Texte intégral
Longtemps, très longtemps, la République a laissé la moitié des français, les françaises, en dehors de sa promesse fondatrice dégalité.
Longtemps, très longtemps, la République sest cachée derrière les mots pour ne pas voir, pour ne pas dire, pour ne pas affronter cette part obscure delle-même : loubli, et lexclusion volontaire des femmes.
Longtemps, très longtemps, lhistoire même de la République, jusque dans ses plus beaux combats, dans ses progrès les plus décisifs et ses plus belles victoires ne sest écrite dans nos livres dHistoire quau masculin, de même que la mémoire que nous en avons gardée. Qui se souvient que Victor Hugo lui-même, dans son plaidoyer en faveur du suffrage universel à lAssemblée Nationale, le 31 mai 1850, na pas dit un seul mot des femmes, ninvoquant ainsi quune seule moitié du peuple français ?
Qui se souvient, et qui pour donner raison aux féministes, aux héroïques pionnières des droits des femmes qui nont pas un seul instant cessé dexiger, haut et fort, leur dignité, leur légitimité, leur liberté, leur droit à légalité devant la loi des hommes, au nom même de la République ?
Ni Condorcet, ni Olympe de Gouges, ni Louise Michel ou Hubertine Auclert nont pu élever la voix assez fort, et assez haut, par-dessus celle de leur époque pour changer, et renverser le cours de lhistoire.
Bien sûr, pendant tout ce temps, il faut le rappeler aussi, les femmes nont cessé de contribuer à la vie de la Nation et de simposer partout au milieu des hommes dès quune porte sentrouvrait, souvent anonymes, modestes et invisibles, et de plus en plus souvent avec éclat, faisant triompher aux yeux de tous, dans la sphère publique et non plus seulement dans le confinement domestique, le mérite sur la nature.
Et pendant longtemps, mais si lentement, la République a ainsi concédé peu à peu, avec des avancées suivies de reculades, des droits nouveaux et une considération nouvelle : le droit à léducation, au divorce, à lexercice de telle ou telle profession de prestige et de savoir, au congé maternité jusquau droit de vote et à la reconnaissance constitutionnelle de légalité entre les femmes et les hommes qui allaient ouvrir une nouvelle ère. La nôtre.
Celle du droit à la contraception et à lavortement, celle de légalité professionnelle et de la parité dans la démocratie, celle de la lutte contre les violences faites aux femmes, contre le harcèlement sexuel, le viol et toutes les formes dagressions sexistes.
Une ère qui nest pas encore celle de légalité réalisée, mais qui la prépare. Lère de légalité réalisée, cest à nous quil revient désormais de la faire advenir par une troisième génération de politiques volontaristes en faveur des femmes dans une République enfin réconciliée avec ses valeurs cardinales.
Car pendant quelques temps encore, bien après que la société nacceptât plus les inégalités de principe, et quelle eût imposé le changement au moment de tout reconstruire au sortir de la seconde guerre mondiale, la République a voulu croire quelle pouvait réparer les effets de cette si longue et si profonde iniquité en rétablissant ce qui pouvait lêtre par la seule volonté politique, nécessaire mais pas suffisante : la Constitution, la loi, les décrets, les textes
Le temps que la vérité simpose peu à peu aux yeux de tous parce quenfin ils étaient grands ouverts: légalité enfin décrétée, il fallait encore transformer le réel, toucher les consciences, changer les mentalités et faire progresser les droits des femmes dans tous les domaines, avec des lois nouvelles, des droits spécifiques, et changer les textes, encore et encore.
Cette histoire est notre histoire à toutes et à tous, femmes et hommes, de droite et de gauche ; elle est notre héritage commun dont les racines plongent si profondément en chacune et chacun de nous, que les effets nont pas fini de peser sur la société française tout entière, les citoyens comme les élus de la République, notre conception du monde et notre vision de lavenir.
Cette histoire, cétait hier : nous sommes les premières générations nées de cette ère nouvelle, issues de parents et de grands-parents qui avaient vécu le monde ancien, et navaient connu que lui.
Si jai voulu la rappeler à notre mémoire, cette histoire occultée qui va de la Révolution à la Libération et jusquà nos jours, ce nest pas pour raviver la mauvaise conscience des uns, susciter le ressentiment des autres, suggérer un quelconque esprit de repentance, ou justifier le moindre esprit de revanche : ce fantasme, si souvent convoqué et jamais advenu, de la guerre des sexes.
Nous ne sommes pas là pour mener la guerre des sexes: nous avons la responsabilité historique daccélérer sur notre route vers légalité. La loi que je vous présente aujourdhui est faite pour changer le rythme de notre course, et entrevoir enfin lhorizon dune égalité sans concession.
Rien ne doit nous être plus étranger que le fatalisme ou lidée selon laquelle le changement exigerait encore des décennies pour se concrétiser. Le temps nest plus venu dabdiquer devant les résistances si compréhensibles, issues de ce temps où légalité républicaine ignorait le deuxième sexe, où lordre des choses entre les femmes et les hommes était perçu, compris et justifié comme immuable, non seulement acceptable parce que naturel, mais parfaitement souhaitable. Ces résistances, elles sont encore redoutables. Chaque jour, dans la préparation de ce texte, je les ai rencontrées. Et je ne doute pas quelles ont aussi forcé vos portes.
Au moment douvrir un nouveau débat parlementaire, si jai souhaité linscrire dans le droit fil de cette longue controverse républicaine sur légalité entre les femmes et les hommes, cest aussi pour faire appel à chacun de vous pour trouver lintelligence collective, la volonté et la force quexige ce débat. Nous devons faire bloc désormais, pour que légalité ne soit plus la revendication de quelques-unes, mais lexigence partagée, et vécue, de la véritable universalité républicaine.
Cest pour affirmer une ambition quil nappartient plus à un sexe, à un parti, un groupe ou un camp, ni même à une majorité de porter seule. Une ambition qui ne peut plus être seulement celle des modernes contre les anciens, celle du progrès contre la réaction, mais bien celle de la République tout entière, unie, consciente et mobilisée devant la responsabilité historique de conjuguer, enfin, ses principes à lindicatif présent, plutôt quau conditionnel.
Vous me direz, et je le sais bien, que légalité entre les sexes est aujourdhui un principe que personne ne remet en cause dans la République, que les lois et les réformes de nos politiques publiques se succèdent depuis des décennies en surmontant toutes les alternances pour corriger, compenser, faire reculer, annuler les incongruités héritées du passé, et aller progressivement vers légalité effective entre les femmes et les hommes.
Cest dautant plus vrai que je ne suis pas aujourdhui à cette tribune pour nourrir de faux-débats, fabriquer des adversaires imaginaires, ou mener une bataille face aux moulins-à-vent de lindifférence.
Je suis à cette tribune pour vous demander dentrer dans une nouvelle étape du combat républicain pour légalité des sexes avec un projet de loi qui, pour la première fois, parce quil est un texte-cadre et quil intègre toutes les dimensions des droits des femmes, dit à la fois la valeur de ce qui a été accompli, et lampleur de ce qui est devant nous.
Je suis en tribune pour vous demander dexaminer ce texte avec un regard neuf, une cohérence nouvelle, une approche pleinement intégrée des politiques dégalité, en laissant derrière soi les vieilles querelles théoriques remises au goût du jour pour embrasser, et adopter une philosophie de laction qui doit répondre aux défis de notre temps et aux attentes de la génération à venir : celle des droits qui sappliquent et des lois qui sont respectées, mais aussi celle du changement des mentalités à travers léducation et la culture, qui ne doit plus rien concéder à la tyrannie ordinaire du sexisme au quotidien, dans la rue, sur les murs de nos villes, sur nos écrans, dans nos relations avec lautre sexe.
Votre Assemblée le sait bien, elle qui a pris toute sa part dans cette immense mutation politique, sociale et culturelle, elle qui en prend sans aucun doute plus que sa part lorsquon regarde le travail de vos commissions, vos propositions et contributions, le rôle et la place des Sénatrices elles-mêmes dans vos instances, la teneur de vos débats, les avancées obtenues sur les droits des femmes au fil des mois et des années.
Votre Assemblée le sait dautant mieux que la commission des lois, ainsi que la commission des affaires sociales, saisies pour avis, ont déjà accompli un travail très remarquable de co-construction législative du texte à mes côtés, aux côtés du gouvernement tout entier, parce quil est tout entier concerné, là-aussi, pour la première fois, par la volonté et limplication du Président de la République comme du Premier Ministre. Je voudrais saluer à cet égard le travail accompli par vos rapporteures, Virginie Klès, Michele Meunier et Maryvonne Blondin sur ce texte et les en remercier. Au président de la Commission des lois, Jean-Pierre Sueur, je dois le salut aussi amical que chaleureux, la reconnaissance de celle qui sait ce que la cause des femmes doit à ses convictions, et à sa capacité inégalée à apporter sérénité et intelligence dans les débats les plus passionnés.
Pour la première fois, ce projet de loi sattaque de manière transversale et globale à tous les enjeux de légalité entre les femmes et les hommes : légalité professionnelle, la lutte contre les violences et les stéréotypes sexistes, la lutte contre la précarité, légal accès entre les femmes et les hommes aux responsabilités politiques, sociales et professionnelles, avec une parité qui ne sapplique plus seulement au champ politique, mais à toute la société.
Ce nest pas une nouveauté formelle, cest une conception nouvelle : nous affirmons, avec ce texte, que légalité est un tout, un ensemble cohérent de causes et de conséquences qui part de léducation et de la responsabilité parentale pour aller jusquaux violences, en passant par légalité professionnelle, et légale implication des femmes et des hommes dans la sphère domestique.
Cest au continuum de la domination masculine que sattaque ce texte, en fixant quatre priorités très claires : légalité au travail et dans la famille, la lutte contre la précarité sociale des femmes, la fin des violences, la mixité et la parité partout. Là où il ny a que des hommes, là où il ny a que des femmes.
Dabord, faire progresser légalité professionnelle parce que cest la clé de toutes les émancipations, de lautonomie et de la liberté, avec lobjectif dune répartition des tâches plus équilibrée au sein des ménages pour favoriser lemploi des femmes, cest à dire légalité domestique, sans laquelle légalité au travail ne reste quune illusion pour la majorité des femmes.
Un objectif qui passe nécessairement par une nouvelle organisation des responsabilités parentales, et donc, une réforme ambitieuse du congé parental car cest bien larrivée de lenfant qui réactive, et réinstalle les femmes et les hommes dans leurs rôles prédéterminés où les femmes, les mères accomplissent 80% des tâches ménagères, et aménagent leurs carrières pour faire face aux double journées qui sont en réalité, une double vie.
La réforme du congé parental était centrale, car elle est ce nud où les inégalités se resserrent si durement quelles contraignent, pour toujours, la carrière des femmes. Un chiffre suffit: une femme sur quatre prend un congé parental à la naissance dun enfant, au risque de connaître ensuite un décrochage salarial de 10% par année dinterruption. Une femme sur quatre prend ce risque, alors que ce nest le cas que dun homme sur cent !
A force déchange, de réunions, de témoignages, notre conviction sest formée : si le congé parental, formidable droit offert aux salariés dêtre des parents dans le même temps, est à ce point un risque quon ne partage pas, cest précisément à cause de cette répartition si déséquilibrée dans les habitudes quelle finit par jouer non plus seulement comme une conséquence logique dun libre choix, mais comme une justification à grande échelle des moindres opportunités professionnelles offertes aux femmes. Si nous créons les conditions pour que les hommes participent autant que les femmes aux premiers mois de lenfant, cest dabord pour faire reculer, diluer ce risque fatal qui pèse sur les carrières des secondes.
Les hommes ont aussi leurs entraves, à eux, dans un tel système, si profondément organisé et spécialisé selon le sexe. Cest la stigmatisation sociale qui entoure leurs velléités, si rarement transformées en revendications, dinvestir leur parentalité à part entière. Cest laccueil si réservé, mitigé pour ne pas dire suspicieux, réservé à leurs demandes daménagement du temps de travail quand arrive un enfant. Cest le regard curieux qui accompagne les rares pionniers parmi eux qui ont décidé de prendre leur mercredi.
« On libérerait lhomme, en libérant les femmes » annonçait Simone de Beauvoir : légalité aujourdhui, cest dabord de donner aux pères la liberté dêtre pères pour donner aux mères, la liberté dêtre autre chose que des mères.
Oui, cette réforme du congé parental, les Françaises et les Français la souhaitent. Neuf Français sur dix la soutiennent. Cest un formidable signe que légalité est en marche, et que pendant trop longtemps ce ne sont pas les Français qui ont été en retard sur leur temps, mais les politiques que nous avons conduites qui ne leur ont pas permis dêtre au rendez-vous de leurs justes aspirations.
Et cest parce que nous voulons privilégier ce qui leur est le plus cher, une vraie liberté de choix, que nous proposons un système souple et pragmatique, qui repose tout entier sur une logique dincitation. Pour le premier enfant, six mois sajouteront aux six mois actuels à condition quils soient pris par le deuxième parent. A partir du deuxième enfant, une période de partage sera instaurée aujourdhui fixée à 6 mois maximum sur les trois ans, et dont le bénéfice sera réservé au deuxième parent.
On peut attendre de cette réforme que les pères soient six fois plus nombreux à simpliquer dans la vie de famille et domestique par ce biais, soit 100 000 pères en congé parental partagé dici 2017; soit 100 000 femmes qui expérimenteront les conditions de légalité réelle; 100 000 femmes qui participeront à nouveau au marché du travail chaque année, générant ainsi revenus, et cotisations sociales.
Car cette mesure est un point de départ, un élan, une dynamique : lobjectif, cest le changement des comportements dans toutes les familles de France, et la construction dun nouveau modèle ou la liberté de choix est celle des familles, et non plus la servitude volontaire des femmes, seules face aux poids et à linertie des habitudes. Est-ce que nous sommes dans lingérence dans lintimité des familles ? Je ne le crois pas. Notre proposition cré au contraire les conditions dun libre choix pour chaque famille. Il sadapte à tous les modèles, il autorise tous les modèles.
Un autre défi est de corriger les incohérences du dispositif actuel. Jentends parfois dire que notre réforme mettra des familles dans limpasse en les privant de droit en cours dannée, sans possibilité dinscription à lécole avant 3 ans. Cest faux.
La question des enfants nés en début dannée est réelle, mais elle nest pas liée à notre réforme. Nous allons y répondre de deux façons : nous travaillons avec le Ministère de léducation nationale sur les solutions de classes passerelles. Et dès à présent, pour les familles dont les ressources sont faibles, nous allons permettre la poursuite des droits jusquau mois de septembre suivant lanniversaire de lenfant si aucune solution daccueil ne peut être trouvée. Cest une avancée qui changera la vie de nombreuses familles.
Enfin, cette réforme nourrit lobjectif majeur dagir efficacement sur lemploi des femmes. A travers les amendements que nous avons déposés, nous vous proposons en effet dinstaurer un véritable droit à laccompagnement professionnel à lissue du congé parental. Pour les salariés qui ont droit à une réintégration dans lemploi, nous prévoyons la possibilité de bénéficier dun entretien avant la reprise de poste. Cet entretien permettra dexaminer les besoins de formation et les nécessaires mesures de rattrapage de la rémunération. Pour les salariés qui nont pas de perspective immédiate de retour à lemploi, un dispositif dorientation et daccompagnement renforcé sera mis en place entre les Caisses dAllocations Familiales et Pôle Emploi, un an avant la fin des droits. Je souhaite quun bilan de compétence soit systématiquement proposé aux femmes et aux hommes concernés, et quen lien avec les Régions, des offres de formations adaptées leur soient offertes pour faciliter le retour en emploi.
Mieux partager le congé parental, cest une clé vers davantage dégalité professionnelle, mais ce nest pas la seule. La plus essentielle est entre les mains des entreprises elles-mêmes: elles doivent respecter leurs obligations en matière dégalité professionnelle. Au cours de ces derniers mois, nous avons largement renforcé notre arsenal pour faire appliquer la loi, et mettre fin au laxisme qui permettait à trop dentreprises de lui échapper, de la contourner ou de lignorer, en toute impunité. Depuis que nous avons assuré le contrôle de la loi qui prévoit des pénalités de 1% en labsence de négociation sur légalité, ce sont pas moins de 2700 accords et plans daction qui ont été déposés, 400 entreprises mises en demeure, 4 entreprises sanctionnées.
La sanction nest pas le but, elle est notre levier pour accompagner, et inciter.
Cest pourquoi, nous allons plus loin. Les entreprises qui ne respecteront pas leurs obligations en matière dégalité professionnelle ne pourront plus soumissionner à des marchés publics : ces obligations, rappelons-le, ne sont pas nées de cette réforme, mais sont celles des lois de la République, alors comment accepter, sans trahir toutes nos ambitions, quil en soit autrement ?
La disposition que nous proposons nimpose pas un cadre rigide qui contraint, restreint ou réduit lactivité. Cest un système souple qui laissera le temps, jusquau dernier moment, à une entreprise pour régulariser sa situation. A chacun, ensuite de faire face à ses responsabilités: si en toute connaissance de cause, et en conscience, elle faisait le choix de ne pas appliquer la loi, elle ferait le choix de renoncer à tout accès aux marchés des collectivités publiques, en toute connaissance de cause.
Le projet prévoit aussi, pour les collaboratrices enceintes et les collaborateurs libéraux qui souhaitent prendre leur congé de paternité, une période de suspension du contrat et de protection contre les ruptures de contrat afin de sécuriser leur parcours : la durée de protection sera de 8 semaines après la fin de la période de suspension, 8 semaines pendant lesquelles lemployeur ne pourra rompre le contrat de collaboration. Comment accepter plus longtemps, en effet, que les jeunes femmes qui travaillent dans les professions concernées, comme les avocates ou les infirmières libérales, soient privées de ce droit essentiel ?
Parce que nous voulons créer les conditions dune bonne conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, nous proposons également aux salariés qui le souhaitent de pouvoir débloquer leurs sommes épargnées sur un compte-épargne temps pour financer des prestations de services dans le cadre du chèque emploi service universel : que ce soit pour des gardes denfants, ou toute forme daide à domicile. Cest un levier très concret pour aider chacun à mieux articuler les temps de vie, et les répartir plus équitablement entre les femmes et les hommes.
A travers ces évolutions, vous le voyez, nous voulons changer de rythme. Mais nous voulons aussi changer de méthode, en profondeur. Comme la loi de sécurisation de lemploi la fait avant lui, notre projet de loi laisse toute sa place à la négociation entre partenaires sociaux. Une question de respect, une question defficacité : un premier accord est dailleurs intervenu le 19 juin dernier. La négociation sur légalité professionnelle, qui a longtemps été aussi absente dans la réalité des entreprises, que présente dans les dispositions de notre code du travail, nest que trop souvent réservée aux seuls grands groupes. Cette négociation est donc généralisée, et sera effective grâce au rôle nouveau des rapports de situation comparée qui seront désormais le point de départ de toute discussion. Ce rapport sera complété par la création dun indicateur permettant de suivre la part des femmes dans les taux de promotion. Créer un indicateur cela peut paraître peu de chose, mais cest central, car en donnant une évaluation précise et comparable du plafond de verre dans lentreprise, nous disposerons des moyens de nous y attaquer à tous les échelons.
Nous proposons enfin un amendement qui appelle les branches professionnelles à engager un exercice de révision générale de leurs classifications pour assurer la revalorisation des emplois à prédominance féminine. Ce sujet qui a été une priorité de la dernière grande conférence sociale est pour moi un levier essentiel pour réduire les écarts de rémunération. Car la discrimination nest pas seulement individuelle. Elle est parfois collective, et même inscrite dans les mécanismes datant de la Libération dans les accords de branche sur les classifications. Nous avons repris les travaux du défenseur des droits sur cette question et proposerons dici la fin de lannée une liste de métiers prioritaires pour cet exercice de négociation.
Car il nous faut débusquer partout ce qui explique, conforte et justifie cette précarité si spécifique des femmes. Cette précarité qui frappe les femmes dans métiers dévalorisés, avec les temps partiels subis, les ruptures de carrière, les petits salaires et les petites retraites. Mais aussi cette précarité qui frappe et qui sinstalle après les séparations conjugales, avec lexplosion des familles monoparentales dans lesquelles les femmes sont si nombreuses, toujours plus nombreuses, à assumer seules, sur tous les plans, léducation des enfants.
On ne peut pas attendre pour lutter contre cette précarité spécifique qui touche les femmes parce que nous faisons face à lorganisation inégalitaire de notre société, et quil ny a rien à attendre : on ne peut attendre, parce cette précarité féminine est la puissante matrice de beaucoup dautres inégalités en chaîne. Cest la raison pour laquelle nous avons voulu concentrer notre action législative sur la mise en place dun nouveau service public qui proposera une garantie contre les impayés de pensions alimentaires, dont plus de 40% ne sont pas payées de façon régulière.
Ce nouveau mécanisme permettra aux caisses dallocation familiales de garantir une allocation différentielle aux femmes qui en sont victimes et de se retourner ensuite vers le père débiteur. La CAF avance, puis met en uvre des moyens de recouvrement renforcée. Elle fait de la médiation auprès des familles et donne de linformation pour limiter les contentieux. Elle vérifie que les pères norganisent pas leur insolvabilité. Nous testerons ce dispositif dans 10 caisses lannée prochaine pour une généralisation avant la fin du quinquennat.
Cette expérimentation est la naissance dun nouveau service public pour les familles: elle est à lavant-garde dune nouvelle protection sociale, qui ne repose pas seulement sur des allocations, mais aussi sur des protections concrètes et réactives.
Cest la même logique dune politique de solidarité qui implique enfin toute la société, les hommes donc, dans la construction dune société égalitaire que nous voulons instaurer dans notre action contre les violences faites aux femmes.
Il faut protéger les victimes, il faut aussi accompagner, soigner et impliquer les auteurs pour sortir de la spirale de la violence. « La suprématie masculine est la dernière aristocratie » disait Maria Deraisme. Les violences ont pour point commun de naître là où quelquun place un sexe au-dessus de lautre. Elles ne sont pas une succession de faits divers, elles ont un sens : elles reflètent toute la lâcheté des siècles dinégalités qui nous précèdent. Ces siècles qui, sous prétexte dordre naturel des choses, ont partagé lhumanité entre soi-disant « sexe faible » et soi-disant « sexe fort ».
Toute inégalité recèle une violence: cest la racine de tous les maux. La violence se nourrit de toutes les inégalités, elles sont le terreau fertile de cette monstruosité que notre société a toujours autant de difficulté à regarder en face, comme pétrifiée de honte devant sa propre impuissance à combattre, à faire régresser la violence conjugale, cette hécatombe, cette tragédie quotidienne, devenue banale à force dêtre courante. Nulle part, pourtant, il nest écrit que les femmes doivent tomber, souffrir et mourir sous les coups des hommes. Nulle part, il nest écrit que le domicile conjugal et la chambre à coucher sont une zone dimpunité et de non-droit, un sanctuaire dombre et de silence, protégé des lois et des règles, loin des yeux et du bras armé de la police ou de la justice. Nulle part, il nest écrit que ce combat est perdu davance parce que nous ne pourrions entendre les cris de celles qui refusent dêtre victimes: « Non! ».
«Non!», disent-elles. A celui qui veut forcer leur corps, à celui qui lève la main sur leur visage, à celui qui sexcuse trop tard, une fois de plus.
« Non!», ce cri sadresse à nous aussi, parce que nous sommes responsables, car oui, nous sommes responsables : écoutons-le, ce cri qui ne doit plus rester un cri de détresse entendu des seuls enfants, proches et voisins terrorisés par la culpabilité, mais un cri de révolte qui nous oblige à laction.
Que ce cri soit désormais le nôtre, un cri de ralliement, celui des responsables publics et du législateur: « Non». La peur, la culpabilité, la honte doivent changer de camp!
En cette matière tout ne relève pas de la loi, mais nous avons lexigence absolue que la loi soit au rendez-vous des souffrances quendurent les femmes. Au nom de nos principes, par respect pour le courage des femmes qui se battent chaque jour contre la lâcheté de la violence, nous devons faire front. Nous devons être à leurs côtés.
Seule une femme battue sur dix dépose aujourdhui plainte. Et même parmi celles qui poussent la porte dun commissariat, une moitié seulement porte effectivement plainte. Pour lautre moitié, la protection quapporte une procédure pénale butte encore trop souvent sur des situations inextricables : contraintes familiales, souci de protéger les enfants, absence de logement, peur de la suite, tout simplement. Il est de notre responsabilité de lever ces contraintes et de permettre aux femmes dêtre protégées, vraiment, soit par la voie pénale, soit par la voie civile.
Nous allons demander au procureur dexaminer systématiquement les mains courantes, comme il le fait avec les plaintes. Il lui reviendra ensuite de décider sil doit ou non déclencher laction publique, solliciter des informations complémentaires, ou enclencher une ordonnance de protection. Une circulaire sera prochainement publiée sur le sujet. La main courante ne sera désormais plus symbole dune bouteille jetée à la mer.
Lever tout ce qui pourrait freiner ou retarder la sortie du cycle infernal des violences , cest ce qui nous a guidé lorsque nous avons décidé dinscrire dans ce texte la suppression de la médiation pénale pour les cas de violences conjugales sauf lorsque la victime le demande expressément léviction systématique du conjoint violent du domicile, ou encore lexonération de taxes et de timbres dans les demandes de titres de séjour pour les femmes étrangères victimes de violences conjugales ou de traite.
Protéger encore et toujours, cest lobjet de la généralisation du téléphone portable grand danger, bien sûr, mais aussi du renforcement de lordonnance de protection. Vous êtes nombreux ici à avoir beaucoup travaillé sur cette question : je pense notamment à M. Courteau, ou encore à Mme André, qui avait pris cette question à bras le corps lorsquelle présidait la Délégation aux droits des femmes. Nous le renforçons pour en allonger les effets, en améliorer les délais, et en développer lutilisation parce que nous croyons dans cette mesure que le Parlement a créé en 2010, et parce que lidée que ce dispositif si précieux pour les victimes puisse être appliqué dans certains territoires, et ignoré dans dautres nous parait insupportable. Cest une inégalité, qui sajoute à une autre.
Il y a parmi vous une demande à laquelle je ne peux quêtre sensible: élargir le périmètre de ce dispositif à toutes les formes de violence. Mais nous devons être vigilants à préserver la spécificité de cette ordonnance de protection, celle qui fait sa force, à la lisière des procédures civiles et pénales. Comment justifier de faire juger par un juge civil dun cas de viol ? Je ne peux y être favorable. Par contre, je suis totalement convaincue que notre responsabilité est de mettre à disposition des outils au moins aussi performants que ceux que nous proposons dans lordonnance de protection pour des procédures plus lourdes. Je pense au téléphone grand danger. Ce dispositif, que nous généralisons, sauve des vies. Roland Courteau avait proposé un amendement visant à étendre ce dispositif de protection au viol, qui na pu être déposé en raison de larticle 40. Je suis tout à fait disposée à le reprendre à mon compte.
Pour que tous ces dispositifs fonctionnent il faut des professionnels aguerris aux violences faites aux femmes. Leffort que vous êtes plusieurs à avoir demandé sur la formation des professionnels, nous le ferons enfin avec ce texte : dans la formation initiale et continue des personnels confrontés aux violences, il y aura désormais un module obligatoire sur les violences.
Enfin, prévenir la récidive. Le projet de loi avance, il était temps, sur le suivi des auteurs de violences : il prévoit des stages spécifiquement conçus pour responsabiliser les auteurs de violences sexistes et sexuelles. Peine complémentaire ou alternative, ces stages portés aux frais des auteurs sont une réponse au déni dans lequel senferment nombre dentre eux. Une prise de conscience forcée de la gravité des actes commis. Une ponctuation de plus aux violences, particulièrement bienvenue lorsque les couples sont amenés à se former à nouveau, ou que les liens avec les enfants demeurent.
Le texte, vous le savez, est ouvert à toutes les propositions qui viendraient renforcer, et compléter cette logique qui dépasse, bien sûr, le seul cadre de cette loi. Sans que cela apparaisse explicitement dans ce texte, sachez ainsi que nous sommes en train de créer un numéro unique gratuit découte et dorientation des femmes victimes de violences, et que nous présenterons un plan global contre les violences en novembre prochain.
Nous voulons mieux protéger les femmes contre toutes les atteintes portées à leur libre choix, à la libre disposition de leur corps, au droit si durement conquis mais encore contesté, ici et là, quest le droit à lInterruption Volontaire de Grosse. Depuis ma prise de fonction, je suis régulièrement saisie par des centres de planification, victimes dintrusions violentes, je constate les difficultés quont certains services dorthogénie à faire face à des recrudescences de pressions et dintimidations. Eh bien, nous ne nous laisserons pas faire et sil faut clarifier la loi pour que le délit dentrave soit pleinement appliqué, nous le ferons. Je salue lamendement de Laurence Rossignol sur cette question.
Mieux protéger les femmes contre les atteintes à leur dignité, et notamment celles qui créent insidieusement les conditions-mêmes qui rendent possible la violence, celles qui fixent, de fait, le niveau dacceptation de notre société à légard des violences lorsquelles ne sont encore quau stade des représentations.
Nous savons toutes et tous le pouvoir considérable des images dans le monde saturé décrans, de médias et de connections virtuelles qui est le nôtre : comment accepter de ne pas contrôler ce que ces images nous incitent à faire, ou nous interdisent de faire, nous et surtout les nouvelles générations sous linfluence croissante de cette médiatisation permanente de nos vies ?
Les missions du CSA seront revues, et adaptées à ces enjeux fondamentaux. Il aura désormais la responsabilité dassurer le respect des droits des femmes, comme il le fait déjà dans les domaines de la protection de lenfance, des messages de santé publique, de la lutte contre les discriminations, ou de lincitation à la haine raciale.
Cela le conduira à veiller au changement de culture que nous attendons toutes et tous dans les médias : non seulement les femmes doivent y avoir toute leur place, mais les images dégradantes des femmes, les violences qui leur sont faites, et les stéréotypes sexistes ne doivent plus y avoir droit de citer.
Comment accepter plus largement que la culture, la création et le patrimoine, la meilleure part de nous-mêmes, le cur de ce qui fait le prestige, linfluence et le rayonnement de la France ne soit pas exemplaires dans ce domaine ? Ce texte a vocation à y répondre, comme nous y répondons à travers laction déterminée du Ministère de la Culture.
Enfin, quatrième et dernier volet, celui de la parité dans toutes les sphères de la société, à commencer par la nôtre, élus de la Nation, à tous les échelons de la représentation.
Ce fut sans aucun doute la dernière grande controverse républicaine sur légalité entre les femmes et les hommes, sur ses fondements philosophiques, ses visées pratiques, le sens que nous voulons lui donner, celle de la parité en politique comme principe intangible, et comme levier dune refondation de notre vie démocratique.
Notre texte va au bout de cette évolution en traduisant lengagement du Président de la République qui a demandé une sanction plus sévère des partis qui ne respecteraient pas leurs obligations de parité pour les élections législatives.
Nous sommes allés aussi loin que la Constitution nous le permet en doublant la modulation prévue sur la première fraction de financement : dun taux de modulation financière établi à 75% de lécart entre le nombre de candidats et le nombre de candidates, on passerait à un taux de 150% de cet écart. Cest, jen suis convaincue, une nouvelle avancée qui produira ses effets, et changera la donne dans nos assemblées.
Mais le texte, et cest lune de ses principales orientations, généralise surtout le principe dégal accès des femmes et des hommes à la représentation et aux responsabilités dans toutes les organisations, partout dans la société.
Cest la fin programmée des derniers bastions auxquels les femmes navaient pas accès.
Nous inscrirons le principe de la parité dans le monde du sport, qui, comme lavait très bien montré le rapport de Michèle André, fait encore trop peu de place aux femmes. Le texte est pragmatique, compréhensif et même bienveillant à légard des difficultés réelles que certaines organisations peuvent rencontrer pour se féminiser, mais il est intraitable dans ses objectifs de mixité, et de parité, sans concession sur les obligations de moyens à mettre en uvre pour y parvenir. Nous avons construit ce texte dans le dialogue avec le monde du sport. Il le trouve très exigeant. Mais notre niveau dexigence est raisonnable, et linaction qui na que trop durer sur ces questions justifie une mesure qui change véritablement les choses.
La parité est également prévue pour les chambres consulaires CCI, les chambres dagriculture, ou encore les autorités administratives indépendantes et commissions consultatives placées auprès de lEtat.
Sur ce dernier point, le chantier est immense plus de 600 commissions, et le diable dans les détails à savoir les modalités de nomination. Cest pour cette seule raison que nous vous demanderons de nous habiliter à le faire par voie dordonnance.
Léchéance est transparente, ambitieuse mais réaliste : 2025, ce moment où la génération des collégiens qui viennent de faire leur rentrée scolaire accèderont aux responsabilités, achèveront leurs études et entreront dans le monde du travail, fonderont une famille et organiseront leur vie dadulte, en se répartissant les rôles, entre femmes et hommes.
Cest à cette génération de futurs citoyens que sadresse ce texte ainsi que lensemble de laction du gouvernement en faveur de légalité entre les femmes et les hommes, qui implique comme jamais auparavant lensemble des Ministères, la totalité des politiques publiques de notre pays, dans une seule et même direction.
Une génération pour laquelle nous voulons que ce passé que jévoquais en préambule soit définitivement de lhistoire ancienne, parce que leur vie quotidienne, leur vision du monde, leur conception des hommes, des femmes et de leurs rapports dans la société auront changé.
Cette jeune génération doit être notre horizon.
Pour elle, faites-vous aujourdhui les avocates et les avocats des femmes contre les inégalités qui pèsent sur elle, mais ne soyez pas les procureurs des hommes en pensant quils seraient à la fois les organisateurs et les bénéficiaires dun ordre dont nous sommes tous comptables, et responsables : cest ce que je vous invite à faire en accordant vos suffrages à ce texte qui naspire quà une chose, concrétiser enfin la promesse républicaine dégalité.
Je vous remercie.
Source http://femmes.gouv.fr, le 18 septembre 2013