Texte intégral
Vous véxerais-je, si je dis que nous honorons aujourdhui une arrière-petite-nièce de lAbbé de lÉpée ? Car à bien des égards, vous avez repris le flambeau du précurseur en travaillant aujourdhui à ce que les enfants du silence, à ce que les « silencieux », prennent toute leur place dans la société française.
Vous utilisez à cette fin ce magnifique instrument que, grâce à vous, nous connaissons désormais un peu mieux : la langue des signes, qui donne aux sourds lautonomie langagière, condition première de toute émancipation.
Mais nous le savons, les langues ne valent que par ce que nous en faisons, et vous avez choisi, chère Emmanuelle Laborit, de faire de la vôtre matière à spectacle vivant. Vous incarnez pour nous un art : le théâtre en LSF (Langue des signes française), un lieu : lIVT (International Visual Theatre), une cause : laccès de tous à la culture, la lutte contre lexclusion.
Il fallait une bonne mesure daudace, chez la jeune sourde que vous étiez, pour décider un beau jour de devenir comédienne professionnelle. Mais à force de volonté, vous avez su montrer que ce qui pouvait passer pour de linconscience était une forme supérieure de lucidité. Cest la belle séquence finale du film Avec nos yeux : « Tout le monde me prenait pour une insensée », disiez-vous « Et maintenant ? ».
Limpossible, cest pour ceux qui nont jamais essayé
Non contente de rebrousser quelques idées reçues, vous poussez votre vision aux limites de la provocation et du paradoxe. Je pense à Linouï music-hall, spectacle inouï en effet, dans tous les sens du terme, puisquil sagit dun spectacle de chansons françaises. Une prouesse dingéniosité, pleine de trucs et de trouvailles pour le plaisir de tous, sourds et entendants. Cest ça, la promotion du bilinguisme en actes.
Au-delà des spectacles, vous avez fait de votre théâtre le principal centre de formation à la langue des signes : près de 900 personnes lapprennent chaque année dans vos locaux, et cest en même temps un foyer de production douvrages et de supports multimédia à caractère pédagogique sur la culture sourde. Ce faisant, vous apportez votre contribution à ce grand mouvement déducation artistique et culturelle, que je souhaite développer encore.
Vous avez joué naguère dans une pièce inspirée du répertoire du Grand-Guignol, et il se trouve quIVT est installé aujourdhui à Paris, rue Chaptal, dans les locaux qui ont été autrefois ceux du Grand-Guignol. Il faut croire quil y a entre vous et la fameuse marionnette une affinité élective, qui ne se résume pas à votre sourire malicieux : cest quil vous arrive de taper fort, aussi, en redresseur de torts, pour faire prévaloir le droit des gens contre linertie et toutes les pesanteurs qui rendent la vie parfois si difficile.
Celle que nous distinguons aujourdhui est comédienne, au théâtre, au cinéma, à la télévision. Cest une citoyenne courageusement engagée dans le changement social et le développement culturel. Elle est metteur en scène et dirige une importante institution culturelle. Elle est lauteur dun livre, Le cri de la mouette, qui a été traduit en plus de dix langues.Pour tous ces talents, chère Emmanuelle Laborit, au nom de la République française, nous vous faisons officier de lordre des Arts et des Lettres.