Texte intégral
Mesdames et messieurs,
Je voudrais commencer par remercier Jean-Paul Bailly et Claude Bébéar de mavoir invité à ouvrir ces « entretiens de la cohésion sociale ». Lan dernier jétais venu conclure votre session intitulée « entreprise et pacte social, quelle nouvelle donne ? ». Cétait le 7 septembre, précisément le jour de la publication du document dorientation pour la négociation sur la sécurisation de lemploi. Un an plus tard, il y a bel et bien une nouvelle donne dans lentreprise : de nouvelles capacités dadaptation, des droits nouveaux pour les salariés et surtout le pouvoir de négocier ensemble des compromis et des solutions alternatives au licenciement.
Cette année, jai de lavance sur vous ! Le document dorientation pour la négociation sur la formation professionnelle est parti le 8 juillet. Et si jamais vous aviez lintention de minviter en septembre 2014, je prends les paris que nous aurons alors accompli une autre grande réforme, celle de la formation professionnelle.
« Formation professionnelle, la dernière chance », dites-vous. Je ne sais pas, mais je sais par contre, cest que cest le moment ! Et je suis dailleurs là pour vous dire que jai besoin de vous à ce moment précis.
Je suis convaincu que ce type de rencontres, où se croisent les regards de chefs dentreprises, de praticiens du dialogue social et des ressources humaines, de politiques, duniversitaires, font progresser les idées et émerger des solutions innovantes. Plus encore elles doivent inspirer les négociateurs pour réussir la réforme profonde, ambitieuse, dont nous reconnaissons tous la nécessité.
Jai envie de dire que nous nen sommes plus au stade des seules idées, nous passons aux travaux pratiques.
* Les partenaires sociaux entament la négociation interprofessionnelle sur la formation professionnelle le 24 septembre
* La concertation quadripartite Etat-Régions-partenaires sociaux sur le compte personnel de formation, que Jean Marie Marx a bien voulu animer- reprend le 1er octobre.
* La concertation sur le développement de lapprentissage démarre avec les acteurs concernés dès ce mercredi.
Donc, oui, cest le moment pour une « nouvelle donne » !
La grande loi de la formation professionnelle date de 1971, la loi Delors.
Dans la France de 1971, le niveau déducation était faible : 18% dune génération accède à luniversité et lâge moyen de fin détudes est 18 ans. Cette loi a posé les fondements de la formation continue. Combinée à la « révolution scolaire » des années 80, elle a permis, à la fin des années 90, que 50% dune génération accède à luniversité. Depuis, leffort de formation semble plafonner. La participation financière des entreprises ne progresse plus et stagne à un niveau inférieur à 3% de la masse salariale. Les différents moteurs de lascenseur social, dont la formation continue, paraissent grippés. Comme si la loi de 1971 avait produit tous ses effets et atteint aujourdhui une forme dépuisement.
Cest pourquoi un nouvel élan en faveur de la formation tout au long de la vie est nécessaire.
Mais le contexte est différent :
* En 1971, le chômage nexistait (presque) pas. A la formation des salariés sajoute aujourdhui lenjeu de formation des chômeurs pour quils reviennent dans lemploi. Le pas à franchir est plus exigeant : les salariés déjà dans lentreprise perçoivent plus facilement -en lien avec leur employeur ou leur DRH- lévolution de leur métier et les compétences à acquérir. Pour les demandeurs demploi, plus le chômage se prolonge, plus le risque de déconnexion des compétences saccroît.
* Lautre enjeu nouveau, cest la compétitivité. Depuis les années 1970 la mondialisation a fait son uvre et mis la France en concurrence avec de nouveaux pays.
De nouvelles mutations industrielles sont à luvre. Chaque époque est portée par une matière première : le papier nest pas étranger à la Renaissance, le charbon a fait la Révolution industrielle, le pétrole a porté les Trente Glorieuses : qui portera la croissance de demain ? Jai lintuition que la dématérialisation que nous connaissons dans le travail ou la vie de tous les jours va jouer à plein. Ce qui tirera demain léconomie, ce seront dabord les compétences ; ce qui fera la compétitivité, ce sera dabord la connaissance.
La formation professionnelle est donc un véritable investissement davenir et de performance, pour des salariés plus efficaces et productifs, mais aussi plus épanouis et disponibles pour progresser.
Cest le message que je suis venu porter : la réforme de la formation professionnelle cest une composante majeure de notre pacte de compétitivité.
Dautant que autre donnée nouvelle léconomie va plus vite que jamais. Les compétences doivent suivre le mouvement.
Je sais que recruter des personnes qualifiées est une des préoccupations majeures des entreprises. La puissance publique a une responsabilité : mieux orienter les demandeurs demploi vers la formation, développer lalternance pour les jeunes, construire des formations en lien avec les besoins de recrutement. Mais vous avez aussi la vôtre en tant quentreprise : ouvrir davantage la porte des entreprises aux jeunes, maintenir la capacité de chaque salarié à occuper un emploi, leur donner la possibilité de progresser.
Il nous faut donc un appareil de formation plus agile et des entreprises plus impliquées.
Dans ce mouvement, la formation professionnelle est lun des meilleurs moyens de permettre une transition sécurisée dun métier à un autre. Elle constitue une brique majeure de la sécurité sociale professionnelle que nous voulons construire, que nous avons commencé à construire.
Pour toutes ces raisons, je le redis, le moment est venu dune grande réforme. Jen viens aux axes de progrès quil faudra dégager par la négociation.
1- Rendre chacun acteur de son parcours
Lun des enjeux de la réforme est daccroître lenvie des salariés de se former. Le futur compte personnel de formation doit y contribuer. En dotant la personne de droits à la formation qui lui demeurent attachés, le compte personnel devra favoriser linitiative et la capacité de proposition des salariés.
Mais il y a des conditions pour que le compte personnel soit un succès :
* dabord il ne doit pas senliser dans les mêmes écueils que le DIF. Le DIF ne bénéficiait pas dun financement dédié. Les formations initiées dans ce cadre relevaient trop souvent du plan de formation. Le compte personnel de formation doit bénéficier dun financement spécifique afin de ne pas être dégradé et rabattu sur dautres dispositifs. Il doit affirmer son ambition qualifiante afin de constituer le levier dune véritable évolution professionnelle.
* Pour autant, le compte personnel ne doit pas faire reposer sur les salariés une obligation qui reste celle de lemployeur : maintenir la capacité de ses salariés à occuper un emploi, ce que certains appellent dun mot que je naime pas « lemployabilité » des salariés. En clair, le compte personnel nous invite à trouver un nouvel équilibre entre ce qui relève de linitiative individuelle dune part, et de la sécurité collective dautre part.
* Autre condition de succès : la capacité dinitiative doit être accompagnée. La mise en uvre du compte doit aller de pair avec le renforcement de linformation sur la formation et de la gestion des parcours professionnels dans lentreprise.
La concertation quadripartite Etat-Régions-Partenaires sociaux autour du compte va permettre également la création à lextérieur de lentreprise dun nouveau service de conseil en évolution professionnelle.
Mais si chaque salarié devra prendre à bras le corps les nouvelles possibilités de formation et de progression ouvertes par le compte, les salariés collectivement devront aussi peser davantage en tant quacteur au sein de lentreprise sur lenjeu formation. LANI puis la loi de sécurisation de lemploi a créé de nouvelles modalités dassociation des salariés à la construction du plan de formation. Faut-il aller plus loin, envisager la négociation du plan de formation, pour certaines de ses composantes, pour certaines entreprises ? Je sais que certains dentre vous y êtes prêts. La question est ouverte et la balle est désormais dans le camp des partenaires sociaux.
2- Investir dans la formation professionnelle Si le moment est venu pour que chacun sempare mieux de la formation professionnelle, alors le temps est venu aussi den modifier le financement. Vous le savez à travers la contribution des entreprises au financement du plan de formation le fameux 0,9% - la France est lun des rares pays à traduire lobligation de formation qui pèse légitimement sur lemployeur en une obligation fiscale.
Or je fais un double constat :
- les entreprises vont bien au-delà de cette obligation, ce qui signifie que les dépenses de formation professionnelle sont spontanément conformes à leur intérêt économique ;
- et en même temps, je le disais, leur investissement en la matière plafonne depuis plusieurs années.
Jentends souvent dire aussi, par des employeurs ou des syndicalistes, que la dépense de formation est souvent vécue comme un processus bureaucratique au sein de lentreprise. Là encore je souhaite que les partenaires sociaux semparent de ce sujet à loccasion de la négociation qui sengage. Ma préoccupation est double : il faut que le système libère au mieux les énergies positives de la formation, tout en apportant les garanties indispensables pour améliorer laccès de ceux qui en sont le plus éloignés aujourdhui : les salariés peu ou pas qualifiés et les petites entreprises.
Pour la stratégie de formation des entreprises aussi, je suis prêt si les partenaires le souhaitent à un nouvel équilibre entre liberté dinitiative et régulation collective, y compris révisant lobligation fiscale actuelle.
Pour peu, naturellement, que les entreprises assument davantage la responsabilité qui est la leur en contribuant pleinement à la sécurité professionnelle des actifs : en consolidant son effort en faveur de la formation des plus fragiles ; en permettant au dialogue social dans lentreprise dassortir les usages de la formation de garanties collectives ; en sinvestissant dans lorientation professionnelle tout au long de la vie de ses salariés !
3 -Développer lalternance Je ne saurais clore mon propos sans évoquer la question cruciale de la formation des jeunes et en particulier lapprentissage.
Lapprentissage est pour les jeunes une voie efficace et reconnue daccès à lemploi et la qualification. Notre objectif est de faire progresser le nombre dapprentis de 435 000 aujourdhui à 500 000 en 2017.
Je sais quil existe des craintes parmi les organisations professionnelles à propos de cette rentrée en apprentissage. Sur ce point rien nest joué et là encore le début de lautomne sera décisif : sur les premiers mois (juin juillet) de la campagne 2013-2014, le nombre de contrats enregistrés est en effet à peu près stable par rapport à la même période de lannée 2012 (-0,2 %). Mais la mobilisation des branches, des employeurs et des CFA est plus que jamais nécessaire pour maintenir la dynamique de lapprentissage.
Au-delà de cette rentrée nous engageons des réformes structurelles en faveur de lalternance. Des premières initiatives son prises : les aides aux employeurs, qui se sont sédimentées au fil du temps sans mesure de leur impact réel, seront mieux ciblées ; la réforme des retraites prévoit une amélioration substantielle des droits des apprentis.
Mais avec la concertation sur lapprentissage qui sengage cet après midi, nous souhaitons aller plus loin, avec la double préoccupation de lefficacité et de la simplification. Deux exemples :
* nous voulons quune part plus importante du produit de la taxe dapprentissage aille vers lapprentissage, afin daccroître les ressources disponibles pour développer les formations par alternance, des premiers niveaux de qualification aux niveaux supérieurs.
* Le dispositif de collecte - avec ses plus de 140 OCTA ! - doit être simplifié afin de faciliter laffectation de la taxe par les entreprises, de réduire les coûts de gestion du système et de mieux orienter les ressources vers les CFA qui en ont besoin.
Vous le voyez, les enjeux sont là, les acteurs sont là, la volonté politique de lEtat pour des reformes en profondeur est là, les négociations vont sengager.
Mais rien nest gagné. Tout se joue dans les semaines et mois qui viennent, et ma conviction est que rien ne se fera sans vous. A vous de peser dans la négociation (je sais que vous contribuez fréquemment), à vous par la suite -dans vos entreprises et vos cabinets- de donner corps à cette réforme dont je souhaite quelle aussi fasse date.
Je vous remercie, et suis prêt à répondre à vos questions.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 12 septembre 2013