Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec France Inter le 16 septembre 2015, sur la situation en Syrie.

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Média : France Inter

Texte intégral


LEA SALAME
Bonjour Jean-Yves LE DRIAN.
JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.
LEA SALAME
La France a-t-elle commencé, ces dernières heures, à mener des raids sur la Syrie ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, nous faisons de l'acquisition de renseignements, nous constituons ce que l'on appelle des dossiers d'objectifs pour être en situation éventuellement de frapper et de prendre, de manière autonome, les décisions qu'il convient de prendre à ce moment-là.
LEA SALAME
Quand est-ce que vous allez commencer à frapper ? Est-ce que c'est dans les prochains jours, les prochaines heures, les prochaines semaines ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, c'est dans les prochaines semaines, dès que nous aurons des cibles bien identifiées, et qui nous permettront de mener les frappes qu'il convient de mener, face à un ennemi, qui est Daech, et qui nous menace.
LEA SALAME
Un ennemi dont vous dites qu'il progresse très rapidement, notamment autour de la ville d'Alep, si Daech l'emportait dans cette bataille autour d'Alep, qui se joue en ce moment même, elle réduirait à néant ce qui reste de l'armée syrienne libre, avez-vous déclaré hier. Est-ce qu'on y est, la France ? Est-ce qu'on est en train de survoler Alep ? Est-ce que vous avez repéré des cibles ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Alors, je ne vais pas vous indiquer tous les plans de vol. Ce qui est certain, c'est que la donne a changé, depuis maintenant quelques mois, Daech a considérablement élargi sa présence sur le territoire syrien. Et aujourd'hui, c'est vrai ce que vous dites sur Alep, mais c'est vrai aussi sur l'axe Damas-Homs, aujourd'hui, Daech a progressé de telle sorte qu'elle menace à la fois l'armée syrienne libre et la résistance syrienne dans la région d'Alep, mais aussi derrière l'axe Damas-Homs, le Liban, si d'aventure Daech arrivait à percer cette ligne. Donc la donne est tout à fait différente de celle qui existait il y a un an, puisque bloqué sur l'Irak, Daech s'est retrouvé en situation offensive sur la Syrie, et aujourd'hui, c'est une situation assez grave, effectivement…
LEA SALAME
Et donc là, actuellement, la France n'a pas repéré, au-dessus d'Alep ou sur cet axe Homs-Damas, des cibles potentielles à frapper ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Si c'était le cas, je ne vous le dirais pas. Et donc nous faisons notre travail, nous appliquons les décisions du président de la République, nos avions, mais aussi nos satellites, et tous les moyens de renseignements que nous pouvons avoir…
LEA SALAME
Donc vous n'allez pas communiquer sur les frappes ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça serait quand même une erreur tactique.
LEA SALAME
L'espace aérien syrien est protégé par un système de défense ultra sophistiqué, installé par les Russes. Aujourd'hui, quand on survole la Syrie, j'imagine que vous avez l'accord implicite de Bachar El ASSAD ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Pas du tout. Toute opération, celle que nous menons aujourd'hui, toute opération aérienne, y compris de renseignements et de reconnaissance, est risquée, et nous prenons les dispositions nécessaires pour éviter à nos pilotes des dangers qui sont là. Et nous avons, avec les Etats-Unis, une coopération qui nous permet d'avoir plus de sécurité dans le ciel syrien.
LEA SALAME
Jean-Yves LE DRIAN, qui est notre ennemi en Syrie ? Daech ou Bachar El ASSAD ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Notre ennemi à nous, c'est Daech, Bachar El ASSAD, c'est l'ennemi de son peuple. Bachar El ASSAD est un assassin, 240.000 morts au bilan, il a été à l'origine du gouffre dans lequel aujourd'hui s'effondre toute une région, nous le condamnons violemment, mais c'est Daech…
LEA SALAME
Mais nous avons manifestement…
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais c'est Daech qui est en situation d'attaquer aujourd'hui notre pays, parce que quand je vous disais que la donne a changé, elle a changé parce que Daech s'est élargi, elle a changé aussi parce que, sur le territoire syrien, occupé par Daech, aujourd'hui, se forment des combattants dont la mission ne sera pas d'aller taper en Syrie, mais de venir taper en Europe, et singulièrement en France, c'est la raison pour laquelle il y a une évolution, et c'est la raison pour laquelle le président de la République a pris ces décisions.
LEA SALAME
Est-ce que vous dites que Bachar El ASSAD doit partir, doit toujours partir, immédiatement ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Bachar El ASSAD est à l'origine de cette catastrophe humanitaire et de l'ampleur des risques qui existent aujourd'hui en Syrie. Bachar El ASSAD n'est pas la solution. Bachar El ASSAD…
LEA SALAME
Est-ce qu'il doit partir immédiatement ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il doit partir le plus vite possible,
LEA SALAME
Plus immédiatement ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et plus, il part vite, mieux tout le monde se portera, parce qu'il importe qu'il y ait une solution politique en Syrie, pour permettre précisément de riposter de manière plus pertinente à Daech aujourd'hui.
LEA SALAME
Bruno Le MAIRE, à votre place hier, disait : les raids aériens, c'est bien gentil, mais ce n'est pas comme ça qu'on va détruire une guérilla ultra organisée, ultra déterminée, il faut des troupes au sol.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, mais enfin, les troupes au sol, je voudrais rappeler à Bruno Le MAIRE que, récemment, il y a eu des troupes au sol, des milliers de soldats américains et britanniques en Irak, on a vu ce que ça a donné, et aujourd'hui, qui propose des troupes au sol ? Personne, sauf Bruno Le MAIRE. Personne, aucun Etat. Parce que, on voit bien les risques, on voit bien les drames que cela peut entraîner, et on voit bien que ce n'est pas automatiquement la solution, tant qu'il n'y aura pas des forces syriennes d'opposition à Bachar El ASSAD, organisées entre elles et soutenues par une coalition régionale, il ne peut pas y avoir de troupes au sol. La troupe au sol à venir, ce sont les troupes au sol des Syriens et des pays environnants, dans le but d'une solution politique qui ne sera que la solution finale parce que, autrement, on restera dans les affrontements, le chaos que l'on connaît aujourd'hui.
LEA SALAME
Pour la première fois, pourtant, Manuel VALLS a déclaré hier que la France pourrait appuyer des opérations au sol qui seraient menées par une coalition régionale de pays arabes.
JEAN-YVES LE DRIAN
Manuel VALLS n'a jamais parlé de présence au sol, de forces au sol, Manuel VALLS a dit que s'il y avait une coalition régionale en appui de la résistance syrienne, on pourrait la protéger par les airs, mais c'est ce que nous faisons en Irak.
LEA SALAME
Est-ce qu'il y en a une qui se prépare ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je souhaite que la résistance syrienne s'organise davantage…
LEA SALAME
Et que les pays arabes aussi ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et je souhaite surtout que les pays voisins puissent être à l'initiative, y compris avec la Russie, y compris avec l'Iran, y compris avec l'Europe, d'une initiative politique permettant d'en finir avec ce drame qui assassine un peuple, c'est Bachar El ASSAD, mais qui menace aussi notre propre sécurité, c'est Daech.
LEA SALAME
Aujourd'hui, les informations sont contradictoires quant au rôle de la Russie, les Russes sont-ils en train de lâcher Bachar ou, au contraire, de l'appuyer plus que jamais ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Les Russes protègent leurs propres intérêts en Syrie, et en particulier, les ports qu'ils ont en Syrie sur le littoral, ils renforcent leurs effectifs, qu'est-ce que ça veut dire…
LEA SALAME
Est-ce qu'ils sont en train de lâcher Bachar ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Est-ce que ça veut dire que, ils se protègent contre une éventuelle perte, de chute de Bachar ? Ce serait une question qu'il faudrait leur poser. En tout cas, ce qu'il importe, c'est que la Russie fasse partie de la solution, mais la solution ne passe pas par Bachar.
LEA SALAME
Les migrants syriens aujourd'hui, ceux qui arrivent, qui débarquent en Europe, est-ce qu'ils fuient Daech ou est-ce qu'ils fuient Bachar El ASSAD ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ils fuient les deux. La migration a commencé bien avant le danger de Daech, la migration a commencé dès que Bachar El ASSAD a commencé à systématiquement assassiner son peuple, il y a des camps de réfugiés partout, au Liban, en Jordanie, et ceux-là essaient de regagner un peu de dignité en venant en Europe, donc il est à l'origine du chaos que nous connaissons.
LEA SALAME
Le chiffre d'un million de réfugiés actuellement sur les côtes libyennes, qui seraient en passe de traverser la Méditerranée, il aurait été avancé par les services de renseignements français, est-ce que vous le confirmez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Alors, il y a deux catégories de migrants, il y a les réfugiés qui fuient le drame de la guerre et les représailles, c'est le cas en particulier des Syriens, et puis, vous avez, du fait du chaos qui existe aussi en Libye, toute une série de candidats à l'immigration, venus d'Afrique, venus du Sahel, venus d'Erythrée, qui essaient par la voie de passeurs, de passeurs…
LEA SALAME
Vous confirmez ce chiffre ?
JEAN-YVES LE DRIAN
De passeurs innommables dans leurs comportements, parce que, ils se font payer, et ils profitent de la misère pour ensuite aller renforcer les groupes terroristes…
LEA SALAME
Vous confirmez ce chiffre d'un million ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a énormément de monde dans les camps de réfugiés, et tout réfugié essaie de trouver une sortie, c'est la raison pour laquelle d'ailleurs, en Méditerranée, et il y a une initiative européenne dont on parle peu, et dont je voudrais vous dire deux mots, l'Union européenne a décidé une opération, qui s'appelle Eunavfor Med et qui vise d'abord à collecter tous les renseignements nécessaires pour éradiquer, si possible, ces passeurs, et qui prévoit aussi une interpellation en haute mer si c'est nécessaire. Et aujourd'hui même, se tient à Bruxelles ce qu'on appelle une réunion de génération de forces, où chaque pays va dire : moi, je vais mettre pour essayer d'interpeller les passeurs en Méditerranée tel ou tel bateau, et la France va mettre une Frégate avec un hélicoptère, qui permettra d'empêcher les passeurs d'agir, c'est indispensable pour que ce mouvement de réfugiés à travers la Méditerranée puisse s'arrêter.
LEA SALAME
Jean-Yves LE DRIAN, deux petites questions encore. Pas d'accord hier lors de la réunion des ministres de l'Intérieur des 28 sur la crise migratoire, nouvel échec de l'Europe, nouvel échec du couple franco-allemand. Schengen est-elle morte ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, il faut que Schengen existe parce que ce n'est pas au moment d'une crise qu'on casse un thermomètre, simplement il faut que Schengen soit augmentée dans ses moyens et permette qu'il y ait, dans chaque entrée de Schengen, les moyens de contrôle nécessaires pour que les flux de réfugiés soient maîtrisés. C'est ça la réponse, c'est ce que défend Bernard CAZENEUVE au Conseil des ministres de l'Intérieur.
LEA SALAME
Dernière question, comme ça, vous n'avez pas la tentation de Belle-Île ?
JEAN-YVES LE DRIAN
La tentation de Belle-Île ?
LEA SALAME
Oui.
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est une très belle île, Belle-Île, c'est à Belle-Île que je me suis présenté la première fois de ma vie, mais il y a très longtemps, à des élections.
LEA SALAME
Est-ce que vous allez être candidat, tête de liste, pour les Régionales, Jean-Yves LE DRIAN ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Vous vous en rendez compte que, en ce moment, je suis ministre de la Défense à 100 %, j'ai de quoi faire, la question des Régionales…
LEA SALAME
Mais il y a des élections dans 3 mois, ça s'approche.
JEAN-YVES LE DRIAN
Merci de votre intérêt pour la Bretagne, le mien est aussi très fort, les élections régionales c'est en décembre, c'est dans 3 mois, et je prendrai mes décisions au moment où il faudra les prendre.
LEA SALAME
Donc pour l'instant vous n'êtes pas tête de liste en…
JEAN-YVES LE DRIAN
Je suis ministre de la Défense à 100 %.
LEA SALAME
Merci à vous, merci d'avoir été avec nous ce matin, Jean-Yves LE DRIAN, belle journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 septembre 2015