Texte intégral
Depuis quelques semaines, de fortes voix sélèvent pour protester contre lexigence nouvelle dégalité entre les femmes et les hommes dans la culture : quelles manquent délégance est une chose, quelles manquent dhonnêteté en est une autre. Il est déjà fort peu compréhensible que les règles communes qui sappliquent aux nominations dans les établissements publics soient contestées par quelques-uns au seul motif quelles concernent des «hommes de lart», mais je dois avouer ma consternation la plus complète devant largument que ces règles seraient dautant plus iniques quelles viseraient à favoriser la nomination de femmes.
Javoue aussi le sentiment de révolte devant les mots choisis par Philippe Caubère (Libération, 15 juillet), en particulier, pour sadresser à la ministre de la Culture lorsquon sait la valeur que représente partout dans le monde lengagement des artistes et des intellectuels français dans le débat démocratique. On devrait réserver les accusations de «saloperie», par exemple, à dautres causes qui le méritent mieux, à dautres cibles quà une ministre de la République qui défend lexception culturelle dans les échanges commerciaux ou léducation artistique à lécole avec tant dardeur, de ténacité et de courage.
Lenjeu, cest la place de la culture et de la création dans la société de légalité que nous construisons pour demain, pas la guerre des ambitions personnelles, encore moins je ne sais quelle guerre des sexes ou des générations.
Quelques chiffres, dabord, pour comprendre de quoi nous parlons. Aujourdhui, en France, 88 % des centres dramatiques nationaux sont dirigés par des hommes ; 3 % des concerts ou spectacles sont dirigés par des femmes, et 20 % des textes joués au théâtre sont écrits par des femmes. Pourtant les femmes constituent plus de la moitié des élèves des conservatoires nationaux. Trois chiffres récents parmi des centaines, des milliers dautres qui montrent tous la même chose, ainsi que la encore rappelé un récent rapport dinformation du Sénat : le monde de la culture est un véritable bastion des inégalités entre les femmes et les hommes, pour ne pas dire un empire de la confiscation masculine du pouvoir.
Certains, certaines voudraient nous faire croire que cette situation est justifiée par les mystères insondables du talent et du génie humains qui, comme chacun le sait, se trouvent si imparfaitement et si injustement répartis entre les sexes depuis toujours
Dautres plaident en faveur du statu quo parce que la compétence des femmes à exercer des responsabilités importantes ne serait pas avérée, et quil serait risqué, pour elles-mêmes, de leur confier si vite et si tôt (!) les rênes dun théâtre, dune scène de spectacle vivant. Tout cela nest pas sérieux en 2013 : sortons désormais des polémiques saisonnières et faisons collectivement leffort de hausser le niveau de compréhension de ce qui est réellement en jeu.
Dans la culture comme partout ailleurs dans la société française, toutes les conditions doivent être réunies, dès à présent, pour que les femmes et les hommes disposent des mêmes chances daccéder aux responsabilités dans leur domaine dactivité.
Rien ne justifie que le secteur de la création soit exclu de cette exigence républicaine essentielle que nous instaurons progressivement, y compris par la loi, dans toutes les instances de la République, et dans tous les lieux collectifs de décision et de responsabilité. Rien ne justifie que légalité professionnelle sarrête au seuil des théâtres ou des salles de musique, rien ne justifie quune petite fille ait moins de chance quun petit garçon de devenir une artiste, de sexprimer et de partager son travail avec le public. Cest la raison, la seule raison mais la raison impérieuse pour laquelle le champ culturel est prioritaire dans la réforme des politiques publiques en faveur de légalité.
Demain, on pourra toujours trouver injuste la nomination dune telle à la place dun tel, et critiquer vertement le ou la ministre qui aura décidé de la nomination, mais pour se livrer à la passion des grandes disputes esthétiques et aux batailles dHernani du moment si utiles à la vitalité, au rayonnement et à linfluence de notre culture, et non pas à ce combat indigne et rétrograde dhommes jaloux de leurs privilèges contre des femmes qui ne demandent quune chose, le respect et légalité de traitement.
Source http://femmes.gouv.fr, le 18 septembre 2013