Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, en réponse à une question sur les opérations militaires en Afghanistan, à l'Assemblée nationale le 6 novembre 2001.

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Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Monsieur le député,
Je me suis engagé à informer régulièrement la représentation nationale de la lutte engagée contre le terrorisme et des formes de la participation française à cette lutte. Nous l'avons fait sous forme de débats spécifiques organisés ici même ou au Sénat ; je l'ai fait en réunissant à Matignon les présidents des commissions parlementaires spécialisées et les présidents des groupes des deux assemblées ; nous le faisons, les ministres et moi-même, en répondant aux questions d'actualité et votre question me fournit l'occasion de faire le point aujourd'hui.
La stratégie de lutte contre le terrorisme depuis les attentats du 11 septembre se conduit selon deux axes : une action globale, menée à l'échelle mondiale au plan judiciaire, policier, des services de renseignement, économique et financier. Cette action sera conduite avec détermination par notre pays tant que cette lutte n'aura pas abouti au succès.
Le deuxième axe, c'est naturellement la riposte armée contre Ben Laden et son réseau Al Qaida, placée sous le signe de la légitime défense, reconnue par les Nations unies, planifiée et conduite au niveau national essentiellement par les Etats-Unis, avec l'assentiment de la communauté internationale et la participation de certains pays. L'action militaire en Afghanistan a connu une évolution stratégique au cours de la 4ème semaine de bombardements qui vient de s'achever. Les forces aériennes américaines ont, dans un premier temps, frappé les objectifs d'infrastructure et d'intérêt militaire sur l'ensemble du territoire afghan - tels que des centres de commandement et de contrôle des forces talibanes. Depuis le 1er novembre, des bombardements intenses leur ont succédé : ils sont concentrés sur des forces talibanes déployées devant les combattants de l'Alliance du Nord, notamment au voisinage de Mazar-i-Charif et au nord de Kaboul. Devant une résistance talibane forte, les actions américaines sont très déterminées et devraient, à mon sens, se prolonger. Il faudrait d'ailleurs, dans l'hypothèse, comme le suggèrent certains, où elles s'arrêteraient, imaginer quelle serait alors la situation et quelle serait l'alternative.
Les éléments constitutifs de l'approche commune du président de la République et du Gouvernement dans la gestion de cette crise sont les suivants : la solidarité de notre engagement aux côtés des Etats-Unis pour lutter contre le terrorisme, en particulier dans sa dimension globale, est entière. La riposte armée contre Al Qaida doit nécessairement s'accompagner de la recherche d'une solution politique alternative viable au régime des taliban et ce n'est pas parce que la recherche de cette issue politique est plus difficile que nous ne pouvons l'espérer qu'elle ne doit pas être poursuivie avec détermination.
Une assistance humanitaire aux réfugiés et aux déplacés sur le territoire de l'Afghanistan doit être amplifiée d'urgence tellement un désastre menace. Non seulement dans la réunion de Londres, dimanche soir, avec plusieurs de nos collègues européens, nous avons discuté de l'ampleur de cette aide, des moyens de sa meilleure coordination entre les différents organismes qui procèdent des Nations unies du programme alimentaire mondial, des ONG, et des Etats eux-mêmes engagés dans cette action. Nous avons aussi essayé de rechercher comment l'Europe pourrait elle-même mieux coordonner ses efforts. J'ai moi-même, à la suite de la réception des représentants des organisations non gouvernementales, annoncé le doublement de la contribution du Gouvernement pour le mettre à la disposition des ONG.
Quatrièmement, il faut éviter tout amalgame et résister au piège que veut tendre monsieur Ben Laden, en élargissant les termes du conflit. Je crois d'ailleurs que l'attaque que Ben Laden vient de faire contre les Nations unies est révélatrice de son état d'esprit et constitue, à mon avis, dans la bataille de communication et de pédagogie internationale qui est en jeu, une première faute qu'il a commise et que nous devons souligner auprès des opinions publiques.
Cinquièmement, il est impérieux de reprendre les négociations au Proche-Orient et de sortir le conflit israélo-palestinien de l'impasse dangereuse dans laquelle il est enfoncé. Ce point a été longuement débattu à Londres et, comme les autres points que je viens d'évoquer, il devrait certainement servir de base à ce que le président de la République dira dans quelques heures au Président Bush, à Washington, à l'occasion de son déplacement.
S'agissant des opérations militaires proprement dites et de la participation de la France, vous savez, mesdames et messieurs les députés, que je m'en suis toujours tenu et m'en tiendrai toujours aux faits et aux décisions que nous prenons effectivement, me gardant des commentaires ou des gloses. Depuis ma dernière intervention devant vous, la situation actuelle des engagements militaires français n'a pas changé de nature.
Sont aujourd'hui déployés des moyens aériens de recueil de renseignement et de
reconnaissance tels que les Mirage 4, des moyens navals d'escorte, de ravitaillement et très récemment, le déploiement d'un groupe de guerre des mines, selon la terminologie.
Au-delà des facilités données, de la coopération en matière de renseignement qui se révèle fructueuse, et des soutiens déjà apportés aux forces américaines, des propositions dans les trois domaines - aérien, naval et des forces spéciales - ont été formulées. Nous sommes prêts à densifier notre soutien, notamment, sous bref délai, au plan naval, si cela nous est demandé. Cela étant, la participation de la France à des actions nouvelles implique que nous soyons pleinement associés à la définition des objectifs et à la planification militaire, et que pour ce qui concerne nos propres forces, nous les approuvions.
S'agissant enfin de la recherche d'une solution politique, la France, notamment au travers du plan de paix pour l'Afghanistan, fait de la restauration de la paix civile et de l'établissement d'un gouvernement libéré du régime des taliban rassemblant les différents groupes à l'intérieur de ce territoire déchiré, une priorité de son action, en liaison avec ses partenaires européens et naturellement dans le cadre du groupe des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.
Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer, la guerre actuelle n'est pas une guerre contre le peuple afghan. Elle doit permettre, si l'on revient à l'objectif initial qui fonde la légitimité même de l'action, le démantèlement d'Al Qaida, la substitution aux taliban d'un gouvernement représentatif de toutes les composantes de la nation afghane. C'est le sens du travail de consultation entrepris notamment, sous l'égide des Nations unies, par monsieur Brahimi. C'est l'objectif que nous recherchons activement, même si nous savons que ce travail est délicat et qu'il peut prendre du temps."

(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 novembre 2001)