Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur l'application de l'accord sur la sécurisation de l'emploi, Paris le 10 septembre 2013.

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Circonstance : Les rendez-vous Lamy/Liaisons sociales à Paris le 10 septembre 2013

Texte intégral


Votre rendez-vous porte sur l’application de l’accord et de la loi sur la sécurisation de l’emploi, et je vous félicite de cette initiative car en effet « c’est maintenant » qu’il faut s’emparer de ce texte et en faire un élément de changement, de dialogue et de progrès dans les entreprises.
Vous êtes tous ici des acteurs de la sécurisation de l’emploi, selon que vous soyez chefs d’entreprises, DRH, syndicalistes, mais aussi des conseils (avocats, consultants), des analystes et commentateurs (journalistes économiques et sociaux ou universitaires), des magistrats et des représentants de l’Etat. C’est vous qui faites la vie économique et sociale de notre pays, dans beaucoup de ses composantes. C’est à vous – comme à moi, ministre du travail, administration du travail, Direccte, inspection du travail que nous rénovons – qu’appartient désormais la loi de sécurisation de l’emploi pour la faire entrer dans les faits. C’est le moment de passer aux travaux pratiques.
Avant de venir sur ces enjeux de mise en œuvre, un petit retour en arrière sur la genèse de ce texte.
Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités l’année dernière, un des premiers actes du Gouvernement a été la convocation d’une grande conférence sociale pour établir une « feuille de route » des négociations et des actions de l’année à venir. L’emploi était évidement au cœur de cette grande conférence. L’enjeu était considérable : répondre à l’urgence sociale –les emplois d’avenir, les contrats de génération – mais aussi changer en profondeur le fonctionnement de notre marché du travail, structurellement.
Beaucoup étaient sceptiques. Un accord des partenaires sociaux sur le marché de l’emploi semblait à beaucoup peu probable compte tenu de la situation économique. Les précédentes négociations des trois dernières décennies avaient échoué, ou alors accouché d’accords partiels –pas forcement inintéressants, comme la création des ruptures conventionnelles, mais limité.
Le choix que nous avons fait au terme de ces deux jours, conjointement avec les partenaires sociaux, c’est le pari d’une négociation ambitieuse parce que très large. L’idée –pas forcement intuitive – était la suivante : il sera moins difficile de parvenir à un accord sur un champ très large, parce que sur un champ très large il sera plus facile de trouver des compromis et des équilibres que sur un champ étroit. J’ai donc été très clair dans le « document d’orientation » de cette négociation : l’accord devait porter sur tous les sujets et non sur quelques thématiques choisies faute de parvenir à un accord global :
- Lutter contre la précarité sur le marché du travail,
- Progresser dans l’anticipation des évolutions de l’activité et des compétences,
- Améliorer les dispositifs de maintien de l’emploi face aux aléas de la conjoncture, pour tourner le dos à cette préférence trop française pour le licenciement,
- Améliorer les procédures de licenciements collectifs, lorsqu’ils n’ont pu être évités par les actions d’anticipation, pour concilier un meilleur accompagnement des salariés et une plus grande sécurité juridique pour les entreprises comme pour les salariés. L’accord est venu le 11 janvier 2013 au terme d’un processus de négociation relativement court eu égard à son ampleur.
Nous n’étions pas si nombreux à croire qu’un équilibre global était possible. Il le fut.
Nous étions déjà un peu plus nombreux à penser que, de cet ANI, pourrait sortir une loi sans ambiguïté. Nous avons réussi, dans un dialogue plus que constant, quasi permanent, avec les partenaires sociaux, à traduire l’ANI en droit, dans la loyauté vis-à-vis du texte des signataires et dans l’écoute des non signataires qui ont continué à être associés au processus. Dans ces moments de contact permanent, je me suis dit que le dialogue social à la française était en train de s’affirmer comme méthode, de sortir des discours pour entrer dans les faits, dans une pratique concrète, lente, difficile… et porteuse de changements véritables.
Mais les étapes étaient encore nombreuses, à commencer par le passage au parlement sans dénaturer l’accord et sans renier aucune des prérogatives de la représentation nationale. La démocratie politique a su respecter la démocratie sociale tout en améliorant les points qui devaient l’être. La loi fut votée.
Cette loi de sécurisation de l’emploi, elle vient s’inscrire dans une stratégie globale pour l’emploi :
- Soutenir l’emploi en période de crise, mener une politique conjoncturelle de création d’emplois aidés -parce qu’il faut des solutions tout de suite- et l’assumer.
- Propulser nos entreprises par un acte fort pour la compétitivité, un acte qu’aucun autre gouvernement n’a fait : baisser de 20 milliards les charges avec le CICE, mettre en œuvre les mesures du rapport Gallois.
- Donner aux acteurs économiques et sociaux les pouvoir d’anticiper et de négocier des alternatives aux licenciements, dans un cadre de droits garantis et renforcés pour chacun, de sorte que l’emploi ne soit pas la variable systématique d’ajustement.
Voilà notre stratégie, une stratégie fondée sur la complémentarité des leviers que nous actionnons, de tous les moteurs que nous avons allumés. Et c’est ainsi que notre pays inversera durablement la courbe du chômage, pas simplement à la fin de l’année mais durablement.
J’en viens aux enjeux de mise en œuvre effective de la sécurisation de l’emploi. C’est évidement l’étape décisive, celle qui transforme des opportunités nouvelles ouvertes par la loi en un changement et un progrès réel, pour les entreprises, pour les salariés, et pour finir pour la collectivité toute entière.
Je suis confiant dans la capacité des entreprises, des DRH, des partenaires sociaux, à se saisir de ces nouvelles opportunités en privilégiant la négociation.
Je prendrai deux exemples illustrant le volet plus défensif de la loi.
Les accords de maintien de l’emploi J’ai entendu beaucoup de choses sur les accords de maintien de l’emploi. Tantôt, on les accuse de rendre les licenciements plus faciles, tantôt d’être tellement restrictifs qu’aucune entreprise ne pourrait en conclure.
Il est vrai que les partenaires sociaux, et le gouvernement également, ont souhaité que ces accords soient bien encadrés. L’accord doit notamment être signé « par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés », car, comme l’a fort bien exprimé Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH, « plus un accord est difficile, plus il doit avoir une superficie syndicale suffisante ». C’est la condition de son succès.
L’heure n’est pas au bilan, quelques accords de maintien de l’emploi seulement ont déjà signés et c’est normal. Le premier l’a été dans l’entreprise Walor (fabricant des pièces métalliques pour l’automobile, près de Nantes) et a permis d’éviter un projet de licenciements envisagé initialement par l’entreprise. J’ai été frappé par ce qu’a dit une déléguée syndicale : « c’est un gros travail. Crevant, usant, mais je crois qu’on pourra être fier du résultat et de l’accord final ». Elle dit à la fois la difficulté, l’effort, le risque, mais aussi le sentiment d’une responsabilité devant les salariés.
C’est bien l’objectif de la loi que de dégager des espaces de négociation pour des acteurs renforcés, afin de préserver des emplois. Nous serons nombreux à suivre de prés les accords qui vont se signer, et bien sûr leur application et leurs résultats.
Sur les procédures de licenciements collectifs Pour ce qui est de la nouvelle procédure de licenciements collectifs, nous n’avons par définition pas encore le recul nécessaire. 2 mois pour les plus petits PSE + 21 jours pour l’homologation, à partir du 1er juillet, nous n’y sommes pas encore. 79 procédures exactement ont été engagées (au passage on n’observe pas de « raz de marée » prédit par certains pour « profiter » de la nouvelle loi).
Mais nous avons néanmoins déjà des décisions parmi ces 79 procédures en juillet et août, dans des procédures collectives de redressement et liquidation judiciaires où les délais sont par nature plus courts : 35 décisions exactement ont déjà été prises par les Direccte.
Les Direccte ont à plusieurs reprises refusé l’homologation (5 fois précisément) lors de la première demande ce qui a permis d’améliorer le contenu du PSE ou de rectifier des procédures.
Mais le plus important dans ces tout premiers pas est que la négociation entre les partenaires sociaux en sort nettement renforcée : dans les entreprises concernées, il y a négociation dans près des trois quarts des cas. Celle-ci prend des formes différentes : tantôt en amont de toute procédure de consultation, dans 1/3 des cas, parfois en parallèle. Plusieurs accords majoritaires ont d’ores et déjà été conclus.
Nous en sommes aux prémisses, mais ces premiers éléments sont encourageants. Ils montrent que, pour surmonter ces périodes difficiles, tragiques pour les salariés qui perdent leur emploi, la voie du dialogue permet de trouver les meilleures solutions.
Les mesures qui renforcent l’anticipation à froid (GPEC renforcée, consultation sur la stratégie, plan de formation….) doivent progressivement se mettre en place et produire leurs effets. Ces effets sont moins directement visibles, mais ils auront des conséquences durables pour éviter que les difficultés ne surviennent et préserver ainsi l’emploi. La réforme de la formation professionnelle viendra également apporter une contribution importante à la prévention des difficultés en renforçant les compétences des salariés.
Je crois dans la pertinence des mesures de la loi de sécurisation de l’emploi, et plus encore à l’esprit qui l’inspire : celui d’une confiance dans la capacité des acteurs –entreprises, DRH, délégués syndicaux, salariés eux-mêmes – à trouver ensemble des solutions, des compromis, des équilibres négociés, toujours préférables aux solutions subies, au conflit, aux guérillas judiciaires sans fins qui se résolvent des années après lorsque l’usine a fermé et que les emplois ont disparus.
A petits pas, notre pays se forge sa propre culture de négociation. A l’orée de ce changement d’ampleur, il est légitime d’avoir des interrogations, de ressentir le besoin de bien comprendre le nouveau cadre d’action.
Je ne doute pas que cette journée vous apportera des éclairages utiles et que vous serez dès demain si ce n’est déjà fait, les acteurs de ce nouveau modèle social.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 11 septembre 2013