Interview de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, à Sud Radio le 31 août 2015, sur la situation des migrants à Calais, la nécessité d'une solution européenne à la crise migratoire et la réforme du marché du travail.

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Circonstance : Déplacement du Premier ministre, Manuel Valls, et du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, à Calais le 31 août 2015

Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

JOURNALISTE
Bonjour Christophe BORDET.
CHRISTOPHE BORDET
Bonjour bonjour.
JOURNALISTE
Votre invité ce matin : le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement, Jean-Marie LE GUEN.
CHRISTOPHE BORDET
Jean-Marie LE GUEN, bonjour.
JEAN-MARIE LE GUEN
Bonjour !
CHRISTOPHE BORDET
Merci d'être avec nous ce matin. Manuel VALLS à Calais aujourd'hui pour préciser le rôle de la France dans l'accueil des migrants. Hier, à l'Université du Parti socialiste, à La Rochelle, le Premier ministre a déclaré, je cite « Ils fuient les guerres, ils doivent être accueillis en France ». Quelles précisions faut-il attendre de la part de Manuel VALLS à Calais aujourd'hui ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Eh bien, l'idée qu'il faut préciser, développer encore, rappeler surtout, c'est que la France, l'Europe, sont prêts à accueillir des demandeurs d'asile, c'est-à-dire un certain nombre de femmes, d'hommes, d'enfants, qui fuient des zone de combats, des Syriens, des Irakiens, des érythréens, et nous voulons distinguer ces personnes qui sont dans la plus grande détresse et dont on voit la situation dramatique, quand elles essaient de passer en Méditerranée, avec ces milliers de morts que l'on connait, et donc évidemment des migrations économiques, qui peuvent exister, avec des gens qui souhaitent évidemment venir dans nos pays, plus particulièrement d'ailleurs dans l'Europe du Nord, pour avoir des emplois, et malheureusement, là, nous avons un certain nombre de règles et nous ne pouvons pas accepter, effectivement, aujourd'hui, cette migration illégale, présente sur nos territoires, donc…
CHRISTOPHE BORDET
Donc on ne peut pas accueillir toute la misère du monde.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, bien sûr, cette phrase de Michel ROCARD reste complètement d'actualité, il faut faire la part des choses, et il faut surtout renforcer nos dispositifs européens. Je crois que ce qui est très marquant, c'est qu'on voit bien que les dispositifs que nous avons à adopter, d'abord, doivent être européens, communs, il n'y a pas de solution nationale dans cette affaire.
CHRISTOPHE BORDET
Mais ça semble quand même bien difficile, parce qu'aujourd'hui, les solutions que l'on voit apparaitre, elles sont nationales. Quand on regarde par exemple ce que fait l'Allemagne, qui va accueillir 800 000 réfugiés cette année, c'est une solution nationale, c'est n'est pas une solution européenne.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non non non non, pas du tout, au contraire. Au contraire, vous avez sans doute vu, dans la presse, une expression du ministre des Affaires étrangères allemandes, qui demande qu'il y ait une politique commune de l'asile…
CHRISTOPHE BORDET
Il demande !
JEAN-MARIE LE GUEN
Il demande, mais…
CHRISTOPHE BORDET
Mais il n'y a rien.
JEAN-MARIE LE GUEN
Si si si si…
CHRISTOPHE BORDET
Ah bon.
JEAN-MARIE LE GUEN
… ça s'est fait la semaine dernière, il y a eu une rencontre lundi dernier, il y a exactement une semaine, entre Angela MERKEL et François HOLLANDE, et c'est, ensemble qu'ils ont décidé de prendre tout un tas d'initiatives, dont on verra dans les semaines qui viennent, aussi, d'autres aspects, des initiatives pour faire face à cette demande. Il n'y a pas de solution nationale, il n'y a d'ailleurs de solutions que par le renforcement de ce qui est l'espace Schengen, qui doit être défini, avec l'espace Schengen, c'est sans doute une absence de frontières entre des pays européens, mais ce sont des frontières de l'Europe avec le reste du monde. Et donc nous avons à développer tout un tas de dispositifs, qui permet à la fois de rester fidèle à notre tradition humaniste, de répondre à des détresses humaines considérables et en même temps à faire la part avec tous ceux qui sont, en luttant notamment contre les filières, puisqu'il y a, vous le savez, beaucoup de trafic humain autour de tout ça.
CHRISTOPHE BORDET
Alors, lutter contre les filières, Jean-Marie LE GUEN, c'est très bien, il y a eu un accord entre la France et la Grande Bretagne en ce qui concerne Calais, on sait par exemple, à Calais, qu'il y a un certain nombre de passeurs, ils sont toujours là, à l'heure qu'il est.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, vous avez vu que l'accord qui a été passé par Bernard CAZENEUVE, a permis, il y a maintenant déjà une quinzaine de jours, d'accélérer la chute des filières, notamment vous le savez, il y avait, je crois, du côté britannique, un certain nombre des gens qui agissaient sans véritablement être réprimés, et il y a eu une augmentation extrêmement sensible de la défaisance de ces filières, notamment dans la région, enfin, par rapport à la problématique calaisienne, c'est-à-dire le passage de France en Angleterre, d'Europe en Angleterre, d'Europe continentale en Angleterre…
CHRISTOPHE BORDET
Pourtant beaucoup d'associations disent : ils sont toujours là.
JEAN-MARIE LE GUEN
Alors, il y a… Ecoutez, je pense que les moyens qui ont été mis depuis maintenant un mois, font que s'accélère la répression des filières.
CHRISTOPHE BORDET
Pourquoi, Jean-Marie LE GUEN…
JEAN-MARIE LE GUEN
De façon significative.
CHRISTOPHE BORDET
Pourquoi on n'accueille pas ces réfugiés, par exemple, dans d'anciennes casernes qui aujourd'hui sont vides, comme le font par exemple les Allemands en ce moment ? Au lieu de les laisser dans une jungle à Calais.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, ils viennent à Calais pour une seule raison, ce n'est pas parce qu'ils aiment particulièrement la ville de Calais, c'est parce qu'à Calais se trouve le point de passage pour la Grande-Bretagne, et donc il y a, il faut d'ailleurs le noter, ces gens ne viennent pas spécialement pour rester en France, ils veulent, pour l'essentiel, aller en Grande-Bretagne. Pourquoi ? Parce qu'il semblerait que les travailleurs clandestins aient une possibilité de trouver du soutien, plus, et de l'activité…
CHRISTOPHE BORDET
La Grande-Bretagne a une autre politique que nous.
JEAN-MARIE LE GUEN
Voilà. Et donc, nous sommes tributaires en quelque sorte de la situation en Grande-Bretagne, et c'est pourquoi Bernard CAZENEUVE a interpellé le gouvernement allemand… anglais, pardon, et se met en place une coopération qui est substantielle, qui était insuffisante, disons-le, il y avait eu un accord qui avait été signé par monsieur SARKOZY, les fameux accords du Touquet, qui réglaient, et qui devaient régler cette question après l'affaire de Sangatte, vous vous souvenez, cette affaire de Sangatte il y a quelques années, eh bien on avait bien vu que cet accord du Touquet ne fonctionnait pas, et donc c'est pourquoi Bernard CAZENEUVE a demandé à ce qu'on signe d'autres éléments.
CHRISTOPHE BORDET
Jean-Marie LE GUEN, est-ce que, aujourd'hui, face à cet afflux de demandeurs d'asile, de réfugiés, est-ce que l'on est submergé, comme l'a dit Marine LE PEN ce week-end ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, Marine LE PEN, évidemment, elle souhaite, elle, développer des peurs tout à fait irrationnelles. Je voudrais souligner d'ailleurs que ce qu'a dit la chancelière allemande, madame MERKEL, elle a dit qu'effectivement elle envisageait de traiter le cas de 800 000 personnes, ce qui ne veut pas dire d'ailleurs qu'elle recevra sur le territoire national allemand, 8000 000 personnes, mais la réalité, c'est que la démographie française et la démographie…
CHRISTOPHE BORDET
Démographie allemande, n'ont rien à voir.
JEAN-MARIE LE GUEN
… n'ont rien à voir, c'est-à-dire que les Allemands se posent la question, tout simplement, de la force de travail d'ici cinq ou dix ans, et donc quelque part, ils souhaitent pouvoir recevoir une partie d'une population immigrée, de façon à renforcer leur capacité de travail, y compris dans les services à la personne, puisqu'ils ont une population relativement âgée…
CHRISTOPHE BORDET
Mais c'est bien le problème !
JEAN-MARIE LE GUEN
… qui aura besoin de services à la personne.
CHRISTOPHE BORDET
C'est bien le problème, les Allemands ont peut-être besoin de demandeurs d'asile, de réfugiés à la limite pourquoi pas, alors qu'en France avec la démographie que l'on a on en a beaucoup moins besoin aujourd'hui.
JEAN-MARIE LE GUEN
C'est pourquoi d'ailleurs vous constatez que la politique française n'est pas la même que la politique allemande, même si elle est coordonnée avec la politique allemande…
CHRISTOPHE BORDET
S'il faut plus leur ouvrir les bras ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Nous prenons notre part de ce qui est la solidarité. Ca concerne quelques dizaines de milliers de personnes aujourd'hui dans une situation de crise internationale tout à fait particulière. Nous ne sommes pas sollicités d'une part…
CHRISTOPHE BORDET
On est à 60 000 à peu près je crois en France.
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui mais ce qui est fait que nous… Voilà, au total c'est 35 000 à peu entre ceux qui partent…
CHRISTOPHE BORDET
Et s'il faut en accueillir plus c'est combien alors ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez pour l'instant les chiffres… nous verrons bien, nous ne nous fixons as des quotas puisque justement ce sont des demandeurs d'asile, c'est-à-dire que nous constatons des droits, mais globalement nous restons dans les mêmes chiffres. Et nous demandons d'ailleurs que l'Union européenne, notamment des pays qui bénéficient aujourd'hui de politique financière et budgétaire très importante de l'Europe, prennent aussi une part du fardeau. C'est notamment vrai pour les pays d'Europe centrale, ou les pays d'Europe du nord qui doivent accueillir aussi une partie des demandeurs d'asile.
CHRISTOPHE BORDET
Autre sujet, Manuel VALLS à l'université d'été du PS hier a dit « le débat sur les 35 heures est clos », débat relancé par le ministre de ‘l'économie Emmanuel MACRON, « donc on ne touche pas aux 35 heures, mais en même temps s'il y a des accords d'assouplissement par entreprise, par branche, bon, à la limite pourquoi pas ».
JEAN-MARIE LE GUEN
D'abord il n'a pas exactement dit ça et MACRON n'a pas relancé le débat sur les 35 heures, il a relancé le débat sur la question du travail.
CHRISTOPHE BORDET
Non mais ça fait « on n'y touche pas, mais on y touche un peu quand même ».
JEAN-MARIE LE GUEN
La réalité de ce qui se passe aujourd'hui en France qui a été discuté avec les organisations syndicales, c'est que vous avez une durée légale du travail, hebdomadaire, et à côté de ça vous avez des discussions sociales où dans certains cas il peut y avoir des variations. D'abord sachons que le Français en moyenne travaille plus de 35 heures, il est aux alentours de 39 heures, le travailleur français. Deuxièmement, vous avez comme moi entendu parler des accords qui ont eu lieu à Citroën, ou à PSA, qui ont permis avec une diminution du temps de travail, avec une partie de chômage partiel, et à d'autres moments de l'année une augmentation du temps de travail, eh bien on a pu avoir un maintien dans l'emploi. Donc la discussion sur le temps de travail elle est beaucoup plus souple en France qu'on ne le dit, même si la durée hebdomadaire elle est inscrite dans la loi et ne bougera pas avec ce gouvernement.
CHRISTOPHE BORDET
Pourquoi le temps de travail est-il un tabou chez les socialistes, franchement ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Il est d'autant moins un tabou que je viens de vous expliquer que nous avons fait des variations…
CHRISTOPHE BORDET
On le sent bien chez les jeunes socialistes par exemple qui crient « MACRON démission, MACRON démission ! ».
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, oui, enfin, quelques-uns un peu éméchés. J'allais dire je suis plus encore inquiet du fait qu'ils soient éméchés qu'autre chose.
CHRISTOPHE BORDET
Ca picole un peu à La Rochelle quoi !
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, c'est un problème de temps en temps de notre jeunesse. La réalité c'est que encore une fois il y a plus de souplesse qu'on ne le dit, et nous allons, et c'est l'intention de Manuel VALLS, ouvrir aussi des discussions, des réflexions pour qu'il y ait une plus grande coopération entre salariés et chefs d'entreprise pour mieux adapter au terrain de la réalité de chacune des entreprises, des moments de l'année, des branches industrielles, le fonctionnement du marché du travail. Donc nous continuons à avancer sur le terrain, de plus de souplesse, plus d'autonomie …
CHRISTOPHE BORDET
Plus de liberté pour les uns et toujours autant de droit pour les autres. Bataille, nouvelle bataille du Premier ministre, c'est la réforme du code du travail. D'ailleurs le pire ennemi du MEDEF, le code du travail. Que doit permettre cette réforme à venir ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Eh bien justement elle doit permettre que selon les moments, dans le cadre de discussion, selon les circonstances, eh bien les entreprises aient plus de réactivité. L'idée c'est que sans doute une vision trop uniforme de la vie d'une entreprise, du fonctionnement du travail, il faut qu'on puisse…
CHRISTOPHE BORDET
Aujourd'hui les règles sont trop lourdes…
JEAN-MARIE LE GUEN
Un peu trop uniforme. C'est-à-dire qu'elles peuvent être parfois trop lourdes au plan central, avec une application qui est nuisible à la fois pour les entreprises mais aussi pour des travailleurs qui ne trouvent pas la souplesse non seulement correspondant à leurs aspirations, mais même on voit bien qu'une partie des gens qui sont hors du marché de l'emploi ont du mal à y rentrer parce que les règles du marché de l'emploi sont trop strictes. Donc donner plus d'opportunité, plus de souplesse à ce marché du travail, c'est la grande question. Le faire évidemment sans qu'on annonce le grand soir, la fin du code du travail comme certains le proposent à droite, et qui évidemment n'aboutirait qu'à plus de conflit et plus de désordre. Je note au passage d'ailleurs que les petites et moyennes entreprises ont des demandes qui ne sont pas toujours que soit elles qui doivent régler complètement toutes les négociations sociales. Une petite entreprise par exemple elle a besoin d'un cadre fixe, avec des opportunités, qui lui ait donné, mais c'est pas à elle de décider en permanence, elle ne souhaite pas décider l'alpha et l'oméga de ses relations sociales avec le salarié, ce serait trop compliqué à gérer ; quand vous avez 5 ou 6 salariés, vous ne pouvez pas être DRH à temps complet.
CHRISTOPHE BORDET
Merci Jean-Marie LEGUEN d'avoir été avec nous ce matin sur Sud Radio.Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 septembre 2015