Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RTL le 8 septembre 2015, sur la question des réfugiés, l'avenir de la Syrie, la situation en Ukraine et sur la Conférence de Paris sur le climat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


YVES CALVI
Olivier MAZEROLLE, vous recevez Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères.
OLIVIER MAZEROLLE
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour. Ravi d'être avec vous.
OLIVIER MAZEROLLE
Il y a pratiquement quatre millions de réfugiés syriens et irakiens en Turquie, au Liban, en Jordanie, vous ouvrez aujourd'hui une conférence internationale pour tenter de maintenir ces réfugiés dans la région plutôt qu'ils ne viennent en Europe, ce n'est pas illusoire ?
LAURENT FABIUS
C'est très difficile, mais d'un autre côté, si tous ces réfugiés et ce qu'on appelle les minorités viennent en Europe ou ailleurs, ça veut dire que Daech a gagné la partie, et donc il faut leur laisser la liberté de choix. Et la conférence que j'ouvre aujourd'hui avec mon collègue jordanien, c'est précisément pour essayer que le Moyen-Orient reste le Moyen-Orient, c'est-à-dire un pays de diversité, où il puisse y avoir aussi des chrétiens, des Yézidis, etc. bon, c'est très compliqué, ça passe par des décisions concrètes sur le logement, sur la sécurité, sur l'impunité. Mais il est important, très important même, que cette notion de diversité au Moyen-Orient puisse être conservée.
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais vous voulez sonner le tocsin, réveiller les consciences, mais il faut beaucoup d'argent pour maintenir ces personnes qui sont totalement démunies au Liban, le Liban, un tiers de sa population…
LAURENT FABIUS
C'est énorme…
OLIVIER MAZEROLLE
… Aux réfugiés maintenant…
LAURENT FABIUS
C'est énorme, il y a déjà un effort énorme qui est fait, vous avez raison, par le Liban, par la Jordanie, par toute une série de pays, donc il faut les saluer, les aider, et puis, il n'y a pas seulement… il y a des aspects financiers, mais il y a aussi des décisions à prendre pour que, on ne se résigne pas à qu'il y ait une espèce de monocouleur au Moyen-Orient, parce que c'est complètement contradictoire avec la réalité du Moyen-Orient.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais justement, ces minorités, notamment les chrétiens par exemple, on les entend, ils disent : bon, ASSAD, ce n'est sans doute pas quelqu'un de formidable, mais enfin, au moins, avec lui, on était protégé par rapport aux islamistes…
LAURENT FABIUS
Oui, mais ce n'est pas exact, ce n'est pas exact, regardez, ça ne répond pas exactement à votre question, mais regardez le petit garçon syrien, dont l'image terrible a ému la planète entière…
OLIVIER MAZEROLLE
Kurde…
LAURENT FABIUS
Kurde, bon. Au départ, j'ai entendu son père, le père était dans les geôles d'ASSAD, et ensuite, il a été à Kobané, et il a dû partir à cause de Daech. Mais donc, donner, avoir le sentiment que c'est Bachar qui va protéger la diversité et protéger la Syrie, non…
OLIVIER MAZEROLLE
Les chrétiens se trompent ?
LAURENT FABIUS
Je ne vais pas porter un jugement de ce type, mais la vraie solution, on le sait, c'est une solution politique très difficile, mais absolument indispensable, évidemment, ça ne peut pas être les terroristes qui l'emportent en Syrie, mais si c'était Bachar, il repousserait dans les bras des terroristes tous ceux qu'il a persécutés, donc la vraie solution à laquelle nous travaillons, c'est une solution où il y aura à la fois des éléments du régime, j'appelle un chat un chat, non pas monsieur Bachar lui-même, mais des éléments du régime, et puis des éléments de l'opposition. Et c'est là-dessus que nous discutons, à la fois avec les populations arabes, à la fois avec les Russes, les Iraniens et les Américains.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais est-ce que le sort de Bachar El ASSAD n'est pas quelque chose qui bloque la situation ? Aujourd'hui, vous voulez par exemple faire établir que tous les criminels doivent être poursuivis, est-ce que Bachar El ASSAD devra être jugé par un tribunal international ?
LAURENT FABIUS
Eh bien, le secrétaire général des Nations-Unies, monsieur Ban KI-MOON, a dit que c'était un criminel contre l'humanité. Il faudra trouver évidemment une solution pour Bachar El ASSAD, mais je pense que, parce que, un homme tout seul ne peut pas faire obstacle à la solution…
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais enfin, bon, c'est lui quand même qui dirige, après tout, il y a des assassinats de gens qui pourraient être tentés, y compris proches de lui, je crois, non, qui pourraient être tentés de s'entendre pour une solution de transition ?
LAURENT FABIUS
Il faudra qu'on trouve des éléments du régime et des éléments de l'opposition pour aller vers cette transition politique, voilà, ça, c'est clair…
OLIVIER MAZEROLLE
Pour obtenir son départ, il n'est pas nécessaire de lui faire la guerre directement à lui aussi, en envoyant des soldats ?
LAURENT FABIUS
Non, ce n'est pas ce qui est envisagé, là, nous luttons contre Daech, vous avez vu les décisions qui ont été prises hier par le président de la République, mais en même temps, Bachar lui-même ne peut pas être la solution. Donc on est là, l'ONU a un petit peu avancé, il y a eu une résolution qui a été adoptée pour une fois à l'unanimité, et on travaille, je vous le dis, même si c'est long, c'est difficile, c'est contradictoire, avec à la fois les populations arabes, les Américains, les Russes et les Iraniens. Et c'est ça la diplomatie.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors les Russes et les Iraniens, comment les convaincre d'admettre l'idée qu'ils vont perdre leur allié dans la région ?
LAURENT FABIUS
Ce que nous leur disons, c'est : vous ne voulez pas du chaos, vous ne voulez pas de Daech. Or, aujourd'hui, c'est le chaos en Syrie, et Daech est en train de gagner du terrain. Donc discutons ensemble pour voir quelle est la solution de transition politique, qu'on peut envisager, et ça ne veut pas dire que vous perdez votre influence, mais là, on va vers un chaos grandissant, puisque vous avez face à face des masses qui se détruisent.
OLIVIER MAZEROLLE
Et Vladimir POUTINE pourrait accepter de participer à ces discussions, tant que, on attend des sanctions contre lui ?
LAURENT FABIUS
Ah, c'était un autre aspect…
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, je sais, sur l'Ukraine, mais enfin, symboliquement…
LAURENT FABIUS
Non, on ne fait pas masse de tous les problèmes, parce que si on fait masse de tous les problèmes, on n'arrive à rien résoudre. En ce qui concerne l'Ukraine, il est probable qu'il y aura bientôt une réunion dite du format Normandie, entre la France, l'Allemagne, la Russie et l'Ukraine, nous essayons d'avancer en ce sens, et s'agissant de l'Ukraine, les choses sont claires, nous avons passé un accord à Minsk, qui comporte un certain nombre de conditions, qui doit être appliqué avant la fin décembre, si cet accord est appliqué, la France demandera la levée des sanctions.
OLIVIER MAZEROLLE
Et il est vraiment possible de mettre autour d'une même table monarchie du Golfe, Arabie Saoudite et l'Iran, les sunnites et les chiites…
LAURENT FABIUS
Non, c'est très difficile.
OLIVIER MAZEROLLE
Qui passent leur temps à se faire la guerre…
LAURENT FABIUS
C'est très difficile, mais c'est là où la diplomatie peut être utile, on peut très bien envisager par exemple qu'il y ait les cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui discutent, d'une part, avec l'Iran, et d'autre part, avec l'Arabie Saoudite.
OLIVIER MAZEROLLE
Donc ça va prendre du temps ?
LAURENT FABIUS
Malheureusement, oui.
OLIVIER MAZEROLLE
Hier, dans sa conférence de presse, François HOLLANDE a semblé très alarmiste sur la conférence sur le climat à la fin de l'année. On commence déjà à se faire à l'idée que ça va être un échec ?
LAURENT FABIUS
Non, non, non, d'abord, elle est extrêmement importante parce que, sans employer de grands mots, c'est notre capacité à vivre correctement sur terre, si on laisse le dérèglement climatique s'opérer, ça veut dire que la chaleur va être de plus en plus forte, ça veut dire que des espaces entiers vont être recouverts par les eaux, ça veut dire que les migrations vont concerner des centaines de millions de gens, et pas des centaines de milliers, donc il faut arrêter cela. Et c'est l'objet de la conférence de Paris. Alors, c'est très…
OLIVIER MAZEROLLE
Mais là encore, c'est une affaire d'argent. Il faut aider les pays émergents ?
LAURENT FABIUS
Oui, c'est aussi une affaire d'argent.
OLIVIER MAZEROLLE
Les pauvres…
LAURENT FABIUS
Parce que les pays pauvres, je pense aux pays africains, disaient : écoutez, nous, on est d'accord pour limiter les gaz à effet de serre, mais où est l'argent, où est la technologie. Et donc nous discutons des moyens pour le public, le parapublic, le privé, d'apporter des moyens financiers supplémentaires. Mais on travaille énormément, et la réunion que j'ai organisée hier avec une cinquantaine de ministres d'Environnement internationaux va quand même dans le bon sens. Donc c'est très difficile, c'est ce qu'a voulu dire François HOLLANDE, et il a raison, parce qu'il faut mettre tout le monde d'accord, c'est une conférence qui ne peut agir que par consensus, il y a 196 parties. Mais la nécessité est tellement importante d'arriver à lutter contre ce dérèglement climatique que je garde, moi, bon espoir, j'aime cette phrase de Léon Blum qui dit : « je le crois parce que je l'espère ».
OLIVIER MAZEROLLE
Merci Laurent FABIUS.
YVES CALVI
Une dernière question, Laurent FABIUS, les survols français annoncés hier par le président de la République au-dessus de la Syrie ont-ils commencé ?
LAURENT FABIUS
La pratique, c'est de rendre compte des vols lorsqu'ils ont eu lieu.
YVES CALVI
Donc vous le savez, mais nous ne le savons pas.
LAURENT FABIUS
Pas encore.
YVES CALVI
Merci Laurent FABIUS. Bonne journée.
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 septembre 2015