Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la formation professionnelle, notamment le compte personnel de formation, Paris le 11 septembre 2013.

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Circonstance : Entretiens de la cohésion sociale à Paris le 11 septembre 2013

Texte intégral


Mesdames et messieurs,
Je voudrais commencer par remercier Jean-Paul Bailly et Claude Bébéar de m’avoir invité à ouvrir ces « entretiens de la cohésion sociale ». L’an dernier j’étais venu conclure votre session intitulée « entreprise et pacte social, quelle nouvelle donne ? ». C’était le 7 septembre, précisément le jour de la publication du document d’orientation pour la négociation sur la sécurisation de l’emploi. Un an plus tard, il y a bel et bien une nouvelle donne dans l’entreprise : de nouvelles capacités d’adaptation, des droits nouveaux pour les salariés et surtout le pouvoir de négocier ensemble des compromis et des solutions alternatives au licenciement.
Cette année, j’ai de l’avance sur vous ! Le document d’orientation pour la négociation sur la formation professionnelle est parti le 8 juillet. Et si jamais vous aviez l’intention de m’inviter en septembre 2014, je prends les paris que nous aurons alors accompli une autre grande réforme, celle de la formation professionnelle.
« Formation professionnelle, la dernière chance », dites-vous. Je ne sais pas, mais je sais par contre, c’est que c’est le moment ! Et je suis d’ailleurs là pour vous dire que j’ai besoin de vous à ce moment précis.
Je suis convaincu que ce type de rencontres, où se croisent les regards de chefs d’entreprises, de praticiens du dialogue social et des ressources humaines, de politiques, d’universitaires, font progresser les idées et émerger des solutions innovantes. Plus encore elles doivent inspirer les négociateurs… pour réussir la réforme profonde, ambitieuse, dont nous reconnaissons tous la nécessité.
J’ai envie de dire que nous n’en sommes plus au stade des seules idées, nous passons aux travaux pratiques.
* Les partenaires sociaux entament la négociation interprofessionnelle sur la formation professionnelle le 24 septembre
* La concertation quadripartite Etat-Régions-partenaires sociaux sur le compte personnel de formation, que Jean Marie Marx a bien voulu animer- reprend le 1er octobre.
* La concertation sur le développement de l’apprentissage démarre avec les acteurs concernés dès ce mercredi.
Donc, oui, c’est le moment pour une « nouvelle donne » !
La grande loi de la formation professionnelle date de 1971, la loi Delors.
Dans la France de 1971, le niveau d’éducation était faible : 18% d’une génération accède à l’université et l’âge moyen de fin d’études est 18 ans. Cette loi a posé les fondements de la formation continue. Combinée à la « révolution scolaire » des années 80, elle a permis, à la fin des années 90, que 50% d’une génération accède à l’université. Depuis, l’effort de formation semble plafonner. La participation financière des entreprises ne progresse plus et stagne à un niveau inférieur à 3% de la masse salariale. Les différents moteurs de l’ascenseur social, dont la formation continue, paraissent grippés. Comme si la loi de 1971 avait produit tous ses effets et atteint aujourd’hui une forme d’épuisement.
C’est pourquoi un nouvel élan en faveur de la formation tout au long de la vie est nécessaire.
Mais le contexte est différent :
* En 1971, le chômage n’existait (presque) pas. A la formation des salariés s’ajoute aujourd’hui l’enjeu de formation des chômeurs pour qu’ils reviennent dans l’emploi. Le pas à franchir est plus exigeant : les salariés déjà dans l’entreprise perçoivent plus facilement -en lien avec leur employeur ou leur DRH- l’évolution de leur métier et les compétences à acquérir. Pour les demandeurs d’emploi, plus le chômage se prolonge, plus le risque de déconnexion des compétences s’accroît.
* L’autre enjeu nouveau, c’est la compétitivité. Depuis les années 1970 la mondialisation a fait son œuvre et mis la France en concurrence avec de nouveaux pays.
De nouvelles mutations industrielles sont à l’œuvre. Chaque époque est portée par une matière première : le papier n’est pas étranger à la Renaissance, le charbon a fait la Révolution industrielle, le pétrole a porté les Trente Glorieuses… : qui portera la croissance de demain ? J’ai l’intuition que la dématérialisation que nous connaissons dans le travail ou la vie de tous les jours va jouer à plein. Ce qui tirera demain l’économie, ce seront d’abord les compétences ; ce qui fera la compétitivité, ce sera d’abord la connaissance.
La formation professionnelle est donc un véritable investissement d’avenir et de performance, pour des salariés plus efficaces et productifs, mais aussi plus épanouis et disponibles pour progresser.
C’est le message que je suis venu porter : la réforme de la formation professionnelle c’est une composante majeure de notre pacte de compétitivité.
D’autant que – autre donnée nouvelle – l’économie va plus vite que jamais. Les compétences doivent suivre le mouvement.
Je sais que recruter des personnes qualifiées est une des préoccupations majeures des entreprises. La puissance publique a une responsabilité : mieux orienter les demandeurs d’emploi vers la formation, développer l’alternance pour les jeunes, construire des formations en lien avec les besoins de recrutement. Mais vous avez aussi la vôtre en tant qu’entreprise : ouvrir d’avantage la porte des entreprises aux jeunes, maintenir la capacité de chaque salarié à occuper un emploi, leur donner la possibilité de progresser.
Il nous faut donc un appareil de formation plus agile et des entreprises plus impliquées.
Dans ce mouvement, la formation professionnelle est l’un des meilleurs moyens de permettre une transition sécurisée d’un métier à un autre. Elle constitue une brique majeure de la sécurité sociale professionnelle que nous voulons construire, que nous avons commencé à construire.
Pour toutes ces raisons, je le redis, le moment est venu d’une grande réforme. J’en viens aux axes de progrès qu’il faudra dégager par la négociation.
1- Rendre chacun acteur de son parcours
L’un des enjeux de la réforme est d’accroître l’envie des salariés de se former. Le futur compte personnel de formation doit y contribuer. En dotant la personne de droits à la formation qui lui demeurent attachés, le compte personnel devra favoriser l’initiative et la capacité de proposition des salariés.
Mais il y a des conditions pour que le compte personnel soit un succès :
* d’abord il ne doit pas s’enliser dans les mêmes écueils que le DIF. Le DIF ne bénéficiait pas d’un financement dédié. Les formations initiées dans ce cadre relevaient trop souvent du plan de formation. Le compte personnel de formation doit bénéficier d’un financement spécifique afin de ne pas être dégradé et rabattu sur d’autres dispositifs. Il doit affirmer son ambition qualifiante afin de constituer le levier d’une véritable évolution professionnelle.
* Pour autant, le compte personnel ne doit pas faire reposer sur les salariés une obligation qui reste celle de l’employeur : maintenir la capacité de ses salariés à occuper un emploi, ce que certains appellent d’un mot que je n’aime pas « l’employabilité » des salariés. En clair, le compte personnel nous invite à trouver un nouvel équilibre entre ce qui relève de l’initiative individuelle d’une part, et de la sécurité collective d’autre part.
* Autre condition de succès : la capacité d’initiative doit être accompagnée. La mise en œuvre du compte doit aller de pair avec le renforcement de l’information sur la formation et de la gestion des parcours professionnels dans l’entreprise.
La concertation quadripartite Etat-Régions-Partenaires sociaux autour du compte va permettre également la création à l’extérieur de l’entreprise d’un nouveau service de conseil en évolution professionnelle.
Mais si chaque salarié devra prendre à bras le corps les nouvelles possibilités de formation et de progression ouvertes par le compte, les salariés collectivement devront aussi peser davantage en tant qu’acteur au sein de l’entreprise sur l’enjeu formation. L’ANI puis la loi de sécurisation de l’emploi a créé de nouvelles modalités d’association des salariés à la construction du plan de formation. Faut-il aller plus loin, envisager la négociation du plan de formation, pour certaines de ses composantes, pour certaines entreprises ? Je sais que certains d’entre vous y êtes prêts. La question est ouverte et la balle est désormais dans le camp des partenaires sociaux.
2- Investir dans la formation professionnelle Si le moment est venu pour que chacun s’empare mieux de la formation professionnelle, alors le temps est venu aussi d’en modifier le financement. Vous le savez à travers la contribution des entreprises au financement du plan de formation – le fameux 0,9% - la France est l’un des rares pays à traduire l’obligation de formation qui pèse légitimement sur l’employeur en une obligation fiscale.
Or je fais un double constat :
- les entreprises vont bien au-delà de cette obligation, ce qui signifie que les dépenses de formation professionnelle sont spontanément conformes à leur intérêt économique ;
- et en même temps, je le disais, leur investissement en la matière plafonne depuis plusieurs années.
J’entends souvent dire aussi, par des employeurs ou des syndicalistes, que la dépense de formation est souvent vécue comme un processus bureaucratique au sein de l’entreprise. Là encore je souhaite que les partenaires sociaux s’emparent de ce sujet à l’occasion de la négociation qui s’engage. Ma préoccupation est double : il faut que le système libère au mieux les énergies positives de la formation, tout en apportant les garanties indispensables pour améliorer l’accès de ceux qui en sont le plus éloignés aujourd’hui : les salariés peu ou pas qualifiés et les petites entreprises.
Pour la stratégie de formation des entreprises aussi, je suis prêt si les partenaires le souhaitent à un nouvel équilibre entre liberté d’initiative et régulation collective, y compris révisant l’obligation fiscale actuelle.
Pour peu, naturellement, que les entreprises assument davantage la responsabilité qui est la leur en contribuant pleinement à la sécurité professionnelle des actifs : en consolidant son effort en faveur de la formation des plus fragiles ; en permettant au dialogue social dans l’entreprise d’assortir les usages de la formation de garanties collectives ; en s’investissant dans l’orientation professionnelle tout au long de la vie de ses salariés !
3 -Développer l’alternance Je ne saurais clore mon propos sans évoquer la question cruciale de la formation des jeunes et en particulier l’apprentissage.
L’apprentissage est pour les jeunes une voie efficace et reconnue d’accès à l’emploi et la qualification. Notre objectif est de faire progresser le nombre d’apprentis de 435 000 aujourd’hui à 500 000 en 2017.
Je sais qu’il existe des craintes parmi les organisations professionnelles à propos de cette rentrée en apprentissage. Sur ce point rien n’est joué et là encore le début de l’automne sera décisif : sur les premiers mois (juin – juillet) de la campagne 2013-2014, le nombre de contrats enregistrés est en effet à peu près stable par rapport à la même période de l’année 2012 (-0,2 %). Mais la mobilisation des branches, des employeurs et des CFA est plus que jamais nécessaire pour maintenir la dynamique de l’apprentissage.
Au-delà de cette rentrée nous engageons des réformes structurelles en faveur de l’alternance. Des premières initiatives son prises : les aides aux employeurs, qui se sont sédimentées au fil du temps sans mesure de leur impact réel, seront mieux ciblées ; la réforme des retraites prévoit une amélioration substantielle des droits des apprentis.
Mais avec la concertation sur l’apprentissage qui s’engage cet après midi, nous souhaitons aller plus loin, avec la double préoccupation de l’efficacité et de la simplification. Deux exemples :
* nous voulons qu’une part plus importante du produit de la taxe d’apprentissage aille vers l’apprentissage, afin d’accroître les ressources disponibles pour développer les formations par alternance, des premiers niveaux de qualification aux niveaux supérieurs.
* Le dispositif de collecte - avec ses plus de 140 OCTA ! - doit être simplifié afin de faciliter l’affectation de la taxe par les entreprises, de réduire les coûts de gestion du système et de mieux orienter les ressources vers les CFA qui en ont besoin.
Vous le voyez, les enjeux sont là, les acteurs sont là, la volonté politique de l’Etat pour des reformes en profondeur est là, les négociations vont s’engager.
Mais rien n’est gagné. Tout se joue dans les semaines et mois qui viennent, et ma conviction est que rien ne se fera sans vous. A vous de peser dans la négociation (je sais que vous contribuez fréquemment), à vous par la suite -dans vos entreprises et vos cabinets- de donner corps à cette réforme dont je souhaite qu’elle aussi fasse date.
Je vous remercie, et suis prêt à répondre à vos questions.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 12 septembre 2013