc je retrouve un statut social, je retrouve de l’élan, je retrouve… », je vais dire « attendez, sur 12 mois, combien d’argent je vais perdre ? » Parce qu’à côté de ça, c’est ça où on en est aujourd’hui. Quand vous vivez avec 600 euros par mois, que vous êtes quatre dans un foyer, le statut social n’est plus important puisque de toute façon vous êtes dans le mépris depuis tellement longtemps. et ce que je trouve dommage de la part d’un homme comme vous, enfin pas vous en tant qu’individu, en tant que symbole d’un gouvernement, c’est que vous oubliez trop souvent, vous parlez toujours des jeunes, des jeunes, des jeunes, j’ai 56 ans, ça fait 6 ans qu’on me reproche d’être trop diplômé, ça fait 6 ans qu’on me reproche de coûter, de… effectivement ce qu’on disait tout à l’heure, peut-être que quand j’aurai pris ce travail-là je trouverai mieux ailleurs, mais si nous on a une expérience, et vous ne mettez pas à profit notre expérience. On a une valeur ajoutée dont personne ne se sert, et vous savez très bien, puisque vous êtes ministre du Travail, donc vous le savez pertinemment, quand on a 6 mois de présence à Pôle Emploi, on perd toute notion de réalité avec le monde du travail.
MICHEL SAPIN
D’abord je suis sensible à ces remarques, parce qu’elles correspondent aussi à des réflexions qui peuvent être les nôtres, et quand elles sont dites par celui qui le vit, ça a toujours beaucoup plus de force que par celui qui le regarde, même s’il peut le comprendre, comme je le suis moi-même. Mais je voudrais donner quelques éléments d’explication rapide et très concrète. Vous me dites je sors d’un contrat aidé de 6 mois, ça c’était les contrats aidés d’avant, d’ailleurs il vient de se terminer parce qu’il a été fait avant. J’ai souhaité, j’ai dit, que je ne voulais plus de ces contrats de très courte durée, qui ne permettent pas à quelqu’un de s’inscrire véritablement dans un nouveau devenir, dans une nouvelle… j’ai demandé à ce que les contrats aidés soient, en moyenne, d’1 an ou plus d’1 an. Pas pour occuper plus longtemps, mais pour permettre à celui qui est dans ce contrat aidé, dans ce poste-là, de s’inscrire dans la durée, comme vous le disiez vous-même, de ne pas simplement penser à ce qu’il va gagner, qui lui permet de survivre, mais de ce qu’il va faire derrière. J’ai demandé aussi, peut-être n’est-ce pas vrai forcément pour vous parce que vous avez par ailleurs une compétence extrêmement précise, qu’il y ait toujours de la formation, parce qu’il ne suffit pas, là encore, d’occuper, il faut permettre à quelqu’un, aux sortir de cet emploi aidé, d’être mieux à même de trouver un travail qu’avant qu’il n’y rentre. Donc voilà ce à quoi nous travaillons. Après, ce que vous décrivez, qui est très compliqué, mais c’est là aussi votre vie, c’est quand on alterne des moments de travail et des moments où on n’est pas au travail, avec, vous le savez, le mécanisme entre, on est payé, on a une allocation chômage et le RSA, le revenu que vous touchez, je crois, parfois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu’on est dans les statistiques du chômage ?
MICHEL SAPIN
Il l’est parfois, il ne l’est plus à d’autres moments, par alternance, on parlait de cette alternance. Je ne sais pas exactement si vous êtes aujourd’hui à Pôle Emploi…
ALAIN
Si si, je suis à Pôle Emploi.
MICHEL SAPIN
Il est dans les statistiques du chômage, il est dans ce nombre beaucoup trop important de personnes de 45 à 55, ou un peu plus, qui sont au chômage depuis très longtemps, et auxquels nous voulons essayer d’apporter des solutions. Je pense que ce n’est pas votre esprit, mais quand on s’occupe des jeunes de moins de 25 ans, on s’occupe de tout le monde, on s’occupe de la société, vous savez.
ALAIN
Dites-le. Dites-le.
MICHEL SAPIN
On s’occupe de tout le monde, mais on s’occupe de la société. Quand une société a un quart, un quart de ses jeunes de moins de 25 ans au chômage, ce n’est pas acceptable, voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je voudrais qu’on parle des retraites maintenant Michel SAPIN, les retraites, c’est assez simple, il y a d’un côté les pensions, une réforme que vous avez engagée – les pensions, le montant des pensions – une réforme que vous avez engagée, et puis le financement de cette réforme. Alors, les grandes lignes, c’est simple, on allonge la durée de cotisation.
MICHEL SAPIN
Après 2020.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, après 2020, 43 ans en 2035, qui va payer la hausse des cotisations, le salarié et le patron, 0,15% à partir de 2014, on est bien d’accord. Les pensions, il y a un point, qui n’a pas été souligné, mais qui nous fait hurler, enfin pas moi, mais qui fait hurler beaucoup, beaucoup de retraités qui nous écoutent, majoration des pensions le 1er octobre au lieu du 1er avril, c'est-à-dire 6 mois après, 6 mois plus tard. Pourquoi ?
MICHEL SAPIN
Vous savez qu’il y a un système qu’on appelle général, c’est celui dont on parle, est-ce que vous connaissez le montant de la pension maximale versée par le système de Sécurité Sociale ? Est-ce que vous l’avez en tête ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non.
MICHEL SAPIN
C’est 1250 euros.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J’allais dire autour de 1200.
MICHEL SAPIN
C'est-à-dire, ce dont nous parlons, c’est toujours de petites et toutes petites pensions, toutes petites pensions. Et puis il y a un système à côté qu’on appelle le système complémentaire, au-delà. Les partenaires sociaux ont décidé seuls, seuls, sur le complémentaire, pour rééquilibrer, et ils ont été courageux, de geler les pensions, de les geler, pour le dire autrement, par rapport au pouvoir d’achat, de les diminuer. Nous avons refusé de faire ainsi pour 1250 euros. Ça a été longtemps sur la table, on appelait ça, ce terme terrible, de désindexation…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez refusé pour les fameuses pensions de la Sécurité Sociale.
MICHEL SAPIN
Mais je vais vous le dire autrement, je vais le dire autrement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
MICHEL SAPIN
Nous garantissons le pouvoir d’achat de l’ensemble des pensions qui sont versées.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous retardez de 6 mois l’augmentation.
MICHEL SAPIN
On le retarde de 6 mois, mais on garantit l’évolution des pensions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire que l’augmentation qu’on devait toucher au 1er avril on la touchera le 1er octobre.
MICHEL SAPIN
Mais vous la toucherez, et ce qui a été prévu par les partenaires sociaux…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et l’Etat gagne combien en faisant ça ? L’Etat, nous, le système…
MICHEL SAPIN
Ce n’est pas l’Etat, c’est vous et moi, et c’est la Sécurité Sociale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, l’Etat, c’est vous et moi.
MICHEL SAPIN
C’est vous et moi, c’est la Sécurité Sociale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais combien, combien ?
MICHEL SAPIN
Et donc nous avons…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Combien ça va permettre à l’Etat d’économiser, quelle somme ?
MICHEL SAPIN
Monsieur BOURDIN, il y a quelques semaines, vous m’auriez posé la question : « Est-ce que vous allez baisser le pouvoir d’achat des retraités ? », je n’aurais pas pu vous répondre à ce moment-là puisque les choses étaient en discussion. Aujourd'hui je vous dis : le gouvernement refuse de baisser le pouvoir d’achat des pensions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous baissez ce pouvoir d’achat pendant six mois, puisque tout augmente pendant six mois !
MICHEL SAPIN
Pendant six mois, ce n’est pas pendant toute la vie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais vous baissez pendant six mois.
MICHEL SAPIN
C'est donc la garantie qui est donnée pour l’ensemble des retraités français que leur pouvoir d’achat ne baissera pas. Quand on disait : « Les retraités vont être touchés », non ! Les retraités voient la garantie de leur pouvoir d’achat et de leurs pensions.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C’est une remarque qui vient aussi partout, même de la gauche : pourquoi est-ce que vous ne touchez pas aux régimes spéciaux ? Pourquoi ? Répondez-moi.
MICHEL SAPIN
Franchement, ça c’est la vision punitive de notre société – punitive de notre société. Pourquoi faudrait-il du point de vue de la retraite toucher aux régimes spéciaux ? Est-ce que leur durée de cotisation sera la même que celle des autres cotisants ? La réponse est oui. C'est en cours d’alignement et les mesures que nous décidons pour 2020 et au-delà s’appliqueront à tous, y compris bien entendu à ceux qui sont ressortissants des régimes spéciaux. Est-ce que les cotisations seront différentes pour les régimes spéciaux que pour l’ensemble des Français ? La réponse est non. Ils payent les mêmes cotisations et les augmentations de cotisations dont vous avez parlé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Seront pour tout le monde.
MICHEL SAPIN
Seront payées par tout le monde, régimes spéciaux, fonctionnaires ou privés. Ils sont donc exactement – exactement – traités comme les autres. Alors parfois, qu’est-ce qu’on dit ? Où est la différence ? C'est sur la question de l’âge du départ à la retraite : ils peuvent partir plus tôt à la retraite. Il n’y a plus un seul conducteur de train qui parte à l’âge auquel il a le droit de partir à la retraite pour une raison très simple.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais ils partent plus tôt. Ils partent plus tôt.
MICHEL SAPIN
Non, non, monsieur BOURDIN. On peut le dire, on peut répéter cela sans fin, mais vous aurez tous les chiffres. Parce que certains de très bonne foi – c’est votre cas – pensent cela et ils pensent que si…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je vous pose la question, je n’en pense rien, moi, Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Vous avez le droit de penser quand même.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais je le garde pour moi.
MICHEL SAPIN
Vous avez le droit de penser, et je sais que vous le pensez. En tous les cas il y a des auditeurs, des téléspectateurs qui pensent de toute bonne foi qu’il y aurait en quelque sorte des privilégiés qui partiraient plus tôt, avec un montant plus élevé et en cotisant moins. Eh bien, ce n’est pas exact ! Donc ça ne sert à rien de vouloir en quelque sorte punir telle ou telle catégorie de Français. Je vais vous le dire autrement. Pour qu’une réforme soit structurelle, elle n’a pas besoin d’être cruelle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Ce serait cruel que d’aligner tous les régimes ?
MICHEL SAPIN
Mais c'est là où vous êtes en train de changer…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils ne sont pas alignés.
MICHEL SAPIN
Ils sont alignés. La durée de cotisation sera la même, le montant des cotisations sera le même, les modalités de calcul de la pension – on dit toujours dans le public ce sont les six derniers mois sur les vingt-cinq années…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils seront alignés en 2020.
MICHEL SAPIN
Ils le seront en 2020 et au-delà. C'est le processus. Donc tout le monde est traité de la même manière. Je crois qu’il faut en arrêter avec ces faux procès.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Très bien, très bien.
MICHEL SAPIN
C’est ce que je vous dis, en tous cas en ce qui me concerne, en toute conviction.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, bien. En ce qui concerne les entreprises, là aussi les chefs d’entreprise disent : « On nous avait promis des baisses de charges, et voilà qu’on nous met une augmentation des cotisations retraite. Et voilà qu’on nous met une cotisation pour la pénibilité, pour financer la pénibilité ». Mais où est la baisse des charges ?
MICHEL SAPIN
On va en parler. On a parlé des cotisations retraite, on voit pour quoi c'est fait. C’est fait pour financer à court terme le dispositif, qu’il ne s’écroule pas dans les cinq ans, dix ans qui viennent. Je crois que les Français sont plutôt attachés à ce que le dispositif puisse fonctionner. Pour ceux qui vont partir à la retraite, ils ont envie quand même de savoir s’ils vont toucher leur retraite. Ils la toucheront grâce à ce dispositif. Et puis au-delà de 2030 – alors ce n’est pas vous et moi qui sommes véritablement concernés – mais enfin mes enfants, peut-être les vôtres eux se sentent concernés. Ils ont envie, même si ce n’est pas leur préoccupation première, de savoir ce qui se passera lorsqu’ils partiront à la retraite. Ils peuvent être rassurés. Les problèmes dits de pénibilité, c'est une réalité. Vous avez des gens qui travaillent de manière extrêmement dure et qui, s’ils ne partent pas plus tôt que les autres à la retraite, auront une retraite beaucoup plus courte que les autres. Parce que, il faut le dire et c'est terrible à dire, les statistiques montrent qu’ils vont mourir plus tôt. Dans un premier temps, il faut bien pouvoir faire en sorte que ceux-là partent plus tôt à la retraite. C’est ça, la pénibilité. Au fond, c’est ce qui se passe pour certaines catégories de fonctionnaires. Quand on dit que les pompiers ou les policiers partent plus tôt, enfin ils sont dans des métiers de nuit, ce sont des métiers risqués, et cætera…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans le privé aussi, on est de nuit aussi.
MICHEL SAPIN
Dans le privé aussi, oui. Vous savez ce qui se passe là ? Nous allons essayer progressivement, par une autre méthode, d’aligner ce qui se passe dans le privé sur ce qui se passe dans le public sur certaines catégories de postes. C’est ça la pénibilité. Alors ça a un coût, ça a un coût et c'est la question que vous me posiez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire que dans certains métiers du privé difficiles, on travaillera moins longtemps. On partira plus tôt.
MICHEL SAPIN
On partira plus tôt. Pour dix années de travail pénible, on aura droit à un an de départ plus tôt que les autres.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, c'est une information importante. Pour dix années de travail pénible, on aura droit à un an de départ plus tôt.
MICHEL SAPIN
Oui, mais c’est ça la pénibilité. Dix ans, un an.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça c'est très important, très important.
MICHEL SAPIN
Et voyez, vous n’allez pas me dire : « Mais ce sont des privilégiés ». Non, vous allez me dire que c'est mérité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je ne porte aucun jugement. Je vous pose simplement des questions.
MICHEL SAPIN
J’essaye de raisonner avec l’ensemble des Français. Ce ne sont pas des privilégiés, ce sont des gens qui aujourd'hui vivent durement et donc ont le droit de partir un peu plus tôt.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça, c'est une très bonne information.
MICHEL SAPIN
Et ça coûte aux entreprises. Est-ce qu’il est anormal qu’un système de retraite ou un système de pénibilité soit financé aussi par les entreprises ? Les salariés, pour ce qui est des retraites, et l’entreprise pour ce qui est des retraites et de la pénibilité ? Non, c’est logique. C’est en lien avec le travail. Quand vous êtes à la retraite, c'est la suite de votre travail. Lorsque c'est de la pénibilité, c'est la conséquence de votre travail, donc il y a une logique et elle est reconnue par tous cette logique, y compris par le patronat. Simplement, et c'est là que je réponds à votre question, ça va coûter plus cher. Ça va coûter plus cher. Donc le gouvernement qui est quand même extrêmement conscient mais qui n’a pas attendu aujourd'hui pour parler de la compétitivité des entreprises – il y a même eu un rapport là-dessus, il y a même eu le CICE, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi qui a été mis en place, vingt milliards pour les entreprises – mais nous ne nous arrêterons pas là. Parce que c'est vrai que la compétitivité des entreprises, c’est l’emploi, c'est la capacité de créer des emplois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors qu’est-ce que vous promettez ce matin aux entreprises, aux chefs d’entreprise ?
MICHEL SAPIN
On ne promet pas, on est en train de décider. On n’est pas dans de la promesse. Ce n'est pas de la promesse.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On est bien d’accord. Parce que le Premier ministre a dit, a fait une promesse à Pierre GATTAZ : « Les charges vont baisser ».
MICHEL SAPIN
On n’est pas dans la promesse, on est dans la décision. Et donc, nous sommes en train de travailler mais pas seulement avec le patronat ; ça concerne tout le monde.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc transfert des charges familiales ?
MICHEL SAPIN
Mais c’est un sujet qui est sur la table depuis des années et des années. Je vous disais…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y aura un transfert des charges familiales ?
MICHEL SAPIN
Il faut financer autrement le système familial. Pourquoi ? Parce que le fait qu’il y ait…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il y aura transfert des charges familiales.
MICHEL SAPIN
Le fait que vous ayez des enfants n’est pas en lien avec votre travail, donc il n’y a pas de raison que ce soit financé par les entreprises. Il y aura transfert progressif dans des conditions qu’il faut discuter d’une partie du financement de la famille et de la maladie vers d’autres modes de financement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
CSG ? TVA ?
MICHEL SAPIN
À chaque fois qu’on vous donne une réponse, vous voulez la suivante ! Permettez-nous de considérer que c'est dans la discussion. De même que s’agissant du régime de retraite on ne vous a pas tout dit tout de suite - on a attendu que toutes les concertations aient eu lieu pour qu’hier soir le Premier ministre vous présente le plan dans sa globalité – il en ira de même, mais pas à la Saint Glin-glin. Ce n’est pas des décisions pour dans quinze ans, c’est des décisions pour dans trois semaines.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc dans trois semaines, les chefs d’entreprise sauront...
MICHEL SAPIN
Sauront exactement ce qu’il se passe en termes d’évolution de leurs charges, mais c’est important. Il faut assurer le financement de la sécurité sociale et de la retraite, mais il faut assurer le financement des entreprises, il faut assurer le financement de la création d’emplois. On parlait des emplois aidés au départ : c'est indispensable. Il faut qu’ils soient meilleurs, il faut qu’ils soient plus intelligents, plus adaptés et vous avez eu raison de critiquer un certain nombre d’emplois aidés d’aujourd'hui, mais il faut aussi qu’il y ait des emplois qui se créent dans les entreprises. Les vrais emplois, les plus durables, celui que vous cherchez, c'est l’emploi dans une entreprise qui a besoin de votre compétence et qui a besoin de votre expérience. Et j’espère qu’il y aura un contrat de génération qui pourra être signé et dans lequel vous serez celui qui apporte l’expérience au plus jeune de moins de vingt-cinq ans auquel vous pensez aussi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Merci.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 août 2013