Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur et à la recherche à LCI le 24 août 2015, sur la situation des migrants et les difficultés concernant les inscriptions à l'université.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral


VALERIE NATAF
Bonjour Thierry MANDON.
THIERRY MANDON
Bonjour.
VALERIE NATAF
Alors, le président de la République va recevoir ce matin les héros de l'attentat évité contre le Thalys, c'est trois Américains, ce Britannique et sans doute un Français. La première question qui me vient à l'esprit c'est : doit-on toujours compter sur le facteur chance et donc des héros, pour éviter de nouveaux attentats ?
THIERRY MANDON
Non. Evidemment, il faut s'adapter et à adapter nos systèmes de sécurité en permanence aux risques qui se diffusent, qui sont les risques d'un terrorisme un peu low-cost, qui fait qu'un individu, seul, surarmé, peut n'importe où frapper, mais en même temps, que la société, à travers des individus aide, il faut le saluer, il faut s'en réjouir et c'est aussi sûrement la mobilisation de la société, sur ces risques nouveaux, une partie de la réponse pour les années qui viennent.
VALERIE NATAF
Alors, cette guerre contre le terrorisme, on l'a vu, il y a beaucoup de moyens déployés, l'opération Sentinelle, qui durera jusqu'à la fin 2015, mais est-ce qu'il faut des mesures de sécurité spécifiques, à votre sens, dans les trains, des portiques de sécurité, comme en Espagne, des fouilles aléatoires de bagages, comme ça se fait en Angleterre ?
THIERRY MANDON
En tout cas la question mérite d'être posée. Je ne crois pas qu'on puisse dire, comme je l'entends ici ou là, depuis 48 heures, trop rapidement, que non non, on ne peut rien bouger, que tout va bien. Je pense qu'au contraire, il faut, avec les professionnels concernés, des services de sécurité, des services de transports, faire une vraie analyse au laser de ce qu'il convient de faire bouger. Et j'imagine quand même que des mesures complémentaires à ce qui existe aujourd'hui, s'avèreront indispensables. Quelle en est la nature, je ne suis pas un spécialiste. Est-ce que ce sera des portiques, est-ce que c'est des contrôles aléatoires, est-ce que c'est… Je ne sais pas, mais à mon sens, tendanciellement, être obligé d'être un tout petit peu plus exigeant.
VALERIE NATAF
Et donc des mesures de sécurité plus drastiques éventuellement.
THIERRY MANDON
Oui, probablement, en tout cas, oui, je ne pense pas qu'on puisse imaginer que des mesures très fortes et efficaces, d'ailleurs, permettent de contrôler le trafic aérien, à peu près, et que de fait, par la présence militaire, ce qui est déjà très bien dans les gares, on puisse se contenter de rien du tout pour les trains.
VALERIE NATAF
Bien. Passons à la politique proprement dite. Alors, Arnaud MONTEBOURG, qui est un ami pour la vie, avez-vous dit…
THIERRY MANDON
Oui.
VALERIE NATAF
… recevait Yánis VAROUFAKIS à Frangy, et il vous pose une question, en quelque sorte, directement : est-ce que vous pensez appliquer le programme de la droite allemande, puisque vous êtes au pouvoir ?
THIERRY MANDON
Non, non ce n'est pas… C'est tout le problème de cette réunion, si je me place au plan politique, au plan personnel. Vous avez fait état des relations que j'ai avec Arnaud MONTEBOURG, qui sont toujours vraies. Au plan politique, je pense, c'était le dimanche de l'esprit critique, il n'en a pas manqué, mais malheureusement ce n'était pas le dimanche de l'autocritique, or, je pense que la réponse aux problèmes posés à Frangy, elle tient dans cette balance entre la critique d'une Europe qui n'est pas démocratique, pas assez démocratique, d'un euro qui, quand même, pose quelques difficultés dans sa gestion, d'une austérité dans certains pays, qui est difficile à vivre, de dirigeants politiques qui doivent se mobiliser de manière plus cohérente pour tirer vers l'euro, l'Europe, donc ces critiques-là, on peut en tout cas les entendre, mais alors on a là deux acteurs majeurs, anciens ministres, c'est quand même inouï que notamment monsieur VAROUFAKIS, qui est quand même fantastique, il a mené toutes les négociations, il a fait l'apologie de Syriza et de monsieur TSIPRAS pendant des mois et des mois, et du jour au lendemain, il dit : « Ah ben non, c'est le diable, c'est ce qu'il faut éviter, c'est…
VALERIE NATAF
Mais, c'est exactement de ce que fait Arnaud MONTEBOURG, membre d'un gouvernement…
THIERRY MANDON
Absolument, absolument…
VALERIE NATAF
… de François HOLLANDE, sous Jean-Marc AYRAULT, puis Manuel VALLS, et qui critique aujourd'hui cette politique. Est-ce que… comment est-ce que vous l'envisagez ? Est-ce qu'il est un candidat, déjà, de la primaire éventuelle du Parti socialiste en 2017 si François HOLLANDE ne se présente pas ? Est-ce qu'il est un citoyen engagé ? Est-ce qu'il fait de la politique comme les frondeurs ?
THIERRY MANDON
Oui. La présidentielle, je ne suis pas sûr que ça soit son point de vue, je n'en sais rien, mais en tout cas, ce qui est sûr, c'est qu'il se maintient dans l'arène politique, avec je crois un positionnement qui est quand même… qui doit être légèrement amélioré. L'Europe aujourd'hui n'a pas besoin de procureurs, elle a besoin d'avocats, elle a besoin de gens qui soient exigeants vis-à-vis d'elle, et de ce point de vue-là, y compris ceux qui la critiquent, mais elle a besoin de gens qui soient aimants vis-à-vis d'elle, et il ne faut pas détruire ce capital qui est le nôtre, la construction européenne, l'euro avec ses insuffisances. Il faut chercher à améliorer ce dispositif, parfois au prix de réformes importantes, et j'ai trouvé que ce message d'espoir, là, il manque. Et si on est critique, démesurément critique, qu'est-ce qu'il reste ? On rejoint la cohorte de ceux qui ne veulent plus de l'Europe, de ceux qui ne veulent plus de l'euro, et finalement, on fait le lit de force dont… qu'on prétend combattre.
VALERIE NATAF
Alors, en même temps, ce que disent Arnaud MONTEBOURG et Yànis VAROUFAKIS, je vais me faire leur avocat, c'est aussi dire : est-ce que la gauche a encore un projet ou est-ce qu'elle n'est faite finalement que d'exigences comptables, la dette, la baisse des impôts qui a été annoncée comme la mesure de la rentrée ? Est-ce que c'est ça la gauche du gouvernement ?
THIERRY MANDON
Mais la gauche a un projet, et d'ailleurs, dans l'affaire grecque, François HOLLANDE l'a montré, si François HOLLANDE avec quelques-uns, peu nombreux au tout début, n'avaient pas été là, où en seraient les Grecs aujourd'hui ? Où en serait l'Europe aujourd'hui ? Où en serait l'euro aujourd'hui ? Donc elle a un projet. La gauche, elle croit à la construction européenne, et elle a un projet pour la nation aussi, qui est un projet de justice, il faut que ça soit plus juste, et puis, je pense, qui est un projet – on ne le dit pas assez souvent – de voir plus loin pour la société. On ne peut pas être dans les sociétés d'aujourd'hui seulement en réaction à l'actualité, on doit redevenir proactif, on doit se projeter, et sur un certain nombre de sujets, dans le plan économique, comme les sujets dont je m'occupe au gouvernement, c'est ce que nous essayons ou nous essayerons de faire, anticiper les mieux les problèmes plutôt qu'être en situation de réagir.
VALERIE NATAF
Alors, une toute petite phrase peut-être sur la rencontre entre Angela MERKEL et François HOLLANDE ce soir sur les migrants ; l'Europe, vous dites, elle a besoin d'avocats, et pas de procureurs, et les migrants, est-ce qu'ils n'auraient pas besoin de plus d'Europe, et d'une Europe plus juste ?
THIERRY MANDON
Si, mais bien sûr, mais d'ailleurs, vous prenez tous les grands sujets de l'actualité, il y a besoin de plus d'Europe, vous prenez les migrants, vous prenez les agriculteurs, vous prenez la Grèce, vous prenez les sujets de l'économie et de la connaissance, sur tout ça, il y a besoin de plus d'Europe. Et moi, je suis gré à François HOLLANDE et à Angela MERKEL, au-delà de leurs désaccords, qui sont réels, il ne faut pas du tout considérer que tout ça, ça pense pareil, qu'on suit les Allemands, c'est n'importe quoi. Mais de chercher à faire avancer les choses, sur les migrants, il faut – des décisions ont été prises en juillet – il faut qu'elles soient appliquées, là, très concrètement…
VALERIE NATAF
C'est ce que demande Jean-Claude JUNCKER dans une tribune ce matin, dans Le Figaro, oui…
THIERRY MANDON
Eh bien, je ne l'avais pas lue, mais c'est… très concrètement, il faut qu'elle soit appliquée, il faut que les pays européens, à due proportion, de leurs capacités, prennent chacun leurs responsabilités, chacun ou chacune leurs responsabilités pour accueillir un certain nombre de migrants dans les meilleures conditions. Et puis, troisièmement, il faut aux frontières de l'espace Schengen être plus exigeant, bien vérifier ce qui relève de trafics absolument insupportables, agir de manière coordonnée contre les trafiquants. Bref, il y a besoin de beaucoup plus d'Europe, et c'est bien, cette rencontre, elle arrive au bon moment.
VALERIE NATAF
Alors, on va parler de vos sujets maintenant, en fait, l'université est un peu la grande absente des débats sur l'Education, on parle beaucoup… on entend Najat VALLAUD-BELKACEM parler de la réforme des collèges ou de la réforme des programmes, Alain JUPPE, lui, préférait se concentrer sur l'Education en primaire. Alors, est-ce que l'université est la grande oubliée de ce débat ? Et vous dites qu'elle a besoin de moyens supplémentaires.
THIERRY MANDON
Oui, alors, d'abord, elle est oubliée, parce que ça marche, vous savez que, il y a quelques jours, on a eu un classement des universités françaises, et la France fait toujours partie du top cinq des grands pays universitaires au monde, le fameux classement de Shanghai. Mais elle a ses difficultés, et ses difficultés, c'est qu'elle est victime de son succès. Chaque année, vous avez entre 30 000 à 50 000 inscrits supplémentaires à l'université, c'est l'équivalent de deux universités, c'est comme si on créait de fait deux universités ; ça, ça fait trois, quatre ans que ça dure. Ça veut dire que, depuis quatre ans, vous avez l'équivalent de huit à dix universités nouvelles en effectifs, mais elles n'ont pas été créées, et donc une tension forte sur les moyens des universités. Alors, là, il y a deux choses à dire, premièrement, les moyens ont été protégés ces dernières années, mais ce n'est pas suffisant…
VALERIE NATAF
Vous allez avoir une avance budgétaire ?
THIERRY MANDON
Il le faut, il le faut, alors …
VALERIE NATAF
Vous la demandez en tout cas, j'imagine.
THIERRY MANDON
Oui, mais évidemment, et moi, je la demande même en perspective sur trois à cinq années, parce que, il faut plus de moyens pour accueillir plus de gens, et il faut absolument de la qualité. Et puis, deuxième chose, que je crois indispensable, et ça, je peux vous en dire deux mots ce matin, même si on en a peu parlé jusqu'à maintenant, nous avons travaillé la semaine dernière avec Najat VALLAUD-BELKACEM, puisque désormais, les bacheliers vont vraiment vers l'université, il faut que dès avant le bac, dès la terminale, ils sachent clairement les choix qu'ils auront à faire après le bac, disons les choses autrement, l'orientation doit être absolument une priorité pour mieux réguler le flux des nouveaux entrants à l'université, et surtout, pour mettre les jeunes en situation de réussite. Voilà. Un bachelier, un futur bachelier, il doit savoir que s'il va dans telle section, le droit, les STAPS ou la physique, à moyen terme, le taux de réussite dans cette filière-là, c'est tant de pourcent, que le taux d'emploi deux ans après les études, c'est tant de pourcent, que les rémunérations…
VALERIE NATAF
Et ça, ce sera fait la dernière année en terminale, dans toutes les sections ?
THIERRY MANDON
Eh bien, nous voulons travailler, d'ici la rentrée prochaine, à un outil avec Najat VALLAUD-BELKACEM, qui est la ministre en charge de l'ensemble des questions éducatives, qui permettra en toute transparence à tout futur bachelier de décider ce qui pour lui est le plus intéressant, en connaissance de cause. Réguler en amont de l'université les flux et mettre tout le monde en situation de réussite.
VALERIE NATAF
Alors ça, ce serait un module supplémentaire aux cours, c'est-à-dire, on ne rognerait pas sur d'autres formations pour faire ça ?
THIERRY MANDON
Vous savez, on est un peu en avance sur la façon très concrète dont ça se passe, je n'imagine pas qu'on enlèvera des choses pour mettre ça, mais c'est très important…
VALERIE NATAF
Mais ce sera simplifié, parce que vous aimez bien la simplification ?
THIERRY MANDON
Mais ça va être simplifié, mais ça doit être accessible, avec le site Internet aujourd'hui, on peut faire ça très facilement.
VALERIE NATAF
Je vous remercie Thierry MANDON. Merci d'avoir été notre invité sur LCI ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 août 2015